Toute mention d'une cause (sabab) constitue-t-elle du shirk asghar ? - La confiance excessive dans les causes matérielles constitue-t-elle du shirk akbar ?

On retrouve l'affirmation suivante chez certains de ceux qui participent au mouvement Tablîgh fondé par Cheikh Muhammad Ilyâs 

"Le musulman qui a en son cœur l'idée que c'est son métier qui le nourrit a une certitude (yaqîn) faussée, étant donné que c'est Dieu qui nourrit.

A l'aube de la venue du Prophète, les habitants de la Mecque croyaient bien que Dieu le Créateur existe, et pourtant, parce qu'ils avaient placé leur certitude sur d'autres choses que Lui – des idoles –, disant que ce sont elles qui les nourrissent, le Coran a dit qu'ils faisaient du "shirk" ("associationnisme") et les a nommés "mushrik" ("associateurs"). On voit par là que la simple croyance en Dieu le Créateur ne suffit donc pas à sauver quelqu'un d'être un "mushrik" tant qu'il a une conviction faussée quant à celui qui le nourrit.

Quelle différence y a-t-il entre les idolâtres de la Mecque, qui croyaient en l'existence de Dieu mais dont la certitude était sur leurs idoles, et ceux qui se disent musulmans et croient en l'existence de Dieu, mais dont la certitude est sur leur métier ?"

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Remarque par rapport à cette affirmation :

Cette similitude faite entre ce type de confiance excessive, faite par un musulman, en les causes matérielle, et la confiance des idolâtres de la Mecque en leurs idoles, est erronée.

En effet, ces idolâtres présentaient un manquement dans asl ut-tawhîd ; tandis que le musulman qui se repose de façon excessive sur son métier comme étant celui qui le nourrit présente un manquement dans kamâl ut-tawhîd al-wâjib.

Explications…

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1) Par rapport à la considération des choses :

Ici plusieurs cas se présentent...

1.a) Il y a celui qui est athée ou agnostique : lui n'a de considération que pour les causes matérielles, sans aucune croyance en l'existence d'une gestion de chaque élément de l'univers par Dieu :

Il s'agit là d'une croyance de ta'tîl akbar (athéisme, qui contredit le asl ut-ta'lîh, fondement même du monothéisme). C'est Dieu qui gère toute chose. Rien ne se passe sans qu'Il l'ait voulu (irâda takwîniyya).

C'est pour cela que tous les miracles que Jésus faisait, Jésus rappelait qu'il les faisait avec la permission de Dieu : "أَنِّي أَخْلُقُ لَكُم مِّنَ الطِّينِ كَهَيْئَةِ الطَّيْرِ فَأَنفُخُ فِيهِ فَيَكُونُ طَيْرًا بِإِذْنِ اللّهِ وَأُبْرِىءُ الأكْمَهَ والأَبْرَصَ وَأُحْيِي الْمَوْتَى بِإِذْنِ اللّهِ" (Coran 3/49). Bien qu'il disposait également pour cela du idhn shar'î de Dieu, Jésus voulait parler ici du idhn takwînî, voulant dire qu'il ne fait pas cela de façon indépendante par rapport à la gestion divine.
Même les actions humaines interdites ne se font pas sans que Dieu l'ait voulu (irâda takwîniyya), même s'Il n'agrée pas ces actions humaines. C'est pour cela qu'il rappelle que même ceux qui font des incantations pour provoquer la rupture entre mari et femme, ne peuvent le réaliser qu'avec la permission (takwînî) de Dieu, bien que Dieu a interdit cela (il n'y a donc pas idhn shar'î de Dieu) : "فَيَتَعَلَّمُونَ مِنْهُمَا مَا يُفَرِّقُونَ بِهِ بَيْنَ الْمَرْءِ وَزَوْجِهِ وَمَا هُم بِضَآرِّينَ بِهِ مِنْ أَحَدٍ إِلاَّ بِإِذْنِ اللّهِ وَيَتَعَلَّمُونَ مَا يَضُرُّهُمْ وَلاَ يَنفَعُهُمْ وَلَقَدْ عَلِمُواْ لَمَنِ اشْتَرَاهُ مَا لَهُ فِي الآخِرَةِ مِنْ خَلاَقٍ وَلَبِئْسَ مَا شَرَوْاْ بِهِ أَنفُسَهُمْ لَوْ كَانُواْ يَعْلَمُونَ" (Coran 2/102).

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1.b) Il y a celui qui a comme croyance que Dieu est Seul Créateur de l'univers, et qu'à l'origine c'est Dieu qui est Seul Détenteur du pouvoir de gestion des affaires de l'univers. Cependant, cet homme croit que Dieu a ensuite confié à des créatures dotées de choix (ikhtiyâr) le pouvoir de gérer certaines grandes affaires :

Il s'agit d'un shirk akbar (associationnisme, qui contredit le asl ut-tawhîd, fondement même du monothéisme).

C'est Dieu qui gère toute chose. Rien ne se passe sans qu'Il l'ait voulu (irâda takwîniyya). Le problème ici réside dans le fait d'avoir conféré à une créature dotée de choix (ikhtiyâr) l'aptitude à réaliser librement des choses importantes, dont Dieu ne lui a pas accordé la Capacité.

Ibn ul-'Uthaymîn écrit ainsi qu'avoir comme conception que l'étoile gère la pluie elle-même, cela constitue du shirk akbar fi-rubûbiyya ("أن ينسب حصول الأمطار إلى هذه الأنواء على أنها هي الفاعلة بنفسها دون الله، ولو لم يدعها؛ فهذا شرك أكبر في الربوبية") (Al-Qawl ul-mufîd, pp. 597-598).

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1.c) Il y a celui qui a comme croyance que Dieu Seul gère toute chose dans l'univers. Par ailleurs, d'une part cet homme sait que le monde est composé de causes (asbâb) et d'effets (mussabbabât) et il agit en fonction ; d'autre part il a développé en son cœur que c'est ce que Dieu veut qui se réalise par ces causes et il agit aussi en fonction. Cependant, cet homme établit comme cause matérielle (dénuée de choix, ikhtiyâr) ce dont il n'est pas établi que cela est réellement une cause :

Il s'agit d'un shirk asghar (manquement dans le kamâl ut-tawhîd al-wâjib).

Ibn ul-'Uthaymîn écrit ainsi : "القسم الثاني: شرك أصغر، وهو أن يجعل هذه الأنواء سببا، مع اعتقاده أن الله هو الخالق الفاعل؛ لأنّ كل مَن جعل سببا لم يجعله الله سببا، لا بوحيه ولا بقدر، فهو مشرك شركا أصغر" (Al-Qawl ul-mufîd, p. 598).

Ainsi en est-il de celui qui croit que telle position de telle étoile est la cause qui entraîne qu'il pleut.
"عن زيد بن خالد الجهني، أنه قال: صلى لنا رسول الله صلى الله عليه وسلم صلاة الصبح بالحديبية على إثر سماء كانت من الليلة. فلما انصرف أقبل على الناس فقال: هل تدرون ماذا قال ربكم؟ قالوا: الله ورسوله أعلم. قال: "أصبح من عبادي مؤمن بي وكافر، فأما من قال: مطرنا بفضل الله ورحمته، فذلك مؤمن بي وكافر بالكوكب؛ وأما من قال: بنوء كذا وكذا، فذلك كافر بي ومؤمن بالكوكب" :
"Zayd ibn Khâlid relate que, à Hudaybiya, alors qu'il avait plu la nuit, après la prière de l'aube, le Prophète (que Dieu prie sur lui et le salue) se tourna vers les gens et dit : "Savez-vous ce que votre Rabb a dit ? - Dieu et Son Messager savent mieux. - Il a dit : "Ce matin, il en est parmi Mes serviteurs qui sont mu'min en Moi et d'autres qui sont kâfir (en Moi). Celui qui a dit : "Nous avons eu de la pluie par la Grâce et la Miséricorde de Dieu, celui-là est mu'min en Moi et kâfir par rapport à l'étoile. Quant à celui qui a dit : "par la position de telle étoile, celui-là est mu'min en l'étoile, kâfir par rapport à Moi"" (al-Bukhârî 810, Muslim 71).

Ibn ul-'Uthaymîn écrit qu'il s'agit ici d'un kufr asghar seulement : "قوله: "وأما من قال: مطرنا بنوء كذا وكذا": الباء للسببية؛ "فذلك كافر بي مؤمن بالكوكب": وصار كافرا بالله لأنه أنكر نعمة الله ونسبها إلى سبب لم يجعله الله سببا، فتعلقت نفسه بهذا السبب، ونسي نعمة الله. وهذا الكفر لا يخرج من الملة؛ لأن المراد نسبة المطر إلى النوء على أنه سبب، وليس إلى النوء على أنه فاعل، لأنه قال: "مطرنا بنوء كذا" ولم يقل: "أنزل علينا المطر نوء كذا"، لأنه لو قال ذلك لكان نسبة المطر إلى النوء نسبة إيجاد" (Al-Qawl ul-mufîd, p. 609).
Il écrit également :
"فنسبة المطر إلى النوء تنقسم إلى ثلاثة أقسام:
نسبة إيجاد، وهذه شرك أكبر.
نسبة سبب، وهذه شرك أصغر.
نسبة وقت، وهذه جائزة، بأن يريد بقوله: مطرنا بنوء كذا؛ أي: جاءنا المطر في هذا النوء، أي في وقته"
(Ibid., p. 610).

La différence avec le cas précédent est que là-bas était évoqué celui qui croit en le caractère autonome par rapport à Dieu ; alors qu'ici est mentionné celui qui croit en le caractère de cause créée et gérée par Dieu, sauf qu'il n'est pas établi que ceci est une cause réelle.

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Ainsi en est-il également de celui qui considère un fait naturel comme quelque chose de mauvais augure.

Des Arabes, pour savoir si le moment pour entreprendre leur affaire était propice, faisaient s'envoler un oiseau et voyaient quelle direction il prenait : s'il s'envolait à droite, c'était le signe révélateur que l'entreprise réussirait, et ils s'y engageaient ; s'il s'envolait à gauche, c'était de mauvaise augure et ils se retenaient de faire ce qu'ils projetaient (voir Fath ul-bârî 10/262). Le Prophète expliqua que cela n'a pas de fondement (al-'iyâfa).
Des Arabes croyaient aussi qu'entendre le terme "échec" alors qu'on allait entreprendre une affaire, cela était le signe révélateur que l'affaire en question se solderait par un échec et qu'il valait donc mieux rebrousser chemin. Le Prophète expliqua que cela n'a aucun fondement ("ولا طيرة") ; et il a qualifié cela de shirk : "عن عبد الله بن مسعود قال: "قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "الطيرة من الشرك"، وما منا إلا، ولكن الله يذهبه بالتوكل". (...) سمعت محمد بن إسماعيل يقول: "كان سليمان بن حرب يقول في هذا الحديث، وما منا، ولكن الله يذهبه بالتوكل": قال سليمان: "هذا عندي قول عبد الله بن مسعود: "وما منا" (at-Tirmidhî, 1614) ; "عن عبد الله بن مسعود، عن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "الطيرة شرك، الطيرة شرك"، ثلاثا. وما منا إلا، ولكن الله يذهبه بالتوكل" (Abû Dâoûd, 3910).

Tant que la personne ne croit pas cela être mustaqill 'an-illâh, cela demeure un shirk asghar, car consistant en le fait de croire sabab mu'atthir ce qui ne l'est pas.

Ibn ul-'Uthaymîn :
"قوله: "الطيرة شرك، الطيرة شرك" هاتان الجملتان يؤكد بعضهما بعضا من باب التوكيد اللفظي. وقوله: "شرك": أي: إنها من أنواع الشرك، وليست الشرك كله، وإلا، لقال: "الطيرة الشرك".
هل المراد بالشرك هنا الشرك الأكبر المخرج عن الملة، أو أنها نوع من أنواع الشرك؟
نقول: هي نوع من أنواع الشرك. (...) فإذا تطير إنسان بشيء رآه أو سمعه، فإنه لا يعد مشركا شركا يخرجه من الملة، لكنه أشرك من حيث إنه اعتمد على هذا السبب الذي لم يجعله الله سببا، وهذا يضعف التوكل على الله ويوهن العزيمة، وبذلك يعتبر شركا من هذه الناحية. والقاعدة: "إن كل إنسان اعتمد على سبب لم يجعله الشرع سببا، فإنه مشرك شركا أصغر". وهذا نوع من الإشراك مع الله: إما في التشريع إن كان هذا السبب شرعيا؛ وإما في التقدير إن كان هذا السبب كونيا.
لكن لو اعتقد هذا المتشائم المتطير أن هذا فاعل بنفسه دون الله، فهو مشرك شركا أكبر، لأنه جعل لله شريكا في الخلق والإيجاد" (Al-Qawl ul-mufîd, pp. 574-575).

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1.d) Il y a celui qui a foi en Dieu comme étant Celui qui gère toute chose selon Sa décision (Rabb). Cependant, les causes matérielles qui sont dûment établies,
dans son cœur et dans son esprit cet homme leur accorde une importance telle qu'il se focalise uniquement sur elles et qu'il se repose (yatawakkalu) sur elles :

Il s'agit d'un shirk asghar (manquement dans le kamâl ut-tawhîd al-wâjib).

C'est éviter ce niveau que visent les rappels du Coran et de la Sunna suivants...

Dieu a reproché à des musulmans d'avoir, à Hunayn, placé leur confiance excessive sur leur supériorité numérique et d'avoir oublié que l'aide vient de Dieu : "لَقَدْ نَصَرَكُمُ اللّهُ فِي مَوَاطِنَ كَثِيرَةٍ وَيَوْمَ حُنَيْنٍ إِذْ أَعْجَبَتْكُمْ كَثْرَتُكُمْ فَلَمْ تُغْنِ عَنكُمْ شَيْئًا وَضَاقَتْ عَلَيْكُمُ الأَرْضُ بِمَا رَحُبَتْ ثُمَّ وَلَّيْتُم مُّدْبِرِينَ" (Coran 9/25).
C'était là aussi un manquement dans kamâlu tawhîd illâh fi-r-rubûbiyya.

"عن ابن عباس، قال: كنت خلف رسول الله صلى الله عليه وسلم يوما، فقال: "يا غلام إني أعلمك كلمات. احفظ الله يحفظك، احفظ الله تجده تجاهك. إذا سألت فاسأل الله، وإذا استعنت فاستعن بالله، واعلم أن الأمة لو اجتمعت على أن ينفعوك بشيء لم ينفعوك إلا بشيء قد كتبه الله لك، ولو اجتمعوا على أن يضروك بشيء لم يضروك إلا بشيء قد كتبه الله عليك، رفعت الأقلام وجفت الصحف" : "… Lorsque tu demandes (quelque chose), demande à Dieu. Et lorsque tu demandes l'aide, demande l'aide à Dieu. Et sache que si toute l'humanité se réunissait pour te faire du bien, elle ne pourrait te faire du bien que par ce que Dieu a déjà prédestiné pour toi ; et si elle se réunissait pour te faire du tort, elle ne pourrait te faire du tort que par ce que Dieu a déjà prédestiné pour toi…" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 2516).

– C'est aussi le cas de celui qui a recours à une tamîma au contenu légal mashrû'), mais qui place sur elle toute sa confiance. "وقوله: "فقد أشرك": هذا الشرك يكون أكبر إن اعتقد أنها ترفع أو تدفع بذاتها دون أمر الله؛ وإلا فهو أصغر (Al-Qawl ul-mufîd, p. 161 ; à lire après pp. 174-175).

"عن ابن عباس، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم، كان يقول: "اللهم لك أسلمت، وبك آمنت، وعليك توكلت، وإليك أنبت، وبك خاصمت. اللهم إني أعوذ بعزتك، لا إله إلا أنت، أن تضلني. أنت الحي الذي لا يموت، والجن والإنس يموتون" : "O Dieu, à Toi je me suis soumis, en Toi j'ai apporté foi, en Toi j'ai placé ma confiance, vers Toi je suis revenu et par Toi j'ai discuté. O Dieu, je cherche protection auprès de Ta Gloire – il n'y a pas de divinité en dehors de Toi – contre le fait que Tu m'égares. Tu es le Vivant qui ne meurt pas, alors que les djinns et les humains meurent" (rapporté par Muslim, n° 2717).

"قال ابن عباس في الآية: "الأنداد هو الشرك، أخفى من دبيب النمل على صفاة سوداء في ظلمة الليل؛ وهو أن تقول: "والله وحياتك يا فلان وحياتي." وتقول: "لولا كليبة هذا لأتانا اللصوص، ولولا البط في الدار لأتانا اللصوص"، وقول الرجل لصاحبه: "ما شاء الله وشئت"، وقول الرجل: "لولا الله وفلان، لا تجعل فيها فلانا". هذا كله به شرك" رواه ابن أبي حاتم" : Ibn Abbâs a ici expliqué qu'une certaine forme d'associationnisme était plus dissimulée ("akhfâ") que la marche de la fourmi sur une pierre noire dans une nuit sombre. Il a cité ensuite parmi plusieurs cas de ce shirk (asghar) le fait de dire : "Sans le canard dans la (cour de la) demeure, les cambrioleurs seraient venus chez nous", etc. (rapporté par Ibn Abî Hâtim, cité dans Kitâb ut-tawhîd, p. 118).

– C'est également pour éviter cela que Dieu rappelle dans le Coran que c'est Lui qui fait pousser les plantes que les hommes mettent en terre pour en récolter les grains, et que s'Il le voulait, Il le réduirait en miettes ; et que c'est Lui qui fait tomber la pluie des nuages, et que s'Il le voulait, Il rendrait cette eau saumâtre : "أَفَرَأَيْتُم مَّا تَحْرُثُونَ أَأَنتُمْ تَزْرَعُونَهُ أَمْ نَحْنُ الزَّارِعُونَ لَوْ نَشَاء لَجَعَلْنَاهُ حُطَامًا فَظَلَلْتُمْ تَفَكَّهُونَ إِنَّا لَمُغْرَمُونَ بَلْ نَحْنُ مَحْرُومُونَ. أَفَرَأَيْتُمُ الْمَاء الَّذِي تَشْرَبُونَ أَأَنتُمْ أَنزَلْتُمُوهُ مِنَ الْمُزْنِ أَمْ نَحْنُ الْمُنزِلُونَ لَوْ نَشَاء جَعَلْنَاهُ أُجَاجًا فَلَوْلَا تَشْكُرُونَ. أَفَرَأَيْتُمُ النَّارَ الَّتِي تُورُونَ أَأَنتُمْ أَنشَأْتُمْ شَجَرَتَهَا أَمْ نَحْنُ الْمُنشِؤُونَ نَحْنُ جَعَلْنَاهَا تَذْكِرَةً وَمَتَاعًا لِّلْمُقْوِينَ فَسَبِّحْ بِاسْمِ رَبِّكَ الْعَظِيمِ" (Coran 56/63-74).

Ibn Taymiyya écrit : "قال بعض الفضلاء: تكلم قوم من الناس في إبطال الأسباب والقوى والطبائع فأضحكوا العقلاء على عقولهم. ثم إن هؤلاء يقولون لا ينبغي للإنسان أن يقول إنه شبع بالخبز وروي بالماء، بل يقول شبعت عنده ورويت عنده؛ فإن الله يخلق الشبع والري ونحو ذلك من الحوادث عند هذه المقترنات بها عادة، لا بها. وهذا خلاف الكتاب والسنة؛ فإن الله تعالى يقول: {وهو الذي يرسل الرياح بشرا بين يدي رحمته حتى إذا أقلت سحابا ثقالا سقناه لبلد ميت فأنزلنا به الماء فأخرجنا به من كل الثمرات} الآية وقال تعالى {وما أنزل الله من السماء من ماء فأحيا به الأرض بعد موتها وبث فيها من كل دابة} (...)، وقال {ونزلنا من السماء ماء مباركا فأنبتنا به جنات وحب الحصيد}، وقال تعالى {وهو الذي أنزل من السماء ماء فأخرجنا به نبات كل شيء}، وقال تعالى {ألم تر أن الله أنزل من السماء ماء فأخرجنا به ثمرات مختلفا ألوانها}" (MF 8/137). "وأهل السنة لا ينكرون وجود ما خلقه الله من الأسباب، ولا يجعلونها مستقله بالآثار، بل يعلمون أنه ما من سبب مخلوق إلا وحكمه متوقف على سبب آخر، وله موانع تمنع حكمه. كما أن الشمس سبب في الشعاع، وذلك موقوف على حصول الجسم القابل به، وله مانع كالسحاب والسقف. والله خالق الأسباب كلها، ودافع الموانع" (Dar'u ta'ârudh il-'aqlwa-n-naql, 9/29).

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1.e) Il y a celui qui a la croyance en le fait que Dieu est Celui qui gère toute chose selon Ses décisions (tadbîr), et qui a aussi recours aux éléments matériels - dont la causalité est établie (thâbit us-sababiyya), - qui sont en son possible (mumkina), - et qui sont licites (halâl), sans oublier de L'invoquer. D'une part cet homme sait que le monde est composé de causes et d'effets et on agit en fonction. D'autre part il a développé en son cœur que c'est ce que Dieu veut qui se réalise par ces causes, et il agit donc en fonction :

Il s'agit du juste milieu enseigné par le Prophète.

En effet, à un homme venu lui demander : "Messager de Dieu, j'attache ma chamelle et place ma confiance en Dieu, ou bien je la laisse libre et place ma confiance en Dieu ?", le Prophète (sur lui soit la paix) a répondu : "Attache-la et place ta confiance en Dieu" : "عن أنس بن مالك قال: قال رجل: يا رسول الله أعقلها وأتوكل، أو أطلقها وأتوكل؟ قال: "اعقلها وتوكل" (at-Tirmidhî, 2517).

De même, à Badr, on a vu le Prophète avoir recours à tout ce qui était en son possible (il a accepté le conseil de al-Hubâb ibn Mundhir qui lui avait suggéré de choisir un autre emplacement que celui où il avait d'abord décidé de s'installer, il a posté ses Compagnons aux endroits les plus appropriés, etc.) puis se retirer pour prier de tout son cœur Dieu, au point que Abû Bakr dut le tranquilliser.

La règle applicable normalement est donc d'avoir recours à la cause matérielle et de faire l'action spirituelle (invoquer Dieu). Le recours à la chose  matérielle (licite) est d'autant plus nécessaire que le lien de causalité entre cette chose matérielle et l'effet escompté est fort, et que l'obtention de cet effet est nécessaire (hâjî). Quant à l'invocation adressée à Dieu (du'â), elle est aussi cause (sabab) : soit que Dieu, ayant exaucé l'invocation de demande, fait intervenir une cause matérielle, soit (mais cela est exceptionnel) qu'Il fait se réaliser l'effet demandé de façon contraires aux lois matérielles, par miracle (karâma dans le cas des non-prophètes).

C'est au cas où on ne peut pas avoir recours à la cause matérielle qu'on a alors recours à l'action spirituelle seulement (soit que la cause matérielle, bien que licite pour nous, n'est pas à notre portée ; soit qu'elle n'est pas licite pour nous, en soi ou à cause de la circonstance).

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1.f) Il y a celui qui a foi en Dieu comme étant Celui qui gère toute chose selon Sa décision (Rabb), et qui a développé en son cœur que c'est ce que Dieu veut qui se réalise. Cependant, cet homme a de l'exagération (ghuluww). En effet :

--- 1.f.a) soit cet homme nie complètement l'existence d'un lien entre causes matérielles et effets :

Il s'agit alors d'un manquement dans sa raison ("محو الأسباب أن تكون أسبابا: نقص في العقل" : Al-Wâssita bayn al-haqq wal-khalq, p. 33) ;

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--- 1.f.b) soit cet homme ne nie pas la causalité matérielle mais se détourne des causes matérielles complètement, délibérément et sans motif d'empêchement :

Il s'agit d'un manquement dans le fait de suivre la voie du Prophète, puisque celui-ci a préconisé d'avoir recours aux causes qui sont en son possible ("الإعراض عن الأسباب بالكلية: قدح في الشرع بل هو أيضا قدح في العقل" : Al-Wâssita, p. 33).

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2) Par rapport à l'invocation de demande (du'â ul-mas'ala) :

Adresser volontairement une invocation (du'â) à une entité autre que Dieu – représentée ou non par une idole –, c'est un acte de shirk akbar (acte d'associationnisme contredisant le fondement même du monothéisme et constituant donc un acte d'incroyance, kufr akbar), car exprimant le cas 1.a ou le cas 1.b.
Et cela :
que la personne qui fait ainsi croit que cette entité dispose de ce pouvoir de façon propre, sans qu'elle ait aussi la croyance en un Créateur Suprême (ce qui renvoie au cas 1.a) ;
ou que cette personne ait comme croyance que Dieu le Créateur existe et que c'est de Lui que cette entité a reçu le pouvoir d'exaucer la demande qu'on lui fait (comme c'est de l'empereur qu'un roi reçoit le droit d'administrer son royaume, et comme c'est du roi qu'un seigneur reçoit le droit d'administrer son fief) (ce qui renvoie au cas 1.b).

Dans les deux cas il s'agit donc d'un acte de shirk akbar.

Lire :
- l'article expliquant ce que sont le monothéisme et le polythéisme ;
- l'article relatif à l'invocation d'êtres invisibles.

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En d'autres termes :

"الالتفات إلى الأسباب [فقط]: شرك في التوحيد" (Al-Wâssita, p. 33).
Thumma hâdha-sh-shirk :
shirkun akbar idhâ kâna-l-iltifâtu ila-l-asbâb ma'a rafdhi kawn-illâhi mussabbib al-asbâb (in shâ'a abqâ sababiyyatihâ jâriyatan, wa in shâ'a ghayyarahâ)"
(1.a) (c'est ce que j'ai compris de Kitâb ul-qawl is-sadîd, p. 119 et p. 35) ;
shirkun asghar idhâ kâna-l-iltifâtu ila-l-asbâb i'timâdan 'alayhâ bi haythu lam ya'ud il-muslimu yastahdhiru annahâ murtabita bi irâdatillâh (in shâ'a abqa-llâhu sababiyyatihâ jâriyatan, wa in shâ'a ghayyarahâ)" (1.d) (c'est ce que j'ai compris de Kitâb ul-qawl is-sadîd, p. 119 et p. 35).

Le fait est que les règles concernant la dimension visible et celles concernant la dimension invisible ne sont pas partout les mêmes (en effet, le caractère de la demande que l'on fait à un être visible est différent de celui de la demande que l'on fait à un être invisible ; de même, la croyance en des éléments qui ne figurent pas dans les textes est possible si ces éléments relèvent de la dimension visible et ont été vérifiés, mais pas s'ils relèvent de la dimension invisible).

Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî a lui aussi souligné la différence de caractère entre l'attachement à d'autres entités que Dieu, dans la dimension invisible, et l'excès d'attachement, de la part d'un musulman, à certains éléments de la dimension visible (cf. 'Asr-é hâdhir mein dîn ki tafhîm wa tashrîh, pp. 83-85 : la problématique qu'il a évoquée dans ces pages n'est pas exactement celle dont nous traitons ici, mais elle est quand même voisine).

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Il faut donc faire attention à certaines choses :

Premièrement) Il ne faut pas confondre le cas 1.e avec le cas 1.d :

Le cas 1.d est interdit.

Alors que le 1.e est non seulement autorisé, c'est même ce qui a été préconisé et pratiqué par le Prophète.

De plus, si on confond ces deux cas, on sera fatalement amené à croire que l'islam rend obligatoire d'adopter le cas 1.f, alors que ce cas 1.f constitue un "manquement dans sa raison" (1.f.a) ou un "manquement dans sa compréhension de l'islam" (1.f.b).

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Deuxièmement) Il ne faut pas mettre au même niveau le cas 1.d d'une part, et le cas 2 ou 1.a d'autre part :

Les cas 2 et 1.a constituent des cas de shirk akbar, donc de kufr akbar.

Alors que le cas 1.d relève d'un shirk asghar. Certes, celui-ci constitue un péché majeur – kabîra (cf. Fat'h ul-majîd, p. 152) –, en tant que manquement par rapport au monothéisme complet et obligatoire (comme l'est d'ailleurs le fait d'agir par ostentation, riyâ', qui est aussi un shirk asghar). Cependant, un acte de shirk asghar n'est pas un acte d'incroyance (kufr akbar).

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Troisièmement) Il faut éviter d'employer de façon inconditionnelle le mot "Mushrik" à propos d'une personne – même indéterminée – qui souffre du cas 1.d seulement, sous prétexte que "même si cela est Asghar, c'est quand même du Shirk" :

Car, employé de façon inconditionnelle, le terme "mushrik" désigne "celui qui commet du shirk akbar".
Exactement comme, lorsque employé de façon inconditionnelle, le terme "mu'min" désigne "celui qui possède la imân kâmil".

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Peut-on dire : "N'était notre alarme, nous aurions été cambriolés", ou bien est-ce systématiquement une parole de Shirk Asghar (donc une parole relevant du cas 1.d) ?

Cette formulation n'est pas systématiquement interdite.

Le propos de Ibn Abbâs qualifiant la parole "N'était le canard dans la (cour de la) demeure, les cambrioleurs seraient venus chez nous" de "shirk (asghar)", une lecture littérale de ce propos conduirait à croire que cette formulation constitue systématiquement du shirk asghar et est donc interdite en soi.

Mais n'est-il pas également relaté que Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) a dit : "N'était Alî, Omar aurait commis une erreur énorme ("Lawlâ 'Alîyyun, la halaka 'Umar")" (ce propos, très célèbre, a été cité par Ibn Taymiyya aussi dans Minhâj us-sunna an-nabawiyya, 4/251 ; certes, il n'a ni confirmé ni infirmé son authenticité ; cependant, il n'a pas dit non plus que ce genre de propos était contraire en soi au tawhîd kâmil et qu'il était donc impossible qu'un homme comme Omar l'ait prononcé).

A la lumière de la parole de Omar, on peut comprendre le propos de Ibn Abbâs comme signifiant deux choses :
A) Ce genre de formulation est interdite quand elle exprime qu'il y a dans le cœur un excès de confiance en les causes matérielles, car alors elle constitue effectivement une parole de shirk asghar.
B) Par contre, ce genre de formulation n'est pas interdite si le croyant est conscient qu'il ne l'utilise que dans un sens figuré (majâz 'aqlî) et que c'est bien Dieu qui gère tout et qui protège – et on comprend alors que Omar ibn ul-Khattâb a pu utiliser une phrase de ce type. Ainsi comprise, l'utilisation ponctuelle de ce genre de formulation n'est pas interdite. Cependant, même ainsi comprise, l'utilisation quasi-systématique de cette formulation est aussi à éviter, car elle mènera peu à peu le croyant à reléguer Dieu à la seconde place – sans qu'il en soit forcément conscient –, donc au shirk asghar. Il est donc nécessaire d'utiliser régulièrement et lorsque le lieu où l'on se trouve le permet la formulation exprimant tout ce que son cœur contient : "N'était Dieu, ensuite l'alarme, nous aurions été cambriolés". Ceci contribuera à éviter au croyant de tomber dans le cas 1.d, et à le maintenir dans le cas 1.e.

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Un cas voisin : Un musulman peut-il dire : "Il a plu à cause du front froid d'origine polaire et de l'anticyclone se trouvant actuellement au sud de notre région" ?

Cela dépend

Cette parole est une parole d'incroyance (shirk akbar, donc kufr akbar) :

----- si elle exprime la conception athée, selon laquelle ces éléments atmosphériques ont été les causes qui, par les interactions physiques qu'elles ont engendrées, entraîné la pluie, et ce de façon indépendante par rapport à un Dieu qui de toute façon n'existe pas ;

----- ou si elle exprime la conception qu'ont aujourd'hui certaines personnes qui disent croire en Dieu mais croire aussi que Dieu a créé l'univers puis a laissé ce dernier fonctionner de façon autonome : pour ces personnes, ces éléments atmosphériques ont été les causes qui, par les interactions physiques qu'elles ont engendrées, ont entraîné la pluie, et ce de façon autonome par rapport à Dieu ;

----- ou encore si elle exprime la croyance animiste, selon laquelle ces éléments atmosphériques sont – à l'instar des éléments terrestres comme les fleuves, les volcans, les montagnes – habités de / ou animés par des entités métaphysiques qu'il faut invoquer et auxquels il faut faire des offrandes pour se concilier leurs bonnes grâces et obtenir ainsi les effets que l'on connaît.

Par contre, cette parole est en soi autorisée (jâ'ïz) si celui qui l'utilise veut seulement dire que ces éléments atmosphériques ont été les causes (asbâb) de la pluie dans la mesure où ils sont les moyens que Dieu a mis en place dans l'univers, mais que, parallèlement, Dieu gère ces moyens à chaque instant.
Cependant, en sus de la présence de cette conception dans son cœur, il faut aussi, par ses propos, rappeler et se rappeler (régulièrement et lorsque le lieu où l'on se trouve le rend possible) qu'au-delà des causes se trouve la décision de Dieu. On devrait ainsi ne pas toujours employer l'autre formulation, mais aussi, et assez souvent, celle-ci : "Il a plu grâce à Dieu puis à cause du front froid d'origine polaire et de l'anticyclone se trouvant actuellement au sud de notre région" ; ce rappel régulier sera à même d'éviter que l'on tombe dans le shirk asghar en donnant une place excessive aux causes physiques dans son cœur.

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Un autre cas voisin :

Le cas de la confiance en Dieu comme Cause de chaque événement semble rejoindre le cas de la reconnaissance vis-à-vis de Dieu pour tous les bienfaits dont on jouit dans la vie – la vie, la santé, la raison, la famille, les biens, la sécurité, la dignité, etc.

En effet, ici aussi il y a :
d'une part) le fait de nier la croyance même que chacun de ces bienfaits a été octroyé par Dieu : il s'agit d'incroyance (kufr akbar) ;
d'autre part) le fait de bien avoir comme croyance que tous les bienfaits dont on dispose ont été octroyés par Dieu, mais ensuite, au niveau de ses propos, de dire : "C'est par mon labeur que j'ai obtenu tout cela" sans presque jamais mentionner Dieu : il ne s'agit bien sûr pas d'une parole d'incroyance mais c'est en tous cas un monothéisme qui n'est pas parfait (d'après Kitâb ul-qawl is-sadîd, p. 117), car il s'agit d'un shirk asghar. C'est aussi, en d'autres termes, du narcissisme ;
ce qu'il faut donc c'est avoir comme croyance et, au niveau de ses paroles, rappeler et se rappeler régulièrement (dès que le lieu où l'on se trouve le rend possible), que tous les bienfaits dont on dispose ont été octroyés par Dieu.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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