Le foulard de la musulmane exprime-t-il sa soumission ? son islamité ?

Parfois se font entendre les protestations de femmes et d'hommes occidentaux se disant "résolument contre le port du foulard islamique". Et parfois se font également entendre leur argumentation : ils considèrent le voile féminin comme étant "le symbole de la ségrégation des femmes", comme celui "de l'asservissement de la femme à l'homme", ou encore comme "un signe porté ostensiblement pour témoigner qu'on est musulmane". Dans de nombreuses bouches et sous de nombreuses plumes l'argument revient comme un leitmotiv.

Ces propos ont pourtant quelque chose d'étonnant pour les musulmanes et les musulmans, puisque ni les références islamiques ne présentent le foulard féminin comme chargé de ce sens, ni les musulmanes ne perçoivent ce qu'elles portent de cette façon. Explications sur un malentendu.

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Le foulard de la musulmane, expression de son infériorité ?

Il semble qu'il faille remonter aux références occidentales pour comprendre les causes du malentendu. Comme l'a écrit Leopold Weiss, à cause de sa longue association avec le christianisme, l'Europe a tendance à appréhender de nombreux éléments du religieux à travers le prisme de leur signification dans le christianisme. Or, la Bible, qui elle aussi demandait aux femmes de se voiler la tête, le leur demandait parce que "le chef de la femme c'est l'homme" : "Le chef de tout homme c'est le Christ. Le chef de toute femme c'est l'homme. Le chef du Christ c'est Dieu. Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef [le Christ]. Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef [l'homme]. Car c'est exactement comme si elle était rasée" (Première Epître aux Corinthiens, 11/3-5). "L'homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l'image et la gloire de Dieu. Mais la femme est la gloire de l'homme" (Idem, 11/7). Les Occidentaux d'aujourd'hui ne connaissent pas tous ces passages bibliques. Mais les mémoires de l'inconscient collectif semblent avoir gardé trace de cette signification particulière donnée au voile que portaient des femmes en Europe, signification à laquelle des siècles ont habitué le Vieux Continent. Voilà très probablement la raison pour laquelle de nombreux Occidentaux pensent aujourd'hui, de façon tout à fait naturelle, que le voile que portent les musulmanes symbolise lui aussi la soumission de la femme à l'homme. Il n'en est rien, pourtant.

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Le foulard de la musulmane, un signe de la confession de celle qui le porte ?

Pour d'autres personnes le foulard serait un signe religieux : la jeune fille musulmane le portant dans les écoles françaises entendrait montrer ainsi qu'elle est musulmane : c'est donc un "signe ostensible", par lequel on veut montrer de quelle religion on est.

Que veut dire "ostensible" ?

"Ostensible" : qui est fait avec l'intention d'être vu (Le Petit Larousse).
"Ostensible" adj. est dérivé au moyen du suffixe -ible (1346) du latin ostensum, variante de ostentum, supin de ostendere, proprement "tendre devant", d'où "montrer", de ob "devant" (objet) et tendere (tendre). On relève en latin médiéval (1300) ostensibilis "qui paraît". Ostensible signifie "qui peut être montré" et surtout, de nos jours, "qui est fait pour être montré, remarqué" (1800) (Le Robert dictionnaire historique de la langue française).

Or le foulard n'a nullement comme objectif d'exprimer que celle qui le vêt est musulmane. Couvrir sa chevelure en public est quelque chose que l'islam rend obligatoire à la femme, mais, lorsqu'elle le fait, la musulmane n'a pas l'objectif d'exprimer par cela qu'elle est musulmane. Exactement comme le fait de couvrir ses cuisses en public est quelque chose que l'islam rend obligatoire à l'homme (d'après l'avis de plusieurs mujtahids), mais, lorsqu'il porte un pantalon afin de respecter cette obligation, le musulman n'a pas l'objectif d'exprimer par cela qu'il est musulman.

Le foulard aurait-il alors ce rôle de façon secondaire ? Non plus : le musulman et la musulmane de France et d'Europe ne sont pas tenus d'exprimer par leur tenue vestimentaire leur différence identitaire islamique (lisez mon article : Faut-il se différencier de la façon de faire des non-musulmans ?).

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Le foulard de la musulmane, le moyen pour la musulmane de vivre sa conception de la pudeur :

En fait, le port du foulard par la musulmane n'est que le moyen par lequel celle-ci vit sa conception de la pudeur. Ses concitoyennes non-musulmanes estiment que la pudeur s'exprime entre autres par le fait de couvrir en public telle et telle parties du corps par des vêtements ; elle, la musulmane française, estime, se fondant sur les textes de ses sources, que la pudeur s'exprime notamment par le fait de couvrir en public son corps sauf son visage, ses mains et (selon un avis) ses pieds.

Les premières semaines de la rentrée scolaire 2003-2004 avaient vu, à la Réunion, un rappel de la part de certains responsables scolaires sur la nécessité de ne pas porter de tenues trop légères à l'école. Des lycéens avaient alors manifesté contre ce rappel et pour la liberté de se vêtir comme ils l'entendaient. Paraissait alors dans la presse locale, rubrique Courrier des lecteurs, le message d'un professeur qui expliquait en substance aux jeunes filles que le port de vêtements exprimant la pudeur rehaussait davantage leur beauté que celui de tenues très osées. Dans son courrier le professeur ouvrait une parenthèse et en profitait pour s'exprimer contre le port à l'école de signes religieux tels que le foulard musulman. Le malentendu est patent : le foulard n'a d'autre objectif que celui de servir cette même pudeur ! Pas de tenues dénudées, c'est sûr. Mais ici, une lycéenne estime que couvrir telle et telle partie de son corps est suffisant comme expression de sa pudeur. C'est sa conviction. Là, une autre lycéenne – une musulmane – estime pour sa part que la pudeur va, en ce qui la concerne personnellement, jusqu'au fait de couvrir sa chevelure. C'est sa conviction à elle. Il ne s'agit nullement pour elle d'exprimer ainsi son appartenance religieuse – et nous sommes donc loin du présupposé "signe religieux ostensible" –, puisque en islam le foulard n'a pas cet objectif. Il s'agit seulement de couvrir ce qu'elle estime devoir personnellement couvrir en public. Et cela ne fait que rejoindre ce que ce professeur recommandait aux lycéennes : des habits exprimant la pudeur plutôt que des tenues dénudées. Certes, la conception de la pudeur diffère entre cette lycéenne-ci et cette lycéenne-là, mais la société et l'école françaises ne se veulent-elles pas les lieux où les différences peuvent coexister ?

La seule question qui pourrait se poser à propos du foulard est : Pourquoi l'islam demande-t-il à la femme et non à l'homme de se couvrir les jambes, le cou et les cheveux ? La réponse se trouve ici : Pourquoi l'islam demande-t-il à la femme de se vêtir davantage que l'homme ?

Nous sommes en présence d'un malentendu sur l'objet. Et les musulmanes et les musulmans ont le le devoir d'en démontrer les mécanismes à leurs interlocuteurs.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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