La liberté humaine, vue de l'intérieur

"Etre libre"... Deux mots lourds de sens et chers à l'homme, quel qu'il soit et où qu'il soit... Qui pourrait nier cependant qu'il est aussi facile de constater l'absence de libertés sociales qu'il est difficile de définir la notion même de liberté intérieure de l'homme : est-il vraiment libre, celui qui a toutes les libertés sociales qu'il veut mais qui, au fond de lui-même, ne se sent pas heureux ? 

Que veut dire vraiment "être libre" ? Lorsqu'on désire à tout prix atteindre la renommée (au point sinon de se sentir malheureux) et qu'on oublie sommeil, santé et famille pour tenter d'atteindre ce but (même dans le cadre légal)... on pratique certes une liberté, celle de se fixer l'objectif que l'on veut et d'agir pour l'atteindre. C'est une bien belle liberté vue de l'extérieur ; mais n'est-on pas devenu asservi à cette recherche de la gloire ? On est certes libre de ses gestes ; mais est-on libre de l'intérieur ? Sans entrer dans un débat purement philosophique, nous voudrions ici parler de la liberté intérieure de l'homme, celle de son mental, de sa conscience.

Pour le musulman, la liberté intérieure est celle qui consiste à devenir serviteur de Dieu. "La liberté dans la servitude à l'égard de Dieu", selon la formule de Marcel Boisard (L'humanisme de l'islam, Albin Michel, Paris, 1979, p. 96). Cette formule paraît au premier abord forcément étrange tant, d'une part, elle lie deux concepts opposés ("la liberté dans la servitude") et, d'autre part, elle annonce la liberté pour celui qui s'asservit à Dieu, alors que certaines parties du monde se rappellent que dans le passé ou aujourd'hui encore, on a privé les humains de libertés naturelles et fondamentales justement parce qu'on prétendait appliquer la loi de Dieu. Certes. Mais Marcel Boisard explique sa formule par ces mots : "Plus Dieu est transcendant et absolu, plus l'homme est libre à l'égard de tous les autres" ; "La toute-puissance de Dieu conduit à la libération de l'homme à l'égard de l'homme. (...) Il comprend en effet qu'il n'a pas à craindre d'être l'esclave de quiconque si ce n'est Dieu" (Op. cit.). En effet, le concept de clergé, c'est-à-dire d'hommes servant d'intermédiaires, ou de porte-paroles infaillibles, étant inexistant en islam (à l'exception des Prophètes, et ce encore, uniquement dans le sens où ceux-ci sont des messagers chargés de transmettre la parole de Dieu aux autres hommes, et non pas dans le sens d'intermédiaires), chacun et chacune peuvent et doivent aimer Dieu et l'adorer directement. De plus, certains textes sont l'objet d'une possible pluralité d'interprétations.

Ceci concerne la libération de l'homme par rapport à l'homme. Mais il y a aussi la libération de l'homme par rapport à tout autre objet auquel il pourrait, consciemment ou inconsciemment, s'asservir. Si on considère que le fait d'avoir un attachement très fort pour quelque chose est en fait y être asservi, force est de constater que l'homme n'est intérieurement pas entièrement libre. Tout dépend, maintenant, de quoi on désire être le serviteur. Car un homme peut être asservi à ses instincts, ne se contentant plus alors de satisfaire ses besoins humains, mais de les flatter au point que ce soit eux qui le maîtrisent, deviennent des objectifs primordiaux dans son existence, et finalement dirigent ses actes et sa pensée. Qui devient asservi à la recherche de la gloire au point de sacrifier sa santé et son argent pour atteindre un but toujours un peu plus inassouvi. "Autant l'homme aura le désir d'obtenir la grâce de Dieu et Sa miséricorde et qu'il espèrera en Lui pour pouvoir subvenir à ses besoins, autant sa servitude augmentera vis-vis de Dieu et sa liberté augmentera vis-à-vis de toute chose autre que Lui" (Al-'Ubûdiyya, p. 114).

Dieu Lui-même dit : "Dieu a cité une parabole : celle d'un homme (serviteur de) plusieurs associés qui se disputent à son sujet, et d'un homme (serviteur d') un seul maître. Les deux sont-ils égaux en exemple ? Louange à Dieu ! Mais la plupart des hommes ne savent pas" (Coran 39/29). C'est l'attachement à Dieu, tel qu'il se présente en islam, qui conduit à relativiser l'attachement à toute autre chose que Lui. C'est cet amour dirigé vers la Transcendance qui tend à éviter l'attachement excessif à toute chose matérielle comme à toute autre entité spirituelle. D'où la libération intérieure de l'homme.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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