Qu'est-ce que le détenteur de l'autorité a-t-il prérogative à ordonner et à interdire ? Peut-il ordonner à ceux sur qui il a autorité de faire ce que Dieu n'a, Lui, pas décrété obligatoire ? et leur interdire de faire ce que Dieu, Lui, n'a pas décrété "interdit" ?

I) De la nécessité d'une autorité :

Les humains ne peuvent vivre qu'en groupe. Or tout groupe a besoin d'une autorité, puisque l'anarchie n'est pas possible.

"عن نافع، عن أبي سلمة، عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "إذا كان ثلاثة في سفر فليؤمروا أحدهم." قال نافع: فقلنا لأبي سلمة: فأنت أميرنا" : Le Prophète (sur lui la paix) a dit : "Lorsque trois personnes partent ensemble en voyage, qu'elles désignent une d'entre elles comme chef" (Abû Dâoûd, n° 2609, voir aussi 2608).
"ولا يحل لثلاثة نفر يكونون بأرض فلاة إلا أمروا عليهم أحدهم" : "… Et il n'est pas permis à trois personnes se trouvant ensemble dans un désert de (rester ainsi) sauf qu'elles désignent l'une d'entre elles comme chef sur elles…" (Ahmad, n° 6647).

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II) Et l'homme doit obéissance à celui qui a autorité sur lui :

Le verset est bien connu : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ أَطِيعُواْ اللّهَ وَأَطِيعُواْ الرَّسُولَ وَأُوْلِي الأَمْرِ مِنكُمْ؛ فَإِن تَنَازَعْتُمْ فِي شَيْءٍ فَرُدُّوهُ إِلَى اللّهِ وَالرَّسُولِ إِن كُنتُمْ تُؤْمِنُونَ بِاللّهِ وَالْيَوْمِ الآخِرِ؛ ذَلِكَ خَيْرٌ وَأَحْسَنُ تَأْوِيلاً" : "Obéissez à Dieu et obéissez à Son Messager et aux détenteurs de l'autorité parmi vous. Puis, si vous divergez au sujet de quelque chose, faites référence de cette chose auprès de Dieu et de Son Messager si vous croyez en Dieu et au jour dernier" (Coran 4/59).

Le hadîth dit : "Le musulman doit écouter et obéir, qu'il aime ce qui lui est ordonné ou pas. Sauf s'il lui est ordonné de désobéir à Dieu : si cela lui est ordonné, alors pas d'obéissance" (al-Bukhârî, 6725, Muslim, 1839). Ce n'est qu'au cas où le détenteur de l'autorité exerce sur soi une contrainte reconnue telle (ik'râh) qu'il est autorisé de faire (en action) ce qu'il ordonne qui est en soi interdit, ou de ne pas faire ce qu'il interdit qui est en soi obligatoire (avec quelques cas exceptionnels).

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III) Un homme se trouve en général sous plusieurs autorités en même temps :

Son père et sa mère ont autorité sur lui.

Au sein de la famille, il y a également un chef de famille, qui, comme son nom l'indique, a autorité.

Si l'homme est salarié, son patron a autorité sur lui. Ensuite, s'il travaille dans une grande entreprise, il existe plusieurs niveaux d'autorité auxquels il est soumis en même temps.

Quand il entre dans une mosquée, l'homme se trouve (pour le moment où il se trouve dans l'édifice) sous l'autorité de ceux qui en ont la gestion. Il est donc inadmissible qu'un musulman qui fréquente une mosquée se permette d'y écrire des choses sur le tableau d'affichage, sans même consulter au préalable le responsable des lieux !

Quand il entre dans un autre édifice public, il se trouve momentanément sous l'autorité de ceux qui en sont les responsables.

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Ceci entraîne que l'autorité de chacun n'a pas la même étendue. Chaque détenteur d'autorité n'a pas les même prérogatives :

En effet, on le voit bien au sein d'une grande entreprise : chacun a un rôle qui lui est dévolu, et dispose donc de prérogatives cadrées et limitées par ce rôle et cette fonction.

Mais cela est valable même en dehors de l'entreprise, dans la vie de tous les jours : l'autorité du père n'est pas la même que celle de la mère, l'autorité du mari n'est pas la même que celle de l'épouse...
Par rapport à la femme, l'autorité de son mari n'est pas la même que celle de son père...
Par rapport à l'enfant, l'autorité du père n'est pas la même que celle du chef de la ville.

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IV) Mais en quoi s'agit-il pour l'homme d'obéir à celui qui a autorité sur lui ? Qu'est-ce donc que le détenteur de l'autorité a-t-il prérogative à ordonner, à interdire ?

Bien sûr, le détenteur de l'autorité ordonne à ceux sur qui il a autorité (et cela dans la mesure où cela relève des prérogatives de son autorité) de faire ce que Dieu a déjà déclaré obligatoire. Par exemple les 5 prières quotidiennes.
Et il leur interdit (et cela dans la mesure où cela relève des prérogatives de son autorité) de faire ce qui est déjà interdit. Par exemple de fumer de la drogue ; ou encore de boire de l'alcool.

(Tout musulman adresse un rappel de ce qui est obligatoire ou interdit à son frère musulman. La particularité du détenteur de l'autorité, c'est qu'il a prérogative à faire non pas seulement un rappel verbal mais, par la force de son autorité, à faire pratiquer l'obligatoire et respecter l'interdit.)

Cependant, plus encore, à l'intérieur du 'afw (ce dont le Coran et la Sunna n'ont rien dit), le détenteur de l'autorité ordonne également à ceux sur qui il a autorité de faire ce qui constitue une maslaha râjiha ; et il leur interdit également de faire ce qui constitue une mafsada râjiha (nous y reviendrons plus bas, au point VII).

Nous avons fourni les preuves de cela dans notre article : Que Dieu est le Législateur, cela n'implique pas qu'aucun humain ne puisse élaborer aucune loi !.

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V) Pour sa part, le détenteur de l'autorité a le devoir de ne pas être un dictateur : "Le pire des bergers est celui qui brise" :

Le bon chef est celui qui sait diriger ceux dont il a la responsabilité sans les briser. Ce n'est pas celui qui aime "casser", rabrouer ou encore humilier, pour bien montrer (et parfois pour se montrer à lui-même) qu'il est bien le chef. "Le pire des bergers est celui qui brise" : "عن الحسن، أن عائذ بن عمرو - وكان من أصحاب رسول الله صلى الله عليه وسلم - دخل على عبيد الله بن زياد، فقال: "أي بني، إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: «إن شر الرعاء الحطمة»، فإياك أن تكون منهم". فقال له: "اجلس فإنما أنت من نخالة أصحاب محمد صلى الله عليه وسلم". فقال: "وهل كانت لهم نخالة؟ إنما كانت النخالة بعدهم وفي غيرهم" (Muslim, 1830). Ceci est valable pour le détenteur de l'autorité en général.

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VI) Au détenteur de l'autorité, donc, de n'être ni laxiste ni excessif :

Au détenteur d'une autorité (quelle qu'elle soit), déjà, de ne pas dépasser le cadre de sa fonction, en outrepassant ses prérogatives et en commençant à donner des ordres qui ne relèvent pas de celles-ci, et qui ferait de lui un homme "difficile à supporter tellement il est invivable." Pour des petites choses, des petits détails, il dit sans cesse : "Fais ceci, Ne fais pas ça !" Imaginez quelqu'un qui dirait (et aurait tout le droit de le dire) : "D'accord, c'est mon patron, il est musulman et moi je suis musulmane. Mais il m'ordonne de porter le hijab, alors que je ne suis pas prête ! Je sais, c'est obligatoire... Il m'a déjà fait le rappel en tant que coreligionnaire, mais il n'a pas à me l'ordonner ! Son autorité, en tant que patron, ne va pas jusque là ! On vit dans un pays où la majorité des femmes sont cheveux découverts. Il n'a pas de sagesse ! Mon père ne me l'ordonne pas et se contente de me le rappeler de temps en temps". En effet, cela ne relève pas des prérogatives de l'autorité d'un chef d'entreprise !

Et au détenteur de l'autorité, ensuite, d'exercer sa fonction de chef, au sein du rôle qui lui est dévolu, en n'étant ni trop mou et laxiste, ni trop autoritaire.

Imaginez un patron qui pinaille sur les petits détails, qui adresse des reproches incessants à ses employés, juste pour prouver (et peut-être pour se prouver à lui-même) : "C'est Moi le Chef ici !". Il va se faire détester de ses employés, et personne n'en sortira gagnant.

Imaginez par exemple un directeur d'une école islamique qui ordonne aux enseignants de son école de porter une tunique fendue sur les côtés (de type indo-musulmane) plutôt qu'une grande tunique de style arabe. N'outrepasse-t-il pas là ses prérogatives ? Ne va-t-il pas provoquer un malaise ?

Imaginez une mère de 75 ans qui exige de son fils de 50 ans que, à table, il mange tel plat et pas tel autre ? N'outrepasse-t-elle pas là ses prérogatives ?

Imaginez un père de 40 ans qui dit à son fils de 17 ans : "Je t'interdis de porter une chemise de couleur bleue ! C'est moi le chef dans la maison !"

Imaginez un 'âlim ou un groupe de ulémas qui imposent à d'autres ulémas vivant dans le même pays que lui, l'avis que lui il a adopté (et ce alors même que la question est telle que la détermination de l'avis correct n'y est possible qu'à un niveau zannî). N'outrepasse-t-il pas là ses prérogatives ?

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S'agirait-il pour chaque père de famille de punir son fils de 10 ans si celui-ci néglige la prière ?

Non.

Le hadîth est bien connu : "مروا أولادكم بالصلاة وهم أبناء سبع سنين؛ واضربوهم عليها وهم أبناء عشر وفرقوا بينهم في المضاجع" (Abû Dâoûd, 495).

Et une lecture littéraliste impliquerait que tout bon père de famille doit appliquer cela tel quel, et punir son fils âgé de 10 ans qui néglige la prière.

Pourtant
le principe général concernant le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar bi-l-yad est bien connu (et a été repris par Ibn Taymiyya aussi) : Le moyen à employer pour amener la personne à l'idéal, cela dépend de la situation, le tout étant que cela ne doit pas produire (immédiatement ou a terme) l'effet contraire de celui escompté.

C'est à la lumière de ce principe général qu'il faut lire ce hadîth : le Prophète (sur lui soit la paix) s'adressait alors à des Compagnons, toute la société étant musulmane et baignant dans l'atmosphère islamique. Mais il ne s'agit pas d'appliquer le même hukm sans aucun égard pour la réalité de la situation spirituelle et éducative de la société, de la famille, etc. Car le père qui punirait son fils négligeant la prière, alors même que la situation est très différente de celle de Médine à l'époque du Prophète, ce père ne ferait que faire fuir son enfant davantage, et lui faire encore moins aimer la prière...

Exercer son autorité, cela est nécessaire.
Mais le faire avec clairvoyance est impératif.

Lire également : "Pour résorber une innovation (ou autre munkar) qui est commise, vaut-il mieux la dénoncer, ou gagner les coeurs de ceux qui la commettent ?".

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VII) Quelques explications plus détaillées de ce que nous avons dit plus haut :

Bien sûr, le détenteur de l'autorité ordonne de faire ce que Dieu a déjà déclaré obligatoire. Et il interdit de faire ce que Dieu a déjà déclaré interdit.

Cela doit être fait sans espionner, sans traquer...

Une parole est ici souvent citée : "إنَّ اللهَ لَيَزَعُ الناس بالسُّلطانِ مَا لا يَزَعُ بالقُرْآنِ".

Cela est plus exactement relaté ainsi :
--- "لَمَا يَزَعُ اللهُ بالسُّلْطَانِ أَعْظَمُ مِمَّا يَزَعُ بِالْقُرْآنِ" (attribué à Omar ibn ul-Khattâb, que Dieu l'agrée) ;
--- "رُبَّمَا يَزَعُ السُلْطَانُ النَّاسَ أَشَدُّ مِمَّا يَزَعُهُمُ الْقُرْآنُ" (attribuée à ainsi qu'à 'Uthmân, que Dieu l'agrée) (le propos est cependant mursal).

Ce propos signifie, comme l'a écrit Ibn Kathîr : ""إن الله ليزع بالسلطان ما لا يزع بالقرآن"؛ أي لَيُمنعُ بالسلطان عن ارتكاب الفواحش والآثام ما لا يمتنع كثير من الناس بالقرآن وما فيه من الوعيد الأكيد والتهديد الشديد" : "Dieu, par le moyen du détenteur de l'autorité, empêche (takwînan) (la présence, dans le concret, d'actions de mal, vu que les personnes susceptibles de passer à l'acte savent que le détenteur de l'autorité leur appliquerait une sanction), plus que ce qu'Il empêche (takwînan) par le (seul rappel effectué par des musulmans citant verbalement des versets du) Coran" (Tafsîr Ibn Kathîr).

Cependant, 2 points sont ici à noter :

--- 1) De nombreux frères sont aujourd'hui trop pressés de vouloir réaliser de nouveau cette autorité qui veillera à l'application, dans la société musulmane, des normes du Coran : Ne pas faire de l'islam une lecture politisante - Exposé d'une analyse de an-Nadwî. Ces frères pensent que tout ne pourra se faire que "par le haut". Alors que la réalisation de la présence d'une telle autorité est "un moment" de la réforme, et pas "l'objectif".

--- 2) Par ailleurs, même l'autorité qui s'est donnée cela comme objectif est tenue, dans l'application des normes du Coran, de prendre en considération le principe de la progressivité, qui va de pair avec celui de la compréhension de priorités. Le tout, de nouveau (comme exposé plus haut), pour que le moyen ne conduise pas au contraire de l'effet escompté, vu le réel se trouvant devant soi.
C'est bien ce principe que reflète la discussion suivante : "وفيما يحكى عن عمر بن عبد العزيز أن ابنه عبد الملك قال له: "ما لك لا تنفذ الأمور؟ فوالله ما أبالي لو أن القدور غلت بي وبك في الحق." قال له عمر: "لا تعجل يا بني؛ فإن الله ذم الخمر في القرآن مرتين وحرمها في الثالثة؛ وإنى أخاف أن أحمل الحق على الناس جملة فيدفعوه جملة، ويكون من ذا فتنة"" : Un jour, Omar ibn ul-'Azîz fut ainsi questionné par son fils Abd ul-Malik : "Père, pourquoi n'appliques-tu pas [toutes] les choses ? Je ne me soucie pas que moi et toi ayons à supporter des difficultés à cause de la vérité". Le sage calife répondit : "Ne te presse pas, mon fils. Car Dieu a, dans le Coran, critiqué deux fois l'alcool, (puis,) la troisième fois, l'a interdit. Je crains que si j'applique d'un coup aux gens (tout) ce qui est vrai, ils rejettent d'un coup (tout ce qui est vrai) ; et que naisse à cause de cela une fitna" (Al-Muwâfaqât, ash-Shâtibî, 1/402). Voyez : l'alcool a été interdit en l'an 8 de l'hégire, et cette interdiction est complète et définitive, applicable pour tout musulman quel que soit le lieu qu'il se trouve. Omar ibn Abd il-Azîz parle bien, pourtant, de progressivité dans le fait de faire respecter sur la scène publique cette interdiction, par la société musulmane du début du 2ème siècle. Du début du 2ème siècle de l'hégire ! Aujourd'hui, en ce 15ème siècle de l'hégire, comment ne pas être pragmatique et ne pas tenir compte, en sus des ahkâm, de l'état des lieux ?
C'est ce qu'on peut résumer ainsi : "Si on applique des lois pour lesquelles la société musulmane n'est pas prête – parce que la foi de l'ensemble de la société n'a pas été suffisamment travaillée pour pousser cet ensemble de la société à comprendre et à apprécier ces lois, et parce que les conditions préalables n'ont pas été réalisées qui devaient créer un équilibre dans lequel ces lois viendraient prendre leur place –, on provoquera d'une part un sentiment de contrainte et de frustration, et d'autre part un déséquilibre social ; tout ceci engendrera une réaction de rejet de ces lois" (ces lignes s'inspirent du Modèle du Prophète pour la progression de l'islam dans l'individu et la société, Ben Halima, pp. 37-38).

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Cependant, plus encore, à l'intérieur du 'afw (ce dont le Coran et la Sunna n'ont rien dit), le détenteur de l'autorité ordonne également à ses administrés de faire ce qui constitue une maslaha râjiha ; et il leur interdit également de faire ce qui constitue une mafsada râjiha.

Et, en cela aussi, les administrés doivent obéissance au détenteur de l'autorité.

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Abû 'Ubayda ibn ul-Jarrâh (que Dieu l'agrée) avait été nommé dirigeant d'un groupe de 300 Compagnons envoyés par le Prophète à Sîf ul-Bahr, sur le littoral de l'Arabie, pour observer les mouvements d'une caravane des Quraysh. Ils y demeurèrent 15 jours.
Au bout d'un certain moment, les vivres vinrent à manquer. Quelqu'un abattait 3 dromadaires quotidiennement. Puis Abû 'Ubayda le lui interdit (al-Bukhârî, 4103). Il s'agit bien d'un interdit du détenteur de l'autorité pour cause de mafsada râjiha.
Abû 'Ubayda réquisitionna les provisions (des dattes) qui restaient auprès de chaque homme, et on put rassembler deux sacs. Abû 'Ubayda remettait ensuite quelques dattes chaque jour à chaque homme. [Il s'agit cette fois d'un ordre pour cause de maslaha râjiha.]
Puis les dattes furent presque épuisées. Alors Abû 'Ubayda ne put remettre qu'une seule datte par jour à chacun de ses hommes (al-Bukhârî, 4102). Ces Compagnons durent manger des feuilles d'arbre (4103).
A la fin un énorme poisson échoua devant eux sur une plage, et ils purent s'en sustenter jusqu'à leur retour à Médine (Ibid.).

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Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) voulait, lors de son califat, interdire aux esclaves non-arabes l'accès à Médine, en tant que capitale. Son idée était que cela pourrait les conduire un jour à assassiner des personnes, voire le dirigeant. Mais al-Abbâs et son fils rechignèrent, et Omar n'appliqua pas ce qu'il voulait interdire.
Plus tard, quand il aura été grièvement blessé par un esclave perse, il le rappellera à Ibn Abbâs : "فلما انصرفوا قال: "يا ابن عباس، انظر من قتلني." فجال ساعة ثم جاء فقال: "غلام المغيرة!" قال: "الصنع؟" قال: "نعم." قال: "قاتله الله، لقد أمرت به معروفا! الحمد لله الذي لم يجعل ميتتي بيد رجل يدعي الإسلام! قد كنت أنت وأبوك تحبان أن تكثر العلوج بالمدينة." وكان العباس أكثرهم رقيقا. فقال: "إن شئت فعلت." أي: إن شئت قتلنا؟ قال: "كذبت بعد ما تكلموا بلسانكم، وصلوا قبلتكم، وحجوا حجكم" (al-Bukhârî, 3497).

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Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) disait aux musulmans de pratiquer le hajju if'râd. Son objectif n'était pas de déclarer interdit les deux autres types de pèlerinage à La Mecque (qirân et tamattu'), mais que, laissant le petit pèlerinage ('umra) pour les autres mois de l'année, la Kaaba soit visitée toute l'année.
Ibn ul-Qayyim écrit :
"ومن ذلك: اختياره للناس الإفراد بالحج، ليعتمروا في غير أشهر الحج. فلا يزال البيت الحرام مقصودا.
فظن بعض الناس أنه نهى عن المتعة، وأنه أوجب الإفراد. وتنازع في ذلك ابن عباس وابن الزبير، وأكثر الناس على ابن عباس في ذلك، وهو يحتج عليهم بالأحاديث الصحيحة الصريحة. فلما أكثروا عليه في ذلك قال: "يوشك أن تنزل عليكم حجارة من السماء! أقول لكم: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم، وتقولون: قال أبو بكر وعمر؟" وكذلك ابنه عبد الله كانوا إذا احتجوا عليه بأبيه يقول: "إن عمر لم يرد ما تقولون"؛ فإذا أكثروا عليه قال: "أفرسول الله صلى الله عليه وسلم أحق أن تتبعوا، أم عمر؟".

والمقصود أن هذا وأمثاله سياسة جزئية بحسب المصلحة، تختلف باختلاف الأزمنة، فظنها من ظنها شرائع عامة لازمة للأمة إلى يوم القيامة. ولكل عذر وأجر. ومن اجتهد في طاعة الله ورسوله فهو دائر بين الأجر والأجرين.
وهذه السياسة التي ساسوا بها الأمة وأضعافها هي تأويل القرآن والسنة.
ولكن: هل هي من الشرائع الكلية التي لا تتغير بتغير الأزمنة؟ أم من السياسات الجزئية التابعة للمصالح، فتتقيد بها زمانا ومكانا؟" (At-Turuq ul-hukmiyya, p. 19).

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En fait le détenteur de l'autorité sur la Cité doit veiller à assurer le meilleur pour ses administrés : le meilleur sur le plan spirituel ; le meilleur sur le plan moral ; mais aussi le meilleur sur le plan temporel, Dunyawî (que chacun ait du travail, ait accès à un minimum de soins sanitaires, et tant d'autres choses...).

Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) avait bien montré la voie en la matière, lui qui avait entrepris de nombreuses choses en la matière. "عن عمرو بن ميمون، قال: رأيت عمر بن الخطاب رضي الله عنه قبل أن يصاب بأيام بالمدينة، وقف على حذيفة بن اليمان وعثمان بن حنيف، قال: "كيف فعلتما، أتخافان أن تكونا قد حملتما الأرض ما لا تطيق؟" قالا: "حملناها أمرا هي له مطيقة، ما فيها كبير فضل." قال: "انظرا أن تكونا حملتما الأرض ما لا تطيق!" قال: قالا: "لا!" فقال عمر: "لئن سلمني الله، لأدعن أرامل أهل العراق لا يحتجن إلى رجل بعدي أبدا" : "Si Dieu me garde sauf, je laisserai après moi les veuves d'Irak n'ayant besoin de personne" (al-Bukhârî, 3497).

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Déterminer ce qui constitue une maslaha râjiha et ce qui constitue une mafsada râjiha, cela demande parfois des recherches beaucoup plus poussées que dans le cas que nous venons de citer.

Cela parce que cette détermination se fait d'une part en se fondant sur les normes du Coran et de la Sunna, et d'autre part par connaissance du réel (wâqi').

Nous avons d'ailleurs bien dit que dans le domaine de ce qui est Mubâh, le chef peut ordonner "ce qui constitue une maslaha râjiha". Car si le chef ordonne quelque chose en quoi il n'y a aucune maslaha shar'iyya, on ne lui y doit pas obéissance. Le hadîth suivant est bien connu : "عن علي رضي الله عنه أن النبي صلى الله عليه وسلم بعث جيشا، وأمر عليهم رجلا. فأوقد نارا وقال: ادخلوها، فأرادوا أن يدخلوها، وقال آخرون: إنما فررنا منها، فذكروا للنبي صلى الله عليه وسلم، فقال للذين أرادوا أن يدخلوها: "لو دخلوها لم يزالوا فيها إلى يوم القيامة"، وقال للآخرين: "لا طاعة في معصية. إنما الطاعة في المعروف" (al-Bukhârî, 6830 etc., Muslim, 1840). "عن علي رضي الله عنه قال: بعث النبي صلى الله عليه وسلم سرية، وأمر عليهم رجلا من الأنصار، وأمرهم أن يطيعوه. فغضب عليهم، وقال: أليس قد أمر النبي صلى الله عليه وسلم أن تطيعوني؟ قالوا: بلى، قال: "قد عزمت عليكم لما جمعتم حطبا، وأوقدتم نارا، ثم دخلتم فيها." فجمعوا حطبا، فأوقدوا نارا. فلما هموا بالدخول، فقام ينظر بعضهم إلى بعض، قال بعضهم: إنما تبعنا النبي صلى الله عليه وسلم فرارا من النار أفندخلها؟ فبينما هم كذلك، إذ خمدت النار، وسكن غضبه، فذكر للنبي صلى الله عليه وسلم، فقال: "لو دخلوها ما خرجوا منها أبدا. إنما الطاعة في المعروف" (al-Bukhârî, 6726). Ce hadîth rappelle qu'il est interdit d'obéir au détenteur de l'autorité quand il ordonne de faire que Dieu a interdit (sauf au cas où il exerce une contrainte, ik'râh shar'î, et là il devient autorisé de faire en acte ce qu'il ordonne de faire). Mais, plus encore, de par le terme qui y a été employé (le Prophète a dit : "L'obéissance ne se fait que dans le Ma'rûf", il n'a pas dit : "L'obéissance ne se fait que dans ce qui est Halal"), ce hadîth montre que le détenteur de l'autorité ne peut ordonner, dans le domaine du 'afw, que ce qui renferme une maslaha shar'iyya.
Car l'obéissance au chef n'est pas obligatoire dans ce qu'il ordonne de faire qui ne contient aucune maslaha shar'iyya, ni générale ni individuelle, et qu'il a formulé par simple "décision régalienne", tel que : "Monte sur cette montagne ! Bien ! Maintenant redescends !". Al-Kashmîrî a exprimé cela ainsi : "واعلم أنه يجب عندنا طاعة الأمير في السياسيات إذا كان فيه مصلحة. أما إذا لم يشتمل على معنى صحيح، أو مصلحة عامة أو خاصة، فلا تجب عليهم طاعته، نحو أن يأمرهم أن يصعدوا هذا الجبل، وينزلوا منه. فهذا الوجوب غير ما يكون في أبواب الفقه أي الفروع الاجتهادية والمسائل. وهذا معنى قوله: "إنما الطاعة في المعروف" (Faydh ul-bârî 4/499).

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VIII) Un verset du Coran qui parle des devoirs des détenteurs de l'autorité :

"إِنَّ اللّهَ يَأْمُرُكُمْ أَن تُؤدُّواْ الأَمَانَاتِ إِلَى أَهْلِهَا وَإِذَا حَكَمْتُم بَيْنَ النَّاسِ أَن تَحْكُمُواْ بِالْعَدْلِ إِنَّ اللّهَ نِعِمَّا يَعِظُكُم بِهِ إِنَّ اللّهَ كَانَ سَمِيعًا بَصِيرًا" : "Dieu vous ordonne que vous remettiez les dépôts à leurs ayants-droit ; et, lorsque vous rendez le jugement entre les hommes, que vous jugiez avec équité. Dieu, combien bonne est l'exhortation qu'Il vous fait ! Dieu est Audient, Voyant" (Coran 4/58).

Ce verset évoque deux devoirs que les détenteurs de l'autorité ont vis-à-vis de ceux sur qui ils ont autorité (celle-ci fût-elle partielle) :
--- remettre la amâna à celui à qui elle revient : dans le cas de l'autorité gérant la cité, cela englobe les postes de responsabilité à pourvoir au sein de la communauté, autant que les biens matériels à répartir entre les gens de la cité ;
--- départager des gens (qui sont en litige, ou qui concourent amicalement) sur la base de l'équité et de l'impartialité.

Le premier devoir appartient au détenteur de l'autorité exécutive.

Le second revient au détenteur de l'autorité départageant des gens : alladhî yahkumu bayna rajulayn (soit en cas de litige, soit en cas de concours). 

Mais les deux devoirs sont tels qu'ils demandent que le détenteur de l'autorité soit quelqu'un qui est :
--- connaisseur des réels droits qui sont conférés à chacun par rapport à la circonstance dans laquelle il se trouve (sachant que c'est la détermination de ces droits tels qu'accordés par Dieu, qui trace ce qui constitue l'équité et la justice en cette circonstance) (عليم),
--- honnête (sachant que Dieu le voit et lui demandera des comptes quant à l'exercice de la responsabilité qu'il avait sur Terre) (أمين وحفيظ),
--- ayant une autorité réelle sur ceux sur qui il exerce théoriquement cette autorité (قوي).

"وإذا كانت الآية قد أوجبت أداء الأمانات إلى أهلها والحكم بالعدل، فهذان جماع السياسة العادلة والولاية الصالحة" (MF 28/246).

فصل: أما أداء الأمانات ففيه نوعان: أحدهما الولايات" (MF 28/246).
" وقد دلت سنة رسول الله صلى الله عليه وسلم على أن الولاية أمانة يجب أداؤها في مواضع، مثل ما تقدم، ومثل قوله لأبي ذر رضي الله عنه في الإمارة: "إنها أمانة وإنها يوم القيامة خزي وندامة إلا من أخذها بحقها وأدى الذي عليه فيها" رواه مسلم. وروى البخاري في صحيحه عن أبي هريرة رضي الله عنه أن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إذا ضيعت الأمانة فانتظر الساعة. قيل يا رسول الله: وما إضاعتها؟ قال: إذا وسد الأمر إلى غير أهله فانتظر الساعة" (MF 28/250).
"فإن عدل عن الأحق الأصلح إلى غيره لأجل قرابة بينهما أو ولاء عتاقة أو صداقة أو مرافقة في بلد أو مذهب أو طريقة أو جنس (كالعربية والفارسية والتركية والرومية) أو لرشوة يأخذها منه (من مال أو منفعة)، أو غير ذلك من الأسباب، أو لضغن في قلبه على الأحق أو عداوة بينهما، فقد خان الله ورسوله والمؤمنين، ودخل فيما نهي عنه في قوله تعالى {يا أيها الذين آمنوا لا تخونوا الله والرسول وتخونوا أماناتكم وأنتم تعلمون} ثم قال: {واعلموا أنما أموالكم وأولادكم فتنة وأن الله عنده أجر عظيم" (MF 28/248).
"،إذا عرف هذا فليس عليه أن يستعمل إلا أصلح الموجود. وقد لا يكون في موجوده من هو أصلح لتلك الولاية فيختار الأمثل فالأمثل في كل منصب بحسبه. وإذا فعل ذلك بعد الاجتهاد التام وأخذه للولاية بحقها فقد أدى الأمانة وقام بالواجب في هذا وصار في هذا الموضع من أئمة العدل المقسطين عند الله" (MF 28/252).

"فصل: القسم الثاني من الأمانات: الأموال كما قال تعالى في الديون: {فإن أمن بعضكم بعضا فليؤد الذي اؤتمن أمانته وليتق الله ربه}. ويدخل في هذا القسم: الأعيان والديون الخاصة والعامة، مثل رد الودائع ومال الشريك والموكل والمضارب ومال المولى من اليتيم وأهل الوقف ونحو ذلك وكذلك وفاء الديون من أثمان المبيعات وبدل القرض وصدقات النساء وأجور المنافع ونحو ذلك" (MF 28/265).

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IX) Question supplémentaire : Pourquoi le verbe "obéissez à" a-t-il dit devant "Dieu" puis répété devant "Son Messager", alors même qu'il n'a pas été répété devant "les détenteurs de l'autorité parmi vous" ? En effet, le verset suscité se lit ainsi : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ أَطِيعُواْ اللّهَ وَأَطِيعُواْ الرَّسُولَ وَأُوْلِي الأَمْرِ مِنكُمْ؛ فَإِن تَنَازَعْتُمْ فِي شَيْءٍ فَرُدُّوهُ إِلَى اللّهِ وَالرَّسُولِ إِن كُنتُمْ تُؤْمِنُونَ بِاللّهِ وَالْيَوْمِ الآخِرِ؛ ذَلِكَ خَيْرٌ وَأَحْسَنُ تَأْوِيلاً" : "Obéissez à Dieu et obéissez à Son Messager et aux détenteurs de l'autorité parmi vous. Puis, si vous divergez au sujet de quelque chose, faites référence de cette chose auprès de Dieu et de Son Messager si vous croyez en Dieu et au jour dernier" (Coran 4/59) ?

- Ce n'est pas parce qu'il s'agirait d'obéir au prophète Muhammad (sur lui soit la paix) en tant que tel et pour lui-même, dans une obéissance ayant même perspective que celle que l'on doit à Dieu. Car, tout au contraire, l'obéissance due à ce que le Prophète dit, cela ne se fait qu'avec l'intention et la perception d'obéir ainsi en réalité à Dieu, et ce parce que, en tant que Son Messager, le prophète Muhammad est habilité de la part de Dieu à légiférer.

- C'est parce qu'il s'agit de se référer à deux sources, l'une étant le Coran (les Paroles de Dieu Lui-même), et l'autre étant la Sunna (les paroles, actions et approbation de Muhammad, le Messager de Dieu) : même si la Sunna n'est que le développement du Coran, elle constitue une source à part entière, même si le Prophète ne cite pas explicitement sur quel verset du Coran il s'est appuyé pour dire tel de ses propos, et même si on n'arrive pas à deviner quel est ce verset, le Hadîth constitue quand même une source de loi.
Nul ne peut donc se fonder sur un verset pour dire : "Ce verset montre que le Prophète a fait une erreur d'interprétation quand il dit telle chose" ("قال تعالى: {يا أيها الذين آمنوا أطيعوا الله وأطيعوا الرسول وأولي الأمر منكم}. فلم يقل: "وأطيعوا الرسول وأطيعوا أولي الأمر منكم"؛ بل جعل طاعة أولي الأمر داخلة في طاعة الرسول. وطاعة الرسول طاعة لله! وأعاد الفعل في طاعة الرسول دون طاعة أولي الأمر؛ فإنه من يطع الرسول فقد أطاع الله؛ فليس لأحد إذا أمره الرسول بأمر أن ينظر هل أمر الله به أم لا؛ بخلاف أولي الأمر فإنهم قد يأمرون بمعصية الله فليس كل من أطاعهم مطيعا لله" : MF 10/266-267).
Il est vrai par contre que des ulémas se sont fondés sur un verset pour montrer que telle parole attribuée au Prophète n'a pas pour véritable source le Prophète : ainsi l'ont fait des ulémas à propos de la parole parlant des jours de la création et dont le total aboutit à 7 ; mais cela est chose différente.
Contrairement au cas des détenteurs de l'autorité : si ce qu'ils ordonnent contredit formellement ce que le Coran ou la Sunna dit, on ne leur obéit pas : "Pas d'obéissance dans le péché. L'obéissance ne se fait que dans le bien" (Muslim, n° 1840 ; voir aussi al-Bukhârî, n° 6726) (c'est-à-dire que l'obéissance ne se fait que dans ce qui n'est pas interdit, que cela était déjà obligatoire, ou que cela relevait du 'afw mais l'autorité a ordonné de le faire par maslaha). "Pas d'obéissance à une créature dans la désobéissance au créateur" (Mishkât ul-massâbîh). Ce n'est qu'au cas où le détenteur de l'autorité exerce sur soi une contrainte reconnue telle (ik'râh) qu'il est autorisé de faire (en action) ce qu'il ordonne d'interdit, ou ce qu'il interdit d'obligatoire (avec quelques cas exceptionnels).

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X) Pour aller encore un peu plus loin :

--- هل لولي الأمر حق إلزام رعيته بالعمل برأي مخصوص من جملة آراء المجتهدين في مسألة، وذلك تبعًا لما رأى في ذلك من المصلحة؟ ;
--- L'autorité exécutive d'un pays musulman peut-elle imposer à tous les musulmans s'y trouvant de ne plus pratiquer, à propos d'une question donnée, qu'un avis précis parmi tous les avis existant depuis des siècles entre les mujtahidûn ?.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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