Les Ulémas (al-'Ulamâ') et les Pieux (as-Sulahâ') - العلماء والصلحاء

I) Le 'ilm (science dînî) :

Il y a différents degrés dans le 'ilm (science du dîn)…

Déjà ce qu'il faut rappeler c'est que tout homme qui a la base de la foi (asl ul-îmân) a (contrairement à celui qui est dans le kufr) du 'ilm : il possède au moins le degré de base de 'ilm (asl ul-'ilm), puisqu'il sait (ya'lamu), reconnaît (ya'tarifu) et adhère (yaltazimu) aux idées que Dieu a révélées.

Ensuite, au-delà d'avoir ce degré de base de 'ilm :
--- 1) il y a le fait, pour le musulman, d'avoir plus que ce degré de base mais beaucoup moins que le degré complémentaire obligatoire de 'ilm obligatoire sur lui. L'homme de ce niveau 1 est dit : "jâhil" ;
--- 2) et puis il y a le fait, pour le musulman, d'avoir seulement le degré complémentaire obligatoire de 'ilm qui le concerne, lui, au vu de sa situation (kamâl wâjib 'alâ 'ayni-hî) : il s'agit d'avoir acquis les connaissances détaillées (juz'iyyât) requises pour pouvoir immédiatement pratiquer le degré B de piété (salâh) (voir plus bas), et avoir le réflexe de se référer à un 'âlim si on se trouve dans une nouvelle situation où on n'a pas connaissance de ce qu'on doit alors faire. De l'homme de niveau 2, il est dit qu'il fait partie des "'awâmm un-nâs" ;
--- 3) enfin il y a le fait, pour le musulman, d'avoir le degré complémentaire obligatoire ainsi qu'une part conséquente du degré complémentaire qu'il est seulement recommandé à l'individu musulman d'avoir (kamâl yakûnu mustahabban 'ala-l-'ayn) ; il s'agit d'avoir acquis les connaissances supplémentaires à celles du degré 2. C'est l'homme de ce degré 3 qui est dit "'âlim" (pluriel : "'ulamâ'", francisé en : "ulémas"). On peut y distinguer deux niveaux :
----- 3.1) le degré qu'il est recommandé de posséder pour l'individu musulman (mustahabb 'ala-l-'ayn) mais qu'il est obligatoire de posséder à certains individus musulmans, au sein de l'ensemble de toute communauté musulmane (wâjib 'ala-l-kifâya) ;
----- 3.2) le degré qui va au-delà du précédent : le fait est que le degré 3 n'a pas de limites par rapport à quelqu'un de la Umma : chacun peut toujours progresser encore et davantage.

Le qualificatif "'âlim" ne s'emploie de façon inconditionnelle (mutlaqan) qu'à propos de l'homme du degré 3.
Ce qualificatif ne s'emploie pas de façon inconditionnelle au sujet de l'homme qui n'a que le degré 1 (même si celui-ci a lui aussi le minimum de 'ilm, asl ul-'ilm), ni de l'homme qui ne possède que le strict minimum de connaissances obligatoires, c'est-à-dire le degré 2.

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II) La piété ou salâh :

Celui qui a la "salâh" est dit : "sâlih" (pluriel : "sulahâ'").

"Sâlih" et "walî" (pluriel : "awliyâ'") sont deux qualificatifs de la même réalité.

Il y a différents degrés dans la salâh (ou wilâya)

– Déjà ce qu'il faut rappeler c'est que tout homme qui a la base de la foi (asl ul-îmân) a (contrairement à celui qui est dans le kufr) de la salâh (ou wilâya) : il possède au moins le degré de base de salâh (asl us-salâh / asl ul-wilâya).

Ensuite, au-delà d'avoir ce degré de asl us-salâh :
--- A) il y a le fait d'avoir moins que le degré complémentaire obligatoire de salâh. L'homme de ce niveau A est dit : "fâssiq bi fisq asghar" ou : "fâjir" ;
--- B) et puis il y a le fait d'avoir tout le degré complémentaire obligatoire (kamâl wâjib), sans plus : il s'agit de posséder les croyances et de pratiquer les actions – intérieures et extérieures – qui sont nécessaires sur soi ('ala-l-'ayn) et de se préserver des actions – intérieures et extérieures – qui sont interdites sur soi ('ala-l-'ayn). L'homme de ce niveau B est dit : "sâlih" ;
--- C) enfin il y a le fait d'avoir le degré complémentaire obligatoire ainsi que le degré complémentaire qui est seulement recommandé (kamâl mustahabb) : il s'agit de, en sus d'avoir le degré B, pratiquer les actions – intérieures et extérieures – qui ne sont que recommandées et se préserver des actions – intérieures et extérieures – qui ne sont que légèrement déconseillées ; l'homme de ce niveau C est dit : "sâlih".

Le qualificatif "sâlih" ne s'emploie de façon inconditionnelle (mutlaqan) qu'à propos de l'homme qui possède le degré au moins le degré B.
Ce qualificatif ne s'emploie pas de façon inconditionnelle au sujet de l'homme qui est de degré A (même si celui-ci a lui aussi la base de salâh, asl us-salâh, et donc qu'on ne dit jamais de lui qu'"il n'a pas du tout de salâh"). Cela est comparable à l'emploi du qualificatif "mu'min" (cliquez ici).
Simplement, l'homme qui est de niveau B est un sâlih "de base" ; tandis que l'homme de niveau C est un sâlih "avancé" : cela peut aller jusqu'au degré de "
siddîq" (cliquez ici).

Dans le Coran (sourate Fâtir), ces 3 niveaux existant par rapport à la salâh (piété) chez ceux qui ont la foi ('îmân), ont été évoqués respectivement par les termes suivants :
– "zâlim li nafsih" ;
– "muqtassid" ;
– "sâbiq bi-l-khayrâti bi idhnillâh" (voir Coran 35/32 ; cf. Al-Furqân bayna awliyâ' ir-Rahmân wa awliyâ' ish-shaytân, Ibn Taymiyya : MF 11/182-185 ; dans le livret : pp. 17-18).

Par ailleurs :
– ces "muqtassidûn" évoqués dans la sourate Fâtir sont les "as'hâb ul-yamîn" évoqués dans la sourate Al-Wâqi'a (Coran 56/27 et suivants) ; cela constitue, pour reprendre les termes de Ibn Taymiyya, de la "wilâya 'âmma" ;
– et ces "sâbiqûn bi-l-khayrât" de la sourate Fâtir sont "al-muqarrabûn" de la sourate Al-Wâqi'a (Coran 56/10 et suivants) (cf. Al-Furqân, MF 11/176 ; dans le livret : p. 14) ; ceci constitue de la "wilâya khâssa" (cf. Al-Furqân, le livret : p. 77).

Par ailleurs encore, Ibn Taymiyya a cité et approuvé le propos de Junayd al-Baghdâdî : "Hassanât ul-ab'râr : sayyi'ât ul-muqarrabîn", et l'a appliqué aux prophètes (MF 11/415) ; c'est-à-dire, bien sûr : "Ba'dh ul-a'mâl illatî takûnu hassanâtin li-l-ab'râr : takûnu sayyi'âtin li-l-muqarrabîn". Nous avons évoqué ce propos dans un autre et puis encore un autre articles.

Dans la sourate Ar-Rahmân aussi allusion est faite à ces deux degrés de piété, par le biais de la mention de deux types de bienfaits dans le paradis (cf. Coran 55/46 et suivants, et 55/62 et suivants).

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Attention :

Quand, dans ces degrés B et C, on parle de "pratiquer les actions obligatoires ou recommandées" :
– cela ne se limite pas à une seule mise en pratique superficielle des actions extérieures obligatoires et recommandées les plus visibles (celles relatives aux vêtements ou à la barbe), selon une application des règles figurant dans certains ouvrages de fiqh uniquement ;
– il s'agit aussi de pratiquer les actions obligatoires et recommandées des 'ibâdât avec le minimum de lien avec Dieu, par le biais du dhikr ullâh fait alors (cliquez ici et ici) ;
– il s'agit également d'autres actions intérieures, qui sont invisibles aux hommes : le fait que l'on pratique ce qui est obligatoire en la matière (vouloir pour son frère ce qu'on veut pour soi-même) et que l'on se préserve de ce qui est interdit en ce domaine (ne pas être un assoiffé de gloire et de pouvoir, ne pas mépriser autrui au fond de son cœur, etc.) est connu de Dieu Seul, puisque cela est invisible aux hommes, mais sans cette pratique aussi, l'homme n'est pas sâlih auprès de Dieu ;
– il s'agit, enfin, des actions extérieures qui sont visibles aux hommes mais qui sautent moins aux yeux que celles citées en premier (ne pas être malhonnête dans ses transactions ; ne pas mentir hors trois cas autorisés ; ne pas tenir des propos qui expriment que l'on méprise les autres, qu'on les rabaisse, qu'on essaie de les casser  ; ne pas "tirer les avis" en fonction des intérêts du moment ; ne pas approuver les avis émis par d'autres selon la tête de celui qui les émet ; etc.).

La preuve de ce que nous venons de dire se trouve dans la définition que Ibn ul-Jawzî a faite de l'homme sâlih [donc niveau C ou B de salâh] : il dit qu'il s'agit de "celui dont l'intérieur (sarîrah) et l'extérieur ('alâniyah) sont sâlih" [= conformes aux enseignements des sources de l'islam] (Zâd ul-massîr, commentaire de Coran 4/70, tome 2 p. 150).

Que l'intérieur soit bon, cela signifie que :
– les croyances sont conformes aux enseignements des sources (certains points de croyance font néanmoins l'objet d'une divergence sâ'ïgh, c'est-à-dire où la distinction de l'avis correct n'est possible que de façon zannî : lire ce que Ibn Taymiyya a écrit sur le sujet en cliquant ici) ;
– les actions mentales sont conformes à ces enseignements (il y a ainsi des mauvaises pensées – sû' uz-zann / bad gumânî – qui constituent des péchés ; de même, se considérer supérieur aux autres constitue de l'orgueil, ce qui est un péché) ;
– l'on pense à Dieu (dhikr ullâh) (c'est ce qui constitue la spiritualité islamique).

Que l'extérieur soit bon, cela signifie que les actions extérieures de la personne sont bonnes. Nous avons déjà dit qu'il ne s'agit pas seulement de garder une barbe et de boire de la main droite, mais de toutes les actions extérieures : il y a les actions purement cultuelles (salât, siyâm, tilâwât, etc.), mais aussi l'honnêteté dans ses affaires (mu'âmalât), les propos que l'on tient, et même les regards qu'on lance aux autres (certains ont ainsi des regards pleins de haine contre qui fait quelque chose qui va à l'encontre de leurs intérêts, qu'ils confondent avec ceux du dîn), bref tout ce qu'on entreprend vis-à-vis des autres.

Alors certes, on ne peut pas connaître les actions intérieures d'une personne ; mais justement, cette non-connaissance a une incidence sur le jugement que l'on émet à propos d'autrui quant à son caractère de "sâlih" ou de "fâssiq" (nous le verrons plus bas, au point IV).

Cela ne signifie pas qu'un homme qui a atteint le degré B ou même le degré C ne fait jamais de péché. Seuls les prophètes sont préservés de faire jamais des grands péchés et d'être maintenus sur des petits péchés (cliquez ici). Cela signifie que globalement cet homme a rendu bon son intérieur et son extérieur, qu'il fait des efforts pour s'améliorer encore et davantage et qu'il se repent dès qu'il lui arrive de faire un péché (les conditions pour la validité du repentir sont bien connues).

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III) 'Alîm et Sâlih :

- Sont dans le manquement :

l'homme qui se désintéresse des choses de ce monde (zuhd) et accomplit certaines actions de dévotion à Dieu mais ne possède pas le minimum de connaissances obligatoires ('ilm) (même pas le 2), et ne fait non plus aucun effort pour acquérir celles-ci : celui-là ne possède pas le réel salâh complémentaire obligatoire ; il est dit "'âbid" mais non pas "sâlih" ; il est appelé : "'âbid jâhil" ;
l'homme qui a fait des efforts pour acquérir le niveau 3 de 'ilm mais se laisse aller à des grands péchés, et ne fait aucun effort pour s'améliorer de ce côté là, ni ne fait d'effort pour créer le lien minimal obligatoire du cœur avec Dieu (et qui n'atteint donc pas le niveau B de salâh et demeure dans le niveau A de celui-ci) : celui-là est dit "'âlim" dans l'usage des hommes, mais ne possède pas dans le regard de Dieu le réel 'ilm : en fait il est dit : "'âlim fâjir".

C'est bien pourquoi le Prophète (que Dieu l'élève et le salue) a dit ce qu'il a dit à Ziyâd ibn Labîd : pour lui, la "disparition de la connaissance" dont il parlait voulait désigner la connaissance qui n'est pas intériorisée et qui ne pousse pas à agir en conséquence. Dans une autre parole, il a nommé pareille connaissance : "une connaissance dont (son porteur) ne tire pas profit" (cliquez ici).

Abdullâh ibn ul-Mubârak parlait du trouble (fitna) que recèlent pour des groupes entiers de musulmans ces 2 personnes : le "'âlim fâjir" et le "'âbid jâhil" :
"عن] ابن المبارك قال: "كان يقال: تعوذوا بالله من فتنة العالم الفاجر والعابد الجاهل؛ فإن فتنتهما فتنة لكل مفتون"
(Jâmi'u bayân il-'ilm wa fadhlih, relation n° 638).

Le vers suivant est relaté de ash-Shâfi'î qui dit la même chose :
"فساد كبير عالم متهتك   وأكبر منه جاهل متنسك
هما فتنة في العالمين عظيمة   لمن بهما في دينه يتمسك"
(Dîwân ul-imam ish-Shâfi'î).

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- Par contre, sont dans le bien :

l'homme qui a fait des efforts pour acquérir le niveau 2 de 'ilm (mais pas le niveau 3) et a atteint le niveau B de salâh (et ne cherche pas à atteindre le niveau C) : celui-là est dit : "muqtassid" ;
l'homme qui a fait des efforts pour acquérir le niveau 2 de 'ilm (mais pas le niveau 3) et a atteint le niveau C de salâh : celui-là est dit : "sâbiq bi-l-khayrât" ;
l'homme qui a fait des efforts pour acquérir le niveau 3 de 'ilm (et est donc "'âlim") et a atteint le niveau B de salâh (et ne cherche pas à atteindre le niveau C) : celui-là est dit : "'âlim muqtassid" ;
l'homme qui possède tout à la fois une vaste et profonde 'ilm (3) et une très grande salâh (C) : celui-là est dit "'âlim sâbiq bi-l-khayrât" ; on peut citer rapidement, parmi tous ceux dont nous pensons qu'ils ont été tels (nahsibu kadhâ, wallâhu hassîbuhum, wa lâ nuzakkî 'alalllâhi ahadan) tels : Cheikh ul-islâm Ibn Taymiyya (voir ce que Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî a écrit à son sujet par rapport à cela), et Cheikh Ashraf 'Alî Thânwî (mais bien d'autres noms existent).

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IV) Lire aussi :

--- Le 'Alim et le 'Abid - العالِم والعابِد – Les 8 portes du Paradis - أبواب الجنة الثمانية ;
--- La vraie connaissance est-elle à chercher dans des livres ou dans son cœur ? ;
--- Lorsque Moïse partit à la rencontre de al-Khidhr (sur eux soit la paix) et chemina à ses côtés : 3 événements qui montrent qu'il existerait une science cachée, autre que celle relative à ce que les Textes de la Révélation enseignent de faire par rapport à la circonstance ?.

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V) Pourquoi dire d'un musulman qu'il est pieux ou qu'il n'est pas pieux ? N'est-ce pas Dieu qui juge ?

En effet, c'est Dieu Seul qui, le Jour du Jugement, décidera qui (parmi tous ceux qui seront morts avec au moins le minimum de foi qu'Il agrée (asl ul-îmân) et donc sans être kâfir) qui, donc, ira immédiatement au Paradis et qui devra au préalable purger une peine temporaire dans l'Enfer.

Quand on dit qu'il s'agit de distinguer les hommes sâlih des hommes fâssiq, ce n'est donc pas pour délivrer un certificat d'admission au Paradis aux premiers et un ticket pour l'Enfer aux seconds...

C'est primo pour distinguer qui est tel que c'est sa fréquentation qu'on doit privilégier (cliquez ici).
C'est secundo parce qu'il est certains péchés qui entraînent pour celui qui les fait : l'invalidité de tout témoignage ; l'interdiction d'occuper certaines fonctions publiques.
Enfin, tertio, il est certains péchés qui entraînent l'institution (mashrû'iyya), pour qui les voit être commis par autrui, de faire une action : l'exhortation au bien, et la dissuasion du mal (ce qui revêt plusieurs formes) : ceci afin de s'entraider dans la voie vers Dieu, et aussi afin d'améliorer la société (lorsque la dissuasion prend la forme d'une sanction appliquée par l'autorité exécutive) : il faut donc bien constater le péché pour pouvoir accomplir cette action. C'est ce qui explique les deux propos suivants...
--- Ibn Mas'ûd disait : "Il nous a été interdit d'espionner. Mais si quelque chose apparaît ouvertement devant nous, nous agissons (na'khudh bih")" (Abû Dâoûd 4890).
--- Omar ibn ul-Khattâb disait : "Des hommes étaient interpellés par la révélation à l'époque du Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue). La révélation s'est interrompue [avec le décès du Messager]. Maintenant nous ne nous en prendrons à vous que par ce qui apparaît de vos actions : celui qui fera apparaître du bien, nous lui donnerons sécurité et proximité, et rien de son intérieur (sarîra) ne nous regarde : Dieu prendra ses comptes pour son intérieur ; et celui qui fait apparaître du mal, nous ne lui donnerons pas sécurité, et ne le croirons pas même s'il dit que son intérieur est bon" (al-Bukhârî 2498).

Ces trois objectifs sont vrais.

Cependant, tout en les appliquant, il faut aussi garder à l'esprit d'une part qu'on n'est certain de la fin (khâtima) de personne (et surtout pas de la nôtre) ; et d'autre part :
– qu'une personne qui est apparemment morte avec la foi que Dieu agrée mais qui avait des manquements évidents dans la piété obligatoire, il se peut qu'elle ait fait une bonne action qui a particulièrement plu à Dieu et que Dieu lui accorde Son Pardon et la fasse entrer directement dans Son Paradis ;
– et qu'une personne qui est apparemment morte avec la foi que Dieu agrée et qui avait apparemment de la piété, il se peut que son intérieur ait présenté quelque manquement et que Dieu ait décidé de lui infliger une punition temporaire.
Tout cela ressort de ce que le Prophète a enseigné, comme nous allons le voir ci-après…

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VI) Garder de la modération (i'tidâl) quant à la considération que l'on a pour la personne qui, selon toute apparence, est pieuse (sâlih) :

'Uthmân ibn Maz'ûn était un Compagnon d'origine mecquoise très pieux ; le Prophète dut même intervenir à Médine pour lui rappeler ses devoirs vis-à-vis de son épouse, et l'inviter à prendre modèle sur lui (Ahmad 24706, Abû Dâoûd 1369). A Médine, ce fut chez Umm ul-'alâ que 'Uthmân et son épouse furent installés ; mais ensuite 'Uthmân tomba malade et mourut. Umm ul-'alâ, s'adressant au corps du défunt, lui dit : "Que la miséricorde de Dieu soit sur toi, Abu-s-Sâ'ïb ! Je témoigne que Dieu t'a honoré !" Le Prophète, entendant cette phrase, la reprit : "Comment sais-tu que Dieu l'a honoré ?" Elle fit : "Mon père et ma mère pour toi, ô Messager de Dieu, je ne sais pas. (Mais) qui donc Dieu honorerait-Il [si ce n'est un homme aussi pieux] ?" Le Prophète dit : "Pour ce qui est de ('Uthmân), la chose certaine [= la mort] lui est venue. Et j'espère pour lui le bien. Mais je ne sais pas, alors que je suis le Messager de Dieu, ce qui sera fait de moi." Umm ul-'alâ dit alors : "Par Dieu, après lui, plus personne je ne déclarerai plus pur "par devant" Dieu ("lâ uzakkî 'alallâhi ahadan")" (al-Bukhârî 1186 etc.).
Plus tard la révélation s'est faite au Prophète lui disant qu'il n'aurait aucun problème dans l'au-delà (notamment la sourate Al-Fat'h). Par ailleurs le Prophète lui-même a interdit de dire du mal de ses Compagnons et a affirmé que nul ne pourrait avoir la même récompense que eux ont eue en faisant ne serait-ce qu'une petite aumône (cliquez ici) ; et le Prophète a lui-même dit de certains Compagnons que le Feu ne les toucherait pas, ou que Dieu leur a accordé Son Pardon. Simplement, ici, il a rappelé que, par égard et respect pour Dieu, on ne déclare pas qu'on est absolument certain que Dieu a admis telle personne dans le Paradis ; on dit plutôt : "J'espère pour lui le bien, c'était une personne bien." Il a d'ailleurs exhorté à dire du bien des personnes défuntes, disant que ce témoignage était cause d'admission au paradis (les hadîths sont bien connus) ; simplement on n'affirme pas de façon certaine à propos d'une personne (sauf si le Prophète lui-même l'a dit dans un hadîth authentique à propos d'elle) qu'elle "a réussi", qu'elle "est dans le Paradis"...
En une autre occasion, alors qu'un musulman avait fait des éloges excessives d'un autre musulman, le Prophète a dit : "Celui qui va faire les éloges de son frère, qu'il dise : "Je pense Untel ainsi ; Dieu prendra ses comptes ; je ne déclare personne pure "par devant" Dieu ("lâ uzakkî 'alallâhi ahadan")" (al-Bukhârî 2519, 5714, 5810, Muslim 3000). Dans un hadîth dha'îf, voici ce qu'on lit : s'adressant au corps d'un musulman mort à l'époque du Prophète, un autre musulman dit : "Reçois la bonne nouvelle du Paradis" ; le Prophète dit alors : "Qu'en sais-tu, peut-être a-t-il parlé de ce qui ne le concernait pas (lâ ya'nîhi) ou a-t-il faut preuve d'avarice par rapport à ce que (dépenser) ne l'aurait pas diminué" (at-Tirmidhî 2316).

Dans le droit fil de ces hadîths, Cheikh Thânwî rappelait que si on dit de quelqu'un qu'il est pieux ("walî"), on doit le dire de la façon suivante : "Apparemment Untel est pieux" ; le fait est, rappelle Cheikh Thânwî, que la wilâya est le nom donné à la proximité particulière et à l'acceptation auprès de Dieu, ce qui sont des choses que Dieu Seul connaît (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 178).

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VII) Garder de la modération (i'tidâl) quant à la considération que l'on a par rapport à la personne qui est fâssiq bi fisq asghar bien qu'ayant la foi (asl ul-îmân) :

Abû Hurayra relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Il y avait parmi les fils d'Israël deux hommes qui étaient proches amis : l'un faisait des péchés et l'autre faisait des efforts dans la 'ibâda. Celui qui faisait des efforts voyait l'autre faire le péché et n'arrêtait pas de lui dire : "Cesse." Jusqu'à ce qu'un jour il le vit faire un péché qu'il considéra très grave ; il lui dit alors : "Cesse." L'autre lui dit : "Laisse-moi (cela est entre moi) et mon Seigneur ; aurais-tu été suscité comme surveillant pour moi ?" L'autre lui dit alors : "Par Dieu, Dieu ne te pardonnera jamais" ou "ne te fera jamais entrer dans le paradis." Dieu reprit leur âme. Ils se retrouvèrent alors auprès du Seigneur des mondes. (Dieu) dit alors à celui qui faisait des efforts : "Savais-tu ce que Je ferai, ou avais-tu puissance sur ce qui se trouve en Ma Main ?" Il dit au pécheur : "Entre au paradis par Ma Miséricorde", et Il dit au sujet de l'autre : "Emmenez-le dans le feu"" (Abû Dâoûd, 4901, Ahmad, 7942). Cette histoire se passa chez les fils d'Israël avant l'abrogation du message de Moïse (donc avant la venue de Jésus et de Muhammad), et aucun de ces deux hommes n'était donc kâfir ; or les péchés qui ne constituent pas du kufr akbar et qui coexistent avec le minimum de foi voulue (asl ul-îmân), Dieu peut les pardonner, comme Il peut infliger à celui qui les a fait un séjour temporaire dans le feu, avant de les admettre au paradis (cliquez ici et ici).

Dans le même ordre d'idées, Jundub relate que le Prophète a raconté qu'un homme a dit : "Par Dieu, Dieu n'accordera pas Son Pardon à Untel !" et que Dieu Elevé soit-Il a dit alors : "Qui fait serment par Moi que Je n'accorderai pas le Pardon à Untel ? J'ai accordé le Pardon à Untel et ai annulé tes (bonnes) actions !" (Muslim, 2621).

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VIII) Pourquoi vérifier si l'homme qui est apparemment pieux est aussi 'âlim (donc possède le niveau 3 de 'ilm) ou s'il ne l'est pas (et ne possède donc que le niveau 2 de 'ilm) ?

Tout simplement parce qu'un homme pieux qui n'est pas 'âlim (mais qui possède quand même le niveau 2 de 'ilm), il s'agit de le fréquenter et d'écouter ses rappels et conseils au sujet des points généraux du dîn. Cependant, on ne peut pas lui demander de délivrer des avis et des explications sur des questions pointues de dîn (croyances, actions intérieures comme actions extérieures, authentification de hadîths, etc.) : cela relève des prérogatives des ulémas, qui ont approfondi leurs connaissances des textes.

Cela est comme pour toute chose : on ne demande pas au commun des citoyens de nous ausculter, de nous adresser un diagnostic et de nous délivrer une ordonnance...

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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