Rechercher la bénédiction (tabarruk) liée à un lieu où le Prophète s'est tenu ou a prié, est-ce autorisé (mashrû') ?

Question :

Lors d'une discussion, un frère m'a dit que rechercher la bénédiction (tabarruk) des lieux où le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a prié, cela n'existe pas. Je lui ai cité le cas de 'Itbân ibn Mâlik, qui a demandé au Prophète de venir prier dans un lieu de sa maison pour qu'ensuite il fasse la prière dans le même lieu ; je lui ai également cité le cas de Abdullâh ibn Omar, qui faisait la prière exactement aux mêmes endroits où le Prophète avait prié pendant son voyage ; mais rien à faire, le frère est resté sur sa position. De ce frère et moi, qui a raison et qui est dans l'erreur ?

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Réponse :

Rechercher la bénédiction liée aux objets que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a utilisés, aux cheveux du Prophète que des Compagnons ont conservés, etc., cela est en soi autorisé (mashrû') : qui a lu les recueils de hadîths sait que les Compagnons le faisaient (des exemples en ont été cités dans un autre de nos articles). Alors bien sûr j'ai précisé "en soi", car il s'agit d'en faire une utilisation bien déterminée (et non pas n'importe quelle utilisation) pour la tabarruk. Mais en tous cas cela est en soi autorisé (mashrû').

Par contre, existe-t-il une bénédiction liée aux lieux où le Prophète a prié, s'est tenu debout, s'est assis, etc., bénédiction que l'on pourrait chercher à obtenir (tabarruk) en accomplissant une prière aux mêmes endroits ?

Certains ulémas, dont Ibn Hajar, pensent que oui, rechercher cette bénédiction est institué (mashrû').

D'autres ulémas, dont Ibn Taymiyya, pensent que cela n'est pas institué (ghayr mashrû').

Et je suis de l'avis de Ibn Taymiyya sur ce point.

Je pense donc que c'est votre interlocuteur qui a raison (wallâhu a'lam).

Comment expliquer alors le hadîth de 'Itbân ibn Mâlik ? Nous allons le voir inshâ Allâh...

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A) Ce que des Compagnons ont fait (et, dans le premier récit que nous allons voir, le Prophète (sur lui soit la paix) a même approuvé ce que le Compagnon a fait) :

A.A) Ce que 'Itbân ibn Mâlik (que Dieu l'agrée) a fait :

'Itbân ibn Mâlik vint trouver le Prophète (sur lui soit la paix) et lui dit : "Messager de Dieu, ma vue a baissé, et je dirige la prière pour les gens de mon (clan). Lorsqu'il y a des pluies, l'oued qui se trouve entre moi et eux coule, et je ne peux pas me rendre dans leur mosquée pour y diriger la prière. J'aimerais, ô Messager de Dieu, que tu viennes chez moi et accomplisses la prière dans ma maison, afin que je prenne ce (lieu) comme lieu de prière." Le Prophète lui promit : "Je le ferai, inshâ Allâh." Un jour, accompagné de Abû Bakr, le Prophète arriva donc chez 'Itbân dans la matinée, demanda la permission d'entrer, puis, l'ayant reçue de 'Itbân, demanda à celui-ci : "En quel endroit de ta maison veux-tu que j'accomplisse la prière ?" 'Itbân lui indiqua un coin de sa maison, et le Prophète y accomplit alors en congrégation deux cycles de prière. Puis le propriétaire des lieux lui offrit une petite collation (al-Bukhârî 414, 415 etc., Muslim 33).
On voit ici 'Itbân ibn Mâlik faire cette demande au Prophète, et le Prophète accepter et donc approuver (taqrîr) par son action et sa parole le contenu de sa demande.

Anas ibn Mâlik relate qu'un homme parmi les Ansâr vint trouver le Prophète et lui dit : "Je ne peux pas assister à la prière avec toi" ; cet homme, dit Anas, était très corpulent. Il prépara alors quelque chose à manger au Prophète. Et il invita le Prophète à venir à sa maison. Il y installa une natte, qu'il humidifia. Le Prophète y accomplit deux cycles de prière (al-Bukhârî 639 etc.). Ibn Hajar écrit que ce récit pourrait correspondre à celui évoquant 'Itbân, car "les deux récits sont très proches", mais ce n'est qu'une possibilité, car cela n'a nulle part été stipulé explicitement (FB 2/206).

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A.B) Ce que Abdullâh ibn Salâm (que Dieu l'agrée) a dit :

: "عن أبي بردة قال: قدمت المدينة، فلقيني عبد الله بن سلام، فقال لي: "انطلق إلى المنزل، فأسقيك في قدح شرب فيه رسول الله صلى الله عليه وسلم، وتصلي في مسجد صلى فيه النبي صلى الله عليه وسلم". فانطلقت معه، فسقاني سويقا، وأطعمني تمرا، وصليت في مسجده" :
Abû Burda raconte : "J'arrivais à Médine. Abdullâh ibn Salâm me rencontra et me dit : "Viens à la maison, je te donnerai à boire dans un récipient dans lequel le Messager de Dieu a bu, et tu accompliras la prière dans un lieu de prière ("masjid") dans lequel le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a accompli la prière." Je partis alors avec lui. Il me donna du sawîq à boire et des dattes à manger. Et j'accomplis la prière dans son lieu de prière [= celui de Abdullâh ibn Salâm]" (al-Bukhârî, 6910).

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A.C) Ce que Salama ibn ul-Akwa' (que Dieu l'agrée) faisait :

"حدثنا المكي بن إبراهيم، قال: حدثنا يزيد بن أبي عبيد، قال: كنت آتي مع سلمة بن الأكوع فيصلي عند الأسطوانة التي عند المصحف، فقلت: "يا أبا مسلم، أراك تتحرى الصلاة عند هذه الأسطوانة". قال: "فإني رأيت النبي صلى الله عليه وسلم يتحرى الصلاة عندها" :
Yazîd ibn Abî 'Ubayd
relate : "Je venais en compagnie de Salama ibn ul-Akwa'. Il accomplissait la prière facultative [qui suit certaines des prières obligatoires] auprès du pilier (ustuwâna) qui se trouve près de (l'endroit où est placée) [aujourd'hui] la copie (du Coran). Je lui dis (un jour) : "Abû Muslim, je vois que tu cherches (tataharrâ) à faire la prière auprès de ce pilier ? – J'ai vu le Prophète chercher (yataharrâ) à faire la prière auprès de ce (pilier)", me répondit-il" (al-Bukhârî 480, Muslim 509).

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A.D) Ce que Abdullâh ibn Omar (que Dieu l'agrée) faisait :

Mûssâ ibn 'Uqba relate : "J'ai vu Sâlim ibn Abdillâh chercher (yataharrâ) certains lieux sur le chemin pour y accomplir la prière [= différentes prières]. Il racontait que son père [Abdullâh ibn Omar] y accomplissait la prière [= différentes prières], et que celui-ci a vu le Prophète accomplir la prière [= les différentes prières] en ces lieux." (Mûssâ ibn 'Uqba dit aussi : ) "Et Nâfi' [un ancien esclave, affranchi par Abdullâh ibn Omar] m'a relaté de Ibn Omar qu'il accomplissait la prière [= différentes prières] en ces lieux. Tous deux [= Sâlim et Nâfi'] ont cependant divergé dans un lieu de prière, à la colline de ar-Rawhâ'" (al-Bukhârî 469).
Dans Sahîh ul-Bukhârî, on lit ensuite une autre relation de Mûssâ ibn 'Uqba qui tient de Nâfi' le détail de ces différents lieux où le Prophète avait accompli les prières lors de son déplacement depuis Médine jusqu'à la Mecque.
Il est au moins un de ces lieux (après avoir quitté ar-Rawhâ') où c'était dans son voisinage qu'une mosquée avait par la suite été construite, et Abdullâh ibn Omar, se rappelant le lieu précis où le Prophète avait accompli la prière, veillait à accomplir la prière en ce lieu, ce dernier se trouvant à une certaine distance de la mosquée. Voir le récit complet dans Sahîh ul-Bukhârî (n° 470 d'après la numérotation de al-Bughâ). Ce récit ne dit cependant pas si Abdullâh ibn Omar s'arrêtait en chemin à chacun des lieux où le Prophète avait accompli les différentes prières obligatoires de la journée, ou bien s'il s'arrêtait à certains de ces lieux seulement.

Sur ce hadîth et d'autres, al-Bukhârî a titré : "باب: المساجد التي على طرق المدينة، والمواضع التي صلى فيها النبي صلى الله عليه وسلم" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb us-salât, bâb 89).

Lors de la conquête de la Mecque, le Prophète entra dans la Kaaba accompagné de Bilâl, de Ussâma et de 'Uthmân (ibn Tal'ha). Il y demeura un long moment de la journée, puis en ressortit. Abdullâh ibn Omar raconte avoir été le premier de tous à y entrer quand le Messager de Dieu en fut sorti, et, rencontrant Bilâl derrière la porte de la Kaaba, il le questionna : "Le Messager de Dieu y a-t-il accompli une prière ?" (al-Bukhârî 1521) ; "Où ?" (al-Bukhârî, 4139). Bilâl lui répondit que le Prophète avait prié le dos tourné à la porte de la Kaaba (al-Bukhârî, 4139) : celle-ci comportait alors 6 piliers ('amûd), en 2 rangées (al-Bukhârî, 4139). Bilâl informa Ibn Omar que le Prophète s'était placé du côté de la rangée de piliers se trouvant du côté du Yémen (1521), ayant laissé deux piliers à sa droite et le troisième à sa gauche (al-Bukhârî, 483). Abdullâh ibn Omar dit : "J'oubliai de lui demander combien de cycles le Messager de Dieu avait-il accompli (à l'intérieur de la Kaaba)" (al-Bukhârî, 2826).
Or, plus tard, quand Abdullâh ibn Omar entrait à l'intérieur de la Kaaba, il accomplissait une prière à l'endroit exact ("yatawakhkha-l-makân") où le Prophète l'avait fait le jour de la conquête de la Mecque. Il précisait néanmoins que la prière est valable en tout endroit à l'intérieur de la Kaaba (al-Bukhârî, 484, 1522).

Par contre : Ibn Omar a désapprouvé qu'on touche la tombe du Prophète (sur lui soit la paix) : "عن نافع، عن ابن عمر أنه كان يكره مس قبر النبي صلى الله عليه وسلم" (rapporté avec la chaîne de transmission dans Mu'jam ush-shuyûkh al-kabîr, adh-Dhahabî).

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B) Ce que Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) a fait et a dit :

B.A) A propos de l'arbre de al-Hudaybiya :

Nâfi' relate : "Des gens se rendaient auprès de l'arbre sous lequel le serment avait eu lieu, que l'on appelle "l'arbre de la Satisfaction", et effectuent la prière auprès de lui. La nouvelle de ce fait parvient à Omar ibn ul-Khattâb ; il leur donna un avertissement à ce sujet, et il donna  l'ordre que cet (arbre) soit coupé ; ce qui fut fait" :
"حدثنا معاذ بن معاذ، قال: أنا ابن عون، عن نافع، قال: بلغ عمر بن الخطاب أن ناسا يأتون الشجرة التي بويع تحتها؛ قال: فأمر بها فقطعت" (Mussannaf Ibn Abî Shayba, n° 7545, 2/375 – n° 7627, 5/179 dans l'édition que je possède).
"أخبرنا عبد الوهاب بن عطاء، أخبرنا عبد الله بن عون، عن نافع، قال: "كان الناس يأتون الشجرة التي يقال لها شجرة الرضوان فيصلون عندها. قال: فبلغ ذلك عمر بن الخطاب، فأوعدهم فيها، وأمر بها فقطعت" (Ibn Sa'd, at-Tabaqât ul-kub'râ : "chaîne de transmission saine" : Fat'h ul-bârî 7/558).

Que des gens venaient effectuer la prière à cet emplacement, cela a été relaté par Târiq ibn Abdir-Rahmân aussi, qui l'a vu de ses propres yeux : "عن طارق بن عبد الرحمن، قال: انطلقت حاجا؛ فمررت بقوم يصلون، قلت: "ما هذا المسجد؟" قالوا: "هذه الشجرة، حيث بايع رسول الله صلى الله عليه وسلم بيعة الرضوان". فأتيت سعيد بن المسيب فأخبرته. فقال سعيد: "حدثني أبي أنه كان فيمن بايع رسول الله صلى الله عليه وسلم تحت الشجرة، قال: "فلما خرجنا من العام المقبل نسيناها، فلم نقدر عليها". فقال سعيد: "إن أصحاب محمد صلى الله عليه وسلم لم يعلموها وعلمتموها أنتم؟ فأنتم أعلم" (al-Bukhârî, 3930).
Les gens évoqués dans cette seconde relation venaient faire cette Tabarruk :
--- soit, eux aussi, avant que Omar ibn ul-Khattâb fasse couper l'arbre ; et, alors, soit il s'agissait de l'arbre véritable, mais seuls certains Compagnons (parmi lesquels Jâbir ibn Abdillâh) se souvenaient duquel il s'agissait, alors que d'autres (al-Massayyib, Ibn Omar et d'autres encore) en avaient oublié l'emplacement exact ; soit il s'agissait d'un arbre quelconque de la place, que ces gens pensaient être le véritable (alors que ce dernier avait été oublié par trop de Compagnons pour que eux puissent le retrouver) ;
--- soit, pour leur part, après que Omar ibn ul-Khattâb ait fait couper l'arbre : ils se rendaient alors seulement à l'emplacement (soit véritable, soit présumé par eux) de l'arbre. En tous cas, apparemment quand Jâbir ibn Abdillâh dit : "Et si je voyais (encore) aujourd'hui, je vous montrerais le lieu de l'arbre" : "ولو كنت أبصر اليوم، لأريتكم مكان الشجرة" (al-Bukhârî, 3923), l'arbre n'était déjà plus là (FB 7/558).

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B.B) A propos d'un lieu où le Prophète (sur lui soit la paix) avait accompli la prière :

"حدثنا أبو معاوية، عن الأعمش، عن المعرور بن سويد قال: خرجنا مع عمر في حجة حجها، فقرأ بنا في الفجر: {ألم تر كيف فعل ربك بأصحاب الفيل}، و{لإيلاف قريش}. فلما قضى حجه ورجع، والناس يبتدرون؛ فقال: "ما هذا؟" فقالوا: "مسجد صلى فيه رسول الله صلى الله عليه وسلم". فقال: "هكذا هلك أهل الكتاب: اتخذوا آثار أنبيائهم بيعا. من عرضت له منكم فيه الصلاة، فليصل؛ ومن لم تعرض له منكم فيه الصلاة، فلا يصل" : Al-Ma'rûr ibn Suwayd relate : "Nous sommes allés avec Omar pour un pèlerinage qu'il fit. [Un jour] dans la prière de l'aube, il récita, dans la prière qu'il dirigea devant nous, les sourates al-Fîl et Quraysh. Lorsqu'il eut terminé son pèlerinage et qu'il retournait, (il vit) des gens se précipiter. "Qu'est-ce ?" demanda-t-il. On lui dit : "(C'est) un lieu dans lequel le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse et le salue, a accompli la prière." Il dit alors : "C'est ainsi que se perdirent les gens du Livre : ils prirent les lieux (âthâr) de leurs prophètes comme lieux de culte [adressé à Dieu]. Celui d'entre vous à qui une prière survient en ce lieu, qu'il (y) accomplisse la prière ! Et celui d'entre vous à qui une prière ne survient pas en ce lieu, qu'il n'(y) accomplisse pas la prière !" (Mussannaf Ibn Abî Shayba, n° 7550, 2/376-377 – n° 7632, 5/183 dans l'édition que je possède. Cité également dans Fat'h ul-bârî 1/731, et dans Al-Iqtidhâ', p. 355, avec, comme dernière phrase : "Et celui d'entre vous à qui une prière ne survient pas en ce lieu, qu'il passe !" ).

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C) Selon les ulémas qui, à l'instar de Ibn Hajar, autorisent la tabarruk par le lieu :

Selon ces ulémas, 'Itbân ibn Mâlik rechercha effectivement la bénédiction liée au lieu où le Prophète a accompli la prière. Il existe donc bien une bénédiction liée au lieu que le Prophète a choisi pour y accomplir la prière, et il est autorisé (mashrû') de rechercher la bénédiction liée à un tel lieu (Fat'h ul-bârî 1/677).

Si on retient cette façon de voir, ce serait la même explication qui vaut pour l'action de Salama ibn ul-Akwa' : il recherchait la bénédiction du lieu que le Prophète choisissait (souvent) pour accomplir des prières.

Ibn Hajar écrit qu'il existe aussi une bénédiction liée au lieu que le Prophète a simplement foulé, bénédiction que l'on peut donc rechercher aussi (Fat'h ul-bârî 1/677).

Le fait que Abdullâh ibn Omar accomplissait la prière, lors d'un voyage, dans les mêmes lieux où le Prophète l'avait fait montre qu'il est également autorisé de rechercher la bénédiction des lieux où le Prophète a prié sans les avoir dûment choisis (Fat'h ul-bârî 1/736).

Quant au propos de Omar ibn ul-Khattâb, Ibn Hajar cherche à l'interpréter de façon à ce qu'il ne contredise pas ces faits. Selon lui, l'interdiction faite par Omar concerne :
– le fait de se rendre dans ce genre de lieu sans que ce soit pour y accomplir de prière [mais seulement pour s'y tenir] ;
– ou le fait de considérer nécessaire de se rendre dans ce genre de lieu [fût-ce pour y accomplir une prière] (Fat'h ul-bârî 1/736).

La première de ces deux raisons ne tient la route que si on interprète le propos de Omar ainsi : "Celui d'entre vous qui (veut accomplir) une prière en ce lieu, qu'il (y) accomplisse la prière ! Et sinon [= s'il n'a pas l'intention d'y accomplir une prière facultative], qu'il passe !"

Ce serait la première de ces deux raisons qui explique (toujours selon cette façon de voir les choses) le geste de Omar ayant fait couper l'arbre de al-Hudaybiya : les gens s'y rendaient pour s'y tenir debout, et non pas pour y accomplir une prière.

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D) Selon les ulémas qui, à l'instar de Ibn Taymiyya, ne reconnaissent pas la tabarruk par le lieu :

D.A) Explication du dire de Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) à propos de l'endroit où le Prophète avait prié :

Dans ce propos, Omar ibn ul-Khattâb n'a pas voulu blâmer le seul fait de se rendre dans ce lieu sans y accomplir de prière (comme l'a proposé Ibn Hajar dans la première des deux interprétations qu'il en a faites). La preuve en est que Omar a explicitement dit dans son propos que c'est le fait de faire des prières spécialement dans ces lieux qui est blâmable : "C'est ainsi que se perdirent les gens du Livre : ils prirent les lieux (âthâr) de leurs prophètes comme lieux de culte."

Dans son propos, le calife Omar a donc voulu en fait dire : "Celui d'entre vous sur qui (l'heure d') une prière survient en ce lieu, qu'il (y) accomplisse la prière ! Et celui d'entre vous sur qui (l'heure d') une prière ne survient pas en ce lieu, qu'il n'(y) accomplisse pas la prière !"

On voit ici que Omar (que Dieu l'agrée) a dit deux choses à propos d'un tel lieu :
celui qui se trouve en ce lieu (ou dans les parages) alors que (l'heure d') une prière survient, celui-là peut accomplir cette prière en ce lieu précis (l'impératif ayant été employé induit une simple autorisation, ibâha) ;
par contre, celui qui se trouve en ce lieu (ou dans les parages) ne doit pas accomplir une prière rituelle spécialement par rapport au lieu, prière qu'il n'aurait pas accomplie s'il n'était pas arrivé en ce lieu.

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D.B) Explication du geste de Omar ibn ul-Khattâb par rapport à l'arbre :

Si Omar a interdit de se rendre auprès de l'arbre, c'est parce que les gens dont il est question dans cette narration se rendaient auprès de cet arbre :
soit avec une intention de faire ainsi une 'ibâda (au sens particulier du terme : cliquez ici), ce qui correspond à "un pèlerinage" ;
soit avec une intention de tabarruk : ils pensaient que se tenir dans ce lieu où le Prophète s'était assis, cela apporte de la bénédiction (baraka), ce qui s'exprime par la plus grande valeur d'une prière qu'on ferait sous cet arbre (baraka dîniyya), par l'acceptation des invocations qu'on ferait près de cet arbre (baraka dîniyya), ou par la guérison de certaines maladies par le fait de se rendre sous cet arbre (baraka dunyawiyya).
Si Omar ibn ul-Khattâb fit couper cet arbre, c'est donc parce qu'il pensait que ces deux objectifs constituent, par rapport à ce lieu, de l'innovation (bid'a).

Par contre, se rendre en pareil endroit avec le seul objectif d'approfondir ses connaissances, par la découverte de la configuration des lieux, etc.,(c'est-à-dire avec une intention intellectuelle), cela demeure autorisé. Voilà pourquoi un Compagnon du Prophète, Jâbir ibn Abdillâh, a dit au sujet du lieu où le serment avait pris place à al-Hudaybiya : "Si je voyais encore aujourd'hui, je vous montrerais le lieu où (se trouvait) l'arbre" : "عن جابر بن عبد الله - رضي الله عنهما -، قال: قال لنا رسول الله صلى الله عليه وسلم يوم الحديبية: "أنتم خير أهل الأرض"، وكنا ألفا وأربع مائة. ولو كنت أبصر اليوم، لأريتكم مكان الشجرة" (al-Bukhârî, 3923) : il ne leur aurait pas montré ce lieu pour qu'ils y accomplissent une prière rituelle, par tabarruk ; il le leur aurait montré sur le plan d'enrichissement des connaissances.
Le fait est que des objectifs différents peuvent ainsi, pour certaines actions, entraîner des caractères différents : bid'a / mashrû'iyya (cliquez ici et ici pour en savoir plus). C'est pourquoi, quand on se rend à la Mecque, à Médine et en d'autres lieux de la région, si on part visiter (ziyâra) les lieux historiques (grotte de Hirâ', grotte de Thawr, mont Uhud, mosquée "aux deux qibla", puits de Badr, etc.) avec un objectif de découverte historique et/ou géographique, d'approfondissement de ses connaissances, d'obtention dans son esprit d'une image des lieux permettant de mieux comprendre les récits qu'on a lus et qu'on lira encore sur le sujet, cela est autorisé. Par contre, si on le fait avec un objectif de 'ibâda, de "pèlerinage", cela est une innovation (bid'a). De même, si on le fait avec un objectif de ta'abbud (pensant que ta'abbudan il est recommandé de faire cela), cela est également une innovation (bid'a).
Afin que de l'objectif "autorisé" on ne passe pas sans s'en rendre compte à l'objectif "bid'a", on s'abstiendra de considérer nécessaire de se rendre à ces endroits chaque fois que l'on se rend en pèlerinage (hajj ou 'umra), ou de percevoir sa visite à La Mecque ou Médine comme étant incomplète s'il arrive qu'on ne se rende pas en ces lieux chargés d'histoire.
D'ailleurs, cette fatwa autorisant de se rendre dans ces lieux pour les visiter (زيارة هذه المشاهد), il faut la nuancer par la fatwa de Ahmad ibn Hanbal dont la synthèse est que se rendre dans ces lieux est autorisé tant que cela n'est pas pris comme habitude : "لا بأس باليسير من ذلك" (avis cité in Al-Iqtidhâ', pp. 354-355).

Par contre, se rendre à la mosquée de Qubâ peut être fait avec un objectif de ta'abbud (l'objectif est d'y accomplir une prière) : cela, le Prophète l'a institué (dans un hadîth rapporté par an-Nassâ'ï, 699). D'après Ibn Taymiyya, se rendre dans la mosquée de Qubâ est institué une fois qu'on est à Médine, mais pas s'il s'agit d'entreprendre tout un voyage de chez soi avec l'objectif principal de s'y rendre. D'après Muhammad ibn Maslama parmi les malikites, cela est institué même s'il s'agit d'entreprendre tout un voyage spécialement ou principalement pour cela, et cela constitue donc une exception supplémentaire, à côté des 3  mosquées les plus importantes.

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D.C) Comment comprendre alors ce que Abdullâh ibn Omar a fait ?

Abdullâh ibn Omar ne recherchait pas une bénédiction liée à ces lieux (tabarruk bi-l-makân) (soit le cas 1 plus bas), mais cherchait à imiter le Prophète même dans les actions involontaires de celui-ci : il cherchait donc à accomplir la prière à l'endroit exact où le Prophète l'avait accomplie, par imitation pointilleuse (iqtidâ' shadîd) (soit le cas 2.1.1).
La preuve en est qu'il n'accomplissait pas la prière en un endroit où le Prophète s'était seulement assis ou tenu debout (MF 17/475). Il faisait seulement, en chaque lieu, le même geste que le Prophète avait fait.
Ainsi, passant en voyage près d'un lieu, Abdullâh ibn Omar s'en écarta ; quelqu'un lui ayant demandé : "Pourquoi as-tu fait ainsi ?", il expliqua : "J'ai vu le Messager de Dieu faire ainsi. Je l'ai donc fait aussi" (Ahmad 4870). C'était donc bien, de la part de Abdullâh ibn Omar, de la iqtidâ' shadîd, et pas de la tabarruk bi-l-makân. En fait ce Compagnon du Prophète cherchait à faire chaque action exactement comme le Prophète l'avait faite : d'autres exemples sont visibles dans un autre article.

Par ailleurs, même en terme d'imitation (iqtidâ'), Abdullâh ibn Omar ne faisait pas une prière spécialement parce qu'il était arrivé dans un tel lieu (soit le cas 2.1.2) – et a fortiori il ne faisait pas le cas 2.2 : il ne se déplaçait pas pour se rendre dans un tel lieu. La relation de Nâfi' plus haut citée mentionne explicitement que, lors de son voyage, par rapport à certains des lieux évoqués, il accomplissait ici la prière de zuhr, là la prière de l'aube, etc. (voir le récit rapporté par al-Bukhârî, n° 470).

Ce que Abdullâh ibn Omar faisait relève donc du premier cas de figure évoqué par son père Omar ibn ul-Khattâb, autorisé (mashrû') : le cas 2.1.1 dans notre numérotation. Ibn Taymiyya l'a explicitement écrit (Al-Iqtidhâ', p. 388). L'action de Abdullâh ibn Omar ne contredit donc nullement le dire de son père Omar ibn ul-Khattâb.

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D.D) Comment comprendre alors ce que Salama ibn ul-Akwa' a fait ?

Salama ibn ul-Akwa' recherchait, à l'intérieur de la mosquée de Médine, le lieu précis où le Prophète accomplissait autrefois la prière, pour y accomplir lui aussi la prière qu'il faisait à la mosquée. C'était, comme pour Abdullâh ibn Omar, de la iqtidâ' shadîd, de l'imitation pointilleuse.

Ce qu'il faisait est néanmoins légèrement différent de ce que Abdullâh ibn Omar faisait, dans la mesure où le lieu que lui, Salama, choisissait pour y accomplir la prière était un lieu que le Prophète avait volontairement choisi pour y accomplir la prière. Tandis que celui que Abdullâh choisissait pour y accomplir telle prière était un lieu que le Prophète n'avait pas volontairement choisi pour y prier.

Mais dès lors que ce que Abdullâh ibn Omar a fait est autorisé (cas 2.1.1 : choisir, pour accomplir la prière dont l'heure est arrivée, le lieu où le Prophète a effectué la prière sans l'avoir choisi, et ce par iqtidâ'), ce que Salama a fait est a fortiori autorisé (choisir, par iqtidâ', pour accomplir la prière dont l'heure est arrivée (2.1.1), le lieu où le Prophète a prié en l'ayant choisi).

Il est cependant à noter que c'était apparemment par simple maslaha – et non par ta'abbud – que le Prophète choisissait ce lieu précis – derrière tel pilier de la mosquée – pour y accomplir la prière. Le fait que Salama choisisse donc ce lieu pour y accomplir la prière était donc mubâh mais ne constituait pas une qurba (c'est l'avis que j'ai retenu dans l'article parlant d'imiter le Prophète (sur lui soit la paix)).

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D.E) Et comment comprendre le hadîth de 'Itbân ibn Mâlik si la tabarruk par le lieu n'est pas autorisée (ghayr mashrû') ?

Plusieurs autres interprétations que celle évoquée plus haut (en C) existent :
soit, étant malvoyant, 'Itbân voulait tout simplement que le Prophète détermine pour lui la direction exacte de la Kaaba (c'est ce que Ibn Hajar a évoqué comme autre possibilité : Fat'h ul-bârî 1/677) ;
soit 'Itbân voulait pouvoir suivre l'action du Prophète (iqtidâ') dans le lieu choisi par celui-ci pour y accomplir la prière, ce qui revient au même cas que celui de Salama ibn ul-Akwa' plus haut évoqué ;
soit 'Itbân voulait que ce soit le Prophète qui "trace", donc en quelque sorte qui "fonde", le lieu qui serait pour lui un lieu de prière : "ففي هذا الحديث دلالة على أن من قصد أن يبني مسجده في موضع صلاة رسول الله صلى الله عليه وسلم فلا بأس به، وكذلك قصد الصلاة في موضع صلاته؛ لكن هذا كان أصل قصده بناء مسجد، فأحب أن يكون موضعا يصلي له فيه النبي صلى الله عليه وسلم، ليكون النبي صلى الله عليه وسلم هو الذي يرسم المسجد. بخلاف مكان صلى فيه النبي صلى الله عليه وسلم اتفاقا فاتخذ مسجدا لا لحاجة إلى المسجد لكن لأجل صلاته فيه" : Al-Iqtidhâ', p. 357 ; "فإنه قصد أن يبني مسجدا وأحب أن يكون أول من يصلي فيه النبي صلى الله عليه وسلم، وأن يبنيه في الموضع الذي صلى فيه. فالمقصود كان بناء المسجد وأراد أن يصلي النبي صلى الله عليه وسلم في المكان الذي يبنيه. فكانت الصلاة مقصودة لأجل المسجد، لم يكن بناء المسجد مقصودا لأجل كونه صلى فيه اتفاقا" : MF 17/468). Cela est comparable au fait que c'est le Prophète qui a fondé la mosquée de Qubâ' ainsi que sa mosquée à Médine ; le fait est qu'une mosquée fondée (ussissa) sur la piété est meilleure qu'une mosquée fondée sur l'absence de piété. Or on est certain que la mosquée que c'est le Prophète qui la fonde et le lieu que c'est le Prophète qui le trace pour être un lieu de prière sont respectivement fondés et tracés sur la piété ;
soit il s'est agi de ce que de ce que as-Saqqâf a écrit (qui reprend mais aussi enrichit l'explication précédente) : "فكل ما في الأمر أن عتبان كل بصره، وفعل فعلا كان يرى عليه فيه غضاضة، وهو صلاته في بيته؛ فأراد إقرار النبي صلى الله عليه وسلم له على فعله. وأراد النبي صلى الله عليه وسلم إكرامه ومواساته، وهو الرؤوف الرحيم بصحابته وبالمؤمنين صلى الله عليه وسلم" (dorar.net) : 'Itbân savait qu'il est moins bien d'accomplir les prières obligatoires chez soi au lieu de les accomplir à la mosquée en congrégation. Même s'il était excusable (car étant devenu malvoyant alors même qu'entre sa demeure et la mosquée se trouvait un oued qui coulait lorsqu'il pleuvait), il voulut donc une approbation évidente de la part du Prophète avant de commencer à le faire. Aussi souhaita-t-il du Prophète une approbation par le geste. C'est pourquoi il voulut que ce soit le Prophète qui accomplisse le premier une prière en congrégation (fût-elle facultative) en ce lieu, afin que, par la suite, ce soit le cœur léger qu'il puisse y accomplir les prières obligatoires, s'agissant pour lui d'imiter le Prophète par rapport au lieu. Le Prophète, ayant compris sa motivation, accepta donc de venir le faire, lui apportant ainsi un certain réconfort moral par rapport au fait qu'il ne pourrait plus se joindre à la mosquée de son quartier.

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D.F) Et comment comprendre le propos que Abdullâh ibn Salâm tint à Abû Burda ?

Abdullâh ibn Salâm avait proposé à Abû Burda : "Viens à la maison, je te donnerai à boire dans un récipient dans lequel le Messager de Dieu a bu, et tu accompliras la prière dans un lieu de prière ("masjid") dans lequel le Prophète a accompli la prière." Cependant, Abû Burda relate bien qu'il "accomplit alors la prière dans le lieu de prière de (Abdullâh ibn Salâm)" : "عن أبي بردة قال: قدمت المدينة، فلقيني عبد الله بن سلام، فقال لي: "انطلق إلى المنزل، فأسقيك في قدح شرب فيه رسول الله صلى الله عليه وسلم، وتصلي في مسجد صلى فيه النبي صلى الله عليه وسلم". فانطلقت معه، فسقاني سويقا، وأطعمني تمرا، وصليت في مسجده" (al-Bukhârî, 6910).

Il s'agissait donc bien de la masjid ul-bayt, le lieu de prière que Abdullâh ibn Salâm avait établi chez lui pour y accomplir des prières facultatives (comme le Prophète en avait une dans sa propre maison) ; et le Prophète lui-même avait effectué la prière dans la masjid ul-bayt de Abdullâh ibn Salâm.
Nous sommes alors dans un cas similaire :
--- à celui de Salama ibn ul-Akwa'.

Par ailleurs, l'invitation de Abdullâh ibn Salâm concernait principalement le fait de venir chez lui, et secondairement le fait d'y accomplir la prière facultative dans le lieu où le Prophète l'avait fait (soit le cas 2.1.1) (il ne s'agissait pas d'y venir avec l'objectif d'y accomplir une prière à cause du fait de se trouver dans le même lieu : pas le cas 2.1.2 cité plus bas).
Cela figure clairement dans une autre relation du même récit. Abû Burda y relate : "J'arrivais à Médine. J'[y] rencontrai Abdullâh ibn Salâm. Il me dit : "Ne viendras-tu pas [chez moi], que je te donne du sawîq et des dattes à manger, et que tu entres dans une maison ?"" : "عن أبي بردة،: أتيت المدينة فلقيت عبد الله بن سلام رضي الله عنه، فقال: "ألا تجيء فأطعمك سويقا وتمرا، وتدخل في بيت". ثم قال: "إنك بأرض الربا بها فاش، إذا كان لك على رجل حق، فأهدى إليك حمل تبن، أو حمل شعير، أو حمل قت، فلا تأخذه فإنه ربا" (al-Bukhârî, 3603).

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E) Synthèse détaillée des deux fait et dire (B.A et B.B) de Omar ibn ul-Khattâb :

I) Accomplir une prière rituelle dans le lieu précis où le Prophète s'était seulement tenu debout, ou assis : cela n'est pas mashrû'.

Et Ibn Omar n'a jamais fait cela.

"ومع هذا فابن عمر رضي الله عنهما لم يكن يقصد أن يصلي إلا في مكان صلى فيه النبي صلى الله عليه وسلم؛ لم يكن يقصد الصلاة في موضع نزوله ومقامه. ولا كان أحد من الصحابة يذهب إلى الغار المذكور في القرآن للزيارة والصلاة فيه - وإن كان النبي صلى الله عليه وسلم وصاحبه أقاما به ثلاثا يصلون فيه الصلوات الخمس - ولا كانوا أيضا يذهبون إلى حراء وهو المكان الذي كان يتعبد فيه قبل النبوة وفيه نزل عليه الوحي أولا وكان هذا مكان يتعبدون فيه قبل الإسلام فإن حراء أعلى جبل كان هناك" (MF 17/475-476). "إلا ما نقل عن ابن عمر أنه كان يتحرى النزول في المواضع التي نزل فيها النبي صلى الله عليه وسلم، والصلاة في المواضع التي صلى فيها. حتى إن النبي صلى الله عليه وسلم توضأ وصب فضل وضوئه في أصل شجرة؛ ففعل ابن عمر ذلك. وهذا من ابن عمر تحر لمثل فعله، فإنه قصد أن يفعل مثل فعله، في نزوله وصلاته وصبه للماء وغير ذلك؛ لم يقصد ابن عمر الصلاة والدعاء في المواضع* التي نزلها" (Al-Iqtidhâ', p. 388) (* اي: في المواضع التي نزل فيها ولم يُصلّ فيها).

–-- Quant à rechercher le lieu de la tombe du Prophète pour accomplir, le plus près d'elle, une prière rituelle (pensant bénéficier ainsi de la bénédiction de la terre qui touche le corps du Prophète, sur lui soit la paix), cela est encore plus interdit (vu les mises en garde que le Prophète avait faites concernant sa future tombe).
"ولا تستحب الصلاة - لا الفرض ولا النفل - عند قبر نبي ولا غيره بإجماع المسلمين؛ بل ينهى عنه. وكثير من العلماء يقول: هي باطلة، لما ورد في ذلك من النصوص. وإنما البقاع التي يحبها الله ويحب الصلاة والعبادة فيها هي المساجد التي قال الله فيها: {في بيوت أذن الله أن ترفع ويذكر فيها اسمه يسبح له فيها بالغدو والآصال} وقال تعالى: {إنما يعمر مساجد الله من آمن بالله واليوم الآخر وأقام الصلاة وآتى الزكاة ولم يخش إلا الله فعسى أولئك أن يكونوا من المهتدين}؛ وسئل النبي صلى الله عليه وسلم: "أي البقاع أحب إلى الله؟" قال: "المساجد"؛ قيل: "فأي البقاع أبغض إلى الله؟" قال: "الأسواق". وقال صلى الله عليه وسلم: "من غدا إلى المسجد أو راح أعد الله له نزلا كلما غدا أو راح". وقال: "إن العبد إذا تطهر فأحسن الوضوء ثم خرج إلى المسجد لا يخرجه إلا الصلاة كانت خطوتاه إحداهما ترفع درجة والأخرى تحط خطيئة". فدين الإسلام هو اتباع ما بعث الله به رسوله من أنواع المحبوبات واجتناب ما كرهه الله ورسوله من البدع والضلالات وأنواع المنهيات" (MF 27/62-63).
"فصل: وقد تبين الجواب في سائر المسائل المذكورة بأن قصد الصلاة والدعاء عندما يقال إنه قدم نبي أو أثر نبي أو قبر نبي أو قبر بعض الصحابة أو بعض الشيوخ أو بعض أهل البيت أو الأبراج أو الغيران: من البدع المحدثة المنكرة في الإسلام، لم يشرع ذلك رسول الله صلى الله عليه وسلم، ولا كان السابقون الأولون والتابعون لهم بإحسان يفعلونه، ولا استحبه أحد من أئمة المسلمين" (MF 27/145).
Et il n'est pas avéré que la tombe du Prophète, touchant le corps de celui-ci, serait meilleure que l'espace de la Kaaba.

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II) Accomplir une prière rituelle dans le lieu où le Prophète avait accompli une prière rituelle (alors même qu'il ne s'agit pas d'un lieu recelant, du dire même du Prophète, une valeur spécifique, comme c'est le cas du Haram Makkî, ou de la Mosquée de Qubâ')...

–-- 1) Si cela est fait avec l'objectif de profiter de la bénédiction de ce lieu (التبرك بالمكان), alors : cela n'est pas autorisé (ghayr mashrû').

Mâlik ibn Anas a ainsi désapprouvé qu'on cherche à se rendre sur les lieux [de Médine] dans lesquels le Prophète (sur lui soit la paix) a accompli la prière, afin d'y accomplir une prière, exception faite de la Mosquée de Qubâ' : "وقد روى أشهب عن مالك أنه سئل عن الصلاة فى المواضع التى صلى فيها الرسول - صلى الله عليه وسلم -، فقال: "ما يعجبنى ذلك، إلا مسجد قباء". قال المؤلف: وإنما قال ذلك مالك لأن النبى - صلى الله عليه وسلم - كان يأتى قباء راكبًا وراجلاً، ولم يكن يفعل ذلك فى تلك الأمكنة، والله أعلم" (Shar'hu Sahîh il-Bukhârî, Ibn Battâl, commentaire du bâb sus-cité : "باب: المساجد التي على طرق المدينة، والمواضع التي صلى فيها النبي صلى الله عليه وسلم" : Sahîh ul-Bukhârî, kitâb us-salât, bâb 89).). Cette question lui a été adressée à Médine. Mâlik voulait parler d'accomplir, en ces lieux, une prière ta'abbudan, ou tabarrukan. Car la mosquée de Qubâ', dont il a fait l'exception, une fois à Médine on peut s'y rendre avec l'intention d'y accomplir une prière facultative : la Sunna a évoqué la grande valeur qu'il y a à 2 cycles de prière facultative y étant accomplies : cela se fait donc ta'abbudan, et ce ta'abbud est lui-même motivé par la tabarruk bi-l-makân.

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–-- 2) Et si cela est fait avec l'objectif d'imiter l'action du Prophète de façon pointilleuse, au point de faire celle-ci dans le même lieu que celui où le Prophète l'avait faite (الاقتداء في صورة الفعل), alors :

------ 2.1) si c'est sur sa route que se trouve ce lieu (إن كانت تلك البقعة في طريقه), alors :

-------- 2.1.1) chercher à ce que ce soit dans ce lieu précis qu'on accomplisse la prière dont l'heure est arrivée (أن يتحرى البقعة التي نزل فيها رسول الله - صلى الله عليه وسلم - بحسب الاتفاق ثم صلى فيها، ليؤدي فيه الصلاة التي جاء وقتها), cela est autorisé (mubâh) : c'est-à-dire qu'il est autorisé que la prière dont l'heure est arrivée, on cherche à l'accomplir dans le lieu précis où le Prophète avait accompli la prière.
C'est ce que Ibn Omar faisait. Et c'est ce que al-Bukhârî a déduit : "باب: المساجد التي على طرق المدينة، والمواضع التي صلى فيها النبي صلى الله عليه وسلم" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb us-salât, bâb 89).
Et cela, Omar ibn ul-Khattâb l'a-t-il interdit ? Ibn Taymiyya répond par la négative : "ومن هذا الباب: أنه لو تحرى رجل في سفره أن يصلي في مكان نزل فيه النبي - صلى الله عليه وسلم - وصلى فيه، إذا جاء وقت الصلاة؛ فهذا من هذا القبيل" (Al-Iqtidhâ', p. 388) ; cependant, cela est seulement mubâh, et non pas mustahabb : فأما قصد الصلاة في تلك البقاع التي صلى فيها اتفاقا، فهذا لم ينقل عن غير ابن عمر من الصحابة، بل كان أبو بكر وعمر وعثمان وعلي وسائر السابقين الأولين من المهاجرين والأنصار يذهبون من المدينة إلى مكة حجاجا وعمارا ومسافرين، ولم ينقل عن أحد منهم أنه تحرى الصلاة في مصليات النبي صلى الله عليه وسلم. ومعلوم أن هذا لو كان عندهم مستحبا، لكانوا إليه أسبق، فإنهم أعلم بسنته وأتبع لها من غيرهم. وقد قال صلى الله عليه وسلم: "عليكم بسنتي وسنة الخلفاء الراشدين المهديين من بعدي، تمسكوا بها، وعضوا عليها بالنواجذ، وإياكم ومحدثات الأمور فإن كل محدثة بدعة وكل بدعة ضلالة. وتحري هذا ليس من سنة الخلفاء الراشدين، بل هو مما ابتدع؛ وقول الصحابي إذا خالفه نظيره، ليس بحجة، فكيف إذا انفرد به عن جماهير الصحابة؟" (Al-Iqtidhâ', p. 358) ; dans ces deux dernières phrases, il veut dire que faire le taharrî de cela ta'abbudan, cela est bid'a ; et que le fi'l us-sahâbî n'est pas hujja pour établir que ce qui est ta'abudî ;

-------- 2.1.2) chercher à atteindre un tel lieu afin d'y accomplir une prière facultative faite spécialement par rapport à ce lieu, prière qu'on n'aurait donc pas faite si on se trouvait en un autre lieu (أن يتحرى البقعة التي نزل فيها رسول الله - صلى الله عليه وسلم - بحسب الاتفاق ثم صلى فيها، من غير أن يكون ذلك وقتا للصلاة، بل يريد أن ينشئ الصلاة لأجل البقعة), cela n'est pas autorisé (ghayr mashrû'). Cela constitue une forme de tabarruk bi-l-mâkan, et rejoint le cas 1.
Le fait est qu'accomplir une prière facultative suite au fait d'arriver dans un lieu, cela est institué (ta'abbudî) si ce lieu est une mosquée ("masjid" au sens particulier du terme), car le Prophète a dit d'accomplir alors une prière avant de s'y asseoir (il s'agit d'une tahiyyat ul-masjid) (le hadîth est bien connu) ; mais cela n'est pas institué si ce lieu est seulement un endroit où le Prophète avait accompli une prière (c'était le cas du lieu à propos duquel Omar a dit ce qu'il a dit : "masjid" : cela était au sens littéral du terme).
Cela, Omar ibn ul-Khattâb l'a interdit : "من عرضت له منكم فيه الصلاة، فليصل؛ ومن لم تعرض له منكم فيه الصلاة، فلا يصل".
Et cela, Ibn Omar le faisait-il ? Ibn Taymiyya répond par la négative in Al-Iqtidhâ', p. 388.

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----- 2.2) et si le lieu en question ne se trouve pas sur sa route et qu'on fait un détour de sa route pour se rendre là, avec l'objectif de pouvoir y accomplir une prière facultative, alors : cela n'est pas autorisé (ghayr mashrû'), car étant encore plus accentué que le 2.1.2 : cela constitue une forme de tabarruk bi-l-mâkan, et rejoint le cas 1.

-------- 2.2.2) et si ce lieu ne se trouve pas sur sa route et qu'on entreprend un voyage (safar shar'î) pour s'y rendre, afin de pouvoir y accomplir une prière facultative, alors : cela n'est pas autorisé (ghayr mashrû'), et constitue une forme accentuée du 2.2.
C'est bien pourquoi, alors que Abû Hurayra revenait du Mont du Sinaï, où il s'était rendu afin d'y accomplir une prière facultative, Abû Basra al-Ghifârî, l'ayant rencontré, désapprouva ce qu'il avait fait : "Si je t'avais rencontré avant que tu fasses le voyage vers (ce Mont), tu ne l'aurais pas fait", et lui dit que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit qu'on n'entreprend pas un voyage [vers un lieu précis à la fin d'aller y accomplir une prière rituelle, vu que le lieu ne confère pas de valeur ajoutée à la prière rituelle facultative y étant accomplie], exception faite de al-Masjid ul-Harâm, al-Masjid un-Nabawî et al-Masjid ul-Aqsâ [où la prière accomplie est dûment multipliée par respectivement : 100 000, plus de 1 000, et 500] : "لقي أبو بصرة الغفاري أبا هريرة، وهو جاء من الطور فقال: "من أين أقبلت؟" فقلت: "من الطور صليت فيه." قال: "أما لو أدركتك قبل أن ترحل إليه، ما رحلت؛ إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لا تشد الرحال إلا إلى ثلاثة مساجد المسجد الحرام ومسجدي هذا والمسجد الأقصى" (Ahmad, 23850) (voir aussi : Ahmad, 23848). "عن أبي هريرة أنه قال: خرجت إلى الطور، فلقيت كعب الأحبار، فجلست معه. فحدثني عن التوراة، وحدثته عن رسول الله صلى الله عليه وسلم. فكان فيما حدثته أن قلت (...). قال أبو هريرة: فلقيت بصرة بن أبي بصرة الغفاري، فقال: "من أين أقبلت؟" فقلت: "من الطور". فقال: "لو أدركتك قبل أن تخرج إليه، ما خرجت؛ سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لا تعمل المطي إلا إلى ثلاثة مساجد: إلى المسجد الحرام، أو إلى مسجدي هذا، أو إلى مسجد إيلياء أو بيت المقدس"، يشك" (Muwatta' Mâlik, 248).

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Les deux cas numérotés 2.1.1 et 2.1.2 figurent explicitement dans le propos de Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) relatif au lieu où le Prophète avait accompli la prière : "من عرضت له منكم فيه الصلاة، فليصل؛ ومن لم تعرض له منكم فيه الصلاة، فلا يصل".

Quant au cas numéroté "2.2", il a été distingué par Ibn Taymiyya : "والمسألة الثالثة: أن لا تكون تلك البقعة في طريقه، بل يعدل عن طريقه إليها، أو يسافر إليها سفرا قصيرا أو طويلا. مثل من يذهب إلى حراء ليصلي فيه ويدعو، أو يذهب إلى الطور الذي كلم الله عليه موسى عليه السلام ليصلي فيه ويدعو، أو يسافر إلى غير هذه الأمكنة من الجبال وغير الجبال، التي يقال: "فيها مقامات الأنبياء أو غيرهم"، أو مشهد مبني على أثر نبي من الأنبياء (مثل ما كان مبنيا على نعله، ومثل ما في جبل قاسيون وجبل الفتح وجبل طور زيتا الذي ببيت المقدس)، ونحو هذه البقاع. فهذا ما يعلم كل من كان عالما بحال رسول الله صلى الله عليه وسلم وحال أصحابه من بعده، أنهم لم يكونوا يقصدون شيئا من هذه الأمكنة. فإن جبل حراء الذي هو أطول جبل بمكة، كانت قريش تنتابه قبل الإسلام وتتعبد هناك" (Al-Iqtidhâ', pp. 388-389).

Par contre, cette classification par Ibn Taymiyya vaut, à partir du point 2, pour les lieux que le Prophète n'avait pas recherchés pour y accomplir la prière, mais où son avancée lors de son déplacement en voyage l'avait conduit ; l'heure de la prière étant arrivée, il y avait effectué la prière rituelle. Contrairement aux lieux qu'il a recherchés, fût-ce maslahatan, pour y accomplir la prière : en ces lieux, par contre, Ibn Taymiyya est d'avis qu'il est mustahabb d'effectuer la prière : il a interprété en ce sens ce que Salama ibn ul-Akwa' a fait.
Or un autre avis et une autre interprétation existent : ce que Salama faisait et ce que Ibn Omar faisait revêtent dès lors le même degré. C'est en fonction de cette autre interprétation que la synthèse énoncée en E, et les explications avancées en D.D et en D.E, ont été rédigées dans cet article.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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