Ne pas faire de l'islam une lecture politisante – Exposé d'une analyse de Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî : "الـ(تحذير من الـ)تفسير السياسيّ للإسلام"

"Ne pas faire une lecture politisante de l'islam", c'est le message de l'ouvrage de Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî intitulé en urdu Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh (dont la première édition a paru en l'an grégorien 1978), et dont la version arabe porte le titre significateur de "التفسير السياسي للإسلام".

Mais que veut-on dire quand on affirme qu'il ne faut pas faire de l'islam une lecture politisante ?

Ce qui est certain c'est qu'en islam il existe des règles et des principes relatifs à la gestion de la cité. An-Nadwî précise bien, parlant des pays musulmans : "Il n'y a, à notre connaissance, jamais eu de divergence entre les ulémas à propos du caractère nécessaire des efforts pour la réalisation de cette iqtidâr par laquelle (…) (les règles données par Dieu) auront cours dans la société (…). Les effets de la non réalisation de ce devoir apparaissent sous la forme de la faiblesse de l'islam, de l'oppression des musulmans, du délaissement des ahkâm divins, de la désorganisation [des sociétés musulmanes], et de la privation de l'aide divine et des bénédictions religieuses et temporelles (…)" (Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh, pp. 107-109). Quand on dit qu'il ne faut pas faire de l'islam une lecture politisante, on ne veut donc pas dire que les pays musulmans n'ont pas à être gérés d'après les principes de l'islam. On ne veut pas inviter à instaurer un système laïque en pays musulmans, ni à agréer une laïcité de facto présente en ces pays.

En fait, quand on met en garde contre le fait de faire, dans sa conception même de l'islam, une lecture politisante de celui-ci, on veut mettre en garde contre le fait de considérer comme l'objectif suprême de la mission du Prophète l'établissement d'un Etat régi selon les principes de l'islam ; et, incidemment, le fait de considérer que l'accomplissement des actes spirituels (ablutions, prières, dhikr, récitation du texte coranique, invocations de circonstances, jeûnes, aumônes, pèlerinage, etc.) selon leur forme et les règles voulues occupe une position moins importante que l'établissement d'un tel Etat.

Et quand on met en garde contre le fait de faire, dans sa compréhension de l'importance donnée aux différentes actions islamiques, une lecture politisante de l'islam, on veut mettre en garde contre le fait d'accorder, à l'établissement d'un Etat régi selon les principes de l'islam, une importance excessive par rapport à ce qui est réellement établi dans nos sources à ce sujet, excessive au point de chercher à réaliser un tel Etat immédiatement ou très rapidement, sans considération des possibilités réelles.

An-Nadwî a écrit cet ouvrage "التفسير السياسيّ للإسلام" en réponse à la pensée de al-Mawdûdî et de Sayyid Qutb, ce dernier étant, y a-t-il dit, "très influencé par, et totalement d'accord avec, l'ouvrage de al-Mawdûdî : "المصطلحات الأربعة في القرآن" : "Les quatre termes du Coran"" (Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh, p. 60), dans lequel il expose le sens véritable - selon lui - des 4 termes coraniques "ilâh", "rabb", "'ibâda" et "dîn".

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Introduction :

Déplorant la non existence, aujourd'hui, d'une Dâr ul-islâm (au sens particulier du terme), al-Mawdûdî a reproché à la Umma d'avoir complètement délaissé l'effort pour la réalisation d'une telle Dâr. Ce faisant, il a mis l'accent sur la croyance – reconnue par tous les musulmans – selon laquelle l'homme ne peut avoir fait de Dieu son seul "ilâh" (c'est-à-dire ne peut être dans le tawhîd) que si – entre autres éléments fondamentaux – il reconnaît Dieu comme seul Législateur. Mais il a affirmé que si, dans les faits, l'homme obéit à des lois qui contredisent celles de Dieu, l'homme n'a alors pas pris Dieu comme seul "ilâh" ; c'est ainsi que l'obéissance aux Lois divines est devenue, chez al-Mawdûdî, le pivot central de la ta'lîh et de la 'ibâdâh. Et étant donné que seul un Etat doté d'un gouvernement islamique peut faire appliquer les lois divines, al-Mawdûdî en a déduit que l'établissement d'un tel gouvernement est l'objectif suprême de la mission des prophètes. Il en est arrivé de la sorte à complètement déprécier tout rapport de spiritualité entre l'homme et Dieu.

Dans l'Introduction de son livre "التفسير السياسيّ للإسلام" (j'en possède la version urdu : "Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh")an-Nadwî souligne que al-Mawdûdî a fait par ailleurs un remarquable travail, capable de faire disparaître "le sentiment d'infériorité" par rapport aux enseignements de l'islam. En témoignent ses ouvrages traitant des thèmes de l'intérêt financier, des règles du voile et de la mixité, de la conquête musulmane de l'époque des califes, etc. "Ne pas le reconnaître", écrit an-Nadwî, "serait une injustice" (Asr-é hâdhir mein dîn kî taf'hîm-o-tashrîh, p. 20).

C'est, raconte Abu-l-Hassan an-Nadwî, vers la période des années grégoriennes 1937-1938 que, ayant été touché et impressionné par des écrits de al-Mawdûdî, il a commencé à correspondre par écrit avec lui (an-Nadwî vivait à Lucknow, tandis que al-Mawdûdî habitait Lahore, les deux villes se trouvant alors dans l'Inde non-partagée) (Kârwân-é zindaguî, an-Nadwî, 1/233-234). En août 1939, accompagné de cheikh Manzûr an-Nu'mânî, an-Nadwî finit par rencontrer al-Mawdûdî (Kârwân-é zindaguî, 1/236). En 1940, il relate un échange épistolaire avec lui. L'année suivante (en 1941), an-Nadwî devient membre à part entière du mouvement de al-Mawdûdî, Jamâ'at-é islâmî ; il devient même le responsable du groupe pour la ville de Lucknow, le chef-lieu de la province de l'Uttar Pradesh (Ibid., 1/242).

Il le restera 3 années (Ibid., 1/243). C'est que, ayant pris conscience de 3 choses (qu'il détaille), an-Nadwî commence à se poser des questions, puis, décidant d'en parler franchement à al-Mawdûdî, il finit, sur conseil de ce dernier, par quitter le mouvement (Ibid., 1/243-245).

An-Nadwî écrit par ailleurs que c'est l'ouvrage de al-Mawdûdî : "المصطلحات الأربعة في القرآن" ("Les quatre termes du Coran"), qui touche aux fondements de l'islam, qui "a présenté un modèle de nouvelle lecture des (enseignements de) l'islam et du Coran, où la teinte politique domine. (Cette lecture) tourne autour de la souveraineté de Dieu, et entraîne que l'objectif de la révélation du Coran et de la da'wa islamique n'est plus que l'établissement d'un gouvernement islamique. De plus, la position que (al-Mawdûdî) a adoptée dans la distinction entre l'objectif et les moyens, et les nouvelles idées et recherches qu'il a exprimées à propos des 'ibâdât et du dhikr, font qu'il y a le risque que la génération qui grandira à l'ombre de seulement ces recherches et idées, et que le groupe qui verra le jour seulement sur l'effet de cette littérature et qui n'aura pas de lien mental avec un autre environnement, auront un nouveau sentiment dînî ; un sentiment différent de celui que l'éducation et la fréquentation prophétique, le modèle prophétique et le fait de suivre les Compagnons ont engendré, et qui perdurait par héritage jusqu'à présent" (Asr-é hâdhir mein dîn kî tah'fîm-o-tashrîh, pp. 20-21).

Par égard pour le travail que al-Mawdûdî a fait par ailleurs, an-Nadwî a aussi écrit, en Quatrième de couverture de son livre Asr-é hâdhir mein dîn kî tah'fîm-o-tashrîh : "Ce livre est une analyse 'ilmî et ussûlî ; il n'a pas été rédigé dans un style polémiste (munâzara), ni dans la langue du fiqh et des fatwa. Il est l'expression d'un risque (...)." Quelques lignes plus loin, l'auteur souligne qu'il s'est agi pour lui d'un "travail qui n'a pas été fait de gaieté de cœur" ("nâ khûshgawâr kâm").

Par ailleurs, dans l'Avant-propos de la seconde édition, an-Nadwî relate que, après avoir envoyé personnellement un exemplaire de la première édition, accompagné d'une lettre personnelle, à "Mawlânâ Mawdûdî" lui-même, il a reçu de ce dernier une réponse écrite, datée du 23 janvier 1979 ; et al-Mawdûdî y disait : "Je ne me suis jamais considéré comme étant au-dessus de la critique, et je ne le prends pas mal". An-Nadwî écrit : "Mawlânâ (m')y a invité à regarder ses autres livres et écrits avec le même regard, et à exprimer (mes) impressions et critiques". An-Nadwî de souligner alors la noblesse de cette attitude, "conforme à la stature et au caractère" du personnage (Asr-é hâdhir mein dîn kî tah'fîm-o-tashrîh, p. 11).

De même, quand il évoque Sayyid Qutb, an-Nadwî parle de lui comme étant son "cher et valeureux ami" ("'azîz wa fâdhil dôst") (p. 60).

Tout ceci pour souligner qu'il ne s'est pas agi de la part de an-Nadwî de vilipender al-Mawdûdî et Sayyid Qutb, mais seulement de mettre en exergue une khata' qat'î qu'ils ont faite, laquelle ne touche pas à un point juz'î mais à la conception de l'objectif de l'islam même (et a donc de nombreuses conséquences), et ce dans la mesure où il y a "un risque pour la génération qui grandira à l'ombre de seulement ces recherches et idées".

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Pareillement, al-Qaradhâwî a, dans son livre Al-Ijtihâd ul-mu'âssir bayn al-indhibât wa-l-infirât, exprimé son désaccord, arguments à l'appui, avec certains propos de Sayyid Qutb disant que la société dans laquelle les musulmans vivent aujourd'hui est une société jâhilî, comme celle de la Mecque à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix), qu'il est donc un non-sens que de faire des ijtihâd fiq'hî, et que tout ce qu'il faut faire c'est enseigner le sens véritable de "Lâ ilâha illallâh" aux gens qui se disent musulmans. Al-Qaradhâwî écrit que l'avis de Sayyid Qutb sur cette question est "peut-être" "une forme d'effet négatif à cause du contexte qu'il a (connu)" (p. 132) et que ce sont "peut-être les circonstances pendant lesquelles il a écrit ces chapitres qui l'ont conduit à cette exagération et cette dureté" (p. 134). Mais en introduction, al-Qaradhâwî écrit que l'auteur de ces dits est "un homme cher à notre âme, aimé de notre cœur, car il a offert beaucoup à la pensée islamique, puis a donné sa vie pour la da'wa de l'islam et la parole de la foi" (p. 107).

Il s'agit donc de mettre en lumière ces erreurs non pas pour vilipender les personnes mais pour se préserver de ce qui est erroné : bien que ces personnes aient fait par ailleurs un travail conséquent, on ne peut pas suivre leur avis sur cette question, et ce d'autant plus qu'il s'agit non pas d'un point individuel (juz'î) mais de quelque chose qui touche à la conception de l'objectif de l'islam et de la mission du Prophète (sur lui soit la paix).

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Par contre je désire ajouter ici qu'une lecture minutieuse et attentive de certains écrits de Sayyid Qutb révèlent de sa part un véritable dénigrement de certains Compagnons du Prophète (sur lui soit la paix) : ce qu'il a écrit dans Al-'Adâla al-ijtimâ'iyya fi-l-islâm au sujet de Mu'âwiya, de son père Abû Sufyân et de sa mère Hind bint 'Utba (que Dieu les agrée), cela n'est pas acceptable. Ce point-là n'est cependant pas l'objet du présent article.

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1) Deux versets faisant allusion à la Dâr ul-islâm (au sens particulier du terme) et à ce que Dieu fera se réaliser : Coran 24/55 et Coran 22/41 :

– Un premier verset dit ceci : "وَعَدَ اللَّهُ الَّذِينَ آمَنُوا مِنكُمْ وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ لَيَسْتَخْلِفَنَّهُم فِي الْأَرْضِ كَمَا اسْتَخْلَفَ الَّذِينَ مِن قَبْلِهِمْ وَلَيُمَكِّنَنَّ لَهُمْ دِينَهُمُ الَّذِي ارْتَضَى لَهُمْ وَلَيُبَدِّلَنَّهُم مِّن بَعْدِ خَوْفِهِمْ أَمْنًا يَعْبُدُونَنِي لَا يُشْرِكُونَ بِي شَيْئًا" : "Dieu a promis à ceux qui ont la foi parmi vous et font les actions pieuses qu'Il leur donnera la succession sur terre comme Il l'a donnée à ceux qui les ont précédés, qu'Il donnera établissement à leur religion - qu'Il a agréée pour eux -, et qu'Il remplacera leur peur par une sécurité. Ils M'adorent et ne M'associent rien" (Coran 24/55).

Ce verset promet 3 choses :
- la succession sur terre ;
- l'établissement de l'islam ;
- la sécurité.

Comme le dit Ibn Kathîr, les termes "succession sur terre", ici mentionnés, correspondent à ceux qu'un autre verset relate de Moïse (sur lui soit la paix) : "قَالُواْ أُوذِينَا مِن قَبْلِ أَن تَأْتِينَا وَمِن بَعْدِ مَا جِئْتَنَا قَالَ عَسَى رَبُّكُمْ أَن يُهْلِكَ عَدُوَّكُمْ وَيَسْتَخْلِفَكُمْ فِي الأَرْضِ فَيَنظُرَ كَيْفَ تَعْمَلُونَ" : "Il se peut que votre Seigneur détruise votre ennemi et vous donne la succession sur terre ; Il verra alors comment vous agissez" (Coran 7/129). Cette formule "succession sur terre", présente dans ce verset 24/55, désigne la même chose que "l'établissement sur terre" mentionné dans le verset 22/41, que nous allons citer ci-après (Cheikh Thânwî a traduit ces deux formules par : "hukûmat dénâ" : Bayân ul-qur'ân, tome 8 p. 30 et tome 7 p. 75 respectivement). 'Atiyya al-'Awfî souligne d'ailleurs que ce verset 24/55 et le verset 22/41 traitent d'un thème voisin (Tafsîr Ibn Kathîr sur 22/41).

– Le second verset en question se lit quant à lui ainsi : "الَّذِينَ إِن مَّكَّنَّاهُمْ فِي الْأَرْضِ أَقَامُوا الصَّلَاةَ وَآتَوُا الزَّكَاةَ وَأَمَرُوا بِالْمَعْرُوفِ وَنَهَوْا عَنِ الْمُنكَرِ وَلِلَّهِ عَاقِبَةُ الْأُمُورِ" : "Ceux qui, si nous leur donnons établissement sur terre, accompliront la salât, donneront la zakât, feront amr bi-l-ma'rûf et feront nah'y 'an il-munkar. Et à Dieu appartient l'issue finale des choses" (Coran 22/41). Cet autre verset détaille ce que feront les personnes dont mention a été faite dans le verset le précédant (22/40) : il dit que ces personnes sont telles que si elles reçoivent l'établissement sur terre, elles n'en feront pas n'importe quel usage mais l'emploieront au contraire pour entreprendre quatre actions : elles :
- accompliront la salât ;
- donneront la zakât ;
- feront amr bi-l-ma'rûf ;
- et feront nah'y 'an il-munkar.

Ceci rejoint le verset 24/55, qui affirmait lui aussi que les trois promesses susmentionnées sont faites à des personnes précises : celles qui ont la foi et font les actions pieuses, celles qui adorent Dieu l'Unique et ne Lui associent rien.
On peut également noter que ces quatre actions mentionnées ici en 22/41, dont il est dit qu'elles seront entreprises suite à l'établissement de ces personnes, semblent en fait constituer "l'établissement de l'islam" dont promesse est faite en 24/55.

Ici une question se pose : le verset 22/41 semble dire que c'est lorsque les croyants bénéficieront d'un établissement et d'une assise temporelle qu'ils se mettront à accomplir la prière, donner la zakât, exhorter au bien et dissuader du mal. Ce ne serait donc pas le cas avant ?

La réponse est qu'en fait ce n'est pas là le sens du verset. La pratique de la salât, le don de zakât, le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar se font en tous lieux. Simplement lorsque le musulman est dans un pays non-musulman – Dâru kufr wa khawf – où il se trouve en situation d'extrême faiblesse, suspecté de tout, c'est en se cachant qu'il fait la salât, c'est très discrètement qu'il donne la zakât, et c'est dans son cœur qu'il fait le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar.
Il peut également se trouver dans un autre type de pays non-musulman – Dâru kufr wa amn – où il peut pratiquer sa salât et donner la zakât sans devoir le faire en cachette, mais en demeurant tout de même relativement discret ; de même, le amr bi-l-ma'rûf et nah'y 'an il-munkar ne peuvent être faits que par la langue, et encore, avec certaines personnes seulement.
Par contre, dans ce troisième type de pays que constitue la Dâr ul-islâm (au sens particulier du terme), la prière (salât) est instituée comme action de grande importance, et l'appel à la salât se fait ouvertement, de même que c'est l'institution étatique qui collecte et distribue l'aumône (zakât) ; enfin, le amr bi-l-ma'rûf et nah'y 'an il-munkar y sont faits de façon plus conséquente. Il reste qu'il se peut que la Dâr ul-islâm se trouve dans une situation où le amr bi-l-ma'rûf et nah'y 'an il-munkar ne peuvent être faits que jusqu'à une certaine mesure (eu égard au principe, présent dans les textes même, de devoir évaluer la maslaha et la mafsada par rapport à la situation : cliquez ici pour en savoir plus) ; malgré tout le pays reste alors une Dâru islâm ; cependant il se trouve dans une situation où les promesses du verset 24/55 ne sont pas encore toutes réalisées, puisque ce verset évoque la promesse d'une grande présence de l'Islam.

En résumé, à "ceux qui ont la foi et font les pieuses actions", "qui adorent Dieu et ne Lui associent rien" (Coran 24/55), le Coran fait la promesse de "la succession sur terre" (Coran 24/55), ce qui équivaut à "l'établissement sur terre" (Coran 22/41). Cela se concrétisera par et dans la Dâr ul-islâm (au sens particulier du terme) (soit, d'après le terme employé par Cheikh Thânwî, d'une "hukûma").
C'est suite (Coran 22/41) à cet "établissement sur terre" que, par la guidance de Dieu, ces personnes réaliseront dans la société l'établissement de la prière, la redistribution des biens pour ceux qui le méritent, la forte présence des bonnes actions et la diminution des mauvaises (Coran 22/41). Ceci constituera "l'établissement de l'islam" (Coran 24/55) et fera régner "la sécurité" (Coran 24/55).

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2) Les idées de al-Mawdûdî qui sont erronées :

Al-Mawdûdî a affirmé que la plus grande caractéristique des concepts islamiques de "ulûhiyya", "rubûbiyya", "dîn" et "ibâda", c'est la "hâkimiyya" ou "souveraineté" de Dieu. "Selon Mawlânâ Mawdûdî, le pivot originel et le point central des 4 termes coraniques [ilâh, rabb, 'ibâda et dîn] est la souveraineté de Dieu ; selon lui, le "dîn" et la "'ibâda" sont des lignes et des voies qui y mènent. Commentant le terme "ilâh", il écrit ainsi : "L'esprit principal de "ulûhiyya" est l'obéissance"" (Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh, p. 57). Or, selon al-Mawdûdî, après les premières générations de musulmans, durant plusieurs siècles dans l'histoire de la Umma, le sens véritable des 4 termes susmentionnés s'est trouvé altéré, au point que les trois quarts du texte coranique n'ont plus été compris dans leur sens véritable (pp. 32-33). On a, selon lui, donné un sens exclusivement spirituel aux 4 termes "ulûhiyya", "rubûbiyya", "dîn et "ibâda".

Al-Mawdûdî de critiquer dès lors en des termes âpres ceux qui se sont adonnés aux activités spirituelles particulièrement et n'ont (selon lui) rien – ou pas suffisamment – fait pour obéir aux lois de Dieu concernant l'action sur la société, et qui, ainsi, ont fait preuve de manquements dans l'obéissance à Dieu – donc dans Son adoration – ; il dit : "Que direz-vous de ce serviteur qui, au lieu d'aller accomplir le devoir fixé par son maître, demeure constamment debout les mains croisées devant lui et répète des milliers de fois son nom ? Le maître lui dit : "Va donner à Untel et Untel ce qui est leur droit" ; or il ne part pas mais, demeurant là, debout, salue 10 fois son maître puis reste debout les mains croisées. Le maître lui dit : "Va faire disparaître tel mal et tel autre" ; mais lui ne bouge pas d'un pouce et enchaîne prosternation sur prosternation. Le maître lui dit [de sanctionner] le voleur ; entendant cela, restant debout au même endroit, il récite 20 fois avec une très belle voix [ce dit du maître], mais pas une seule fois il ne fait un effort pour mettre en place ce système de gouvernement dans lequel le voleur [serait sanctionné]. D'une telle personne pouvez-vous dire qu'elle est en train de servir son maître ? Si votre serviteur agissait ainsi vis-à-vis de vous, je sais ce que vous lui diriez ; mais il est étonnant que lorsque le serviteur de Dieu agit ainsi, vous dites qu'il est un grand 'âbid ! Du matin au soir, combien de fois il récite les ordres de Dieu dans le Coran, mais au lieu de les mettre en pratique il ne bouge pas de son endroit et accomplit prière surérogatoire sur prière surérogatoire, prononce le Nom de Dieu sur des milliers de grains de sub'ha, et ne cesse de réciter le Coran avec une belle voix ; vous le regardez faire ces actes et dites : "Quel serviteur zâhid et 'âbid !" Cette erreur provient du fait que vous n'avez pas compris le concept correct de la 'ibâdah" (extrait de Khutubât, recueil de propos de al-Mawdûdî : cité et désapprouvé par an-Nadwî, Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh, pp. 87-88).

An-Nadwî relève que Sayyid Qutb, qui est "très influencé par, et est totalement d'accord avec" la théorie de al-Mawdûdî à propos du sens de ces 4 termes, affirme lui aussi que la hâkimiyya est la plus grande caractéristique de la "ulûhiyya" (p. 60). Suivent quelques extraits de Ma'âlim fi-t-tarîq, célèbre ouvrage de Sayyid Qutb.

Or, souligne an-Nadwî, "accepter la souveraineté comme étant la plus grande caractéristique de "al-ulûhiyya" et de "ar-rubûbiyya", cela a comme conséquence logique de dire que, dans n'importe quelle action de la vie, suivre et accepter une loi humaine, quelle qu'elle soit, cela contredit le "dîn" et constitue du "shirk" (…)" (p. 64). Cliquez ici pour lire une objection qui a été faite au sujet d'un de mes articles et qui va effectivement dans ce sens.

On relève par ailleurs, chez Sayyid Qutb, des imprécisions au sujet de l'obéissance à un autre que Dieu qui constitue du shirk akbar. Il écrit :
"والعبودية الكبرى - في نظر الإسلام - هي خضوع البشر لأحكام يشرعها لهم ناس من البشر.. وهذه هي العبادة التي يقرر أنها لا تكون إلا لله، وأن من يتوجه بها لغير الله يخرج من دين الله مهما ادعى أنه في هذا الدين" : "La 'ubûdiyya la plus grande - dans le regard de l'islam - c'est la soumission des humains à des lois que d'autres humains ont instituées pour eux. Ceci est la 'ibâda dont il est affirmé qu'elle ne doit être que pour Dieu, et que celui qui la dirige vers un autre que Dieu, celui-là sort du dîn de Dieu même s'il prétend qu'il est dans ce dîn" (Ma'âlim fi-t-tarîq, p. 55).
"فالناس في كل نظام غير النظام الإسلامي، يعبد بعضهم بعضًا - في صورة من الصور - وفي المنهج الإسلامي وحده يتحرر الناس جميعًا من عبادة بعضهم البعض، بعبادة الله وحده، والتلقي من الله وحده، والخضوع لله وحده" : "Les hommes, dans tout système autre que le système islamique, s'adorent les uns les autres, sous une forme ou une autre. Et dans le système islamique seul, les hommes se libèrent tous de l'adoration les uns des autres, par le moyen de l'adoration de Dieu Seul, du fait de prendre de Dieu Seul, et de se soumettre à Lui Seul" (Ibid., p. 6).
Dans ces passages, Sayyid Qutb veut-il parler de l'obéissance aux lois contredisant celles de Dieu, au niveau des croyances même (le musulman considérant alors l'action illicite, permise ou obligatoire, parce que l'autre que Dieu l'a décrété ainsi), ou bien veut-il parler de l'obéissance à ces lois, en actes seulement (le musulman se conformant en actes à ce que la loi du pays dit, tout en considérant en son cœur que cet acte est interdit car Dieu l'a interdit, ou obligatoire car Dieu l'a décrété obligatoire, ou licite car c'est ce que Dieu en a dit) ?
Certains musulmans adhérant aux idées de Sayyid Qutb se sont mis à dire qu'obéir à une loi qui contredit celle de Dieu, fût-ce en actes seulement, cela constitue bien de l'adoration ('ibâda kub'râ = ta'lîh) de cet autre que Dieu, donc du shirk akbar. (Cliquez ici pour lire une autre objection qui a été faite à mon sujet et qui dit effectivement que c'est du shirk, sans égard aucun pour la croyance.)

Il en résulte qu'obéir aux lois qu'un Etat a faites et qui contredisent celles de Dieu, et le faire certes volontairement mais en actes seulement, tout en gardant la croyance, en son cœur, que cet acte garde le statut (licite / illicite) que Dieu lui a conféré, cela constitue un acte de shirk akbar. Ceci a pour conséquence que le musulman doit immédiatement établir un Etat islamique.

Par ailleurs, d'un côté l'obéissance est la caractéristique suprême de l'adoration de Dieu, de l'autre côté un Etat non-islamique contraint les hommes à obéir (au moins en actes, puisqu'il n'a pas le pouvoir de sonder les cœurs et de cerner les croyances) à des lois qui contredisent celles de Dieu... dès lors, l'établissement d'un Etat islamique (où aucune loi contredisant celles de Dieu n'est appliquées aux hommes) ne pouvait devenir que l'objectif suprême de la mission des prophètes !
C'est bien ce que al-Mawdûdî affirme : "L'objectif de la mission des prophètes dans ce monde est d'établir le gouvernement islamique et de faire appliquer ainsi tout le système de vie qu'ils ont communiqué de la part de Dieu" (extrait de Tajdîd-o-ihyâ-é dîn, par al-Mawdûdî, cité et désapprouvé par an-Nadwî, Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh, p. 93).
Allant encore plus loin, il écrit également : "C'est là l'objectif pour lequel la prière, le jeûne, l'aumône obligatoire et le pèlerinage ont été rendus obligatoires ; quand on dit qu'ils constituent de la 'ibâda, cela ne signifie pas qu'eux seulement sont de la 'ibâda ; cela signifie qu'ils préparent l'homme à cette 'ibâda essentielle ("us aslî 'ibâdat ké lié âdmî kô tayyâr kartî hé") ; c'est le cursus préparatoire obligatoire pour cela" (propos extrait de Islâmî 'ibâdât par ék tahqîqî nazar, ouvrage de al-Mawdûdî, propos cité et désapprouvé par an-Nadwî, Asr-é hâdhir mein dîn kî tahfîm-o-tashrîh, p. 93).

Il découle de ces deux idées que la Umma n'a connu qu'une longue histoire de complète décadence, vu que, selon al-Mawdûdî, les 4 termes évoqués plus haut n'ont depuis longtemps plus été compris dans leur vrai sens (pp. 47-48) et que après l'époque des quatre premiers califes, la Dâr ul-islâm n'a pas pu être complètement rétablie selon son idéal (pp. 41-53).

An-Nadwî met en lumière ces erreurs de al-Mawdûdî et les réfute, arguments à l'appui…

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3) Ne pas réduire le lien de l'homme avec Dieu à un seul lien d'obéissance de l'homme à un législateur :

An-Nadwî rappelle qu'il est erroné de réduire la relation de l'homme avec Dieu à une relation d'obéissance à Ses ordres, et donc de considérer que cette relation d'obéissance à Ses ordres forme la totalité de la relation avec Dieu.

An-Nadwî souligne qu'il est également erroné de considérer – et c'est ce qu'ont fait al-Mawdûdî et Sayyid Qutb – que cette relation d'obéissance à Ses ordres forme peut-être pas la totalité mais au moins le principe essentiel (mâhiya) de la relation de l'homme avec Dieu.

Reconnaître Dieu comme Seul Législateur et accepter d'adhérer à Ses ordres est constitutif du minimum de la foi (asl ul-îmân), nul doute sur le sujet.

Cependant, cela participe de quelque chose de beaucoup plus vaste et profond, qui l'englobe et le dépasse. An-Nadwî écrit : "Cela [adhérer aux règles révélées par Dieu – iqrâr ul-iltizâm bi ahkâmillâh –] est une résultante inhérente (lâzim) et naturelle du fait d'apporter foi en Lui et d'accepter l'islam, mais cela n'est qu'un élément dans tout le lien que Dieu a avec Ses créatures et que Ses créatures ont avec Lui. Ce n'est pas là la totalité, ni la plus grande part au sein de la totalité, de la relation entre Dieu et Ses créatures et entre Ses créatures et Lui. La relation entre le 'abd et le ma'bûd [= l'homme et Dieu] est beaucoup plus vaste, profonde et subtile que la relation existant entre le sujet et son souverain" (op. cit., p. 69). "Dans le Coran, le fait que les Noms de Attributs de Dieu aient été mentionnés de façon si détaillée et de façon si captivante, son objectif ne semble absolument pas être qu'à l'homme il soit seulement demandé de considérer Dieu comme le Législateur et de ne lui donner aucun associé dans Sa Souveraineté [= le fait que c'est Lui qui légifère]" (op. cit., p. 69).

Argumentant cette affirmation, an-Nadwî cite quelques propos de Ibn Taymiyya, dont celui-ci :
"أن الله خلق الخلق لعبادته، الجامعة لمعرفته والإنابة إليه ومحبته والإخلاص له. فبذكره تطمئن قلوبهم؛ وبرؤيته في الآخرة تقر عيونهم. ولا شيء يعطيهم في الآخرة أحب إليهم من النظر إليه؛ ولا شيء يعطيهم في الدنيا أعظم من الإيمان به. وحاجتهم إليه في عبادتهم إياه وتألههم كحاجتهم وأعظم في خلقه لهم وربوبيته إياهم؛ فإن ذلك هو الغاية المقصودة لهم؛ وبذلك يصيرون عاملين متحركين. ولا صلاح لهم ولا فلا، ولا نعيم ولا لذة، بدون ذلك بحال. بل من أعرض عن ذكر ربه فإن له معيشة ضنكا ونحشره يوم القيامة أعمى"
:
"Dieu a créé la création [= les hommes et les djinns]
pour qu'ils fassent Sa 'ibâda, ce qui englobe qu'ils Le connaissent, se tournent vers Lui, L'aiment et agissent sincèrement pour Lui. Par Son évocation (dhikr) leurs cœurs s'apaisent, et par le fait de Le voir dans l'au-delà leurs yeux se rafraîchiront. Il n'y a rien qu'Il leur donnera dans l'au-delà qui leur sera plus aimé que de Le regarder, et il n'y a rien qu'Il leur donne en ce monde qui soit plus grand que d'avoir foi en Lui. (…) Sans cela ils n'auront ni bien (salâh) ni réussite, ni bonheur ni plaisir ; au contraire, celui qui s'est détourné du souvenir de son Rabb, celui-là aura une existence étroite et (Dieu) le ressuscitera le jour de la résurrection aveugle"
(Majmû' ul-fatâwâ, 1/23). Ici il s'agit de la définition de la 'ibâda, mais non plus dans la perspective des moyens par lesquels on fait la 'ibâda (définition que Ibn Taymiyya a fournie par ailleurs), mais de l'essence de la 'ibâda : elle consiste à Le connaître, à se tourner vers Lui, à L'aimer et à agir sincèrement pour Lui.

Et an-Nadwî de s'exclamer : "Combien cette définition de [l'essence de la "'ibâdat-ullâh", laquelle est le pendant de la "ulûhiyyat-ullâh"] est différente de celle où il a été affirmé que l'essence [de la "ulûhiyyat-ullâh"] est la hâkimiyya et al-iqtidâr ul-a'lâ, (termes) que al-Mawdûdî a lui-même traduits par "souveraineté"* ! Car il est évident que vis-à-vis de ce Dieu de formalisme ("dhâb'té ké is ilâh ké lié"), il n'y a besoin ni d'amour ni d'abondance d'évocation (dhikr) ; il faut simplement, de la part de ceux sur qui Il règne ("mahkûm"), l'obéissance totale et la fidélité [ceci constituant leur 'ubûdiyya vis-à-vis de Lui]" (op. cit., p. 74) [* en anglais dans le texte].

An-Nadwî veut dire que la 'ibâda de Dieu par l'homme, en d'autres termes la relation que Dieu demande à l'homme de créer avec Lui et pour la réalisation de laquelle Il l'a créé et fait vivre sur terre, ce n'est pas une relation de seule obéissance, Dieu étant Celui qui légifère et l'homme celui qui obéit. C'est une relation d'obéissance absolue (itâ'ah mutlaqan) mais aussi d'amour suprême (ghâyat ul-hubb) et de magnificence extrême (ghâyat ut-ta'zîm), ainsi que de rapprochement spirituel (taqarrub).

On ne peut bien évidemment pas se rapprocher de Dieu en désobéissant à Ses Ordres et en enfreignant Ses interdictions (cliquez ici). Adorer Dieu se fait par le fait de se conformer à Ses Ordres et de se préserver de faire ce qu'Il a interdit. Cependant, la finalité de l'adoration de Dieu n'est pas cette obéissance à Ses ordres, mais le fait de se rapprocher de Lui spirituellement – ce qui se fait par le moyen de cette obéissance à Lui ainsi que du fait de penser abondamment à Lui en son cœur –, jusqu'à pouvoir bénéficier de Son Amour particulier, comme l'a dit le célèbre hadîth.

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4) Obéir en actes à des lois qui contredisent celles de Dieu, cela n'a pas le même statut en islam que l'acte de se prosterner devant une idole :

An-Nadwî l'a souligné (op. cit., p. 75), l'obéissance en actes à une loi humaine qui contredit celle de Dieu, en islam cela n'a pas le même statut que l'acte de se prosterner devant une idole.

Des ulémas ont dit que se prosterner volontairement devant une idole est un acte de kufr akbar, sans égard pour l'intention que l'on dit avoir alors présente dans son cœur (c'est-à-dire qu'on dise avoir alors l'intention de prendre comme divinité ce que l'idole représente, ou qu'on affirme n'avoir alors pas cette intention). Seule la présence d'un cas de contrainte reconnue comme telle en islam empêche que cela soit un acte de kufr akbar.
Par ailleurs, se prosterner devant une tombe est interdit, mais d'après certains autres ulémas, cela peut être un acte de kufr akbar, ou seulement de fisq saghîr, selon l'intention. Par contre, se prosterner devant ce qui est connu pour être une idole (comme la statue de al-Lât) alors même qu'on ne subit aucune contrainte, al-Barrâk en dit que cela ne dépend pas de l'intention et est systématiquement de niveau de kufr akbar.

A contrario, obéir volontairement mais seulement au niveau de l'action à une loi humaine qui contredit celle de Dieu, cela est acte de grand péché et non en soi de kufr akbar. Cela devient du kufr akbar si on a la croyance (une croyance peut demeurer dans le cœur et peut parfois être exprimée par la parole ou l'écrit) que l'acte visé par cette loi humaine est devenu licite (ou, au contraire, illicite) à cause de cette loi faite par des hommes (et pour qu'on décrète que la personne qui a exprimé pareille croyance est kâfir, il faut, en sus, qu'il y ait eu iqâmat ul-hujja).

La preuve ci-après…

Le verset coranique 9/31 déclare "acte de shirk" le fait d'obéir à un homme quand il déclare licite ce que Dieu a décrété illicite, ou illicite ce que Dieu a décrété licite (le commentaire en a été fait par le Prophète lui-même dans le célèbre hadîth relaté par 'Adî ibn Hâtim et rapporté par at-Tirmidhî).

Mais Ibn Taymiyya précise :
"وهؤلاء الذين اتخذوا أحبارهم ورهبانهم أربابا حيث أطاعوهم في تحليل ما حرم الله وتحريم ما أحل الله يكونون على وجهين: أحدهما: أن يعلموا أنهم بدلوا دين الله فيتبعونهم على التبديل فيعتقدون تحليل ما حرم الله وتحريم ما أحل الله اتباعا لرؤسائهم، مع علمهم أنهم خالفوا دين الرسل؛ فهذا كفر، وقد جعله الله ورسوله شركا، وإن لم يكونوا يصلون لهم ويسجدون لهم؛ فكان من اتبع غيره في خلاف الدين مع علمه أنه خلاف الدين واعتقد ما قاله ذلك دون ما قاله الله ورسوله: مشركا مثل هؤلاء.
والثاني: أن يكون اعتقادهم وإيمانهم بتحريم الحرام وتحليل الحلال ثابتا، لكنهم أطاعوهم في معصية الله، كما يفعل المسلم ما يفعله من المعاصي التي يعتقد أنها معاص؛ فهؤلاء لهم حكم أمثالهم من أهل الذنوب"

"Et ces gens qui ont pris leurs érudits et leurs moines comme divinités, étant donné qu'ils les ont suivis dans le fait de déclarer licite ce que Dieu a rendu illicite et de déclarer illicite ce que Dieu a rendu licite, [l'ont fait] selon deux manières.
L'une est qu'ils savent que [ces érudits et moines] ont changé le dîn de Dieu puis qu'ils les suivent en ce changement, ayant alors comme croyance ("ya'taqidun") que ce que Dieu a décrété illicite est devenu licite et que ce que Dieu a décrété licite est devenu illicite, par fait de suivre leurs chefs, tout en sachant qu'ils ont contredit le dîn des Messagers. Cela est du kufr. Et Dieu et Son Messager l'ont déclaré du shirk, même s'ils ne prient pas et ne se prosternent pas devant eux. Aussi, celui qui suit autrui dans ce qui contredit le dîn tout en sachant que ceci est contraire au dîn, et a comme croyance ("i'taqada") ce que [cet autrui] a dit et non ce que Dieu et Son Messager ont dit, celui-là est mushrik comme ceux-là.
La seconde manière est que leur croyance et leur foi soient établies quant au fait de considérer licite ce que [Dieu a décrété] licite et illicite ce que [Dieu a décrété] illicite, mais qu'ils suivent ces [prêtres et moines] dans la désobéissance à Dieu, comme le musulman commet ce qu'il commet de péchés dont il a la croyance que ce sont des péchés. Ceux-là ont le statut de leurs semblables parmi les gens du péché (…)" (MF 7/70).

Et on peut même noter que ce point précis concerne l'obéissance, en actes, non pas seulement au faux hukm bayna rajulayn mais également à la fausse tashrî' !

A travers ce propos de Ibn Taymiyya, on voit clairement que, contrairement à ce que soutiennent aujourd'hui certains de ceux qui se réclament des idées de Sayyid Qutb – et donc aussi de al-Mawdûdî, puisque le premier a été influencé par le second –, obéir en actes seulement à une loi humaine qui contredit celle de Dieu – et donc aux lois qu'un Etat a faites et qui contredisent celles de Dieu –, cela n'a pas le même statut en islam que l'acte de se prosterner devant une idole.

Abû Bakr Ibn ul-'Arabî a écrit chose voisine. En effet, il est un verset où Dieu dit : "Et si vous leur obéissez, alors vous êtes polythéistes" (Coran 6/121). A propos de quoi est-il question, dans ce verset, d'"obéir aux polythéistes" ? Al-Qurtubî écrit : "c'est-à-dire dans le fait de considérer halal la bête morte" (Tafsir ul-Qurtubî). Bien que le verset affirme de façon mutlaq, 'âmm, que le fait d'obéir aux polythéistes constitue un acte de shirk, Ibn ul-Arabî précise : "Le croyant, par le fait d'obéir au polythéiste, ne devient polythéiste que s'il lui obéit dans la croyance. Par contre, quand il lui obéit dans l'action alors que sa croyance est correcte, restant sur le tawhid et le tasdiq, alors il est pécheur ('âssin). Comprenez cela" : "الخامسة قوله تعالى: {وإن أطعتموهم} أي في تحليل الميتة {إنكم لمشركون}. فدلت الآية على أن من استحل شيئا مما حرم الله تعالى، صار به مشركا؛ وقد حرم الله سبحانه الميتة نصا، فإذا قبل تحليلها من غيره، فقد أشرك. قال ابن العربي: إنما يكون المؤمن بطاعة المشرك مشركا إذا أطاعه في الاعتقاد، فأما إذا أطاعه في الفعل وعقده سليم مستمر على التوحيد والتصديق فهو عاص، فافهموه. وقد مضى في المائدة" (Tafsîr ul-Qurtubî, 7/77-78).

(S'il y a contrainte reconnue telle, alors ce n'est même plus un péché là où la contrainte est prise en considération en islam.)

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5) Ne pas faire de "l'effort pour la réalisation de la structure étatique" : l'objectif et l'essence du Dîn :

Citant le propos de al-Mawdûdî déjà reproduit plus haut, an-Nadwî écrit : "Cela montre clairement que [pour al-Mawdûdî,] le statut des 'ibâdât fixés ([comme] les cinq prières) n'est pas plus que celle d'un moyen, et que l'objectif réel est l'établissement d'un gouvernement islamique. Alors que le Coran, à l'inverse, montre l'effort et le gouvernement comme un moyen, et l'établissement de la prière comme l'objectif". An-Nadwî en veut pour preuve le passage coranique que nous avons cité en 1 : "Ceux qui, si nous leur donnons établissement sur terre, accompliront la salât, donneront la zakât, feront amr bi-l-ma'rûf et feront nah'y 'an il-munkar" (Coran 22/41).

An-Nadwî écrit qu'il est nécessaire de faire des efforts pour que, dans les pays musulmans, ce soit les normes de l'islam qui soient concrètement rétablies comme référentiel en matière de gestion de la cité (et donc que ces pays musulmans redeviennent des Dâr ul-islâm au sens précis du terme) : "Il n'y a, à notre connaissance, jamais eu de divergence entre les ulémas à propos du caractère nécessaire des efforts pour la réalisation de cette iqtidâr par laquelle (…) (les règles données par Dieu) auront cours dans la société sous forme de lois (…). Les effets de la non réalisation de ce devoir apparaissent sous la forme de la faiblesse de l'islam, de l'oppression des musulmans, du délaissement des ahkâm divins, de la désorganisation [des sociétés musulmanes], et de la privation de l'aide divine et des bénédictions religieuses et temporelles (…)" (op. cit., pp. 107-109). Et an-Nadwî cite quelques versets coraniques constituant des fondements de cette nécessité.

"Cependant, poursuit an-Nadwî, tout cela aura lieu en tant que moyen important et nécessaire. Cela n'aura le statut ni de tout le dîn, ni de l'objectif suprême" (op. cit., p. 109).

Et alors ? Quelle incidence cela peut-il avoir que l'on dise d'une chose qu'elle est nécessaire, mais seulement en tant que moyen et non en tant que finalité ? Du moment que l'on dit que c'est nécessaire, moyen ou finalité, c'est du pareil au même, non ?

Non. An-Nadwî de souligner que, vis-à-vis de l'action qu'il considère comme étant dévolue à une autre action, la relation de l'homme est différente de celle qu'il a vis-à-vis de l'action qu'il considère comme étant la finalité et l'objectif.

Et, bien sûr, il y a une interaction entre "pratiquer les actions d'adoration (au sens particulier du terme) de Dieu", et "agir pour le Dîn de Dieu". Car le verset suscité parle en fait de 4 actions : "Ceux qui, si nous leur donnons établissement sur terre, accompliront la salât, donneront la zakât, feront amr bi-l-ma'rûf et feront nah'y 'an il-munkar" (Coran 22/41). Il y a :
- accomplir la salât ;
- donner la zakât ;
- faire amr bi-l-ma'rûf ;
- et faire nah'y 'an il-munkar.
Et :
- la première action constitue la spiritualité, par l'accomplissement des actions des 'Ibâdât (dont la prière rituelle est la plus importante) ;
- la seconde vise à la justice sociale : elle relève de la générosité et de l'engagement en faveur des démunis, cela visant à l'éradication de la pauvreté matérielle dans la société humaine ;
- les troisième et quatrième actions visent à l'établissement d'une société spirituelle et morale : elles constituent l'engagement pour la promotion de la spiritualité et de la moralité.
On doit régulièrement venir, par le biais des actions des 'Ibâdât, relier son cœur avec Dieu, parce que c'est ainsi qu'on augmente en amour et en lien du cœur avec Lui, qu'on augmente en Ma'rifa de Lui, et que c'est par Son évocation que les cœurs s'apaisent. Mais une fois la batterie de son cœur rechargée, il s'agit aussi, régulièrement, de retourner agir sur la société, conformément à ce que Dieu agrée.
Et on ne peut prétendre aimer Dieu et avoir beaucoup de lien du cœur avec Lui, tout en délaissant totalement l'effort pour la réforme de la communauté et de la société (alors que c'est ce que Dieu veut de l'homme).

Cependant, il ne s'agirait pas de minimiser la valeur des actions des 'Ibâdât.

An-Nadwî écrit :
"Les ulémas enracinés dans la connaissance et dans le dîn" "ont toujours appelé,
- en plus de (pratiquer) ces 'ibâdât [fixés] et d'apporter une âme et une réalité dans la prière et l'invocation (dhikr)
:
- à appliquer dans sa vie les autres règles de l'islam,
- et à faire des efforts en vue de leur application dans la société. (...)
Mais ils n'ont pas adopté une formulation dans laquelle il y aurait du mépris (tahqîr) ou du dédain (istikhfâf) pour le fait de s'occuper à prier et à évoquer Dieu, à faire de nombreuses tasbîh, tahmîd et récitations du Coran. Il y avait encore plus de précaution à prendre dans une époque où l'importance de faire abondamment prières et dhikr s'amenuise voire disparaît de plus en plus, et où c'est l'esprit matérialiste et politique qui domine"
(op. cit., p. 88).

Car quand on lit quelques versets du Coran, notamment celui qui parle de ceux "dont les flancs se séparent de leur lits ; ils invoquent leur Pourvoyeur par crainte et par espoir ; et de ce que Nous leur avons donné ils dépensent" (Coran)... quand on lit que le Prophète passait tellement la nuit en prière qu'il est arrivé que ses pieds enflent... quand on lit qu'il disait : "La fraîcheur de mes yeux se trouve dans la prière"... qu'il faisait tawba plus de 100 fois chaque jour... qu'il accomplissait de nombreux jeûnes facultatifs tout au long de l'année... on a une image de l'islam et de son essence qui est différente de celle qu'en donnent ces écrits de al-Mawdûdî.

Par ailleurs, quand la situation devient vraiment intenable, le musulman peut ne plus faire le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar, fût-ce par la langue (les hadiths sont bien connus sur le sujet) ; pourtant, même alors, la prière et l'aumône demeurent pour leur part.

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6) Ne pas restreindre "l'effort pour le dîn" à : "l'effort pour la réalisation de la structure étatique" :

L'établissement du Dîn en tant qu'institution (tamkîn ud-dîn) permettra de réaliser ces 4 actions à une échelle plus importante (cela a déjà exposé plus haut).

Cependant, rappelle an-Nadwî, "l'effort pour établir le dîn" [tamkîn ud-dîn wa ta'yîdu-hû] ne peut pas être déclaré synonyme de "l'effort pour établir un gouvernement islamique", mais "a un sens plus englobant et vaste que celui avec lequel il est souvent employé dans la littérature de la Jamâ'at-[é islâmî", le mouvement de al-Mawdûdî].

Dans cet "effort pour établir le dîn", il y a, poursuit an-Nadwî, toutes les branches que Shâh Waliyyullâh a citées dans son livre Izâlat ul-khafâ' 'an khilâfat il-khulafâ' (en p. 13) :
– faire revivre les sciences religieuses ;
– établir les piliers de l'islam ;
– établir le jihâd [ce qui n'a pas un sens spécifiquement militaire, nous l'avons déjà dit sur ce site] et tout ce qui y est lié ;
– établir le qadhâ et les sanctions ;
– faire disparaître les injustices [entre les hommes] ;
– ordonner le bien et interdire le mal (Asr-é hâdhir mein dîn kî taf'hîm-o-tashrîh, p. 111).

Et an-Nadwî de souligner que lui-même, dans ses années de jeunesse (quand il avait entre 20 et 22 ans), il avait fait une erreur de ce genre dans un passage de l'un de ses premiers ouvrages, Sîrat-é Sayyid Ahmad Shahîd, et que ce n'est que dans les années suivantes, suite à une étude plus approfondie et à davantage de maturité, qu'il a mieux compris les choses. A travers un autre ouvrage Rijâl ul-fikr wa-d-da'wa fi-l-islâm (dont l'original urdu porte le nom Târikh-é da'wat-o-'azîmat), il a alors entrepris de rectifier l'impression première qu'il avait laissée, et de montrer qu'il y a eu en tous temps dans la Umma du Prophète, depuis le décès de celui-ci jusqu'à aujourd'hui, une chaîne continue de "islâh" et de "tajdîd" (op. cit., pp. 49-51).

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7) Ne pas oublier que le rétablissement concret d'une "Dâr ul-islâm" dans son idéal ne peut se faire qu'en tenant compte des possibilités réelles, et donc en ayant recours à la sagesse :

Contrairement à ce que al-Mawdûdî affirme, il est injuste de dire qu'aucun effort n'a été fait durant ces siècles en matière de rétablissement de la Dâr ul-islâm dans son idéal… De nombreuses personnes ont fait ce qu'elles ont pu, à leur échelle, selon les moyens dont elles disposaient, en fonction du contexte où elles se trouvaient. Parlant des grands ulémas que la Umma a comptés, an-Nadwî écrit : "Si, au lieu d'une opposition totale ils ont utilisé l'explication, la réforme, et le conseil, s'ils ont agi sur les sages principes de la "imâla" [= réforme] au lieu d'avoir recours à la "izâla" [= faire disparaître], on ne peut pas dire qu'ils ont oublié cette branche [particulière] de "l'effort pour établir le dîn" et qu'ils ont commis le "ta'âwun 'ala-l-ithmi wa-l-'udwân" (op. cit., pp. 120-121).

Et an-Nadwî de démontrer que al-Mawdûdî lui-même a affirmé qu'il y a nécessité de tenir compte des possibilités qu'offre le contexte ; il cite plusieurs propos de al-Mawdûdî allant dans ce sens, dont celui-ci : "Par cette sagesse pratique (hikmat-é 'amalî) on entend en bref qu'il s'agit, dans l'établissement du dîn et dans l'application des ahkâm shar'iyya que l'on prenne en considération la situation dans laquelle nous agissons, et que dans les fatwas et l'agissement on fasse une modification grâce à laquelle les objectifs de la sharî'a (maqâssid shar'iyya) soient réalisés pleinement, et non que l'on applique les ahkâm et les ussûl dans des situations qui ne s'y prêtent pas, ce qui fera rater ces (maqâssid)" (propos de al-Mawdûdî cité par an-Nadwî, op. cit., pp. 121-122).

An-Nadwî de rebondir sur ce propos et d'enchaîner : "Si on garde ce principe à l'esprit, alors" "on devra accepter que" les mujtahidûn, les muhaddithûn, les muqanninûn, les muslihûn, les mashâ'ïkh et les grands ulémas, tous ont participé à cette entreprise et se sont acquittés du devoir de "l'effort pour établir le dîn" en leur temps et selon les situations qu'ils ont vécues (op. cit., pp. 122-123). Et non les accuser de n'avoir rien fait jusqu'à présent pour cette branche particulière de l'effort pour l'établissement du dîn…

N'est-ce pas, d'ailleurs, ce que tous les prophètes ont fait à leur époque : nous avons exposé dans notre autre article : l'étendue de la Islâh, de l'individu à la structure étatique ; et le fait que chaque prophète a agi selon les possibilités qu'il avait face à lui.
Ibn Taymiyya écrit ainsi : "فإن الله يقول: {فاتقوا الله ما استطعتم} فعلى كل إنسان أن يتقي الله ما استطاع؛ وما لم يمكن إزالته من الشر يخفف بحسب الإمكان؛ فإن الله بعث الرسل بتحصيل المصالح وتكميلها وتعطيل المفاسد وتقليلها" : "Et le mal qu'il n'est pas possible de faire disparaître, il sera diminué selon la possibilité. Car Dieu a envoyé les Messagers avec le fait de faire atteindre les Maslaha et le fait de les parachever, et le fait d'annihiler les Mafsada et le fait de les diminuer" (MF 28/591).
"فكان ذلك تقليلا لشره. والرسل - صلوات الله عليهم - بعثوا بتحصيل المصالح وتكميلها وتعطيل المفاسد وتقليلها بحسب الإمكان" : "Les Messagers - que les bénédictions de Dieu soient sur eux - ont été envoyés avec le fait de faire atteindre les Maslaha et le fait de les parachever, et le fait d'annihiler les Mafsada et le fait de les diminuer, selon la possibilité" (MF 8/93-94). "فإن الله تعالى بعث الرسل لتحصيل المصالح وتكميلها وتعطيل المفاسد وتقليلها بحسب الإمكان" (MF 30/359).
"والله تعالى بعث الرسل بتحصيل المصالح وتكميلها وتعطيل المفاسد وتقليلها. والنبي صلى الله عليه وسلم دعا الخلق بغاية الإمكان ونقل كل شخص إلى خير مما كان عليه بحسب الإمكان" : "Et le Prophète - que Dieu le bénisse et le salue - a appelé les créatures selon tout son possible, et a déplacé chaque personne vers un état meilleur que celui qui était le sien, selon la possibilité" (MF 13/96-97).
"ومن عبادته وطاعته الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر بحسب الإمكان" (MF 10/163).

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8) En fait, analyse an-Nadwî, la conception mawdudienne est née en réaction à la situation actuelle du monde :

En réaction, effectivement… An-Nadwî reproduit dans son livre dont nous parlons ici un passage emprunté à un autre de ses ouvrages, dans lequel il soulignait la différence fondamentale entre les prophètes et les leaders d'autres types, et où il disait ce qui suit :
"Les effets de cette réaction apparaissent dans les écrits de ces écrivains islamophiles et de ces prédicateurs qui sont tels que ce sont :
- les philosophies matérialistes contemporaines,
- la réussite des systèmes politiques occidentaux,
- et la servitude et la désorganisation des musulmans de leur pays :
qui
les ont poussés :
- à étudier les enseignements de l'islam,
- à faire face à la situation actuelle,
- et à présenter le parallèle islamique de ces philosophies et systèmes de vie.
Dans les écrits, expressions et façons de penser [de ces écrivains islamophiles], le reflet et l'ombre de cette réaction apparaissent facilement à la personne qui a eu l'occasion d'étudier le Coran et la Sunna directement et en étant libre des effets du contexte, de (cette) action et réaction. (…)"
(op. cit., p. 110, note de bas de page).

An-Nadwî écrit encore que différente est la conception des "ulémas enracinés dans la connaissance (…), dont la compréhension du Dîn est totalement fondée sur une étude vaste et profonde du Coran et de la Sunna et sur une profonde connaissance de la Sîra du Prophète et de la situation des Compagnons" : "lorsque eux parlent de cette question, ou lorsqu'ils veulent prouver son importance et sa nécessité, ou lorsqu'ils s'attristent du fait que cela est (aujourd'hui absent) et que les musulmans l'ont délaissé, alors (…) de chacun de leur écrit apparaît la claire mais délicate relation qui existe entre l'objectif et le moyen (…)" (op. cit., pp. 109-110).

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En fait, ayant constaté d'une part la force des nations occidentales ayant réussi à coloniser une vaste partie du monde et, par opposition, la faiblesse des pays musulmans, al-Mawdûdî et Sayyid Qutb ont voulu attirer l'attention des musulmans sur les bienfaits d'un Etat islamique et sur la nécessité d'agir pour la réalisation d'un tel Etat.
Ayant constaté d'autre part que certains musulmans s'adonnant à une pratique cultuelle et spirituelle régulière ne se souciaient absolument pas de la situation de la communauté musulmane et de la société, et restaient constamment occupés à leurs récitations coraniques et leurs prières et invocations, al-Mawdûdî et Sayyid Qutb ont voulu attirer l'attention des musulmans sur le fait que le concept d'adoration de Dieu ('ibâdatullâh) ne consiste pas seulement à prier et à invoquer Dieu, mais aussi à agir pour l'amélioration de la communauté et de la société.
Ayant constaté d'autre part encore que certains musulmans ne restaient pas seulement silencieux, ils exprimaient clairement qu'ils préféraient le système colonial laïque et ses lois, al-Mawdûdî et Sayyid Qutb ont voulu attirer l'attention des musulmans sur le fait que la soumission de coeur et d'esprit à des lois qui sont contraires aux principes de l'islam constitue du kufr akbar.

Cependant, lorsqu'ils ont fait ainsi, ils ont malheureusement versé dans l'autre extrême...

8.a) Voulant mettre l'accent sur la nécessité de se conformer aux lois de Dieu, al-Mawdûdî et Sayyid Qutb ont, au lieu de se contenter de dire que la spiritualité authentique (ihsân), l'adoption des croyances correctes ('aqîda) et l'obéissance concrète aux lois divines (ahkâm zâhira) forment les 3 constituants essentiels de l'adoration pratique de Dieu ('ibâda 'amaliyya), al-Mawdûdî et Sayyid Qutb, donc, se sont mis à dire que l'obéissance aux lois constitue l'essence de l'adoration de Dieu. Le lien avec Dieu s'en est retrouvé réduit à un lien d'obéissance à Ses lois, tandis que l'amour pour Dieu et l'évocation (dhikr) de Dieu en sont devenus secondaires.

Nous en avons déjà parlé plus haut.

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8.b) Voulant mettre l'accent sur la nécessité de se préoccuper de la communauté musulmane et de la société humaine, al-Mawdûdî s'est mis à ironiser sur ceux qui récitent le Coran ou prononcent les formules d'évocation de Dieu (son écrit a été reproduit plus haut).

Nous avons déjà vu ce que an-Nadwî a répondu à cela.

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8.c) Voulant mettre l'accent sur la nécessité de la réalisation d'un Etat islamique, al-Mawdûdî s'est mis à dire que la réalisation d'un tel Etat est l'objectif de la mission de tous les prophètes, et que les prières, jeûnes, etc. ne sont que des moyens préparant à cela. L'islam en a été ramené à un mouvement politique, la spiritualité devenant secondaire.

Or nous avons déjà vu plus haut ce qu'est la vérité à ce sujet.

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8.d) Sayyid Qutb a également laissé des écrits qui peuvent laisser croire que le fait de se soumettre (fût-ce en actes seulement) à un système dont les lois sont contraires à la Loi de Dieu, cela constitue systématiquement du shirk akbar ; et qui peuvent même laisser croire que cela peut être plus grave que le fait de rendre le culte à des entités vivantes et invisibles.

--- "إنه لم يكن من قصد الإسلام قط أن يكره الناس على اعتناق عقيدته.. ولكن الإسلام ليس مجرد عقيدة. إن الإسلام كما قلنا إعلان عام لتحرير الإنسان من العبودية للعباد. فهو يهدف ابتداء إلى إزالة الأنظمة والحكومات التي تقوم على أساس حاكمية البشر للبشر وعبودية الإنسان للإنسان .. ثم يطلق الأفراد بعد ذلك أحرارا - بالفعل - في اختيار العقيدة التي يريدونها بمحض اختيارهم - بعد رفع الضغط السياسي عنهم، وبعد البيان المنير لأرواحهم وعقولهم - ولكن هذه التجربة ليس معناها أن يجعلوا إلههم هواهم، وأن يختاروا بأنفسهم أن يكونوا عبيدا للعباد! وأن يتخذوا بعضهم بعضا أربابا من دون الله! .. إن النظام الذي يحكم البشر في الأرض يجب أن تكون قاعدته العبودية لله وحده. وذلك بتلقي الشرائع منه وحده. ثم ليعتنق كل فرد - في ظل هذا النظام العام - ما يعتنقه من عقيدة! وبهذا يكون الدين كله لله. أي تكون الدينونة والخضوع والاتباع والعبودية كلها لله .. إن مدلول الدين أشمل من مشمول العقيدة" :
"Il n'a jamais été dans l'objectif de l'islam de contraindre les hommes à adopter sa 'Aqîda. Mais l'islam n'est pas qu'une 'Aqîda. L'islam est, comme nous l'avons dit, l'annonce de la libération de l'homme de la servitude aux serviteurs. Initialement il a donc comme objectif d'enlever les systèmes et les gouvernements qui sont établis sur le fondement de la souveraineté des hommes sur les hommes et de servitude de l'homme pour l'homme. Puis, après cela, il laisse les individus libres
concrètement de choisir la 'Aqîda qu'ils veulent par leur pur choix (...). Le système qui dirige les hommes sur la Terre, il faut que son fondement soit la servitude à Dieu Seul, et ce par le fait de prendre ses lois de Lui Seul ; puis, à l'ombre de ce système général, chaque individu adoptera ce qu'il adoptera comme 'Aqîda. Ainsi tout le Dîn sera à Dieu Seul ; c'est-à-dire que la soumission et la servitude seront tout entières à Dieu. Le concept de "Dîn" est plus vaste que celui de "'Aqîda""
(Ma'âlim fi-t-tarîq, pp. 56-57).

--- "والعبودية الكبرى - في نظر الإسلام - هي خضوع البشر لأحكام يشرعها لهم ناس من البشر .. وهذه هي العبادة التي يقرر أنها لا تكون إلا لله، وأن من يتوجه بها لغير الله يخرج من دين الله مهما ادعى أنه في هذا الدين" : "La 'ubûdiyya la plus grande – dans le regard de l'islam – c'est la soumission des humains à des lois que d'autres humains ont instituées pour eux. Ceci est l'adoration ('Ibâda) dont il est affirmé qu'elle ne doit être que pour Dieu, et que celui qui la dirige vers un autre que Dieu, celui-là sort du dîn de Dieu même s'il prétend qu'il est dans ce dîn" (Ibid., p. 55).

--- Commentant le célèbre verset coranique : "لاَ إِكْرَاهَ فِي الدِّينِ" : "Pas de contrainte dans le Dîn" (Coran 2/255), Sayyid Qutb écrit encore : "لا إكراه في الدين }.. أي لا إكراه على اعتناق العقيدة، بعد الخروج من سلطان العبيد والإقرار بمبدأ أن السلطان كله لله أو أن الدين كله لله بهذا الاعتبار" : "C'est-à-dire : "Pas de contrainte pour adopter la 'Aqîda [de l'islam], après être sorti du pouvoir des serviteurs et avoir reconnu le principe que le pouvoir tout entier appartient à Dieu, ou encore : "que le dîn tout entier appartient à Dieu, sous ce rapport-là"" (Ma'âlim fi-t-tarîq, p. 66).

--- En fait ce sont les termes figurant dans le verset suscité qui ont engendré ce malentendu : le verset se lit ainsi : "وَعَدَ اللَّهُ الَّذِينَ آمَنُوا مِنكُمْ وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ لَيَسْتَخْلِفَنَّهُم فِي الْأَرْضِ كَمَا اسْتَخْلَفَ الَّذِينَ مِن قَبْلِهِمْ وَلَيُمَكِّنَنَّ لَهُمْ دِينَهُمُ الَّذِي ارْتَضَى لَهُمْ وَلَيُبَدِّلَنَّهُم مِّن بَعْدِ خَوْفِهِمْ أَمْنًا يَعْبُدُونَنِي لَا يُشْرِكُونَ بِي شَيْئًا" : "Dieu a promis à ceux qui ont la foi parmi vous et font les actions pieuses qu'Il leur donnera la succession sur terre comme Il l'a donnée à ceux qui les ont précédés, qu'Il donnera établissement à leur religion - qu'Il a agréée pour eux -, et qu'Il remplacera leur peur par une sécurité. Ils M'adorent et ne M'associent rien" (Coran 24/55) : les deux dernières phrases : "يَعْبُدُونَنِي لَا يُشْرِكُونَ بِي شَيْئًا", Sayyid Qutb les a comprises ainsi : "(alors) ils M'adoreront et ne M'associeront rien" : c'est seulement quand l'Etat deviendra islamique que les hommes vivant sous sa tutelle adoreront Dieu Seul et ne Lui associeront rien ; d'où son affirmation déjà citée : "فالناس في كل نظام غير النظام الإسلامي، يعبد بعضهم بعضًا - في صورة من الصور - وفي المنهج الإسلامي وحده يتحرر الناس جميعًا من عبادة بعضهم البعض، بعبادة الله وحده، والتلقي من الله وحده، والخضوع لله وحده" : "Les hommes, dans tout système autre que le système islamique, s'adorent les uns les autres, sous une forme ou une autre. Et dans le système islamique seul, les hommes se libèrent tous de l'adoration les uns des autres, par le moyen de l'adoration de Dieu Seul, du fait de prendre de Dieu Seul, et de se soumettre à Lui Seul" (Ibid., p. 6)

--- Il y a également le célèbre propos de Rib'î ibn 'Âmir s'adressant aux Perses : "فقالوا له: ما جاء بكم؟ فقال: الله ابتعثنا لنخرج من شاء من عبادة العباد إلى عبادة الله، ومن ضيق الدنيا إلى سعتها، ومن جور الأديان إلى عدل الإسلام. فأرسلنا بدينه إلى خلقه لندعوهم إليه" : "Dieu nous a suscités pour que nous fassions sortir qui Il veut de la 'Ibâda des hommes vers la 'Ibâda de Dieu, de l'étroitesse de ce Monde à sa largesse, et de l'injustice des Dîn vers la justice de l'Islam" (Al-Bidâya wa-n-nihâya).
Voici comment Sayyid Qutb a compris ce propos de Rib'î : "Dieu nous a suscités pour que nous fassions sortir immédiatement tous les hommes de la 'Ibâda des autres hommes, 'Ibâda à laquelle ils s'adonnaient en suivant leurs Lois. Nous allons leur en faire sortir par le fait de faire disparaître le système politique dans lequel ils se trouvaient. Une fois ce système enlevé, le Dîn ullâh sera établi sur eux et ces hommes seront ainsi libérés de la 'Ibâda d'autre qu'Allâh. Nous laisserons alors ces hommes choisir entre se convertir à la 'Aqîda de l'islam, et demeurer dans leur 'Aqîda ancienne"
Sayyid Qutb veut dire que le concept de Dîn étant plus vaste que celui de 'Aqîda, l'islam ne tolère pas que les hommes demeurent dans un Dîn autre que le sien, c'est-à-dire sous un système non-islamique, car cela constitue la plus grande forme de servitude à un autre que Dieu (vu que la plus grande particularité du culte est l'obéissance). Cependant, une fois qu'ils sont sous son système, l'islam ne les a pas contraints à devenir musulmans, et ils ont pu demeurer dans une 'Aqîda de Kufr Akbar (ce qui, d'après les hanafites, les malikites et certains hanbalites, englobe aussi le fait de demeurer dans un credo de Shirk Akbar, car ce ne sont pas seulement les Gens du Livre et les Zoroastriens, mais également les Mushrikûn, voir emême - d'après un avis, les athées - qui peuvent être gardés dans une Dâr ul-islâm).

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8.e) Par voie d'incidence avec le point précédent, voulant attirer l'attention des musulmans sur le fait que croire supérieures aux lois divines des lois qui, pensées par la raison humaine pure, sont contraires aux principes islamiques, cela constitue une croyance de kufr akbar, et voulant attirer leur attention sur la nécessité d'établir, en pays musulmans, un Etat qui appliquerait non pas de telles lois mais les lois divines, Sayyid Qutb a écrit des phrases imprécises et ambigües, pouvant, si elles sont appréhendées de façon littérale, engendrer une fort mauvaise compréhension...

--- "إنه لا إسلام في أرض لا يحكمها الإسلام ولا تقوم فيها شريعته، ولا دار إسلام إلا التي يهيمن عليها الإسلام بمنهجه وقانونه، وليس وراء الإيمان إلا الكفر، وليس دون الإسلام إلا الجاهلية.. وليس بعد الحق إلا الضلال" : "Il n'y a pas d'islam dans une terre que l'islam ne gouverne pas et dans laquelle ce n'est pas sa loi qui est établie. N'est Dâru islâm que (la terre) sur laquelle l'islam domine par sa voie (manhaj) et sa loi (qânûn). Et derrière le îmân il n'y a que le kufr. En deçà de l'islam il n'y a que la jâhiliyya. Après la vérité il n'y a que la déviance" (Ma'âlim fi-t-tarîq, p. 132). "والمسألة في حقيقتها مسألة كفر وإيمان، مسألة شرك وتوحيد، مسألة جاهلية وإسلام. وهذا ما ينبغي أن يكون واضحاً .. إنَّ الناس ليسوا مسلمين - كما يدَّعون - وهم يحيون حياة الجاهلية. وإذا كان فيهم من يريد أن يخدع نفسه، أو يخدع الآخرين، فيعتقد أنَّ الإسلام ممكن أن يستقيم مع هذه الجاهلية، فله ذلك. ولكن انخداعه أو خداعه لا يغيِّر من حقيقة الواقع شيئاً .. ليس هذا إسلاماً، وليس هؤلاء مسلمين" (Ibid., p. 142).

--- "وان هناك دارا واحدة هي دار الإسلام، تلك التي تقوم فيها الدولة المسلمة، فتهيمن عليها شريعة الله وتقام فيها حدوده، ويتولى المسلمون فيها بعضهم بعضا. وما عداها فهو دار حرب" : "et qu'il n'existe qu'une Dâr unique, c'est la Dâr ul-islâm : celle-là où l'Etat islamique est établi, et sur laquelle la Loi de Dieu domine, dans laquelle ses hudûd sont appliquées, et dans laquelle les musulmans sont walî les uns des autres. Tout ce qui est autre que cela est Dâru harb" (Ibid., p. 123).

--- "نحن اليوم في جاهلية كالجاهلية التي عاصرها الإسلام أو أظلم. كل ما حولنا جاهلية .. تصورات الناس وعقائدهم، عاداتهم وتقاليدهم، موارد ثقافتهم، فنونهم وآدابهم، شرائعهم وقوانينهم. حتى الكثير مما نحسبه ثقافة إسلامية، ومراجع إسلامية، وفلسفة إسلامية، وتفكيرا إسلاميًا .. هو كذلك من صنع هذه الجاهلية !!" : "Nous sommes aujourd'hui dans une Jâhiliyya semblable à la Jâhiliyya qui existait à l'époque de (l'instauration de) l'islam [= à l'époque juste avant la venue du Prophète, sur lui soit la paix], ou même plus sombre encore. Tout ce qui est autour de nous est Jâhiliyya. (...)" (Ibid., p. 14).

--- Certains musulmans ont appréhendé ces textes de façon littérale et se sont mis à dire que dans les pays dits "musulmans", il n'y a réellement "pas d'islam" du tout, et ces pays sont donc en réalité des Dâru kufr. Voyez la différence avec ce que Ibn Taymiyya a écrit à son époque au sujet de la cité de Mardin. Lui n'a pas dit qu'elle était "une Dâr Jâhilî". Il en a dit : "elle n'est pas comme la Dâru islam sur laquelle les ahkâm de l'islam ont cours, mais elle n'est pas non plus Dâru kufr wa harb ; elle constitue un troisième type, une Demeure composite" : "وأما كونها دار حرب أو سلم فهي مركبة فيها المعنيان؛ ليست بمنزلة دار السلم التي تجري عليها أحكام الإسلام لكون جندها مسلمين؛ ولا بمنزلة دار الحرب التي أهلها كفار؛ بل هي قسم ثالث" (MF 28/240-241). Il a même dit que pour ce qui est de la Jâhiliyya Mutlaqa, après la venue du prophète Muhammad (sur lui soit la paix) cela peut toujours exister dans certains lieux (les Dâr ul-Kufr), mais plus dans la totalité des lieux à une seule et même époque [sauf à la fin des temps quand sur toute la Terre il n'existera plus aucun croyant] : "فأما بعد مبعث الرسول صلى الله عليه وسلم، فالجاهلية المطلقة قد تكون في مصر دون مصر، كما هي في دار الكفار، وقد تكون في شخص دون شخص كالرجل قبل أن يسلم فإنه في جاهلية وإن كان في دار الإسلام. فأما في زمان مطلق فلا جاهلية بعد مبعث محمد صلى الله عليه وسلم، فإنه لا تزال من أمته طائفة ظاهرين على الحق إلى قيام الساعة" (Al-Iqtidhâ', p. 78). Il appelle seulement : "Jâhiliyya Muqayyada" le fait que dans une cité musulmane il y ait de nombreux éléments de la Jâhiliyya : الجاهلية المقيدة قد تقوم في بعض ديار المسلمين وفي كثير من المسلمين" (Al-Iqtidhâ', p. 78) (et, pareillement, le fait que dans une personne musulmane il y ait un ou de nombreux éléments de la Jâhiliyya : le Prophète avait dit à Abû Dharr : "إنك امرؤ فيك جاهلية"). Cela ne fait pas de cette société une société jâhilî, tout comme pareil musulman n'est pas un jâhilî mais un musulman en lequel se trouve un ou des éléments de la jâhiliyya. Cela tout comme, à propos du croyant qui fait des péchés, la posture de l'orthodoxie sunnite est que ses gens "ne retirent pas de façon inconditionnelle le nom [îmân], et ne l'attribuent pas de façon inconditionnelle. (Mais) nous disons : "Il est mu'min à la foi incomplète", ou "mu'min faisant des péchés", ou "mu'min par sa îmân, fâssiq par sa kabîra"" : "وعند هذا فالقول الوسط الذي هو قول أهل السنة والجماعة أنهم لا يسلبون الاسم على الإطلاق، ولا يعطونه على الإطلاق؛ فنقول: "هو مؤمن ناقص الإيمان" أو "مؤمن عاص" أو "مؤمن بإيمانه فاسق بكبيرته"، ويقال: "ليس بمؤمن حقا" أو: "ليس بصادق الإيمان". وكل كلام أطلق في الكتاب والسنة، فلا بد أن يقترن به ما يبين المراد منه. والأحكام: منها ما يترتب على أصل الإيمان فقط - كجواز العتق في الكفارة وكالموالاة والموارثة ونحو ذلك -، ومنها ما يترتب على أصله وفرعه - كاستحقاق الحمد والثواب وغفران السيئات ونحو ذلك" (MF 7/673). "ولهذا قال من قال: "هو مؤمن بإيمانه فاسق بكبيرته" أو "مؤمن ناقص الإيمان". والذين لا يسمونه مؤمنا من أهل السنة ومن المعتزلة يقولون: "اسم الفسوق ينافي اسم الإيمان لقوله: "بئس الاسم الفسوق بعد الإيمان" وقوله: "أفمن كان مؤمنا كمن كان فاسقا" وقد قال النبي صلى الله عليه وسلم "سباب المسلم فسوق وقتاله كفر"". وعلى هذا الأصل فبعض الناس يكون معه شعبة من شعب الكفر ومعه إيمان أيضا؛ وعلى هذا ورد عن النبي صلى الله عليه وسلم في تسمية كثير من الذنوب "كفرا" مع أن صاحبها قد يكون معه أكثر من مثقال ذرة من إيمان فلا يخلد في النار. كقوله "سباب المسلم فسوق وقتاله كفر" وقوله: "لا ترجعوا بعدي كفارا يضرب بعضكم رقاب بعض" (MF 7/355). "فإن هذه الكبائر كلها من شعب الكفر؛ ولم يكن المسلم كافرا بمجرد ارتكاب كبيرة، ولكنه يزول عنه اسم الإيمان الواجب، كما في الصحاح عنه صلى الله عليه وسلم: "لا يزني الزاني حين يزني وهو مؤمن" الحديث إلى آخره" (MF 15/294). Ibn Taymiyya écrit de même que

--- D'autres musulmans ont lu ces écrits de Sayyid Qutb et n'ont pas su que même dans le cas d'adoption - en croyance - à une loi contredisant celle de Dieu et faisant partie des dharûriyyât ud-dîn, la iqâmat ul-hujja est nécessaire avant que la personne soit décrétée kâfir, et que c'est la prérogative d'un juge et pas celle d'un prédicateur de décréter cela (cliquez ici et ici).

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Les choses ne sont pas comme ce qui a été énoncé au point 8.d :

--- Le verset dit bien : "لاَ إِكْرَاهَ فِي الدِّينِ" : "Pas de contrainte dans le Dîn" (Coran 2/255). Et non pas : "لاَ إِكْرَاهَ فِي العقيدة" : "Pas de contrainte dans la 'Aqîda". C'est bien du Dîn - lequel est plus vaste que la 'Aqîda d'après Sayyid Qutb lui-même - que le verset parle lorsqu'il dit qu'il n'y a pas de contrainte pour y faire entrer quelqu'un...

--- Pour ce qui est du verset : "وَعَدَ اللَّهُ الَّذِينَ آمَنُوا مِنكُمْ وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ لَيَسْتَخْلِفَنَّهُم فِي الْأَرْضِ كَمَا اسْتَخْلَفَ الَّذِينَ مِن قَبْلِهِمْ وَلَيُمَكِّنَنَّ لَهُمْ دِينَهُمُ الَّذِي ارْتَضَى لَهُمْ وَلَيُبَدِّلَنَّهُم مِّن بَعْدِ خَوْفِهِمْ أَمْنًا يَعْبُدُونَنِي لَا يُشْرِكُونَ بِي شَيْئًا" : "Dieu a promis à ceux qui ont la foi parmi vous et font les actions pieuses qu'Il leur donnera la succession sur terre comme Il l'a donnée à ceux qui les ont précédés, qu'Il donnera établissement à leur religion - qu'Il a agréée pour eux -, et qu'Il remplacera leur peur en sécurité. Ils M'adorent et ne M'associent rien" (Coran 24/55), les deux dernières phrases ne signifient pas : "alors seulement ils M'adoreront et ne M'associeront rien", mais sont seulement une qualification supplémentaire de "ceux qui ont la foi et font les actions pieuses" : "il s'agit de ceux qui M'adorent et ne M'associent rien" ; cela peut d'ailleurs également constituer la raison de ces promesses : c'est parce qu'ils n'adorent déjà que Dieu, ne Lui associant rien, qu'Il leur a fait ces promesses, et qu'Il réalisera celles-ci. Voici comment al-Âlûssî articule ces phrases avec le reste : "يَعْبُدُونَنِى‏}‏ جوز أن تكون الجملة في موضع نصب على الحال، إما من ‏{‏الذين‏}‏ الأول لتقييد الوعد بالثبات على التوحيد، لأن ما في حيز الصلة من الإيمان وعمل الصالحات بصيغة الماضي لمّا دل على أصل الاتصاف به، جيء بما ذكر حالا بصيغة المضارع الدال على الاستمرار التجددي؛ وإما من الضمير العائد عليه في ‏{‏لَيَسْتَخْلِفَنَّهُمْ‏}‏ أو في ‏{‏ليبدلنهم‏}‏. وجوز أن تكون مستأنفة، إما لمجرد الثناء على أولئك المؤمنين على معنى "هم يعبدونني"؛ وإما لبيان علة الاستخلاف وما انتظم معه في سلك الوعد" (Rûh ul-ma'ânî).

--- Et s'il est vrai que la conquête musulmane avait bien pour objectif de permettre aux hommes des territoires conquis de pouvoir choisir librement l'islam (alors que ceux qui désiraient conserver leur ancienne religion pouvaient également le faire) (cliquez ici pour en savoir plus), il est erroné d'y voir la preuve que l'islam n'a pas toléré que ces hommes demeurent sous des lois contraires à celles de Dieu "parce que cela constitue la plus grande forme de servitude à autre que Dieu". En fait voici ce que Rib'î ibn 'Âmir voulait dire : "Dieu nous a suscités pour que nous soyons la cause de la sortie de la personne d'entre vous qu'Il voudra de la 'Ibâda qu'elle fait actuellement des serviteurs, pour la 'Ibâda de Dieu Seul, et ce par le fait que Dieu lui donnera le Tawfîq d'accepter la 'Aqîda et le Dîn de l'islam, par le fait qu'elle aura été convaincue par notre invitation verbale, et cela dans la mesure où, par le moyen de la conquête, nous pourrons librement faire la Da'wa, et nous fournirons à tous la liberté entière de se convertir à l'islam, cependant que ceux qui le voudront pourront conserver leur ancienne Dîn et 'Aqîda."
Rib'î dit bien, à la fin : "الله ابتعثنا لنخرج من شاء من عبادة العباد إلى عبادة الله، ومن ضيق الدنيا إلى سعتها، ومن جور الأديان إلى عدل الإسلام. فأرسلنا بدينه إلى خلقه لندعوهم إليه" : "Il nous a donc dépêchés avec Son Dîn vers Ses créatures, afin que nous leur fassions la Da'wa vers ce (Dîn)".

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Il y a eu donc de la part de Sayyid Qutb un manquement dans la compréhension du Tawhîd ullâh, et une réduction, pensant que le Tawhîd ullâh se résumait à Tawhîd ullâh fi-t-Tashrî'.
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Cette réduction l'a ensuite conduit à :
le fait d'avoir mis au second plan : le Shirk billâh (akbar ou asghar) dans le domaine métaphysique ;
et
un excès, pensant réaliser le
Kamâl alors qu'il s'agit en fait de Ghuluww, par le fait d'avoir dit que toute participation aux affaires d'une cité qui ne se réfère pas à la Loi de Dieu constitue du shirk akbar billâh.
قصر  الشيء المطلوب على جزء منه (سواء وقع القصر في جزء من أصل ذلك الشيء، أو في جزء من كماله الواجب، أو في جزء من كماله النافل): يؤدّي إلى الغلوّ في ذلك الجزء (وذلك باعتداء الحدّ فيه)، و إلى التهاون في جزء آخر  من أصل ذلك الشيء، أو من كماله الواجب.

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Et quand Sayyid Qutb dit que les prophètes ne peuvent prêcher à leur peuple la réforme des mauvaises actions que lorsque ce peuple a accepté la souveraineté de Dieu dans la Législation, ce qu'il a dit là aussi est erroné.

Car, certes, ces prophètes ont prêché le Aslu Tawhîd illâh à leur peuple, ce qui inclut (mais dépasse) Tawhîd ullâh fi-t-tashrî'.

Cependant, ils n'attendirent pas que leur peuple acceptent et adhèrent à ce Asl ut-Tawhîd pour se mettre à leur prêcher aussi d'abandonner les autres mauvaises actions qu'ils faisaient (abandon qui relève du Kamâl ut-Tawhîd al-Wâjib).

Le texte du Coran en témoigne : Hûd et Shu'ayb (sur eux soit la paix) ont prêché à leur peuple le Tawhîd ullâh fi-l-ulûhiyya et de cesser d'adorer autre que Dieu, mais, bien que dans leur majorité les gens de leur peuple n'ont pas adhéré à ce Tawhîd, ils leur ont également prêché d'abandonner les grands péchés qu'ils faisaient. Il suffit de lire différents passages du Coran pour s'en rendre compte : ces prophètes ont invité leur peuple en même temps à cesser d'adorer autre que Dieu, et à ne plus s'en prendre à autrui, à cesser le grand banditisme / à arrêter de frauder les poids et mesures, etc.

--- Au sujet de Hûd :
"وَإِلَى عَادٍ أَخَاهُمْ هُودًا قَالَ يَا قَوْمِ اعْبُدُواْ اللّهَ مَا لَكُم مِّنْ إِلَهٍ غَيْرُهُ إِنْ أَنتُمْ إِلاَّ مُفْتَرُونَ يَا قَوْمِ لا أَسْأَلُكُمْ عَلَيْهِ أَجْرًا إِنْ أَجْرِيَ إِلاَّ عَلَى الَّذِي فَطَرَنِي أَفَلاَ تَعْقِلُونَ وَيَا قَوْمِ اسْتَغْفِرُواْ رَبَّكُمْ ثُمَّ تُوبُواْ إِلَيْهِ يُرْسِلِ السَّمَاء عَلَيْكُم مِّدْرَارًا وَيَزِدْكُمْ قُوَّةً إِلَى قُوَّتِكُمْ وَلاَ تَتَوَلَّوْاْ مُجْرِمِينَ قَالُواْ يَا هُودُ مَا جِئْتَنَا بِبَيِّنَةٍ وَمَا نَحْنُ بِتَارِكِي آلِهَتِنَا عَن قَوْلِكَ وَمَا نَحْنُ لَكَ بِمُؤْمِنِينَ إِن نَّقُولُ إِلاَّ اعْتَرَاكَ بَعْضُ آلِهَتِنَا بِسُوَءٍ قَالَ إِنِّي أُشْهِدُ اللّهِ وَاشْهَدُواْ أَنِّي بَرِيءٌ مِّمَّا تُشْرِكُونَ مِن دُونِهِ فَكِيدُونِي جَمِيعًا ثُمَّ لاَ تُنظِرُونِ إِنِّي تَوَكَّلْتُ عَلَى اللّهِ رَبِّي وَرَبِّكُم مَّا مِن دَآبَّةٍ إِلاَّ هُوَ آخِذٌ بِنَاصِيَتِهَا إِنَّ رَبِّي عَلَى صِرَاطٍ مُّسْتَقِيمٍ فَإِن تَوَلَّوْاْ فَقَدْ أَبْلَغْتُكُم مَّا أُرْسِلْتُ بِهِ إِلَيْكُمْ وَيَسْتَخْلِفُ رَبِّي قَوْمًا غَيْرَكُمْ وَلاَ تَضُرُّونَهُ شَيْئًا إِنَّ رَبِّي عَلَىَ كُلِّ شَيْءٍ حَفِيظٌ" (Coran 11/50-57). "كَذَّبَتْ عَادٌ الْمُرْسَلِينَ إِذْ قَالَ لَهُمْ أَخُوهُمْ هُودٌ أَلَا تَتَّقُونَ إِنِّي لَكُمْ رَسُولٌ أَمِينٌ فَاتَّقُوا اللَّهَ وَأَطِيعُونِ وَمَا أَسْأَلُكُمْ عَلَيْهِ مِنْ أَجْرٍ إِنْ أَجْرِيَ إِلَّا عَلَى رَبِّ الْعَالَمِينَ أَتَبْنُونَ بِكُلِّ رِيعٍ آيَةً تَعْبَثُونَ وَتَتَّخِذُونَ مَصَانِعَ لَعَلَّكُمْ تَخْلُدُونَ وَإِذَا بَطَشْتُم بَطَشْتُمْ جَبَّارِينَ فَاتَّقُوا اللَّهَ وَأَطِيعُونِ" (Coran 26/123-131).

--- Au sujet de Shu'ayb :
"وَإِلَى مَدْيَنَ أَخَاهُمْ شُعَيْبًا قَالَ يَا قَوْمِ اعْبُدُواْ اللّهَ مَا لَكُم مِّنْ إِلَهٍ غَيْرُهُ وَلاَ تَنقُصُواْ الْمِكْيَالَ وَالْمِيزَانَ إِنِّيَ أَرَاكُم بِخَيْرٍ وَإِنِّيَ أَخَافُ عَلَيْكُمْ عَذَابَ يَوْمٍ مُّحِيطٍ وَيَا قَوْمِ أَوْفُواْ الْمِكْيَالَ وَالْمِيزَانَ بِالْقِسْطِ وَلاَ تَبْخَسُواْ النَّاسَ أَشْيَاءهُمْ وَلاَ تَعْثَوْاْ فِي الأَرْضِ مُفْسِدِينَ بَقِيَّةُ اللّهِ خَيْرٌ لَّكُمْ إِن كُنتُم مُّؤْمِنِينَ وَمَا أَنَاْ عَلَيْكُم بِحَفِيظٍ قَالُواْ يَا شُعَيْبُ أَصَلاَتُكَ تَأْمُرُكَ أَن نَّتْرُكَ مَا يَعْبُدُ آبَاؤُنَا أَوْ أَن نَّفْعَلَ فِي أَمْوَالِنَا مَا نَشَاء إِنَّكَ لَأَنتَ الْحَلِيمُ الرَّشِيدُ" (Coran 11/84-87).

A la fin, ces peuples furent châtiés par Dieu d'un châtiment terrestre.

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Cela est également vérifié dans le cas du prophète Muhammad (que Dieu l'élève et le salue) : depuis qu'il était à La Mecque, il y a eu, à l'intention de ceux qui étaient alors toujours polythéistes, non pas seulement des injonctions à devenir monothéistes, mais aussi des injonctions à améliorer leurs actions extérieures :
--- "قُلْ هَلُمَّ شُهَدَاءكُمُ الَّذِينَ يَشْهَدُونَ أَنَّ اللّهَ حَرَّمَ هَذَا فَإِن شَهِدُواْ فَلاَ تَشْهَدْ مَعَهُمْ وَلاَ تَتَّبِعْ أَهْوَاء الَّذِينَ كَذَّبُواْ بِآيَاتِنَا وَالَّذِينَ لاَ يُؤْمِنُونَ بِالآخِرَةِ وَهُم بِرَبِّهِمْ يَعْدِلُونَ. قُلْ تَعَالَوْاْ أَتْلُ مَا حَرَّمَ رَبُّكُمْ عَلَيْكُمْ أَلاَّ تُشْرِكُواْ بِهِ شَيْئًا وَبِالْوَالِدَيْنِ إِحْسَانًا وَلاَ تَقْتُلُواْ أَوْلاَدَكُم مِّنْ إمْلاَقٍ نَّحْنُ نَرْزُقُكُمْ وَإِيَّاهُمْ وَلاَ تَقْرَبُواْ الْفَوَاحِشَ مَا ظَهَرَ مِنْهَا وَمَا بَطَنَ وَلاَ تَقْتُلُواْ النَّفْسَ الَّتِي حَرَّمَ اللّهُ إِلاَّ بِالْحَقِّ ذَلِكُمْ وَصَّاكُمْ بِهِ لَعَلَّكُمْ تَعْقِلُونَ وَلاَ تَقْرَبُواْ مَالَ الْيَتِيمِ إِلاَّ بِالَّتِي هِيَ أَحْسَنُ حَتَّى يَبْلُغَ أَشُدَّهُ وَأَوْفُواْ الْكَيْلَ وَالْمِيزَانَ بِالْقِسْطِ لاَ نُكَلِّفُ نَفْسًا إِلاَّ وُسْعَهَا وَإِذَا قُلْتُمْ فَاعْدِلُواْ وَلَوْ كَانَ ذَا قُرْبَى وَبِعَهْدِ اللّهِ أَوْفُواْ ذَلِكُمْ وَصَّاكُم بِهِ لَعَلَّكُمْ تَذَكَّرُونَ وَأَنَّ هَذَا صِرَاطِي مُسْتَقِيمًا فَاتَّبِعُوهُ وَلاَ تَتَّبِعُواْ السُّبُلَ فَتَفَرَّقَ بِكُمْ عَن سَبِيلِهِ ذَلِكُمْ وَصَّاكُم بِهِ لَعَلَّكُمْ تَتَّقُونَ" (Coran 6/150-153).
--- "لَا تَجْعَل مَعَ اللّهِ إِلَهًا آخَرَ فَتَقْعُدَ مَذْمُومًا مَّخْذُولاً وَقَضَى رَبُّكَ أَلاَّ تَعْبُدُواْ إِلاَّ إِيَّاهُ وَبِالْوَالِدَيْنِ إِحْسَانًا إِمَّا يَبْلُغَنَّ عِندَكَ الْكِبَرَ أَحَدُهُمَا أَوْ كِلاَهُمَا فَلاَ تَقُل لَّهُمَآ أُفٍّ وَلاَ تَنْهَرْهُمَا وَقُل لَّهُمَا قَوْلاً كَرِيمًا وَاخْفِضْ لَهُمَا جَنَاحَ الذُّلِّ مِنَ الرَّحْمَةِ وَقُل رَّبِّ ارْحَمْهُمَا كَمَا رَبَّيَانِي صَغِيرًا رَّبُّكُمْ أَعْلَمُ بِمَا فِي نُفُوسِكُمْ إِن تَكُونُواْ صَالِحِينَ فَإِنَّهُ كَانَ لِلأَوَّابِينَ غَفُورًا وَآتِ ذَا الْقُرْبَى حَقَّهُ وَالْمِسْكِينَ وَابْنَ السَّبِيلِ وَلاَ تُبَذِّرْ تَبْذِيرًا إِنَّ الْمُبَذِّرِينَ كَانُواْ إِخْوَانَ الشَّيَاطِينِ وَكَانَ الشَّيْطَانُ لِرَبِّهِ كَفُورًا وَإِمَّا تُعْرِضَنَّ عَنْهُمُ ابْتِغَاء رَحْمَةٍ مِّن رَّبِّكَ تَرْجُوهَا فَقُل لَّهُمْ قَوْلاً مَّيْسُورًا وَلاَ تَجْعَلْ يَدَكَ مَغْلُولَةً إِلَى عُنُقِكَ وَلاَ تَبْسُطْهَا كُلَّ الْبَسْطِ فَتَقْعُدَ مَلُومًا مَّحْسُورًا إِنَّ رَبَّكَ يَبْسُطُ الرِّزْقَ لِمَن يَشَاء وَيَقْدِرُ إِنَّهُ كَانَ بِعِبَادِهِ خَبِيرًا بَصِيرًا وَلاَ تَقْتُلُواْ أَوْلادَكُمْ خَشْيَةَ إِمْلاقٍ نَّحْنُ نَرْزُقُهُمْ وَإِيَّاكُم إنَّ قَتْلَهُمْ كَانَ خِطْءًا كَبِيرًا وَلاَ تَقْرَبُواْ الزِّنَى إِنَّهُ كَانَ فَاحِشَةً وَسَاء سَبِيلاً وَلاَ تَقْتُلُواْ النَّفْسَ الَّتِي حَرَّمَ اللّهُ إِلاَّ بِالحَقِّ وَمَن قُتِلَ مَظْلُومًا فَقَدْ جَعَلْنَا لِوَلِيِّهِ سُلْطَانًا فَلاَ يُسْرِف فِّي الْقَتْلِ إِنَّهُ كَانَ مَنْصُورًا وَلاَ تَقْرَبُواْ مَالَ الْيَتِيمِ إِلاَّ بِالَّتِي هِيَ أَحْسَنُ حَتَّى يَبْلُغَ أَشُدَّهُ وَأَوْفُواْ بِالْعَهْدِ إِنَّ الْعَهْدَ كَانَ مَسْؤُولاً وَأَوْفُوا الْكَيْلَ إِذا كِلْتُمْ وَزِنُواْ بِالقِسْطَاسِ الْمُسْتَقِيمِ ذَلِكَ خَيْرٌ وَأَحْسَنُ تَأْوِيلاً وَلاَ تَقْفُ مَا لَيْسَ لَكَ بِهِ عِلْمٌ إِنَّ السَّمْعَ وَالْبَصَرَ وَالْفُؤَادَ كُلُّ أُولئِكَ كَانَ عَنْهُ مَسْؤُولاً وَلاَ تَمْشِ فِي الأَرْضِ مَرَحًا إِنَّكَ لَن تَخْرِقَ الأَرْضَ وَلَن تَبْلُغَ الْجِبَالَ طُولاً كُلُّ ذَلِكَ كَانَ سَيٍّئُهُ عِنْدَ رَبِّكَ مَكْرُوهًا ذَلِكَ مِمَّا أَوْحَى إِلَيْكَ رَبُّكَ مِنَ الْحِكْمَةِ وَلاَ تَجْعَلْ مَعَ اللّهِ إِلَهًا آخَرَ فَتُلْقَى فِي جَهَنَّمَ مَلُومًا مَّدْحُورًا" (Coran 17/22-39).

Ash-Shatibî a exprimé cela en les termes suivants :
"اعلم أن القواعد الكلية هي الموضوعة أوَّلًا والذي نزل بها القرآن على النبي صلى الله عليه وسلم بمكة. ثم تبعها أشياء بالمدينة كملت بها تلك القواعد التي وضع أصلها بمكة.
وكان أولها الإيمان بالله ورسوله واليوم الآخر. ثم تبعه ما هو من الأصول العامة، كالصلاة وإنفاق المال وغير ذلك، ونهى عن كل ما هو كفر أو تابع للكفر، كالافتراءات التي افتروها من الذبح لغير الله تعالى، وما جعل لله وللشركاء الذين ادعوهم افتراء على الله، وسائر ما حرموه على أنفسهم، أو أوجبوه من غير أصل مما يخدم أصل عبادة غير الله. وأمر مع ذلك بمكارم الأخلاق كلها كالعدل والإحسان والوفاء بالعهد، وأخذ العفو والإعراض عن الجاهل والدفع بالتي هي أحسن والخوف من الله وحده والصبر والشكر، ونحوها، ونهى عن مساوئ الأخلاق من الفحشاء والمنكر والبغي، والقول بغير علم والتطفيف في المكيال والميزان والفساد في الأرض والزنا والقتل والوأد، وغير ذلك مما كان سائرا في دين الجاهلية. وإنما كانت الجزئيات المشروعات بمكة قليلة والأصول الكلية كانت في النزول والتشريع أكثر.
ثم لمّا خرج رسول الله صلى الله عليه وسلم إلى المدينة واتسعت خطة الإسلام كملت هنالك الأصول الكلية على تدريج كإصلاح ذات البين والوفاء بالعقود، وتحريم المسكرات، وتحديد الحدود التي تحفظ الأمور الضرورية، وما يكملها، ويحسنها ورفع الحرج بالتخفيفات والرخص، وما أشبه ذلك. وإنما ذلك كله تكميل للأصول الكلية"
(Al-Muwâfaqât 2/95-96). Lire : Les règles détaillées (أحكام تفصيلِيّة) qui "sautent immédiatement aux yeux" sont en fait le prolongement et le parachèvement de règles de base, plus générales (أحكام كُلِّيَّة) - par ash-Shâtibî (I).

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Le prophète Joseph (sur lui soit la paix) a fait encore plus : il s'est engagé pour le bien temporel des Egyptiens, et, dans le même temps, il les a invités au monothéisme selon les possibilités qu'il avait. Ibn Taymiyya écrit : "وكذلك يوسف كان نائبًا لفرعون* مصر وهو وقومه مشركون؛ وفعل من العدل والخير ما قدر عليه، ودعاهم إلى الإيمان بحسب الإمكان" : "De même, (le prophète) Joseph était vice-régent du pharaon* d'Egypte, alors que celui-ci et son peuple étaient polythéistes. En fait Joseph a fait, en matière de justice et de bien, ce dont il avait capacité, et les a invités à la foi selon ce qui était possible" (MF 28/67-68 ; Al-Hisba fi-l-islâm, p. 13.) (* L'appellation "roi d'Egypte" serait plus correcte que celle de "pharaon".)
"ومن هذا الباب تولي يوسف الصديق على خزائن الأرض لملك مصر، بل ومسألته أن يجعله على خزائن الأرض، وكان هو وقومه كفارا كما قال تعالى: {ولقد جاءكم يوسف من قبل بالبينات فما زلتم في شك مما جاءكم به} الآية، وقال تعالى عنه: {يا صاحبي السجن أأرباب متفرقون خير أم الله الواحد القهار. ما تعبدون من دونه إلا أسماء سميتموها أنتم وآباؤكم} الآية. ومعلوم أنه مع كفرهم لا بد أن يكون لهم عادة وسنة في قبض الأموال وصرفها على حاشية الملك وأهل بيته وجنده ورعيته، ولا تكون تلك جارية على سنة الأنبياء وعدلهم. ولم يكن يوسف يمكنه أن يفعل كل ما يريد وهو ما يراه من دين الله، فإن القوم لم يستجيبوا له. لكن فعل الممكن من العدل والإحسان ونال بالسلطان من إكرام المؤمنين من أهل بيته ما لم يكن يمكن أن يناله بدون ذلك. وهذا كله داخل في قوله: {فاتقوا الله ما استطعتم}. فإذا ازدحم واجبان لا يمكن جمعهما فقدم أوكدهما لم يكن الآخر في هذه الحال واجبا ولم يكن تاركه لأجل فعل الأوكد تارك واجب في الحقيقة. وكذلك إذا اجتمع محرمان لا يمكن ترك أعظمهما إلا بفعل أدناهما لم يكن فعل الأدنى في هذه الحال محرما في الحقيقة. وإن سمي ذلك ترك واجب وسمي هذا فعل محرم باعتبار الإطلاق، لم يضر. ويقال في مثل هذا: ترك الواجب لعذر وفعل المحرم للمصلحة الراجحة أو للضرورة أو لدفع ما هو أحرم" : "Relève de cela le fait que (le prophète) Joseph le Véridique soit devenu responsable des ressources de la terre pour le Roi d'Egypte, et même le fait qu'il ait demandé à être responsable de ces ressources, alors que ce (Roi) et les siens n'étaient pas croyants. (...) Or il est évident que, de par leur kufr, ils avaient nécessairement une tradition, à propos de prendre des biens et de les répartir sur les courtisans du Roi, sur les gens de sa famille, sur ses gardes et sur ses sujets, qui ne correspondait pas à la tradition et à la justice des prophètes.
Et Joseph ne pouvait pas faire tout ce qu'il voulait et tout ce qu'il considérait, du Dîn de Dieu, car ce peuple ne l'avait pas suivi (en acceptant sa religion).
Mais il fit ce qui était en son possible, de justice et de bienfaisance. Et il obtient, de la part du Roi, comme considération accordée aux croyants de sa famille, ce qu'il n'aurait pas pu obtenir sans cela. Tout cela est inclus dans : "Ayez la Taqwa pour Dieu autant que vous le pouvez"" (MF, 20/56-57).

Ibn Taymiyya écrit également que le type de prédication que prophète Joseph (sur lui soit la paix) fit avec les Egyptiens durant toute sa mission fut par la seule présentation du message [que cette présentation soit discrète ou publique], sans critique ('ayb) des autres religions et systèmes ; ce fut ce type de prédication que le prophète Muhammad (sur lui soit la paix) observa pendant les premières années de sa mission : "كما أخبر الله أنّ يوسف دعا أهل مصر، لكن بغير معاداة لمن لم يؤمن ولا إظهار مناوأة بالذم والعيب والطعن لما هم عليه. كما كان نبيُّنا أول ما أُنزل عليه الوحي، وكانت قريش إذ ذاك تُقرّه ولا يُنْكَرُ عليه. إلى أن أظهر عيبَ آلهتهم ودينهم وعيبَ ما كان عليه آباؤهم وسَفَّهَ أحلامهم؛ فهنالك عادوه وآذوه؛ وكان ذلك جهاداً باللسان (قبل أن يؤمر بجهاد اليد)، قال تعالى: {وَلَوْ شِئْنَا لَبَعَثْنَا في كُلِّ قَرْيَةٍ نَذِيراً فَلا تُطِعِ الكَافِرِينَ وَجَاهِدْهُمْ بِهِ جِهَادَاً كَبِيراً}. وكذلك موسى مع فرعون: أمره أن يؤمن بالله وأن يُرسِل معه بني إسرائيل وإن كره ذلك؛ وجاهد فرعون بإلزامه بذلك بالآيات التي كان الله يعاقبهم بها؛ إلى أن أهلكه الله وقومه على يديه" (Kitâb un-nubuwwât, p. 319).

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9) Saisir les limites des possibilités réelles, pour ne pas engendrer une mafsada plus grande que celle que l'on voulait faire disparaître :

--- Le Prophète (que Dieu l'élève et le salue) a dit : "Dieu a fait débuter cette direction en tant que prophétat et miséricorde. Ensuite cela deviendra un califat et une miséricorde. Ensuite cela deviendra ne royauté mordante. Ensuite cela deviendra une dictature, une arrogance et un mal dans la Umma : ils déclareront licites les relations intimes hors mariage, l'alcool et la soie ; ils auront le dessus ainsi et recevront leur subsistance, jusqu'à ce qu'ils rencontrent Dieu [= qu'ils meurent]" : "عن أبى ثعلبة الخشني، عن أبى عبيدة ابن الجراح ومعاذ بن جبل رضي الله عنهما عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إن الله بدأ هذا الأمر نبوة ورحمة، وكائنا خلافة ورحمة، وكائنا ملكا عضوضا، وكائنا عتوة وجبرية وفسادا فى الأمة، يستحلون الفروج والخمور والحرير، وينصرون على ذلك ويرزقون أبدا حتى يلقوا الله عز وجل"" (al-Bayhaqî : As-Sunan al-kub'râ, 16708, Shu'ab ul-îmân, 5228, Dalâ'ïl un-nubuwwa - Mishkât ul-massâbîh, n° 5375-5376 - hadîth hassan d'après Ibn Hajar).
--- Le Prophète a également dit : "Le prophétat sera présent parmi nous le temps que Dieu le voudra ; puis Dieu l'enlèvera lorsqu'Il voudra l'enlever. Puis il y aura un califat sur le modèle du prophétat le temps que Dieu le voudra ; puis Dieu l'enlèvera. Puis il y aura une royautl'enlèvera. Puis il y aura une royauté dictatoriale le temps que Dieu le voudra ; puis Dieu l'enlèvera. Puis il y aura un califat sur le modèle du prophétat" : "عن حبيب بن سالم، عن النعمان بن بشير قال: "كنا قعودا في المسجد مع رسول الله صلى الله عليه وسلم". وكان بشير رجلا يكف حديثه؛ فجاء أبو ثعلبة الخشني، فقال: "يا بشير بن سعد أتحفظ حديث رسول الله صلى الله عليه وسلم، في الأمراء؟" فقال حذيفة: "أنا أحفظ خطبته". فجلس أبو ثعلبة، فقال حذيفة: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "تكون النبوة فيكم ما شاء الله أن تكون، ثم يرفعها إذا شاء أن يرفعها. ثم تكون خلافة على منهاج النبوة، فتكون ما شاء الله أن تكون، ثم يرفعها إذا شاء الله أن يرفعها. ثم تكون ملكا عاضا، فيكون ما شاء الله أن يكون، ثم يرفعها إذا شاء أن يرفعها. ثم تكون ملكا جبرية، فتكون ما شاء الله أن تكون، ثم يرفعها إذا شاء أن يرفعها. ثم تكون خلافة على منهاج نبوة"" (Ahmad, 18406 ; Silsilat ul-ahâdîth as-sahîha, n° 5 : Omar ibn Abd il-'Azîz était certes un calife très juste, mais, comme l'a fait remarquer al-Albânî, est discutable le fait de considérer qu'il constitue la matérialisation de ce qui avait été annoncé en dernier dans ce hadîth : le fait est que, avant lui, le Mulk Jab'riyya n'était pas encore apparu).
--- "عن أبي عبيدة بن الجراح قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أول دينكم نبوة ورحمة، ثم ملك ورحمة، ثم ملك أعفر، ثم ملك وجبروت يستحل فيها الخمر والحرير". قال أبو محمد: سئل عن أعفر فقال: "يشبهه بالتراب وليس فيه خير" (ad-Dârimî, n° 2146 ; isnâd munqati').
--- "عن مجاهد، عن ابن عباس، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أول هذا الأمر نبوة ورحمة، ثم يكون خلافة ورحمة، ثم يكون ملكا ورحمة، ثم يكون إمارة ورحمة، ثم يتكادمون عليه تكادم الحمر..." (at-Tabarânî fi-l-kabîr, 11138 : As-Silsila as-sahîha, n° 3270).
--- "عن عبد الله بن عمر، أن عمر بن الخطاب رضي الله عنه كان يقول: "إن الله بدأ هذا الأمر حين بدأ بنبوة ورحمة، ثم يعود إلى خلافة، ثم يعود إلى سلطان ورحمة، ثم يعود ملكا ورحمة، ثم يعود جبرية تكادمون تكادم الحمير..." (Al-Hâkim, 8459).

Ces hadîths évoquent une sorte de mouvement "descendant". D'après an-Nadwî, quand al-Hussein (que Dieu l'agrée) se rendit à Kufa pour y établir un émirat, il voulait agir pour rétablir le califat selon son modèle originel et faire en sorte qu'il cesse d'être sur la pente qu'il prenait : celle d'une royauté (Rijâl ul-fikr wa-d-da'wa fi-l-islâm, 1/27-32, 73). Cependant, ce faisant il fit une erreur :
soit une erreur d'appréciation de la situation d'après les mujtahids qui pensent qu'en soi ce qu'il a entrepris est autorisé, mais à condition qu'il y ait qud'ra ;
soit – et c'en est l'interprétation correcte – une erreur d'interprétation d'après les mujtahids qui pensent que l'action même qu'il a ainsi entreprise n'est pas autorisée (même si, ayant fait son ijtihâd, il sera récompensé pour celui-ci, comme tout mujtahid qui se trompe) (cliquez ici pour en savoir plus).
Voyez : même selon la première interprétation (qui n'est pas celle à laquelle j'adhère), les capacités réelles à rétablir l'idéal ne sont pas toujours présentes, et agir en l'absence de capacité entraîne un tort plus grand encore.
Certes, à l'époque de al-Hussein, même si cela n'était plus l'idéal, cela n'avait pas cessé d'être une "Dâru islâm" (au sens particulier du terme), ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Certes. Mais à lire attentivement le hadîth susmentionné, la phase actuelle (où la royauté est devenue dictatoriale et où on déclare licite des choses strictement illicites) n'est qu'un pas de plus dans l'éloignement par rapport à l'idéal.

Aujourd'hui, alors qu'apparemment on se trouve, de façon générale, dans la situation que le Prophète avait décrite en ces termes : "Bada'a-l-islâmu gharîban, wa sa-ya'ûdû kamâ bada'a", il est plus que jamais impératif de tenir compte des réelles possibilités pour avancer.

Malheureusement :
il est un groupe de musulmans qui veulent rétablir l'idéal en entreprenant des actions qui sont en tous temps interdites en islam (par exemple combattre l'autorité parce que celle-ci consomme de l'alcool – ou fait d'autres péchés en public) : eux ignorent ce caractère interdit et croient donc bien faire ;
il est un second groupe qui veulent rétablir l'idéal en entreprenant des actions qui ne sont légales (mashrû') qu'en situation de capacité et qui ne comprennent pas que, à l'échelle mondiale, ce n'est pas le cas des musulmans aujourd'hui (il s'agit par exemple de l'action de renverser le gouvernant dont il est formellement établi qu'il est devenu apostat) ; eux n'ont pas compris que certaines actions ne se font que dans certaines circonstances, quand on dispose réellement de qud'ra ; croyant bien faire, ils aggravent encore plus la situation ;
enfin, il est des gens qui, auparavant, avaient choisi la voie de la réforme lente et pacifique mais, n'ayant pas vu les résultats apparaître malgré les années qui passent, ont décidé de rejoindre le second ou le premier groupes ; la raison de ce revirement chez ceux-là est qu'ils ont été dès le début pressés de voir les résultats apparaître : il s'agit de la isti'jâl, que le Prophète (sur lui la paix) avait regrettée chez ceux de ses Compagnons qui s'étaient plaints à lui des difficultés auxquelles ils faisaient face à la Mecque : "Par Dieu, Dieu fera se réaliser cette affaire, jusqu'à ce que le voyageur circulera de Sanaa jusqu'à Hadramaout n'ayant à craindre que Dieu, et le loup pour son troupeau. Mais vous êtes trop pressés (wa lâkinnakum tasta'jilûn)" (al-Bukhârî).

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Lire :
Dans les pays musulmans : Travailler sur la base, ne pas faire une focalisation sur le haut.

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10) Quelques mots finals :

Avec la confiance en Dieu et le courage d'entreprendre – qui sont deux qualités faisant partie de la foi complète –, il faut aussi la sagesse.

La sagesse consiste d'une part à comprendre de façon fine et nuancée ce que les sources de l'islam disent réellement sur le point auquel on s'intéresse, et d'autre part à comprendre la réalité du contexte dans lequel on vit.

La précipitation (isti'jâl) résulte d'un manque de sagesse.
La précipitation résulte du fait de ne pas avoir compris que sur un certain nombre de points les sources ont conditionné l'action au fait de disposer de possibilités réelles (mashrût bi-l-qud'ra), ou résulte du fait de ne pas avoir compris les limites des possibilités dont on dispose réellement et concrètement (fahmu 'adam il-qud'ra fi-l-wâqi').

La précipitation ne fait qu'aggraver les choses.
La précipitation ne fait, paradoxalement, que retarder la réalisation.

Sagesse sans courage ne mène qu'à la perduration de sa faiblesse. Sagesse sans courage ne mène qu'aux versements de larmes sur le sort des siens, et aux rêves qui ne resteront jamais que rêves.

Mais courage sans sagesse ne mène qu'à l'aggravation de la situation.

Faire preuve de sabr, de patience, ce n'est pas rester passif. Faire preuve de patience, c'est agir comme on le peut là où on se trouve, avec les moyens légaux (mashrû') dont on dispose, en se gardant de vouloir voir apparaître immédiatement les résultats tangibles de ce que l'on fait.

Wallâhu-l-musta'ân (A Dieu nous demandons l'aide).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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