La télévision est-elle : interdite, à éviter, autorisée ?

Question :

Comment doit-on agir avec la télévision ? Certains frères me disent de ne pas l'introduire à la maison, d'autres me disent que je peux le faire mais que je devrai ensuite faire une sélection dans les émissions. Que dois-je faire vraiment ?

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Réponse :

A) Pour certains savants, dont Cheikh Khâlid Saïfullâh, l'image télévisée pré-enregistrée est une représentation (sûra) et, en tant que telle, elle relève des règles concernant celle-ci (cliquez ici pour découvrir ces règles). Par contre, le direct ne relève pas de la sûra et reste donc en soi autorisé sous réserve qu'aucune entorse ne soit faite à aucune autre règle de l'islam (Jadîd fiqhî massâ'ïl, tome 1 p. 188). Cet avis est celui de nombreux ulémas de l'Inde : le musulman ne doit pas laisser la télévision entrer chez lui, et à moins que l'émission d'une part ne contienne aucune image manquant aux principes de l'islam et d'autre part soit en direct, il ne doit pas non plus regarder la télévision.

B) Pour d'autres savants, dont al-Qardhâwî, en direct ou pré-enregistrée, l'image télévisée est en soi autorisée sous réserve qu'aucune règle islamique ne soit bafouée. Al-Qardhâwî distingue deux dimensions par rapport à la télévision : en soi et dans l'idéal, et dans la réalité d'aujourd'hui...

En soi, la télévision est un outil, et en tant que tel son caractère dépend de son utilisation. Le couteau, qui est aussi un outil, est utilisé pour couper le poulet – ce qui en est une bonne utilisation – ; mais il est des gens qui l'utilisent malheureusement pour des motifs criminels (vol à main armée, viol sous la contrainte, meurtre, etc.) – ce qui en constitue bien sûr une mauvaise utilisation. Pareillement, la télévision est, écrit al-Qardhâwî, un outil, et c'est même un outil dont l'effet sur les sociétés contemporaines est considérable. La télévision peut – tout comme la radio, la presse écrite ou Internet – être un moyen contribuant à diffuser dans la société le savoir et la culture, et à bâtir cette société sur des fondements intellectuels et éthiques. Mais, poursuit-il, elle peut aussi devenir le moyen de diffuser de nombreux maux dans la société : culte de la violence, culte du sexe, culte de l'argent. Tout dépend donc du contenu des programmes diffusés par le moyen de cet outil (d'après Fatâwâ mu'âssira, tome 1 p. 694). Ceci relève de la dimension de l'idéal : la télévision est un outil ; si elle est utilisée dans le bien, c'est un outil qui apporte du bien ; et si elle est utilisée dans le mal, c'est un outil qui apporte du mal. En regard pour cet absolu, il serait possible de dire : ce qu'il est permis de regarder et d'entendre dans la réalité, il est permis de le regarder et de l'entendre à la télévision ; et ce qu'il est interdit de regarder ou d'écouter dans la réalité, il est interdit de le regarder ou de l'écouter à la télévision.

Cependant, il y a loin entre cet idéal et le réel. En effet, force est de constater que la façon selon laquelle les programmes et les films sont actuellement conçus et diffusés fait que, dans les faits, la télévision véhicule aujourd'hui beaucoup plus de mal que de bien : quelqu'un peut-il nier que, dans les faits, le culte de l'argent, le culte du corps, le culte du sexe, le culte de la violence constituent la plus grande part de ce qui est diffusé aujourd'hui sur le petit écran ? "La télévision génère-t-elle la violence ? (…) L'étude de Brandon Centerwall, de l'université de Washington, révèle que plus un pays est équipé en téléviseurs, plus on y tue" (Ca m'intéresse n° 200, p. 26). Or "selon l'association Les pieds dans le PAF, les enfants passent autant de temps devant le petit écran qu'à l'école, et on peut se demander si la signalétique anti-violence mise en place par le Conseil supérieur de l'audiovisuel est suffisante" (Idem, p. 26). "Si le film de Mathieu Kassowitz [La haine] a su saisir la désespérance des banlieues, il a également agi sur elle : après sa sortie, les "rodéos" se sont multipliés" (Ca m'intéresse n° 181, p. 27). Ce constat, chacun et chacune peuvent le faire. Et c'est ce qui a amené Cheikh Khâlid Saïfullâh à la réflexion suivante : "La question de savoir si l'image télévisée entre dans l'acception du mot "sûra" interdit par les Hadîths ou si elle n'y entre pas parce que ne constituant qu'un reflet fait l'objet de discussions entre les ulémas" (d'après Halâl wa harâm, p. 219) : si Cheikh Khâlid Saïfullâh a lui-même donné préférence à la première réponse (voir plus haut, en A), il reconnaît ainsi qu'il y a divergence d'avis sur la question et que les discussions se poursuivent entre ulémas. "Cependant, poursuit-il, il faut aussi voir de quelle façon l'utilisation de cet objet est faite : cet objet exerce-t-il un effet positif ou bien négatif sur la société ? Or, à mon avis, la façon par laquelle la télévision est utilisée, du moins en Inde, et ce qu'elle diffuse comme conception et comme modèle de société est très préoccupant non pas seulement pour les musulmans mais pour tous ceux qui sont attachés à des valeurs religieuses ou morales" (Idem, p. 219). Al-Qardhâwî écrit de même, par rapport à cet état des choses fort éloigné de l'idéal : "A cause de cette façon par laquelle la télévision est le plus souvent utilisée, des gens soucieux de leur foi et de leurs valeurs préfèrent ne pas la laisser entrer chez eux, raisonnant ainsi : "Mâ kâna sharruhû akbara min khayrihî wa ithmuhû akbara min naf'ihî, fa-qtinâ'uhû lâ yajûz"". "Et c'est en fait ce que demande la précaution" écrit-il (d'après Fatâwâ mu'âssira, tome 1 pp. 695-696). Al-Qardhâwî veut cependant aller plus loin dans l'analyse : il écrit aussi : "Cependant, étant donné que c'est devenu un outil très répandu ("al-balwâ 'ammat bih") et que beaucoup de personnes n'ont plus d'autre recours que celui de l'utiliser, on leur dira alors de veiller à faire un tri et une sélection, à ne regarder que ce qui y est bon et à se préserver absolument de ce qui y est mauvais, même s'il s'agit d'une émission qui en soi n'a pas comme objectif de diffuser le mauvais. Mais si une personne sait en son âme et conscience qu'elle ou que ses enfants ne pourront pas se préserver de ce qui est mauvais dans ce qui y est diffusé, alors elle ne devra pas introduire cet outil dans sa maison" (d'après Fatâwâ mu'âssira, tome 1 pp. 695-696).

Enfin, il est du devoir de chaque citoyen d'œuvrer pour qu'une meilleure utilisation de la télévision voie le jour. Les musulmans peuvent se joindre à ce sujet à ceux de leurs concitoyens qui sont eux aussi soucieux de l'état actuel des choses, et, ensemble, par le biais d'associations et autres moyens légaux, ils peuvent pacifiquement faire avancer les choses.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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