Divinités autres que Dieu, de type "religieux" (êtres ou esprits ayant été divinisés), et de type "non-religieux" (êtres humains, objets matériels, ou concepts, ayant été divinisés)

Chez beaucoup d'humains, l'idolâtrie a consisté à associer au caractère divin de Dieu des entités spirituelles : des esprits.
En effet, aussi bien sous la forme prise chez les contemporains de Noé (adoration d'âmes de saints défunts) que sous celle prise sous ceux d'Abraham (adoration d'astres), l'idolâtrie a consisté à attribuer la Perfection qui n'appartient qu'à Dieu, ou quelque chose de cette Perfection, à des entités invisibles autres que Dieu. C'est bien parce qu'ils leur confèrent quelque chose de cette Perfection que des hommes leur adressent des prières (du'â ul-isti'âna). Quant aux statues, elles ne servent que de symboles, de lieu de direction (qibla) pour s'adresser à ces entités invisibles qu'elles représentent.

Les messagers de Dieu sont alors venus rappeler aux hommes que si les demandes relatives aux causes habituelles (hissiyya) pouvaient bien être adressées aux hommes, toute demande ne passant par aucune cause habituelle est réservée à Dieu, et ne doit donc être adressée à aucune autre entité spirituelle.

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Si le fait de rendre le culte à d'autres entités invisibles existe toujours dans le monde d'aujourd'hui, il est, dans des sociétés contemporaines "désenchantées", des quantités de personnes pour qui l'existence même des "esprits", de ces entités invisibles, est complètement niée : leur attention n'est plus tournée que vers l'homme et son développement personnel et son épanouissement temporel, vers les causes matérielles et vers des objets matériels, utiles sur le plan technique ou recelant une valeur abstraite mais toujours temporelle (à l'instar des objets d'art), ainsi que vers des concepts.

Peut-on, dès lors, parler encore à ces personnes de "divinité", et de "culte" ?

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En fait, comme nous l'avons vu dans l'article traitant de ce qu'est la divinité, le culte, le monothéisme et le polythéisme, des actes ont été établis par le Prophète (que Dieu le bénisse) comme étant "pré-supposés actes de culte" : celui qui les fait vis-à-vis d'un être est considéré comme rendant un culte à cet être, quelle qu'ait été son intention.

Cependant, comme nous l'avons également vu dans cet article-là, au-delà de ces pré-supposés (mazinna), il y a la réalité de ce qui constitue un culte. Et cette réalité est comme suit : rendre un culte à quelque chose comporte le fait d'accorder à celle-ci "l'extrême soumission et l'extrême amour" (Al-'Ubûdiyya, Ibn Taymiyya, pp. 33-34) : il s'agit ici de la soumission et de l'amour du cœur.
"و"العبادة" أصل معناها الذل أيضا يقال: طريق معبد إذا كان مذللا قد وطئته الأقدام. لكن العبادة المأمور بها تتضمن معنى الذل ومعنى الحب فهي تتضمن غاية الذل لله بغاية المحبة له فإن آخر مراتب الحب هو التتميم وأوله العلاقة لتعلق القلب بالمحبوب ثم الصبابة لانصباب القلب إليه ثم الغرام وهو الحب اللازم للقلب ثم العشق وآخرها التتميم يقال: تيم الله أي: عبد الله فالمتيم المعبد لمحبوبه. (...) بل لا يستحق المحبة والذل التام إلا الله" (MF 10/153).

A été divinisé par l'homme ce à quoi il a attaché son cœur en lui accordant un amour extrême et une soumission intérieure extrême… Il s'agit alors d'une grande divinisation (تأليه أكبر).

Si l'attachement comportant cet amour et cette soumission est très supérieur à la normalité sans être également extrême, il s'agit alors d'une petite divinisation (تأليه أصغر).

Dès lors, n'adorer que Dieu et considérer que rien d'autre que Lui ne doit être divinisé, ce n'est pas seulement s'abstenir de faire des actes pré-supposés "actes de culte" (عمل هو مظنة للعبادة الكبرى) vis-à-vis d'un être invisible autre que Lui, et cela dans un registre classé "religieux", mais c'est aussi garder l'amour premier et essentiel de son cœur pour Dieu, et faire dépendre de cet amour suprême l'attachement à toute autre chose, fût-elle autre que métaphysique et "religieuse".

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Or, s'il arrive que des hommes associent à Dieu des entités métaphysiques dont ils se représentent l'existence par le moyen de statues, il arrive également que d'autres hommes, bien que ne croyant absolument pas à l'existence d'être invisibles, rendent un culte à des choses matérielles : ceci dans le sens où ils leur dédient l'attachement et la considération suprêmes de leur cœur.

C'est justement là une autre forme d'idolâtrie, dissimulée (khafî) cette fois, qui consiste à détourner vers autre que Dieu sa considération de grandeur et son amour extrême. Si le premier cas est un associationnisme apparent (shirk jalî), le second est également un associationnisme, mais dissimulé (shirk khafî).

Que l'idole soit métaphysique ou matérielle, l'explication est simple : l'homme est tel qu'il ne peut se passer de donner son cœur (amour et magnificence) à quelque chose.
Tourné naturellement vers le spirituel, il donnera son cœur à celui qu'il invoque et devant qui il se prosterne.
Devenu athée ou agnostique, il compensera la non-satisfaction de sa spiritualité par un plus grand attachement encore à une chose matérielle, ou à une valeur humaine, à laquelle il dédiera son cœur et son existence.
Les deux formes d'idolâtrie ont un point commun évident : le délaissement de Dieu au point de donner à autre que Lui la place qui Lui revient.
"وكل من استكبر عن عبادة الله لا بد أن يعبد غيره فإن الإنسان حساس يتحرك بالإرادة. وقد ثبت في الصحيح عن النبي صلى الله عليه وسلم أنه قال: {أصدق الأسماء حارث وهمام} فالحارث الكاسب الفاعل والهمام فعال من الهم والهم أول الإرادة فالإنسان له إرادة دائما وكل إرادة فلا بد لها من مراد تنتهي إليه فلا بد لكل عبد من مراد محبوب هو منتهى حبه وإرادته فمن لم يكن الله معبوده ومنتهى حبه وإرادته بل استكبر عن ذلك فلا بد أن يكون له مراد محبوب يستعبده غير الله فيكون عبدا لذلك المراد المحبوب: إما المال وإما الجاه وإما الصور وإما ما يتخذه إلها من دون الله كالشمس والقمر والكواكب والأوثان وقبور الأنبياء والصالحين أو من الملائكة والأنبياء الذين يتخذهم أربابا أو غير ذلك مما عبد من دون الله. وإذا كان عبدا لغير الله يكون مشركا"
"L'homme a toujours un objectif. Aussi, chaque serviteur a forcément un objectif aimé, qui est le summum de son amour et de son intention. Dès lors, l'homme dont Dieu n'est pas l'adoré, l'objet du summum de son amour et de son intention, et ce car (ce homme) s'est enorgueilli par rapport à cela, il y aura forcément pour lui un être désiré et aimé, autre chose qu'à Dieu, qui fera de lui son "serviteur" ('abd). Il sera alors serviteur de cet être désiré et aimé. Soit l'argent, soit la célébrité, soit les beaux corps, ou soit ce qui est (ouvertement) pris comme divinité en dehors de Dieu, comme le soleil, la lune, les planètes, les idoles, les tombes des prophètes et des pieux, ou encore parmi les anges et les prophètes qui ont été pris comme pourvoyeurs, ou autre chose ayant été adorée en dehors de Dieu. Et lorsqu'il est devenu 'abd d'un autre que Dieu, l'homme est mushrik"
(Al-'Ubûdiyya, p. 138 : MF 10/196-197).

L'argent, l'honneur, la beauté des corps : c'est l'excès d'attachement à ces choses qui en fait des idoles. C'est bien pourquoi le Prophète (sur lui la paix) a dit : "Malheur à l'esclave de la pièce d'or, à l'esclave de la pièce d'argent et à l'esclave du manteau..." (al-Bukhârî, également cité dans Al-'Ubûdiyya).
Etre 'abd (serviteur, esclave) de quelque chose, c'est lui donner dans son cœur la place qui revient à Dieu, ou une place excessive. Car, ensuite, selon la grandeur de cette place, cela peut être un shirk akbar, comme dans le cas de l'athée, comme cela peut parfois être seulement un shirk saghîr (appelé "shirk asghar"), comme dans le cas du croyant dont le tawhîd est incomplet.

Le Prophète (sur lui la paix) a parlé explicitement du petit associationnisme (shirk asghar), et ce à propos de l'ostentation (riyâ') : "عن محمود بن لبيد، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "إن أخوف ما أخاف عليكم الشرك الأصغر." قالوا: وما الشرك الأصغر يا رسول الله؟ قال: " الرياء! يقول الله عز وجل لهم يوم القيامة: إذا جزي الناس بأعمالهم: اذهبوا إلى الذين كنتم تراءون في الدنيا فانظروا هل تجدون عندهم جزاء"" (Ahmad, 23630, 23636).
Cependant, d'après l'une des deux définitions citées par Ibn ul-'Uthaymîn, le petit associationnisme (ash-shirk ul-asghar) n'est pas seulement ce que le Prophète a explicitement nommé tel, mais est élargi à tout ce qui d'une part constitue un excès par rapport au monothéisme complet, mais d'autre part ne constitue pas un cas de grand associationnisme (Al-Qawl ul-mufîd 'alâ Kitâb it-tawhîd, pp. 197-198).

De même, le Prophète a explicitement employé les termes "associationnisme dissimulé" à propos de l'ostentation : "عن أبي سعيد، قال: خرج علينا رسول الله صلى الله عليه وسلم ونحن نتذاكر المسيح الدجال، فقال: "ألا أخبركم بما هو أخوف عليكم عندي من المسيح الدجال؟" قال: قلنا: بلى، فقال: "الشرك الخفي، أن يقوم الرجل يصلي، فيزين صلاته، لما يرى من نظر رجل" (Ibn Mâja, 4204, Ahmad).
Ici encore, des ulémas ont repris le concept et l'ont élargi au fait de dissimuler l'associationnisme en son cœur. Ainsi, selon un des deux avis relatés par Ibn ul-'Uthaymîn, l'associationnisme dissimulé (ash-shirk ul-khafî) peut être petit (asghar), comme il peut être grand (shirk akbar) (Al-Qawl ul-mufîd 'alâ Kitâb it-tawhîd, p. 198).

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Le shirk asghar constitue une action interdite qui ne va pas jusqu'au kufr akbar.
Tandis que le shirk akbar constitue une action interdite qui est du kufr akbar.

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Il existe donc :
– le shirk akbar wa jalî : rendre une prosternation de culte à une idole représentée par une statue ;
– le shirk akbar wa khafî : diviniser un concept ;
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– le
shirk asghar wa jalî : faire serment par son père ;
– le shirk asghar wa khafî : accomplir une prière pour Dieu, mais avec en son coeur l'intention de se faire remarquer de tel personnage.

Dans le Coran, Dieu dit : "أَأَرَأَيْتَ مَنِ اتَّخَذَ إِلَهَهُ هَوَاهُ أَفَأَنتَ تَكُونُ عَلَيْهِ وَكِيلًا أَمْ تَحْسَبُ أَنَّ أَكْثَرَهُمْ يَسْمَعُونَ أَوْ يَعْقِلُونَ إِنْ هُمْ إِلَّا كَالْأَنْعَامِ بَلْ هُمْ أَضَلُّ سَبِيلًا" : "As-tu celui qui a pris comme sa divinité son envie ?" (Coran 25/43-44).
"قال الكلبي وغيره: كانت العرب إذا هوي الرجل منهم شيئا عبده من دون الله، فإذا رأى أحسن منه ترك الأول وعبد الأحسن، فعلى هذا يعني: أرأيت من اتخذ إلهه بهواه، فحذف الجار.
وقال ابن عباس: الهوى إله يعبد من دون الله، ثم تلا هذه الآية. قال الشاعر: لعمر أبيها لو تبدت لناسك ... قد اعتزل الدنيا بإحدى المناسك لصلى لها قبل الصلاة لربه ... ولا ارتد في الدنيا بأعمال فاتك. وقيل: "اتخذ إلهه هواه" أي أطاع هواه. وعن الحسن لا يهوى شيئا إلا اتبعه. والمعنى واحد"
(Tafsîr ul-Qurtubî).
"قال ابن عباس: كان أحدهم يعبد الحجر، فاذا رأى ما هو أحسن منه رمى به وعبد الآخَر. وقال قتادة: هو الكافر لا يهوى شيئاً إِلا ركبه. وقال ابن قتيبة: المعنى: يتَّبع هواه ويدع الحقَّ، فهو له كالإِله" (Zâd ul-massîr).

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En islam, croire en l'absolue unicité de Dieu, c'est refuser non pas l'existence de toute autre chose que Dieu, ni l'attachement à toute chose autre que Lui, mais c'est refuser de donner à autre chose que Dieu la place qui, dans le cœur, revient à Celui-ci.
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Chaque musulman et chaque musulmane ne sont sans doute pas arrivés au stade du monothéisme complet (at-tawhîd ul-kâmil). Celui-ci doit cependant rester leur objectif à tous.

Il ne s'agit pas de garder son cœur pur de tout attachement à ce qui n'est pas Dieu, mais pur de tout attachement excessif à ce qui n'est pas Dieu.

Il ne s'agit pas de plus rien aimer du tout en dehors de Dieu. Ceci est impossible pour l'homme, créé de sorte qu'il est naturellement attaché aux choses terrestres telles que famille, nourriture licite, etc. Il s'agit de ne pas consacrer à ces choses un amour comme celui qui est réservé à Dieu (al-hubb ka hubbillâh), ni un amour "à côté" de l'amour qu'on a pour Dieu (al-hubb ma'allâh), mais de les aimer à cause de l'amour qu'on a pour Dieu (al-hubb lillâh). C'est ainsi que l'attachement à toute chose de ce monde se trouve relativisé ("tâbi'").

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Quelques exemples où l'on voit bien ces gradations :

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L'or et l'argent :

a) Y être attaché au niveau naturel (tab'î) : cela constitue le juste milieu enseigné par le Prophète (sur lui soit la paix).

b & c) C'est y être attaché de façon excessive qui constitue du shirk billâh : "عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: تعس عبد الدينار، وعبد الدرهم، وعبد الخميصة، إن أعطي رضي، وإن لم يعط سخط، تعس وانتكس، وإذا شيك فلا انتقش" : "Malheur à l'esclave de la pièce d'or, à l'esclave de la pièce d'argent, à l'esclave du beau vêtement. S'il reçoit il est satisfait, s'il ne reçoit pas il est mécontent. Malheur à lui, qu'il soit tête en bas, ! et si une épine venait à l'atteindre, qu'elle ne puisse pas être enlevée !" (al-Bukhârî, 2730).
Cela :
---- peut être du shirk asghar,
---- ou peut même être du shirk akbar.

--- b) Le premier c'est quand par désir pour l'or ou l'argent l'homme agit en outrepassant les limites (l'homme commet des choses interdites pour les acquérir) ; c'est aussi quand l'homme, même demeurant dans des transactions halal, donne à l'or ou l'argent une place trop importante en son cœur.

--- c) Le second c'est quand l'homme fait de l'or ou l'argent un concept qui devient l'objectif suprême de sa vie.

Lire : L'action générale : "Adorer Dieu" (عبادة الله) revêt 2 Niveaux : "أصل العبادة", et "كمال العبادة". Et l'action interdite "Associer quelque chose à Dieu" ("إشراك شيء بالله في العبادة") revêt aussi 2 Niveaux : "كفر أكبر", et "فسق أصغر".

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Les éléments naturels :

a) On a foi en Dieu comme étant Celui qui gère toute chose selon Sa décision (Rabb) et on a aussi recours aux éléments matériels dont la causalité est établie (thâbit us-sababiyya), qui sont en son possible (mumkina) et qui sont licites (halâl), tout en gardant à l'esprit que c'est Dieu qui gère tout et en n'oubliant pas de L'invoquer : d'une part on sait que le monde est composé de causes et d'effets et on agit en fonction, d'autre part on a développé en son cœur que c'est ce que Dieu veut qui se réalise par ces causes et on agit aussi en fonction :
Il s'agit du
juste milieu enseigné par le Prophète.

b) On a foi en Dieu comme étant Celui qui gère toute chose selon Sa décision (Rabb), mais, dans son cœur et dans son esprit, on confère, aux causes matérielles réelles, une importance telle qu'on se focalise uniquement sur elles :
Il s'agit d'un shirk asghar (manquement dans le kamâl ut-tawhîd al-wâjib). C'est éviter ce niveau que visent les rappels du Coran et de la Sunna cités dans notre autre article.

c) On a comme croyance que Dieu est Seul Créateur de l'univers, et qu'à l'origine c'est Dieu qui est Seul Détenteur du pouvoir de gestion des affaires de l'univers ; cependant, Il a ensuite confié à autre que Lui le pouvoir de gérer certaines de ces affaires de façon autonome (bi-l-istiqlâl) :
Il s'agit d'un shirk akbar (associationnisme, qui contredit le asl ut-tawhîd, fondement même du monothéisme). Car la vérité est que c'est Dieu qui gère toute chose, et rien ne se passe sans qu'Il l'ait voulu (irâda takwîniyya).

c') On n'a de considération que pour les causes matérielles, sans aucune croyance en l'existence d'une gestion de chaque élément de l'univers par Dieu :
Il s'agit là d'une croyance de ta'tîl akbar (athéisme, qui contredit le asl ut-ta'lîh illah, théisme), entraînant systématiquement du shirk akbar (vu qu'une prérogative qui n'appartient qu'à Dieu a été conférée aux forces physiques de l'univers). La vérité est que c'est Dieu qui gère toute chose, et que rien ne se passe sans qu'Il l'ait voulu (irâda takwîniyya).

Lire : La confiance excessive dans les causes matérielles constitue-t-elle du shirk akbar ? Toute mention d'une cause (sabab) constitue-t-elle du shirk asghar ?.

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Le groupe auquel on se sent appartenir :

a) On y est attaché au niveau naturel (tab'î) : cela constitue le juste milieu enseigné par le Prophète (sur lui soit la paix). Cela consiste à :
– être attaché à la région où on est né ou bien où on n'est pas né mais où on vit depuis longtemps,
– partager un certain nombre de référents culturels avec les habitants de cette région,
– établir son engagement prioritaire pour le bien des habitants de cette région.

b & c) C'est y être attaché de façon excessive qui constitue du shirk billâh.
Cela :
---- peut être du shirk asghar,
---- ou peut même être du shirk akbar.

--- b) Le premier c'est quand par amour pour le groupe auquel l'homme se sent appartenir, il agit en outrepassant les limites.
Cela car :
– soit l'homme établit le juste et l'injuste en fonction de son appartenance ou de sa non appartenance à ce groupe ;
–  soit l'homme est d'accord avec le fait que le développement de cette terre, et la prospérité et le développement de ce groupe, se fassent aux dépens des autres terres et des autres groupes ;
– soit l'homme a comme vision que ces développements et cette prospérité sont son seul objectif et qu'après avoir atteint cet objectif il ne se souciera pas de ceux qui appartiennent à un autre groupe.

--- c) Le second c'est quand l'homme fait de sa Nation un concept qui devient l'objectif suprême de sa vie.

Lire : L'islam interdit-il le concept d'appartenance à une nationalité ?.

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La faculté de raisonnement :

a) Raisonner dans le cadre de ce que Dieu a révélé, c'est le juste milieu enseigné par le Prophète (sur lui soit la paix). Cela s'exerce même sur les textes de la Révélation (nous avons essayé de le démontrer dans différents articles).

b & c) C'est, ici encore, l'excès qui constitue du shirk billâh.
Cela :
---- peut être du shirk asghar,
---- ou peut même être du shirk akbar.

--- b) Le premier c'est la rationalité du type de celle des Mutazilites, qui fut excessive mais sans atteindre le kufr akbar.

--- c) Le second c'est quand l'homme proclame que sa Raison est indépendante de Dieu, voire supérieure à ce que Dieu affirme.

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L'Etat ; la res publica ("la chose publique", ce qui englobe et dépasse la "république" au sens particulier du terme) :

L'Etat c'est la res publica, "l'institution dotée de la personnalité morale de droit public qui exerce son autorité souveraine sur ce territoire et ses habitants" ; l'Etat est l'institutionnalisation du pouvoir ; c'est une organisation mais aussi une abstraction : on dit ainsi que "le gouvernement (= les personnes physiques le constituant) change, mais l'Etat demeure".
En France, l'État en place est de nature républicaine (au sens particulier de ce terme) : c'est le type de régime qui, après de longs tiraillements faits de révolutions et de restaurations, a fini par s'imposer, supplantant la monarchie. La République française est symbolisée par une femme (par opposition à la Monarchie, dont la clé de voûte était un homme, le Roi) ; cette femme est nommée Marianne (ce serait une contraction de Marie et Anne, mère et grand-mère de Jésus, et cela par volonté de remplacement du christianisme) ; et on voit des statues et des bustes de cette allégorie installés dans certains lieux où, précédemment, c'étaient des statues du Roi ou des bustes de l'Empereur qui avaient été installés.

a) Reconnaître le caractère établi de l'Etat sous l'autorité duquel on vit, sa légalité, cela est normal, et cela est requis. L'Etat est établi, nous en reconnaissons le caractère établi et la validité. Le Prophète (sur lui soit la paix) a reconnu l'autorité publique des Quraysh Polythéistes sur la cité de La Mecque, puisqu'il a conclu avec eux un pacte à al-Hudaybiya (et ce quand le Coran avait déjà parlé d'eux en ces termes quant à la légitimité : "الْمَسْجِدِ الْحَرَامِ وَمَا كَانُواْ أَوْلِيَاءهُ إِنْ أَوْلِيَآؤُهُ إِلاَّ الْمُتَّقُونَ وَلَكِنَّ أَكْثَرَهُمْ لاَ يَعْلَمُونَ" : Coran 8/34).
L'une des clauses de ce pacte était que (le prophète) Muhammad (sur lui soit la paix) devrait s'en retourner pour le moment, et aurait la possibilité de revenir un an plus tard pour accomplir le petit pèlerinage. Lorsqu'il revint effectivement à la date fixée, il respecta les clauses du traité, ainsi que la durée fixée pour son séjour dans la Ville par ces Polythéistes (les textes sont bien connus).
Pour nous, il s'agit donc d'obéir aux lois de l'Etat sous l'autorité duquel nous vivons, lesquelles lois, réglementent le Mubâh selon la Maslaha. En actes seulement, par considération de contrainte (ik'râh), il s'agit également de nous conformer aux lois de cet Etat qui nous obligent à faire ce que nous considérons interdit (mis à part le fait de tuer quelqu'un) ou de délaisser ce que nous considérons obligatoire. Oui, s'il n'est plus possible de vivre un minimum de règles de l'islam, nous devons émigrer pour aller là où nous pourrons les vivre.

b & c) Par contre, ce qui constitue du shirk billâh, c'est d'accorder des prérogatives excessives à la res publica.
Cela :
---- peut être du shirk asghar,
---- ou peut même être du shirk akbar.

--- b) Le premier c'est lorsqu'un homme obéit à l'autorité publique dans ce qu'elle lui dit de faire (et ce, alors même qu'elle n'exerce pas de contrainte sur lui), ou même dans ce en quoi elle exprime seulement le désir qu'il le fasse, alors que ce qu'elle lui dit de faire constitue sans aucune divergence possible un acte interdit par Dieu ; et que, cependant, ce faisant, cet homme garde en son esprit qu'il fait alors quelque chose qui est interdit.

--- c) Le second c'est lorsque quelqu'un se met à considérer / à exprimer qu'un homme - ou un groupe d'hommes -, ou qu'une institution, a le droit absolu de dire ce qui est licite et ce qui ne l'est pas, ce qui est obligatoire et ce qui ne l'est pas, sans se référer pour cela à ce que Dieu agrée et à ce qu'Il n'agrée pas de la part des humains. L'État devient alors une divinité en ce qui concerne les hommes qui disent cela.

- Lire : Faire une loi différente de celle que Dieu a révélée, est-ce un acte de kufr akbar ?
- Lire aussi : Réponse (II, suite) à des critiques formulées à propos de mon article sur "'adam ul-hukm bi mâ anzalallâh".

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Du reste, ces 3 niveaux [: autorisé / : interdit / : shirk akbar] se retrouvent aussi par rapport aux esprits (djinns), lesquels sont des êtres invisibles :

a) Se faire servir par un djinn dans quelque chose de purement autorisé (mubâh) et sans donner de contrepartie interdite à ce djinn, ce djinn agissant dans la posture d'un serviteur par rapport à son maître, ou d'un ami par rapport à son ami qui lui est égal, cela est autorisé (jâ'ïz), même si ce n'est pas ce qu'il y a de mieux.

b & c) Par contre, d'autres cas de figure où un humain demande un service à un djinn constituent du shirk billâh.
Cela :
---- peut être du shirk asghar,
---- ou peut être du shirk akbar.

--- b) Le premier c'est lorsque le djinn rend à l'homme un service qui est interdit (par exemple dérober des objets appartenant à autrui), ou rend à l'homme un service autorisé mais l'homme doit lui donner une contrepartie interdite (par exemple zinâ, liwât).

--- c) Le second c'est lorsque l'humain rend un culte ('ibâda) à ce djinn. La demande que cet humain fait au djinn est alors une demande qu'un adorateur adresse à celui qu'il adore, et l'assistance que le djinn lui accorde est celle d'un être adoré qui exauce (istijâba) la demande de celui qui lui rend le culte. Ce cas de shirk akbar a été évoqué par Ibn Taymiyya ainsi : "ومما يتقرب به إلى الجن الذبائح؛ فإن من الناس من يذبح للجن. وهو من الشرك الذي حرمه الله ورسوله. وروي أنه نهى عن ذبائح الجن" (Majmû' ul-fatâwâ, 19/52).
La relation établie entre l'humain et le djinn constitue de l'adoration ('ibâda) de ce dernier (et donc du shirk akbar) quand :
soit l'humain fait le sacrifice d'un animal au nom du djinn, pour s'attirer les bonnes grâces de celui-ci (il faut ici mentionner que certains djinns vont jusqu'à demander le sacrifice d'un humain de la famille : si la personne accepte le pacte, le djinn tue ensuite le proche désigné, lequel meurt d'une façon inexplicable pour les humains ; parfois certaines personnes offrent au djinn le bébé que leur compagne attend : le djinn tue alors l'enfant encore dans le ventre de sa maman) ;
soit l'humain se prosterne devant une statue représentant ce djinn (ou une pierre spécifique le symbolisant) ;
soit l'humain lui adresse une demande de type "invocation" ("du'a") ;
soit l'humain fait vis-à-vis du djinn un autre des mazinnât ush-shirk il-akbar.

La demande de protection à laquelle le verset suivant fait allusion relève de ce cas de figure : "وَأَنَّهُ كَانَ رِجَالٌ مِّنَ الْإِنسِ يَعُوذُونَ بِرِجَالٍ مِّنَ الْجِنِّ فَزَادُوهُمْ رَهَقًا" : "Il y avait des individus parmi les humains qui cherchaient la protection d'individus parmi les djinns, ils les augmentèrent alors en rahaq" (Coran 72/6) (d'après l'un des commentaires, "rahaq" veut dire ici "kufr", ou "rébellion" ; les pronoms "ils" et "les" – dans "ils les augmentèrent" – désignent, de façon croisée, soit "ces humains" soit "ces djinns" : les deux combinaisons sont possibles : cf. Tafsîr ul-Qurtubî). Ce verset fait allusion au fait que, avant la venue de l'islam, des Arabes, frappés par la sécheresse, envoyaient l'un d'eux chercher un lieu où il y avait de l'eau et de l'herbe ; ayant trouvé pareil lieu, ils prenaient soin, avant de s'y installer, de s'adresser aux djinns du lieu en ces termes : "Nous recherchons la protection du seigneur de ce oued contre le fait qu'une calamité nous atteigne" : "وقال آخرون: كان أهل الجاهلية إذا قحطوا بعثوا رائدهم؛ فإذا وجد مكانا فيه كلأ وماء، رجع إلى أهله فيناديهم؛ فإذا انتهوا إلى تلك الأرض، نادوا: "نعوذ برب هذا الوادي من أن يصيبنا آفة" - يعنون الجن -؛ فإن لم يفزعهم أحد نزلوا؛ وربما تفزعهم الجن، فيهربون" (Tafsîr ur-Râzî). Or ce ne peut être qu'à Dieu qu'on demande la protection contre une calamité (du genre d'une sécheresse, ou d'une crue, ou d'une tornade, ou de l'attaque d'ennemis, etc.). Ce genre de demande constitue du shirk akbar de la part de ces humains. D'autre part, cela ne fit qu'attiser l'arrogance de ces djinns.

Lire : Est-il autorisé d'avoir recours aux services d'un djinn ? (هل يجوز استخدام الجنّ) - Réponse selon les recherches de Ibn Taymiyya et de Ibn ul-Uthaymîn.

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Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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