Le Déluge avec Noé : universel ou régional ?

Un message :

Comment peut-on être crédible quand on continue, aujourd'hui encore, à lire et à tenir comme vérité un livre qui reprend les légendes bibliques et dit qu'il y a eu un déluge universel. Un livre, qui, en plus, dit que l'arche de Noé a accosté en Judée (voir Coran 11.44).
Vous devriez savoir que l'assyriologue Jean Bottéro a découvert en Mésopotamie un texte, l'Epopée de Gilgamesh, qui montre que les Fils d'Israël n'ont fait que recopier une légende de la région pour donner un sens à l'histoire humaine sur terre, avec un âge d'or suivi d'une déchéance de l'homme et d'un anéantissement par les dieux.

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Réponse :

Le Coran ne dit pas explicitement si le déluge a concerné ou non toute la planète. C'est bien pourquoi il y a divergence d'avis entre les ulémas sur la question : les uns disent qu'il a été universel, les autres qu'il a été régional :
Cheikh Thânwî relate ces deux avis, puis écrit qu'il considère le premier avis comme étant le plus pertinent : selon lui le déluge a été universel (Bayân ul-qur'ân 5/47, 9/126) ;

Cheikh Syôhârwî relate lui aussi ces deux avis, puis écrit que le second avis est à son sens le plus pertinent : selon lui le déluge a été régional (Qassas ul-qur'ân 1/76-77) ; ailleurs il écrit de même qu'il ne pense pas que tous les humains actuels descendent de Noé (note de bas de page sur 3/184).

Voilà deux ulémas indiens ayant vécu à la même époque, qui relatent tous deux les deux avis existants, et qui donnent chacun préférence à un avis différent.

Le premier avis se fonde notamment sur le verset qui relate cette invocation de Noé : "Seigneur, ne laisse sur la terre, des incroyants, aucun" (Coran 71/26) : aucun incroyant ne sera donc laissé sur la surface de la terre, ce qui montre bien que dans l'esprit de Noé, le cataclysme qu'il demande sera universel. De plus, un autre verset dit : "Nous avons fait de ses descendants ceux qui survécurent" (Coran 37/77), c'est-à-dire que ceux qui continuèrent à peupler la terre furent tous des descendants de Noé.

Le second avis interprète le premier de ces versets en disant que, ici, "sur la terre" ne désigne pas toute la surface du globe mais seulement la terre de la région, exactement comme dans cet autre verset coranique : "Ils ont failli t'arracher de la terre, afin de t'en exiler" (Coran 17/76) : ici aussi le mot "terre" ("ardh") est employé avec l'article défini al-, et pourtant, il va de soi que l'exil ne peut avoir lieu que d'une partie de la terre – la ville dans laquelle le Prophète vivait, la Mecque, ou, selon un autre commentaire, la région dans laquelle il vivait, le Hedjaz – et non de toute la surface du globe, sinon ce n'est plus un exil mais un assassinat. Quant à l'autre verset suscité, il parlerait de même de "ceux qui survécurent" dans la région.

Par contre, ce au sujet de quoi le Coran est explicite est que les fils d'Israël descendent de qui était à bord de l'arche de Noé : "O descendants de ceux que Nous avions portés avec Noé" (Coran 17/3) ; si les fils d'Israël descendent de Noé – ou d'autres personnes présentes à bord de son arche –, alors leur ancêtre Abraham descend lui aussi de Noé ; donc Ismaël, qui est fils d'Abraham, descend aussi d'eux ; et alors les Arabes adnânites également.

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Et puis vous avez confondu "Djûdî" – évoqué en Coran 11/44 – avec "Judée" à cause de la similitude entre l'orthographe et la phonétique de ces deux termes dans notre langue, le français. Mais vous auriez dû savoir qu'en arabe, "Judée" ne se dirait pas "Djûdî" mais "Yahûdiyya", exactement comme "Juda" se dit : "Yahûdâ" ; "Juif" : "Yahûdî" ; et "judaïsme" : "yahûdiyyah".

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Enfin, ce n'est pas parce que certains éléments d'un récit présent dans des textes dits "religieux" ont été découverts dans des traditions présentes dans la même région que celle où ces textes ont été rédigés que les premiers ont forcément été recopiés sur les seconds. Quel lien logique formel y a-t-il là ? Nous musulmans y voyons au contraire un indice supplémentaire allant dans le sens de l'idée que ces textes "religieux" relatent un récit qui s'est réellement et historiquement passé, puisque relaté par d'autres sources aussi, différentes.

"Mésopotamie" signifie : "entre les deux eaux" : il s'agit du pays entre les deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate. Ce pays est recouvert d'une couche d'argile limoneuse, peut-être le témoignage d'un temps où toute la plaine était recouverte d'une immense coulée d'eau. Une trace du Déluge ?

Il faut également noter que le Coran ne dit pas combien de temps avant notre époque le Déluge s'est-il déroulé.

Et vous avez cité Jean Bottéro, qui a découvert l'épopée de Gilgamesh, où se trouve un récit du déluge dans sa version babylonienne. Mais on a aussi trouvé trace d'un récit du déluge chez d'autres peuples ; tous font état d'un héros ayant réussi à échapper au déluge. Ce héros est appelé Ziusudra dans la tradition sumérienne, Utnapishtim dans la tradition assyrienne, Naahmuliel dans la tradition hittite, et Manu dans la tradition indienne.

Je rappelle en passant que si les récits de ces traditions parlent tous d'un déluge, de la destruction d'humains et d'un héros qui est sauvé, le cadre dans lequel ces éléments sont insérés est différent. Ainsi, les Ecritures monothéistes parlent du sauvetage de Noé et de l'anéantissement des incroyants, alors que dans la tradition babylonienne, le récit du déluge est inséré dans une histoire qui fait intervenir Gilgamesh, un homme à la recherche de l'immortalité, et qui, dans sa quête, finit par arriver jusqu'au Supersage – c'est celui qui a été sauvé du déluge, l'équivalent de Noé –, lequel lui annonce que l'immortalité n'existe pas et qu'il doit donc se résigner à mourir un jour.

Il est également à noter que les Ecritures monothéistes parlent d'un déluge ayant pour objectif l'anéantissement des hommes mauvais. Tandis que dans l'Epopée de Gilgamesh, l'explication du déluge est tout autre et relève de la légende : le texte de l'Epopée dit qu'il y avait les dieux fainéants et les dieux travailleurs, les premiers gouvernant la vie et les derniers l'organisant ; or, un jour, les dieux travailleurs sont las d'agir alors que les premiers se prélassent, et décident de cesser leurs activités ; les fainéants sont alors dépourvus ; mais l'un d'eux, Enki-Ea, crée alors l'homme, qui agira pour eux ; le problème c'est que les hommes, ne connaissant pas la maladie et vivant très longtemps, se multiplient au point d'emplir la terre ; les dieux fainéants sont bientôt indisposés par cette bruyante multitude ; Enlil, leur roi, décide alors d'anéantir les hommes ; il leur envoie l'Epidémie, puis la Sécheresse et la Famine ; mais à chaque fois Enki-Ea agit pour que les hommes, ses créatures à lui, ne soient pas détruits. Alors Enlil décide d'envoyer le Déluge, et fait promettre à tous les fainéants de ne rien dire aux hommes ; mais Enki-Ea s'arrange pour avertir le Supersage de l'imminence du fléau, par l'intermédiaire d'un songe prémonitoire. A la suite de cela, Enki-Ea peut négocier avec Enlil un nouveau statut pour les hommes : une vie plus courte, des maladies, etc.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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