(La lecture de cet article sera précédée de celle de : Bref aperçu du déroulement de la mission du Prophète.)
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A) Trois grandes situations peuvent d'emblée être dégagées du déroulement de la mission du Prophète :
– Situation 1) Le musulman vit dans une Dâr ul-khawf, une société non-musulmane où il n'a pas la liberté de se dire musulman et de pratiquer un minimum d'enseignements islamiques (comme ce fut le cas du Prophète et des Compagnons à la Mecque) car il subit l'oppression ;
– Situation 2) Le musulman vit dans une Dâr ul-amn, une société non-musulmane où il a la liberté de se dire musulman et de pratiquer ouvertement un minimum d'enseignements de l'islam (comme ce fut le cas des Compagnons qui avaient émigré en Abyssinie sur conseil du Prophète) ;
– Situation 3) Le musulman vit dans une Dâr ul-islâm, une société musulmane (comme ce fut le cas du Prophète et des Compagnons après leur émigration à Médine).
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A') Développement à propos des différentes étapes de la mission du Prophète :
– Situation 1 (le Prophète à la Mecque) : 3 étapes s'y rapportant :
On peut, dans la période de la vie du Prophète qui correspond à la situation 1 – quand il vivait à La Mecque –, distinguer 3 étapes :
--- 1.1) la prédication se fait de façon discrète, et se fait par simple présentation de la foi musulmane, sans critique du polythéisme (comme l'a fait durant toute sa vie le prophète Joseph : Kitâb un-nubuwwât, p. 319) (الدعوة بغير جهاد باللسان) ;
--- 1.2) la prédication se fait de façon publique et avec critique du polythéisme (comme l'a fait Moïse face à Pharaon : Kitâb un-nubuwwât, p. 319) (الدعوة مع الجهاد باللسان), suite à quoi le Prophète et ses Compagnons font face à l'oppression des Mecquois :
----- 1.2.1) celle-ci est plus ou moins amortie par Abû Tâlib tant que celui-ci est en vie ;
----- 1.2.2) elle va grandissant après le décès de Abû Tâlib, et le Prophète cherche en Arabie un lieu d'accueil autre que la Mecque (طلب مأوى).
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– Situation 3 (le Prophète à Médine) : 3 étapes s'y rapportant :
Quant à la période de la mission du Prophète qui correspond à la situation 3, on peut y distinguer 3 grandes situations(As-Sârim, p. 220, pp. 358-359) :
--- 3.1) la présence temporelle de la communauté musulmane, ainsi que l'empreinte des enseignements de l'islam sur l'ensemble de la société musulmane sont faibles (ضعف الدين، مع بناء المجتمع الإسلامي) ; cette situation correspond à la période ayant suivi l'installation à Médine jusqu'à avant ramadan 2 (victoire de Badr) ;
--- 3.2) la présence temporelle de la communauté musulmane, ainsi que l'empreinte des enseignements de l'islam sur l'ensemble de la société sont moyennes (حالة متوسطة) ; cet état des choses est celui qui prévaut pendant la période qui va de ramadan 2 (victoire de Badr) jusqu'à la victoire de l'an 8 sur les Mecquois ;
--- 3.3) la présence temporelle de la communauté musulmane, ainsi que l'empreinte de l'islam et de ses enseignements sur l'ensemble de la société sont conséquentes (عزّ الدين) : c'est la situation qui prévaut après le pôle "conquête de la Mecque / campagne de Tabûk" (an 8 et an 9 respectivement) jusqu'au moment du décès du Prophète.
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En fait on peut approfondir cette Situation 3 comme suit…
--- 3.1) De l'installation à Médine jusqu'à Badr : pose des jalons pour la construction de la nouvelle société, et situation de faiblesse des musulmans par rapport à l'extérieur (ضعف الدين، مع بناء المجتمع الإسلامي) :
A l'intérieur de cette phase, on peut distinguer deux paliers :
----- 3.1.1) il y a d'abord la situation dans laquelle les musulmans se trouvent dans les premiers temps qui ont suivi leur émigration à Médine : la situation est très fragile (حالة ضعيفة جدًّا), et le Prophète construit alors la société médinoise et agit pour la stabiliser à l'intérieur (fraternité entre Ansâr et Muhâjirûn, pacte avec les tribus non-musulmanes y habitant) ;
----- 3.1.2) cet effort ne cessant de se faire, la société est bientôt prête à déclarer la belligérance contre les gens de La Mecque, la cité où se trouve la Maison de Dieu, bâtie par Abraham et Ismaël pour le culte de l'Unique mais dont les Quraysh ont fait un des centres de l'idolâtrie arabe, et qu'il faut donc rendre au culte de Dieu. En safar de l'an 2 – soit 1 an après son arrivée à Médine –, le Prophète part pour la première fois en campagne : c'est la campagne de al-Abwâ', avec l'objectif de barrer la route aux caravanes mecquoises en direction de la Syrie. La quatrième campagne de ce genre conduira de façon inattendue à la bataille de Badr (ramadan 2). Le retentissement de celle-ci sera conséquent en Arabie de même qu'à Médine : les Musulmans ont infligé une défaite aux Mecquois polythéistes : c'est le début de l'émergence de l'islam en Arabie.
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--- 3.2) De la victoire de Badr jusqu'à avant la conquête de la Mecque : animosités de la part de nombreuses forces extérieures, et batailles (حالة متوسطة) :
On peut, ici aussi, découvrir deux paliers :
----- 3.2.1) Depuis Badr jusqu'à avant le traité de Hudaybiya : l'Islam acquiert une certaine présence temporelle, mais l'opposition ne diminue pas (الحرب سجال) : Après Badr, c'est l'émergence d'un nouveau type d'ennemi, insidieux celui-là : les Hypocrites. Ayant observé la force naissante de l'Islam, ils se convertissent par intérêt, du bout des lèvres, alors qu'intérieurement ils n'y croient pas. Ils entretiendront les rumeurs, comploteront, mèneront la vie difficile au Prophète et aux musulmans, mais sans jamais se dévoiler complètement. La propagation de rumeurs, suivie de grandes proclamations de leur innocence, sera leur grande arme. Du côté de l'opposition extérieure, il y a la bataille de Uhud, où les Mecquois polythéistes vainquent les Musulmans. Puis il y aura le siège de Médine en l'an 5 par les confédérés menés par les Mecquois.
----- 3.2.2) Depuis le traité de Hudaybiya jusqu'à avant la conquête de la Mecque : stabilisation de la situation des musulmans (هدوء الأحوال شيءُ ما، مع التقَوّيْ في الداخل)… L'islam dispose d'une présence avec laquelle il faut désormais compter en Arabie. Les choses s'apaisent : l'hostilité demeure mais la situation des musulmans s'améliore. Le tournant de la trêve de al-Hudaybiya, conclue en dhul-qa'da de l'an 6, va atténuer les difficultés que les musulmans avaient jusqu'ici à subir à cause de leur foi ; il est donc attendu que ceux d'avant ont une plus grande valeur auprès de Dieu. C'est pourquoi le Coran dit : "Ne sont pas semblables parmi vous ceux qui ont dépensé et combattu avant la fat'h. Ceux-là ont un grade plus élevé que ceux qui ont dépensé et combattu après. Et à chacun Dieu a promis la plus belle récompense" (Coran 57/10). Le terme "fat'h" ici employé désigne la campagne de al-Hudaybiya. D'autre part, les personnages dont il est question dans ce verset sont ceux-là mêmes dont Dieu a dit dans un autre verset : "Les devanciers premiers : les Emigrants et les Auxiliaires". Les Compagnons de l'arbre sont ces Compagnons qui ont fait serment d'allégeance au Prophète à al-Hudaybiya sous l'arbre ; ils étaient alors entre 1400 et 1500 personnes (FB 7/548-549). Tous ces Compagnons font partie de ces "Devanciers parmi les Emigrants et les Auxiliaires" (MS 1/222) (d'autres sont morts avant cet événement). En effet, ce sont les sacrifices des premiers qui ont pavé la voie pour ceux qui viennent ensuite : les premiers ont donc une valeur plus grande auprès de Dieu. La trêve va aussi amener de nombreuses personnes à se convertir à l'islam ; nombre d'entre elles émigreront aussi à Médine pour renforcer la position de la ville du Prophète. Elles sont donc quand même des "muhâjirûn" aussi, et si elles sont de moindre stature que les "Devanciers", elles ont une plus grande valeur auprès de Dieu que les Compagnons devenus musulmans après la conquête de la Mecque : car après celle-ci, survenue en ramadan de l'an 8, le Prophète annoncera : "Plus d'émigration après la conquête…" (al-Bukhârî, 2631, Muslim, 1353, voir aussi al-Bukhârî 2913). Personne ne peut donc plus devenir "muhâjirî" de cette catégorie dont Dieu a fait les éloges dans Son Livre.
Or en l'an 8 a lieu la conquête de la Mecque. L'établissement de l'islam sur la "Mère des cités" a un retentissement considérable dans toute l'Arabie, comme l'explique 'Amr ibn Salima, contemporain de l'événement (al-Bukhârî, 4051).
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--- 3.3) Depuis la conquête de la Mecque jusqu'à la mort du Prophète : l'Islam acquiert une forte présence (عزّ الدين) :
Deux paliers sont à noter :
----- 3.3.1) Depuis la conquête de la Mecque jusqu'à avant Tabûk : début de l'émergence (بدء عزّ الدين)... Des tribus commencent à envoyer des délégations auprès du Prophète, à Médine, pour témoigner de leur entrée en islam : c'est la première période du "temps des délégations" (fin de l'an 8 jusqu'à rajab de l'an 9). Les Ghassanides, vassaux des Byzantins dans l'Arabie du Nord, menacent Médine, comme le racontera Omar : "Les gens qui étaient dans la région alentour du Prophète s'étaient rangés vis-à-vis du Prophète. Il ne restait qu'un roi, celui des Ghassanides en Syrie, dont nous craignions qu'il nous attaque" (al-Bukhârî, 5505.). Suite à la révélation de versets, le Prophète prend les devants et, en rajab 9, se rend, à la tête d'une armée, aux confins de l'Arabie du Nord. C'est la campagne de Tabûk. Il n'y a pas de combat mais la conclusion d'une série de traités avec différentes tribus et cités. Le Prophète retourne à Médine où il parvient en ramadan 9. Débute alors pour s'étendre jusqu'à la mort du Prophète, en rabî' ul-awwal 11, la seconde période du temps des délégations ("'âm ul-wufûd").
----- 3.3.2) Depuis le retour de Tabûk jusqu'au décès du Prophète : l'entrée en islam de groupes entiers (دخول الناس في دين الله أفواجًا)... Bien que les fondements de la situation 3.3 sont maintenant posés, le temps nécessaire ne s'est pas encore écoulé en l'instant présent, c'est-à-dire après Tabûk, pour que les facteurs de cette situation produisent complètement la totalité de leurs effets. C'est bien pourquoi le Prophète dira à Aïcha que, par souci de ne pas causer l'incompréhension des Quraysh récemment convertis à l'islam, il choisit de ne pas redonner à la Kaaba les dimensions que Abraham lui avaient donnée. C'est aussi pourquoi le Prophète aura le souci de continuer à gagner les cœurs en faisant des cadeaux (chose que Omar ne fera plus lors de son califat). C'est encore pourquoi le Prophète n'entreprendra rien contre Dhu-l-Khuwayssira ayant proféré des propos attentatoires dans cette période (fin de l'an 8, an 9 ou an 10)...
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--- 3.4) Après le décès du Prophète jusqu'à la mort de Omar : maintient de la forte présence, puis apogée (كمال عزّ الدين) :
----- 3.4.1) Depuis le décès du Prophète jusqu'à la fin du califat de Abû Bakr (en l'an 13) : stabilisation de la présence de l'Islam (إبقاء عزّ الدين)... Abû Bakr, durant ses 2 ans de califat, doit rétablir l'union que le Prophète avait réalisée avant son décès et que les apostats, menés par les faux prophètes, s'étaient mis à entamer.
----- 3.4.2) Sous le califat de Omar (de l'an 13 à l'an 23) : les musulmans récoltent ce que le Prophète a semé et que Abû Bakr a préservé (أوج عزّ الدين)... C'est sous le califat de Omar que les effets de cette situation se font totalement sentir, et c'est pourquoi ce dernier peut concrétiser un certain nombre de choses que le Prophète avait indiqué mais qu'il n'avait pas pu réaliser :
– faire sortir les non-musulmans du Hedjaz (ceci étant spécifique à cette région) (comme le Prophète avait enjoint de le faire dans la dernière période de sa vie mais qu'il n'avait pas fait) (lire notre article traitant de ce sujet) ;
– ne plus donner de part de zakât à des gens pour gagner leur cœur à l'islam (alors que le Prophète le leur avait donné en l'an 10, donc après Tabûk) (cliquez ici)…
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B) Les enseignements de l'islam et leur articulation hiérarchique :
L'objectif de l'islam dans l'absolu est d'enseigner à l'homme comment développer un lien vivant avec Dieu et comment vivre en société (Hujjat ullâh il-bâligha 1/264). Les normes viennent détailler cela, afin de préserver la spiritualité et afin d'indiquer ce qui ne convient pas (interdits) et ce qui doit être fait au minimum (devoirs) dans la vie individuelle – relation à Dieu – et sociale – relation aux hommes. L'islam enseigne donc à l'homme ses croyances ('aqâ'ïd), les normes (fiqh) et la profondeur dans son lien avec Dieu (ihsân).
Il y a dans ces enseignements une hiérarchie d'importance qui est à bien comprendre…
– Premièrement) L'islam a porté son attention première sur la foi et donc la formation du cœur (croyances et spiritualité) : si cette formation est bien faite, elle conduit à la responsabilisation, par la foi en Dieu, Créateur, Observateur, Omniscient et Juge du jour dernier : le Coran ne cesse de rappeler que c'est Dieu qui a créé tout, que c'est Dieu qui gère tout, que Dieu a créé l'homme et lui a fait vivre la vie terrestre pour le mettre à l'épreuve et ensuite le rétribuer selon ce qu'il aura fait, que Dieu observe et sait tout ce que l'homme fait, qu'il y a une vie après la mort, que le monde aura une fin, qu'après cela Dieu ressuscitera les hommes pour les juger et ensuite les rétribuer qu'on rendra des comptes un jour. Le Coran ne cesse de rappeler que Dieu a suscité des hommes comme étant Ses messagers auprès des autres hommes, afin de rappeler à ceux-ci qu'Il est Unique et qu'ils ont comme devoir de L'adorer, et de leur montrer comment L'adorer… Voilà les quelques éléments essentiels – des éléments de croyance et de foi – que l'islam a cherché à développer en priorité chez les hommes.
Aïcha, épouse du Prophète (sur lui la paix), raconte ainsi : "Parmi les premiers passages coraniques à avoir été révélés se trouve une sourate parmi les sourates mufassal, dans laquelle il est question du Paradis et de l'Enfer. C'est ensuite, lorsque les hommes furent retournés à l'islam, que le licite et l'illicite furent révélés. Si dès le début Dieu avait révélé : "Ne buvez plus d'alcool", les hommes auraient dit : "Nous ne le délaisserons jamais !". Si dès le début Dieu avait révélé : "Ne commettez plus l'adultère !", les hommes auraient dit : "Nous ne la délaisserons jamais !"…" (al-Bukhârî, n° 4707). Jundub ibn Abdillâh raconte lui aussi la même expérience, vécue en la compagnie du Prophète : "Nous étions, jeunes hommes, auprès du Prophète. Nous apprîmes la foi avant d'apprendre le Coran [= les lois coraniques]. Puis nous apprîmes le Coran, ce qui fit augmenter notre foi" (Ibn Mâja, n° 61).
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– Deuxièmement) L'islam a, juste après la foi, porté son attention sur le bon comportement moral et social. Ce fut alors qu'ils étaient à la Mecque même que le Coran rappela aux musulmans l'interdiction du meurtre d'innocents (Coran 17/33 etc.), le devoir de respecter ses parents même s'ils ne sont pas musulmans et même s'ils font des efforts pour que leur fils ou leur fille renonce à l'islam (31/13-15 etc), la patience face à l'opposition et l'agressivité (Coran 16/126-128 etc.), la prière dans l'adversité (Coran 15/97-99 etc). On y lit aussi que la fornication est chose mauvaise et est donc interdite (Coran 17/32). On y lit aussi que Dieu rappelle, parmi Ses bienfaits, le fait qu'Il a donné aux hommes des fruits dont ils tirent "une boisson enivrante et une bonne subsistance" (Coran 16/67) : l'alcool n'est pas encore interdit (il ne le sera que bien plus tard, quand le Prophète sera à Médine), mais allusion est faite au fait qu'il est distinct de ce qui constitue "une bonne subsistance".
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– Troisièmement) L'islam a édicté des normes détaillées (ahkâm tafsîliyya), d'une part comme complément de la formation des cœurs et avec l'objectif de fournir un ensemble de règles régissant le fonctionnement de la société, et d'autre part avec progressivité : le texte coranique témoigne ainsi, aujourd'hui encore, de la patiente progression et de la pédagogie qui furent les siennes dans la mise en place de l'interdiction. L'exemple bien connu de la législation relative à l'alcool l'illustre parfaitement, puisqu'il montre une progression s'étendant sur une période de nombreuses années et comportant plusieurs étapes intermédiaires avant l'interdiction complète, survenue seulement en l'an 8 de l'hégire (FB 8/353), soit un peu plus de deux années avant la mort du Prophète. Et lorsque cette interdiction est révélée quelques 18 années après le début de la prédication publique du Prophète, les musulmans sont prêts à accueillir cette interdiction : Anas ibn Mâlik raconte : "J'étais en train de verser à boire chez Abû Tal'ha, et à l'époque l'alcool que les gens buvaient était un alcool de datte. Le Prophète dépêcha une personne pour annoncer : "L'alcool a été interdit !" (En entendant cela,) Abû Tal'ha me dit : "Va verser l'alcool dehors". Je sortis le faire et il coula dans les ruelles de Médine…" (al-Bukhârî 2332, Muslim 1980). Les cœurs ayant déjà été formés, une législation de ce genre ne peut en effet qu'être bien accueillie : car un cœur sain ne peut que reconnaître détestable ce que Dieu interdit, et ne peut qu'apprécier ce que Dieu rend obligatoire.
Il est également à noter que l'islam a procédé non pas seulement à l'énonciation des lois mais à l'intériorisation des normes qu'elles représentent : il y est parvenu en liant les normes à la foi en Dieu, Gérant l'univers et Légiférant pour indiquer aux hommes ce qui leur convient et ce qui ne leur convient pas. C'est pourquoi toutes les nouvelles lois ont été mises en relation avec la foi et la morale : il suffit de lire l'ensemble d'un passage coranique "législatif" pour s'en rendre compte…
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C) Ici une question se pose :
Si le fait d'attendre de nombreuses années avant d'instituer des règles d'obligation et d'interdiction a comme objectif la nécessaire formation des cœurs avant la promulgation des lois, pourquoi n'a-t-il pas été donné aux Compagnons médinois, les Ansâr, d'attendre eux aussi dix ans avant d'avoir à observer les lois ? Pourquoi eux ont dû pratiquer immédiatement ce que ses Compagnons ayant embrassé l'islam à la Mecque n'ont eu à pratiquer, au nom de la progressivité et de la pédagogie, qu'au bout de plusieurs années de formation ?
La réponse est que eux, les Ansâr, ont désormais la possibilité de côtoyer tout un groupe de personnes qui ont déjà vécu cette longue formation. Au contact des premiers musulmans, ils vont en quelque temps pouvoir atteindre le niveau que ces premiers musulmans ont pris des années à atteindre. Car c'est au sein d'un groupe de personnes unies par la même foi, les mêmes valeurs et les mêmes objectifs que le musulman progresse dans sa foi et sa pratique. Isolé, il risque de se faire fausse route sur des points importants et ne pas s'en rendre compte car ne disposant d'aucun frère et sœur pour le ramener fraternellement. Isolé, il risque de voir son engouement du début faiblir, voire même disparaître. Isolé, il risque d'être la proie de doutes et de voir sa foi s'affaiblir, voire même disparaître. De plus, au sein d'un groupe on rencontre toujours des personnes plus pieuses et disposant d'une plus grande profondeur de connaissance que soi ; or, côtoyer des personnes pieuses permet de progresser plus facilement dans la mesure où ces personnes présentent, de façon concrète et vivante et non plus seulement théorique, les qualités musulmanes dont parlent les textes des sources. Le plus difficile est la formation des premières personnes : la progression est lente, difficile, pénible, les difficultés sont immenses, les oppositions multiples. Les Compagnons mecquois ont constitué ce groupe de premières personnes ; les Compagnons médinois pourront profiter de leurs acquis en vivant fraternellement à leur côté. Voilà pourquoi eux n'ont pas à attendre pour recevoir les règles détaillées.
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D) Une chose très importante à comprendre :
– Il est des règles qui sont présentes dans les textes, mais dont l'applicabilité – même théorique – est liée uniquement à une terre d'Islam.
Ainsi, les peines (hudûd) sont tout simplement inapplicables en pays non-musulman (Islâm aur jadîd ma'âshî massa'ïl, Khâlid Saïfullâh, pp. 75-79).
De même, le fait de faire respecter ce qui est strictement interdit en l'interdisant en public (taghyîr ul-munkar bi-l-yad) est lié aux détenteurs musulmans du pouvoir (Mirqât ul-mafâtîh, 9/328), et est donc inapplicable en pays non-musulman.
En fait, toute règle (hukm) dont l'applicabilité est l'affaire d'une autorité exécutive est tout simplement inapplicable en pays non-musulman, comme c'était le cas pour les Compagnons qui vivaient à La Mecque ou en Abyssinie.
– Les autres points ne sont pas ainsi. Cependant :
–---- Il y a des points où ce n'est pas la dernière règle à avoir été révélée qui est définitive. Ici, s'il y a eu une pluralité de règles, c'est en fonction d'une pluralité de situations : il n'y a donc pas eu abrogation (naskh istilâhî) mais instauration de règles en correspondance étroite avec la situation existante à ce moment-là (c'est là ce qu'on appelle le Nas').
Aujourd'hui encore, c'est la détermination de la situation qui a cours dans un lieu donné et à un moment donné qui commande la détermination de la règle qui est à appliquer alors.
Lire à ce sujet :
- Comprendre les différences de situations dans lesquelles se trouvent différentes communautés musulmanes (النَسْء - فقه اختلافات الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة) ;
- Quand c'est par rapport à un contexte précis que la mafsada de l'action domine sa maslaha (النَسْء - فقه اختلافات الأحوال التي تعيشها كل جالية مسلمة).
–---- Et il y a d'autres points à propos desquelles c'est la dernière à avoir été révélée qui est définitive sur le plan de l'applicabilité, et toute règle précédente ne peut plus être considérée comme applicable (lâ tu'taqadu mashrû'iyyatuh), car il y a eu abrogation (Naskh).
Ainsi en est-il de la consommation d'alcool. Du vivant du Prophète (sur lui soit la paix), il fut un temps où l'alcool n'était pas du tout interdit. Puis vint un temps où il était seulement interdit d'être ivre lors des horaires des prières (Coran 4/43). Enfin, en l'an 8 de l'hégire (FB 8/353), vint le moment où l'alcool fut complètement prohibé (Coran 5/90).
On ne peut sous prétexte qu'on vit aujourd'hui en pays non-musulman, l'alcool est autorisé pour nous, comme c'était le cas pour les musulmans lorsqu'ils étaient en Abyssinie et à La Mecque non musulmane, avant la révélation des versets 4/43 ou 5/90). En effet, depuis la révélation du verset 5/90, il n'y a pas d'autre possibilité que de considérer (i'tiqâd) que l'alcool est interdit. Oui, bien sûr, on peut et on doit, parallèlement, observer de nouveau une progressivité et de la pédagogie dans le rappel (da'wa) de cette règle d'interdiction. Mais le musulman doit considérer (i'tiqâd) ces choses comme définitivement interdites (ou, pour d'autres actions : définitivement obligatoires).
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E) Note finale :
Dans la construction d'un immeuble, le plus difficile est sans doute le commencement : défricher, déblayer, aplanir le terrain, poser des fondations solides, élever des murs renforcés, poser une charpente résistante... Il est d'autres éléments qui ne sont pas facultatifs mais nécessaires eux aussi : portes, fenêtres, sanitaires, etc. sont nécessaires pour que la maison soit digne de ce nom ; mais on ne peut pas se focaliser sur eux en négligeant les fondations et le gros œuvre. Peut-on chercher à bâtir l'étage alors même que le rez-de-chaussée n'est pas construit ? Peut-on donner la priorité aux portes et fenêtres alors que les murs ne sont pas encore élevés ?
Il est nécessaire d'apprendre, de comprendre et de vivre les avis relatifs à des points détaillés, comme par exemple ceux qui concernent les postures de la prière qui font l'objet de divergences depuis le premier siècle de l'Islam (par exemple lever les mains à la hauteur des oreilles ou des épaules, les croiser sur la poitrine ou au-dessous du nombril, lever les mains en une ou trois fois dans toute la prière) ; mais passer son temps à polémiquer et à essayer d'imposer son point de vue à leur sujet, alors même que l'on n'est pas concentré dans la prière, n'est-ce pas se focaliser sur l'étage, voire même sur la puissance de l'ampoule éclairant la pièce de l'étage, alors même que le rez-de-chaussée n'est pas bâti ?
Peut-on donner la priorité à l'enseignement et à la prédication de choses facultatives – la façon de manger, la façon de s'allonger pour dormir, etc. – alors que les frères et sœurs à qui on enseigne et prêche cela ont des croyances faussées – à propos de l'au-delà, à propos du domaine concerné par les enseignements de l'islam –, une spiritualité quasi-inexistante, et une vie communautaire rongée par l'orgueil, la soif du pouvoir et de l'honneur, et la jalousie ? Est-ce comme cela que le Prophète (sur lui la paix) a procédé ? Est-ce suivre sa Sunna que de procéder ainsi ?
Aujourd'hui, demain et hier, la situation a ceci de différent avec celle qu'ont connue les Compagnons pendant la période mecquoise (Cas 1) que désormais les obligations et interdits sont déjà révélés et qu'aucun musulman ne peut prétendre ne pas être concerné par eux.
Mais aujourd'hui, demain et hier, la situation a ceci de commun avec celle qu'ont connue les Compagnons pendant la période mecquoise (Cas 1) et avec celle qu'ils ont connue pendant la période médinoise (Cas 3) qu'on ne peut se focaliser sur l'étage en négligeant la fondation, que le développement de la foi ne peut donc pas être négligé, et que cela ne se fait de façon correcte qu'en groupe fraternel.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).