Des humains et des anges, qui ont un statut supérieur ?

Ce qui fait l'unanimité par rapport à cette question, c'est que les humains qui sont kâfir, c'est-à-dire qui ont choisi de renier Dieu ou l'un de Ses Messages qui leur sont pourtant parvenus (cliquez ici et ici), ceux-là ne sont pas meilleurs que les Anges. La question de savoir qui, des Anges et des humains, sont meilleurs, ne concerne que les humains mu'min.

Des Anges et des humains mu'min, qui sont donc meilleurs ?

Il y a plusieurs opinions sur le sujet…

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A) Il est des ulémas qui ont choisi de ne pas se prononcer sur cette question :

C'est la posture qui est relatée de Abû Hanîfa (Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, p. 411, p. 423).

Tâj ud-dîn al-Fazârî affirme même que "cette question relève des innovations du 'ilm ul-kalâm, à propos desquelles ne se sont pas prononcé les premiers de cette Umma, ni ceux qui sont venus après eux parmi les illustres imams" (cité dans Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, p. 413).

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B) D'autres ulémas ont cependant choisi de se prononcer sur la question :

Ibn Taymiyya écrit ainsi : "Et je pensais que se prononcer au sujet de cette (question) est innové. Jusqu'à ce que je constate que cette (question) est Athariyya [= a un fondement dans les hadîths], Salafiyya [= a été évoquée par des Salaf] et Sahâbiyya [a été évoquée par des Compagnons même]. (J'ai) alors eu l'envie de cerner (tahqîq) le propos sur le sujet. Nous avons alors dit ce que les Salaf ont dit" (MF 4/357).

Chez les ulémas qui se sont prononcés sur cette question, les opinions ont ensuite été divergentes…

B.a) Une première opinion :

Ce sont les Anges qui sont les meilleures créatures : ils sont supérieurs même aux humains qui sont prophètes de Dieu, et a fortiori aux humains qui sont de simples croyants pieux.
Ceci est l'avis de Ibn Hazm (Al-Fissal, 3/191-192). C'est aussi l'avis attribué aux Mutazilites (MF 4/356, Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, p. 410).

B.b) Une seconde opinion :

– Ce sont les humains qui sont prophètes (anbiyâ') qui sont meilleurs que toutes les créatures, y compris les plus grands anges (jamî' ul-malâ'ïka) ;
– ensuite viennent les anges très élevés, tels que Gabriel etc. (khawâss ul-malâ'ïka) ;
– ensuite ce sont les humains qui sont croyants et pieux (mais non-prophètes) (awliyâ') : ces humains-là ont plus de valeur que les anges autres que Gabriel etc. ('âmmat ul-malâ'ïka) ;
– puis ce sont les anges qui sont autres que Gabriel etc. ('âmmat ul-malâ'ïka) (Shar'h ul-'aqâ'ïd in-nassafiyya, p. 176, avec la note n° 3).

B.c) Une troisième opinion :

Les humains qui sont prophètes (anbiyâ'), de même que ceux qui sont simples croyants et très pieux (awliyâ'), sont meilleurs que les anges (y compris Gabriel etc.). Cependant, cette supériorité se manifestera quand ces humains auront été admis au Paradis, car alors leur rang apparaîtra.
C'est là l'avis de Ibn Taymiyya (MF 4/350-393).

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1) Quelques-uns des arguments avancés par les ulémas qui penchent vers la supériorité des anges sur tous les humains (soit l'avis B.a) :

1.a) Les anges sont créés à partir de lumière, tandis que les humains le sont à partie de boue ; or la lumière est bien autre chose que de la boue (Al-Fissal 3/197).

1.b) Les anges restent toujours à faire l'adoration de Dieu, alors que les humains – même pieux – fatiguent, doivent parfois se consacrer à des activités temporelles.

1.c) Les anges sont purs de tout défaut, alors que les humains – même pieux – font parfois des péchés.

1.d) Pour tenter Adam et à Eve et les amener à manger de l'arbre défendu, Iblîs leur a fait croire que s'ils le faisaient ils deviendraient deux anges ; or cet argument n'a de sens que si l'homme sait au fond de lui-même que le statut d'ange est supérieur à celui d'humain ; car si celui d'humain était supérieur à celui d'ange, l'argument n'aurait aucun sens.

1.e) Dieu dit à Muhammad (sur lui soit la paix) de dire ce qui va suivre : "Dis : "Je ne vous dis pas que j'ai auprès de moi les trésors de Dieu ; je ne connais pas l'invisible ; je ne vous dis que je suis un ange. Je ne suis que ce qui m'est révélé"" (Coran 6/50). Cette phrase n'a de sens que si on reconnaît que le statut d'ange est élevé par rapport à celui d'humain, Dieu disant à Muhammad de faire comprendre à ses détracteurs qu'il n'est pas un ange mais seulement un humain comme eux, la différence étant que Dieu l'a nommé Son Messager auprès des hommes.
De même, après avoir relaté de nombreuses demandes miraculeuses formulées par des incroyants, Dieu dit à Muhammad de leur répondre : "Dis : Pureté à mon Seigneur ! Je ne suis qu'un humain messager !" (Coran). Le statut d'ange est donc plus élevé que celui d'humain.

1.f) Dieu dit aux Chrétiens (nassârâ) qui ont divinisé Jésus : "Jamais le Messie ne trouverait indigne d'être esclave / adorateur de Dieu, ni les Anges rapprochés (ne trouveraient indigne de l'être). (…)" (Coran 4/172). Or dans un discours, quand on veut établir le caractère élevé d'une action et inviter les autres à faire celle-ci, on évolue toujours du moins élevé au plus élevé ; on dit ainsi : "Ne refuse de saluer respectueusement le Roi : ni son échanson, ni son ministre, ni même le prince !" (ou encore : "Saluent respectueusement le Roi : son échanson, son ministre, et jusqu'au prince !"). Par contre, quand on veut montrer à des personnes le caractère vil d'une action, on évolue toujours du plus élevé au moins élevé ; on dit ainsi : "Ni le paysan, ni l'enfant, ni même le voyou ne feraient ainsi !" (ou : "Ce sont le paysan, ou encore l'enfant, voire le voyou, qui agissent ainsi !"). Etant donné que le fait d'être adorateur de Dieu est une action que les hommes sont ici invités à faire, il y a forcément eu passage de l'élevé au plus élevé : les Anges rapprochés sont donc plus élevés que le Messie Jésus (sur lui soit la paix).

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2) Quelques-uns des arguments des ulémas qui penchent vers la supériorité des humains croyants et pieux sur les anges (soit l'avis B.c) :

2.a) Dieu a créé Adam par Ses deux Mains, alors qu'Il a créé les Anges par Sa Parole (MF 4/365).

2.b) Dieu a ordonné aux Anges de se prosterner devant Adam (d'une prosternation n'ayant pas de signification de culte) ; Ibn Taymiyya écrit que, certes, le seul fait que des anges font des actions qui servent (khidma) les hommes n'implique pas que ces derniers aient une valeur sur les premiers (vu que "Sayyid ul-qawmi khâdimuhum") ; en revanche, ici la prosternation faite par des anges devant Adam n'a pas consisté en un service rendu par eux à Adam ; une telle prosternation n'a pu donc être qu'un témoignage de respect et d'humilité ; or Dieu n'aurait pas ordonné à une créature (l'ange) de se mettre plus bas qu'une créature (le prophète Adam) qui lui est inférieure (d'après MF 4/364).

2.c) Ibn Taymiyya écrit : "La plupart de ceux qui se sont trompés [sur ce sujet], lorsqu'ils ont regardé les deux espèces [les hommes et les anges], ont vu les anges avec l'œil de la complétion et de la  perfection, et ont regardé l'homme alors qu'il se trouve dans cette vie vile (khassîssa) et trouble (kadira), qui ne vaut auprès de Dieu même pas l'aile d'un moustique. Ceci n'est pas de la justice. Je dirai donc : La valeur de l'une des deux espèces sur l'autre, n'est (établie) que de par sa proximité par rapport à Dieu et de la plus grande préférence (istifâ') et du plus grand choix (ijtibâ') qu'Il a pour nous, même si nous ne cernons pas la réalité de cela. Ceci est sur le plan global" (MF 4/372). Suit l'exposé de cette réalité d'une façon détaillée, par le fait que Ibn Taymiyya montre, à propos de différents domaines, que si, au premier regard, les anges y ont une part plus importante, à y regarder de plus près c'est la part que les humains croyants et pieux en ont qui est de plus grande qualité et de plus grande valeur.

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2') Réponse, par les ulémas de l'avis B.c, aux arguments évoqués en 1 par les ulémas de l'avis B.a :

Réponse à l'argument 1.a) Certes, Adam a été créé à partir de boue, et non de lumière ; mais Dieu l'a créé par Ses deux Mains, alors que les anges, Il les a créés par Sa Parole (MF 4/365).

Réponse à l'argument 1.b) Ibn Taymiyya répond en substance : "La valeur d'une action d'adoration n'est pas seulement par la quantité, mais aussi par sa qualité" ; or, le fait de faire des actions d'adoration et de pratiquer le culte de Dieu malgré tous les penchants qui existent naturellement chez l'homme et qui le tirent de l'autre côté, cela confère une valeur à cette action que n'a pas la même action, faite par les anges (MF 4/379). On parle ici de la valeur de deux actions dans la mesure où l'une est faite par l'homme et l'autre faite par l'ange ; cependant, par rapport à Dieu, toute action d'adoration est bien sûr toujours imparfaite et bien en deçà de ce que Dieu mérite.

Réponse à l'argument 1.c) Le fait de se repentir à Dieu après avoir fait un péché par inadvertance, de cela Dieu est très content, comme le Prophète l'a dit. Le Prophète a aussi dit : "Si vous ne faisiez plus aucun acte de désobéissance, Dieu vous ferait disparaître et ferait venir des gens qui Lui désobéiraient puis Lui demanderaient pardon, à qui, alors, Il accorderait Son Pardon" (Muslim, 2749). Après avoir exposé cela, Ibn Taymiyya écrit : "Comprends cela, car cela relève des secrets de la Rubûbiyya (Providence)" (MF 4/378). Commentant ce dernier hadîth, at-Tîbî écrit : "(…) Le Prophète (sur lui soit la paix) a voulu dire par ceci : "Si vous étiez dotés d'une nature semblable à celle dont sont dotés les anges, Dieu ferait venir des gens qui font le péché, puis Il se manifesterait à leur égard par ces Attributs, conformément à la Sagesse. Car (le Nom) "Pardonneur" entraîne un "pardonné", comme (le Nom) "Pourvoyeur" entraîne un "pourvu""" (Shar'h ut-Tîbî 'alâ Mishkât il-massâbîh).

Réponse à l'argument 1.d) Que Iblîs ait fait miroiter à Adam et Eve qu'ils pourraient devenir deux anges, cela n'implique pas que ces deux prophètes savaient que les anges sont supérieurs aux humains, cela implique seulement que les anges possèdent, par rapport aux humains durant la vie terrestre de ces derniers, certaines spécificités qui leur confèrent un avantage indéniable : ainsi, les anges n'ont pas de faiblesses telles que fatigue, maladie et mort ; ils n'ont pas de besoins tels que devoir travailler pour subvenir à des besoins naturels. C'est cela que les hommes envient chez les anges, et c'est pour cela qu'Iblîs a fait miroiter aux deux premiers humains qu'ils pourraient devenir deux anges s'ils mangeaient le fruit défendu. Ceci est comparable à l'exclamation que les dames de la haute société égyptienne poussèrent quand elles virent le prophète Joseph : "Par Dieu, ce n'est pas un humain ! Ce n'est qu'un noble ange !" (Coran 12/31) : ceci n'implique pas que les humains savent que l'ange aurait un statut supérieur à l'homme ; ceci implique seulement que les humains savent que l'ange a une apparence beaucoup plus belle que celle de l'homme.

Réponse à l'argument 1.e) Le verset 6/50 n'implique pas que les anges aient un statut supérieur (afdhal) à celui qu'ont les humains prophètes ou pieux. La négation du fait d'être un ange est due au fait suivant : les polythéistes disaient que si messager de Dieu il doit y avoir, il ne peut pas être un homme qui mange de la nourriture et marche dans les marchés, mais doit avoir des qualités surhumaines ; Dieu dit donc à Muhammad de leur répondre qu'il ne prétend pas être un ange ; c'est si cela était le cas que leur remarque aurait du sens.

Réponse à l'argument 1.f) Le verset 4/172 n'implique lui non plus pas que les anges aient un statut supérieur (afdhal) à celui qu'ont les humains prophètes ou pieux. Ce verset peut ne contenir qu'une simple apposition de deux éléments, sans passage d'un élément donné à un élément plus élevé encore. Le fait est que les chrétiens qui ont divinisé Jésus pensent qu'il est divin par filiation avec Dieu, tandis que les polythéistes arabes de l'époque avaient divinisé les anges, pensant qu'ils sont eux aussi divins par filiation avec Dieu ("Al-malâ'ïkatu banât ullâh", disaient-ils) ; comme ce verset s'insère dans tout un passage qui s'adresse aux Chrétiens Trinitaires, Dieu, voulant réfuter la divinité de Jésus, dit que celui-ci ne trouverait jamais indigne d'adorer Dieu ; ceci constitue l'affirmation principale de la phrase ; mais la phrase ajoute : "ni les anges rapprochés", voulant dire : "ni d'ailleurs les anges rapprochés, que des polythéistes parmi les Arabes affilient eux aussi à Dieu" (d'après MF 4/380-381).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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