Universalité de l'islam et pluralité des cultures musulmanes (2/3)

Chaque musulman sait – des orientalistes l'ont aussi relevé – que les enseignements de l'islam possèdent une dimension de globalité (shumûliyya) et qu'en tant que tels ils concernent, chez les musulmans, ce qui est purement religieux mais aussi la vie quotidienne, depuis l'alimentation jusqu'au commerce en passant par les divertissements, la tenue vestimentaire et les propos que l'on tient. Cela signifie-t-il que, considérant les enseignements de l'islam comme s'appliquant à toute la vie quotidienne, les musulmans pratiquants ont, où qu'ils habitent sur la terre, la même culture, rigide et uniformisée, dictée par une pensée unique, extraite du Coran et de la Sunna ?

En fait, à considérer le mot "culture", on s'aperçoit qu'il possède plusieurs sens...

Appréhendé dans un sens large, "la culture" désigne "le mode de vie d'un groupe social" et inclut alors "les croyances, les valeurs, les idées et les pratiques…".
C'est avec ce sens large qu'il faut comprendre le terme dans les phrases où l'on dit que, "fidèles à la culture musulmane, les repas musulmans ne comportent pas d'alcool" et que "dans la culture musulmane on ne révolte pas contre le malheur venu du ciel, à cause de la croyance en le destin".

Cependant, le mot "culture" revêt aussi parfois un sens plus restreint, et il désigne alors uniquement "les traditions, c'est-à-dire les manières de faire et d'agir (dans le domaine de la connaissance, des arts et des mœurs) qui constituent un héritage du passé".
C'est avec ce sens restreint qu'il faut comprendre le terme dans la phrase suivante : "Le thé à la menthe fait partie de la culture des musulmans maghrébins".

Cela une fois rappelé, voici ce que nous pouvons dire…

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Universalité et particularismes :

A l'intérieur de "la culture" des musulmans – le terme "culture" étant pris ici dans son sens large –, il y a d'une part des éléments qui sont communs aux musulmans du monde entier : du Maghreb, d'Egypte, d'Arabie, de Syrie, d'Indonésie, d'Inde, d'Europe, etc. ; et puis il y en a d'autres qui font les particularités des uns et des autres.

Le célèbre savant de l'Inde Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî écrit ainsi : "La culture des musulmans de chaque pays est le produit d'une interaction entre deux facteurs :
– le premier est l'ensemble des croyances, des principes et des valeurs islamiques ;
– le second est l'effet de la culture locale et du contact avec les éléments des autres habitants du pays" (Al-Muslimûn fi-l-hind, p. 71).

L'interaction entre ces deux facteurs donne naissance à deux catégories d'éléments dans la culture des musulmans...

Une première catégorie est constituée d'un ensemble d'éléments qui sont "communs à toutes les cultures musulmanes du monde. Dans quelque pays et dans quelque région de la terre que le musulman soit, quelles que soient son apparence vestimentaire et sa langue, le musulman partage les éléments de cette catégorie avec les autres musulmans. (…)". Et si, chez les musulmans d'un pays donné, des différences sont apparues à propos de cette catégorie, elles sont à réformer nécessairement par un travail de terrain.
Et puis il y a une seconde catégorie d'éléments, qui, elle, est "constituée des différences et les particularités des musulmans d'une contrée donnée par rapport à leurs coreligionnaires d'autres contrées" (Ibid., p. 71).

An-Nadwî affirme que :
"tenter de départir des hommes de [la première catégorie,] ces (…) règles (…) qu'ils partagent avec d'autres hommes [de la même religion qu'eux mais habitant] d'autres contrées de la terre, est une tentative injuste, car cela revient à (…) assécher les sources de leur spiritualité" ;
– mais, de l'autre côté, "inviter ces musulmans à vivre en restant coupés de leur contexte et du milieu de la vie intellectuelle de leur pays est une tentative vouée à l'échec, contraire à la nature et inacceptable" (Ibid., p. 72).

Si la première catégorie d'éléments – celle qui est commune aux musulmans du monde entier – permet aux musulmans de chaque pays de ne pas perdre leur âme ni les sources de leur spiritualité et de ne pas tomber dans le "tout relatif" quant aux règles (ahkâm fiq'hiyya), pour sa part la seconde catégorie leur permet de vivre pleinement au sein de différentes sociétés de la terre.

Et si la première catégorie constitue la base de l'apport positif des musulmans de chaque pays à leur société, la seconde exprime quant à elle l'effet des cultures locales sur les musulmans de chaque pays.

Il faut savoir que ce même Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî a fait un jour un discours dans lequel il expliqua que le pèlerinage à la Mecque avait pour effet, en permettant une rencontre de musulmans de tous les pays du monde, d'éviter que naissent des façons différentes de vivre l'islam selon les régions ; un autre jour il a fait un autre discours où il a également fait valoir qu'il ne fallait pas que naissent un islam américain, un islam indien, un autre japonais, etc. (Na'î dun'yâ mein sâf sâf bâtîn, pp. 79-91).
Or certains frères se sont fondé sur ce dernier discours, n'ont lu que lui, l'ont considéré au pied de la lettre, et se sont mis à croire que an-Nadwî voulait dire là qu'aucune diversité culturelle n'était possible entre les musulmans de différents pays du monde.
Il suffit pourtant de réfléchir deux secondes : an-Nadwî n'a pas pu écrire ici une chose et dire son exact contraire ! Ces discours ne contredisent nullement l'écrit dont nous avons reproduit des passages ici. En fait, , "la couleur de l'islam est unique", oui, mais uniquement en ce qui concerne les éléments dont, ici, il a parlé comme formant la première catégorie : lire notre article : "La couleur de l'islam est unique" : qu'est-ce que an-Nadwî voulait-il dire ?"

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Un exemple concret avec les musulmans de l'Inde :

An-Nadwî écrit : "Les musulmans de l'Inde ne font pas exception à la règle. Leur culture (…) est le produit d'une interaction entre l'Islam et l'Inde. (…) Ceci leur permet de ne pas vivre dans ce pays comme des passants ou des étrangers, mais comme des gens du pays, sereins" (Op. cit., p. 72). En même temps qu'ils ont su garder la dimension qu'ils ont en commun avec les musulmans des autres pays du monde, les musulmans de l'Inde ont donc aussi, écrit an-Nadwî, "été en contact avec l'élément indien ; et ils ont reçu, de la nature du pays et des cultures de ses peuples, un effet considérable et profond – phénomène dont Gustave Lebon a fait mention dans son livre "La civilisation de l'Inde"" (Op. cit., p. 154).

Nous le disions : ce sont des éléments de la dimension universelle des enseignements de l'islam qui constituent l'apport des musulmans au pays auquel ils appartiennent.
En ce qui concerne l'Inde, des chercheurs hindous comme Panikkar ont relevé ainsi que le monothéisme de l'islam a eu un effet de miroir sur les hindous de l'Inde, les amenant à reconsidérer leur perception du polythéisme (A Survey of Indian History).
De même, le concept islamique de l'unité de la grande famille humaine et de l'égalité de ses membres a servi de miroir dans lequel des hindous ont reconsidéré leur croyance en la création du genre humain en castes : ce système n'a pas disparu chez les hindous mais, d'après Jawahar Lal Nehru – ancien Premier ministre de l'Inde –, cette idée musulmane de l'égalité des hommes "a eu un effet profond sur les mentalités hindoues" (Discovery of India). Des propos voisins ont été tenus par Dr Tara Chand dans son ouvrage Influence of Islam on Indian Culture, ou encore par Mehta dans son livre Indian Civilization and Islam.
Ceci sans parler des apports de l'Islam dans d'autres domaines, notamment celui de l'histoire comme science, une plus grande ouverture sur le monde, la mise en place d'une langue administrative, etc.
(Tous ces éléments peuvent être lus dans Al-Muslimûn fi-l-hind, pp. 15-32, Mâ dhâ khasira-l-'âlamu b-inhitât il-muslimîn, pp. 112-113, ouvrages de an-Nadwî.)

Parallèlement à cette catégorie universelle, en Inde comme ailleurs il y a la catégorie où s'expriment les spécificités des musulmans de la localité, et qui s'explique par l'effet que la culture locale a eu sur eux. En ce qui concerne l'Inde, l'effet de la culture locale apparaît au travers de différents éléments.
Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî cite comme exemples :
– la tenue vestimentaire des musulmans, produit de la culture musulmane qui a vu le jour à Delhi, Lucknow, Hyderabad ;
– chez la femme l'extrême volonté de se dissimuler ("mubalaghat un-nissâ'i fi-t-tassattur") ;
– chez les fils la façon de témoigner du respect et de se tenir devant leurs parents ;
– la tendance au mariage endogame chez certaines couches de la population musulmane ;
– les grandes dépenses faites à l'occasion de la célébration de mariages ou de funérailles ;
– le marquage très prononcé de la différence entre maître et serviteur ou entre gens de différents groupes sociaux…
Il s'agit là, écrit An-Nadwî, d'expressions de l'effet que la civilisation indienne a eu sur les musulmans vivant en Inde : "Tout cela est le résultat des différents facteurs sociaux, intellectuels et culturels dont les racines n'ont cessé d'exister dans ce pays depuis des siècles." "Ils ont ainsi donné naissance à une culture résultant de l'interaction entre la culture islamique universelle et la culture indienne", "et ont ainsi fondé une culture islamo-indienne originale" (Al-Muslimûn fi-l-hind, p. 82). "La vérité est que l'idée qu'une civilisation aurait influencé une autre sans en recevoir d'influence à son tour est un événement dont l'existence ne serait que très rare dans l'histoire du monde" (Ibid., p. 83).

Nous allons ci-après tenter de sérier les différents domaines pouvant ainsi connaître l'adaptation dont nous parlons et former alors cette dimension des particularismes régionaux des musulmans du monde…

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Trois domaines pour l'adaptation culturelle :

1) Dans le domaine de la vie quotidienne ('âdât), les règles (éléments ta'abbudî) viennent prendre place dans un ensemble d'éléments 'âdî, et ces derniers relèvent de la permission originelle (al-ibâha al-asliyya) (lire à ce sujet notre article concernant le domaine des 'ibâdât et celui des 'âdât). Les musulmans ont donc naturellement tendance à prendre ces éléments 'âdî de la localité où ils sont établis.

Cela est tout à fait normal : lire à ce sujet notre article concernant le fait, pour les musulmans qui vivent en pays non-musulman, d'intégrer ainsi les éléments 'âdî.

Ainsi, si Coran et Sunna fournissent comme éléments ta'abbudî que les musulmans doivent ne pas consommer de porc, de viande non halal et d'alcool, ils ne disent rien à propos des éléments 'âdî que viendront concerner cette règle : quels plats cuisiner, quels ingrédients préférer, comment les faire cuire, pendant combien de temps, etc. Il est tout à fait normal que ces éléments soient extraits de ce qui est fait localement ; ce n'est pas un hasard si les musulmans de l'Inde ont comme plat préféré le briani, ceux du Maghreb le couscous, etc.

Certaines personnes ont un attachement à tel aliment et n'aiment pas tel autre : parfois il s'agit d'un goût personnel, mais d'autres fois il s'agit d'un goût lié à la culture du groupe. On peut trouver allusion à ce point dans des Hadîths (lire notre article : Quelques différences culturelles existant, en Arabie même, à l'époque du Prophète (صلى الله عليه وسلم), entre les musulmans de La Mecque et les musulmans de Médine ou d'ailleurs – Universalité de l'islam et pluralité des cultures musulmanes (1/3)).

Il s'agira donc de considérer que la  diversité des goûts a été autorisée par l'islam – tant qu'on reste dans le licite. Cependant, il ne s'agira pas de considérer que tel goût, purement mubâh (autorisé), constitue ce que l'islam a ordonné. De même, adopter tel ou tel goût – dans le domaine du licite – cela est autorisé, mais cela ne peut s'imposer à tout le groupe : le Prophète, s'il a gardé le goût de sa terre d'origine, n'a pas reproché que d'autres n'aient pas gardé ce goût (car Khâlid était qurayshite comme lui, et a pourtant mangé devant lui la chair de l'iguane sans qu'il lui fasse de reproche).

D'autres domaines culturels que celui de l'alimentation suivent le même principe. Hélas, les musulmans ne parviennent pas toujours à le comprendre.
Voyez plutôt : un jour, alors que nous écoutions les répétitions d'élèves qui devaient interpréter le chant "Sarajevo" de Yusuf Islam, un musulman né en Inde et établi à la Réunion protesta en disant : "Les sonorités de ce chant ressemblent à celles des chants chrétiens ; un tel chant ne peut donc être autorisé". Environ trois années après, alors que des musulmans réunionnais d'origine indienne écoutaient sur une cassette audio un chant religieux ("unshûda") fait en langue indienne (urdu) par un musulman de l'Inde, ce fut au tour d'un musulman d'origine maghrébine, de passage à la Réunion, de protester en disant : "Les sonorités de ce chant ressemblent à celles des chants hindous ; un tel chant ne peut donc être autorisé". Voilà bien deux malentendus. Il est on ne peut plus normal que les chants religieux faits par les musulmans d'un pays donné ait des sonorités communes avec les chants des non-musulmans de ce pays ! Ce qui compte c'est que les musulmans respectent les règles (éléments ta'abbudî) au sujet du chant ; mais pour ce qui est des éléments 'âdî – ici les sonorités –, ils ont forcément quelque communauté de la localité où les musulmans vivent.

C'est la même chose pour le domaine vestimentaire : faut-il s'étonner que les musulmans indiens aient la kurta, la sad'rî et la sherwânî et ceux du Maghreb le burnous et la djellaba ?

Voilà donc une première dimension de l'adaptation à la culture locale : l'intégration des éléments 'âdî de la localité aux éléments ta'abbudî de l'islam. Et ce sont ces éléments que l'on décrit souvent comme constituant la culture – le terme étant compris cette fois dans son sens restreint.

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2) Parfois et dans certains domaines, il arrive aussi que les musulmans vivant dans un pays donné en intègrent non plus seulement des éléments 'âdî – au sein desquels ils vivent les règles ta'abbudî –, mais qu'ils en intègrent des coutumes relevant entièrement du domaine des 'âdât et ne contredisant aucune règle de l'islam (ni une interdiction que cette coutume amènerait à outrepasser, ni un impératif qu'elle conduirait à délaisser). Les musulmans peuvent-ils ou pas adopter de telles coutumes ?

Réponse de an-Nadwî : le phénomène est on ne peut plus normal (Al-Muslimûn fi-l-hind, pp. 82-83).

Il est vrai qu'il est des coutumes ayant été adoptées qui doivent être délaissées car relevant de la première catégorie que nous citions plus haut : il s'agit de celles qui contredisent un principe établi en islam.
Ainsi, un salut pratiqué ici et là dans l'Inde du nord consiste à se courber légèrement tout en relevant la paume de sa main droite et en disant : "Adâb !". Les musulmans ont ici intégré une coutume de la société persane (les Moghols, empereurs musulmans de Delhi, étaient d'origine turque mais de culture persane). Cependant, ici une réforme intelligente doit amener les musulmans à se séparer de cette coutume ; en effet, le Prophète a dit de ne pas se courber devant quelqu'un lorsqu'on le salue (at-Tirmidhî, 2728).
De même, an-Nadwî cite parmi les coutumes adoptées par les musulmans en Inde : les dépenses excessives faites à l'occasion des mariages (Op. cit., p. 81). Cette coutume aussi doit être réformée, car l'islam interdit de faire du gaspillage en général, et recommande (il y a donc un impératif que la coutume contredit), pour le mariage particulièrement, la simplicité ("ayssaruhû ma'ûnatan").

Cependant, pour ce qui est des coutumes purement 'âdî qui ne contredisent aucune règle ta'abbudî, l'intégration en est possible.
Le Prophète (sur lui soit la paix) a fait allusion au fait qu'il existe des habitudes culturelles différentes entre des communautés musulmanes différentes. Ainsi, Aïcha avait organisé le mariage d'une de ses parentes avec un ansarite ; le Prophète lui dit qu'elle aurait dû donner, dans la célébration du mariage, place à un divertissement, car, expliqua-t-il, "les Ansâr aiment le divertissement" (al-Bukhârî 4868). Voyez : le Prophète a mis en exergue une différence de goût et de coutume – le tout étant que l'on reste dans le domaine du licite – entre Ansâr et Muhâjirûn : lors de la célébration d'un mariage, la présence d'un divertissement – bien sûr licite – était nécessaire dans le goût des Ansâr, à la différence de celui des Muhâjirûn. Cette prise en compte de l'habitude ne fera cependant pas de celle-ci la chose que l'islam a rendu obligatoire ou la chose que nul ne doit délaisser : il s'agit d'une prise en considération du contexte, pas de l'ajout de quelque chose à l'islam. Voilà une seconde dimension de l'adaptation à la culture locale.

On peut ainsi remarquer que, dans une société aussi fortement hiérarchisée que la société indienne, en général les musulmans pratiquent l'avis autorisant le fait de se lever lorsque entre dans la pièce un personnage important, avec l'objectif de l'honorer (cela fait l'objet d'opinions divergentes : voir Fat'h ul-bârî, tome 11 pp. 60-65).
Ce n'est pas un hasard non plus si, dans une société aussi hiérarchisée, les musulmans ont pleinement adopté le principe "Anzilu-n-nâssa manâzilahum" (Riyâd us-sâlihîn, chapitre 40), bien que le Hadîth rapportant ces mots fasse l'objet de débat quant à son authenticité (voir les notes des spécialistes sur le sujet).

Voilà une seconde dimension de l'adaptation à la culture locale.

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3) Au sein de l'ensemble des éléments ta'abbudî (ces règles que les musulmans veulent respecter et qu'ils veulent intégrer aux éléments 'âdî de la localité), il est des éléments – ahkâm – qui sont formels (qat'î), ils sont communs aux musulmans du monde entier et constituent justement la première catégorie citée en début d'article. Cependant, il est d'autres éléments qui font l'objet d'opinions divergentes entre les mujtahidûn :

Il est alors possible que, par rapport au contexte dans lequel les musulmans vivent, les muftis compétents de la localité donnent la fatwa – avis juridique circonstancié – sur une de ces opinions, afin de permettre une meilleure adéquation au réel (il s'agit des divergences de la catégorie "zannî" dans mon article Les divergences d'opinions à propos des enseignements de l'islam ; par contre cela n'est pas possible pour la catégorie "qat'î", où, s'il y a eu divergence, c'est uniquement à cause d'une "zalla min 'âlim" ou d'un "'adamu bulûghi hadîthin sahîhin wa qat'îyyi-d-dalâla ilâ 'âlim").

Cheikh Khâlid Saïfullâh a développé cette idée de la possibilité de la prise en compte du contexte pour les règles ta'abbudî dans son livre Jadîd Fiqhî Massâ'ïl. On y lit qu'à côté des règles mansûs 'alayh qat'î – qui ne peuvent faire l'objet d'une adaptation –, il y a les règles mansûs 'alayh ijtihâdî – où les avis sont divergents à cause d'une divergence dans les textes eux-mêmes. Il y a, enfin, les règles ghayr mansûs 'alayh 'urfî – qui ont été formulées par des juristes du passé en fonction de la réalité du contexte dans lequel ils vivaient. Si les règles mansûs 'alayh qat'î ne peuvent faire l'objet d'une adaptation, en revanche pour les règles mansûs 'alayh mukhtlalaf fîhâ, même les muftis qui suivent une école précise peuvent donner la fatwa sur une règle autre que celle de leur école en cas de besoin lié au contexte. Quant aux règles ghayr mansûs 'alayh 'urfî, elles ne figurent de toute façon pas dans les textes, et c'est par rapport à une coutume particulière et à la lumière du principe général que des juristes l'ont formulée ; il est a fortiori possible de les modifier (d'après Jadîd Fiqhî Massâ'ïl, tome 2 pp. 20-24).

Ce n'est pas un hasard si, bien que l'école hanafite permette de garder des représentations d'êtres animés qui ne sont pas mis en valeur mais traînent ici et là, les ulémas hanafites de l'Inde les aient aussi interdites : dans un pays comme le leur, où fleurit l'adoration de multiples entités et où différentes représentations d'êtres animés servent de moyen à cette adoration, c'est là la voie de la sagesse.

Lire aussi notre article au sujet de l'aller-retour de la raison entre les textes et la réalité du contexte.

C'est là la troisième dimension de l'adaptation culturelle à la région où l'on vit.

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En un mot :

L'islam est unique dans la mesure où le texte de ses sources – le Coran et la Sunna – est un. De plus, les enseignements de ces sources concernent l'ensemble des domaines de la vie humaine (shumûliyya). Enfin, il est des règles qui sont universelles et ne peuvent connaître de différence selon les lieux ou les temps où les musulmans vivent.

Mais par rapport à d'autres règles, l'application concrète des enseignements de l'islam est, de par la souplesse même de ceux-ci et de par la possible interaction avec le contexte, diverse et plurielle. Nous en avons vu certains aspects concrets à travers l'exemple des musulmans de l'Inde. Cette souplesse et cette possible diversité intéressent aujourd'hui directement les musulmans d'Europe.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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