Les "Mâni'u-z-zakât" de l'époque de Abû Bakr : qu'ont-ils réellement refusé de faire ? - Le fait de délaisser par paresse la pratique de l'un des 4 piliers de l'islam constitue-t-il du kufr akbar ?

Un message reçu :

Comment as-tu pu écrire que si quelqu'un ne fait pas les actions obligatoires mais ne renie pas les croyances, il reste musulman ? Crains Allah !
Sache qu'à l'unanimité, quand une personne ne fait pas la prière et ne s'acquitte pas de la zakât, elle n'est plus musulmane, même si elle ne renie pas les articles de croyance et croit toujours que la prière et la zakât sont obligatoires.
C'est bien pourquoi Abû Bakr avait combattu les "Mâni'u-z-zakât", avec l'approbation unanime des Compagnons.

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Réponse :

Non, ce que vous dites ne fait pas l'unanimité, ce n'est qu'un avis.
Un autre avis existe, nous allons le voir. Et c'est celui-ci auquel j'adhère.

D'après cet autre avis, les musulmans qui négligeaient de payer la zakât sans renier en croyance le caractère obligatoire de celle-ci, Abû Bakr (que Dieu l'agrée) ne les a pas combattus parce que, négligeant cela, ils seraient devenus kâfirs, mais parce qu'ils s'étaient organisés en une forme de rébellion (tâ'ïfa mumtani'a) (cliquez ici et ici)...

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En fait après le décès du Prophète (sur lui la paix), il y eut, à l'intérieur de la Dâr ul-Islâm pendant la période des quatre premiers califes, 4 types de groupes que le calife en fonction entreprit de combattre :

1) Il y eut les gens qui, à l'époque du califat de Abû Bakr (que Dieu l'agrée), apostasièrent et soit retournèrent à l'idolâtrie, soit crurent en Mussaylima ou en al-Aswad al-'Ansî comme étant un prophète de Dieu :

Eux furent kâfirs (et ceux d'entre eux qui étaient musulmans devinrent apostats).

2) Il y eut les quelques Compagnons (que Dieu les agrée) qui, à la tête d'un groupe, refusèrent de reconnaître l'autorité de 'Ali (que Dieu l'agrée) et auxquels Ali fit face à Jamal et à Siffîn :

A l'unanimité eux n'étaient ni kâfirs ni dhâll ; ils furent bughât bi bagh'yin mujarrad ; leur bagh'y reposait sur une erreur d'interprétation (khata' ijtihâdî) de leur part. Cliquez ici et ici pour en savoir plus.

3) Il y eut les Harûriyyûn de l'époque du califat de 'Alî :

D'après l'avis de certains muhaddithûn, ils furent kâfirs ; mais d'après l'avis de la plupart des ulémas (surtout les fuqahâ'), ils ne furent pas kâfirs mais dhâll (déviants). Cliquez ici pour en savoir plus.

4) Enfin il y eut les "mâni'u-z-zakât" de l'époque du califat de Abû Bakr :

C'est ce qui nous intéresse ici par rapport à votre question...

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Répondre à votre question demande que l'on aborde plusieurs points :

Premier point) En fait que désignent ces termes "mâni'u-z-zakât" de l'époque de Abû Bakr ?

Cela désigne-t-il :
4.1) ceux qui renièrent que la zakât soit obligatoire et exprimèrent leur croyance selon laquelle elle n'est pas (ou plus) obligatoire ?
4.2) ceux qui avaient toujours comme croyance que la zakât est obligatoire sur qui réunit un certain nombre de conditions, mais décidèrent, de façon organisée (ils formaient un groupe constituée autour de cette idée, une tâ'ïfa mumtani'a), de ne plus s'en acquitter bien qu'elle fût obligatoire sur eux ?
4.3) ceux qui savaient que la zakât est obligatoire sur qui réunit un certain nombre de conditions, et s'en acquittaient toujours, mais refusèrent de la remettre à l'autorité califale et décidèrent de la faire parvenir eux-mêmes aux pauvres ?

Ibn Taymiyya écrit que Abû Bakr n'eut pas à faire face à des gens se trouvant dans le cas 4.3 (MS 2/332). (Si des musulmans se trouvaient dans ce cas 4.3, ils seraient, d'après Abû Hanîfa et Ahmad ibn Hanbal, des bughât "bi bagh'yin mujarrad", et l'autorité ne pourrait pas les combattre : MS 2/335.)

Abû Bakr eut à faire face :
soit à des gens qui exprimèrent que leur croyance est que la zakât n'est pas obligatoire (ou n'est pas obligatoire sur eux), ou n'est plus obligatoire (en général, ou bien sur eux particulièrement) après le décès du Prophète [cas 4.1] ;
soit à des gens qui avaient toujours comme croyance que la zakât est obligatoire sur qui réunit un certain nombre de conditions, mais qui décidèrent de ne plus s'en acquitter bien qu'elle fût obligatoire sur eux [cas 4.2].

Ibn Hajar écrit : "والمراد بالفرق من أقر بالصلاة وأنكر الزكاة جاحدا أو مانعا مع الاعتراف؛ وإنما أطلق في أول القصة الكفر ليشمل الصنفين فهو في حق من جحد حقيقة وفي حق الآخرين مجاز تغليبا؛ وإنما قاتلهم الصديق ولم يعذرهم بالجهل لأنهم نصبوا القتال فجهز إليهم من دعاهم إلى الرجوع فلما أصروا قاتلهم" : "Par "(ceux qui font) la différence (entre la prière et la zakât)", (Abû Bakr) voulait désigner : ceux qui acceptent (d'accomplir) la prière (mais) refusent le caractère obligatoire de la zakât [soit le cas 4.1], ou bien qui refusent de s'en acquitter tout en reconnaissant son caractère obligatoire [soit le cas 4.2]" (Fat'h ul-bârî 12/347).

D'après al-Bukhârî, ces gens refusaient le iltizâm (au niveau des croyances même), concernant la zakât [soit le cas 4.1] : il a titré sur le récit de Abû Bakr combattant les mâni'u-z-zakât" : "(...) Qui a refusé d'accepter les obligations, et du fait qu'ils ont été affiliés à l'apostasie" ("(...) man abâ qabûl al-farâ'ïdh, wa mâ nussibû ila-r-ridda") (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb istitâbat il-murtaddîn, bâb n° 3).

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Second point) Ceux qui étaient dans le cas 4.1 ont adopté une croyance de kufr :

Ceux qui se trouvaient dans le cas 4.1 à l'époque de Abû Bakr avaient adopté une posture de kufr akbar.
Cependant, ils étaient ignorants, et Abû Bakr ne les a donc pas considérés kafir bi-l-'ayn tant que iqâmat ul-hujja n'eut pas lieu.

Ibn Hajar écrit ainsi : "والذين تمسكوا بأصل الإسلام ومنعوا الزكاة بالشبهة التي ذكروها، لم يحكم عليهم بالكفر قبل إقامة الحجة" (Fat'h ul-bârî 12/350).

Cette "shub'ha" consiste en la ta'wîl à laquelle ils eurent recours, écrit al-Kashmîrî (Ikfâr ul-mulhidîn, p. 24), et c'est la ta'wîl que Ibn Hajar a évoquée 3 pages auparavant par le biais de cette citation de al-Khattâbî :
"قال الخطابي: زعم الروافض أن حديث الباب متناقض٬ لأن في أوله أنهم كفروا٬ وفي آخره أنهم ثبتوا على الإسلام إلا أنهم منعوا الزكاة٬ فإن كانوا مسلمين فكيف استحل قتالهم وسبي ذراريهم؟ وإن كانوا كفارا فكيف احتج على عمر بالتفرقة بين الصلاة والزكاة؟ فإن في جوابه إشارة إلى أنهم كانوا مقرين بالصلاة.
قال: والجواب عن ذلك أن الذين نسبوا إلى الردة كانوا صنفين: صنف رجعوا إلى عبادة الأوثان؛ وصنف منعوا الزكاة وتأولوا قوله تعالى "خذ من أموالهم صدقة تطهرهم وتزكيهم بها وصل عليهم إن صلاتك سكن لهم" فزعموا أن دفع الزكاة خاص به صلى الله عليه وسلم، لأن غيره لا يطهرهم ولا يصلي عليهم، فكيف تكون صلاته سكنا لهم. وإنما أراد عمر بقوله "تقاتل الناس": الصنف الثاني، لأنه لا يتردد في جواز قتل الصنف الأول" (Fat'h ul-bârî 12/347).
Ibn Hajar avait également écrit cette citation de al-Qâdhî 'Iyâdh : "قال القاضي عياض وغيره: كان أهل الردة ثلاثة أصناف: صنف عادوا إلى عبادة الأوثان، وصنف تبعوا مسيلمة والأسود العنسي وكان كل منهما ادعى النبوة قبل موت النبي صلى الله عليه وسلم فصدق مسيلمة أهل اليمامة وجماعة غيرهم وصدق الأسود أهل صنعاء وجماعة غيرهم (...)، وصنف ثالث استمروا على الإسلام لكنهم جحدوا الزكاة وتأولوا بأنها خاصة بزمن النبي صلى الله عليه وسلم؛ وهم الذين ناظر عمر أبا بكر في قتالهم، كما وقع في حديث الباب" (FB 12/345).

Voyez : Ibn Hajar dit bien que tant que la iqâmat ul-hujja ne fut pas réalisée, il ne furent pas déclarés kâfir, et ce à cause de la présence d'une ta'wîl fondée sur shub'ha mu'tabara ; leur propos était bien, pourtant, un propos de kufr. (Ce cas de figure relève du cas classé comme "B.B.B.a" dans notre article traitant de iqâmat ul-hujja. Cliquez ici pour en savoir plus.)

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Troisième point) Et ceux qui étaient dans le cas 4.2, ont-ils eux aussi fait acte de kufr akbar ?

On lit dans certains récits que tous ceux qui refusaient de payer la zakât étaient devenus kâfirs. Ceux qui étaient dans le cas 4.2 firent-ils donc eux aussi acte de kufr par le simple fait d'avoir négligé de s'acquitter de la zakât, même sans en renier le caractère obligatoire ?

C'est ce que vous, auteur de la question, vous semblez penser : ceux qui reconnaissent que la zakât est chose obligatoire mais en actes ne s'en acquittent pas (par négligence, ou par avarice, par exemple) ne sont pas musulmans.

Or d'autres avis aussi existent.

En effet, Ibn Taymiyya a relaté que :

X) Il est certains ulémasX.a – qui pensent que c'est la règle à propos de tout pilier parmi les 4 actes-piliers de l'islam, et cela s'applique donc à la salât, à la zakât, au jeûne du ramadan et au pèlerinage à la Mecque : même sans en avoir renié le caractère obligatoire, le seul fait d'avoir négligé d'accomplir un de ces 4 piliers sans excuse valable et alors qu'on en avait les capacités fait sortir de l'islam et tomber dans le kufr akbar.
Ensuite, d'autres ulémasX.b – sont d'avis que le simple fait de ne pas s'acquitter de la zakât sans en renier le caractère obligatoire mais par négligence de ses devoirs est un acte qui fait sortir de l'islam et tomber dans le kufr akbar. Ces ulémas disent que cela est également valable pour le simple fait d'avoir négligé d'accomplir une prière obligatoire sans excuse mais par paresse, sans en renier le caractère obligatoire. Ce sont là deux négligences qui font sortir de l'islam et tomber dans le kufr akbar.
Enfin d'autres ulémas X.c – sont d'avis que le fait de ne pas payer la zakât tant qu'on n'en renie pas le caractère obligatoire ne fait, lui, pas sortir de l'islam, et que par contre le fait de ne pas accomplir la prière par paresse est un acte qui fait sortir de l'islam. Cf. MF 7/609-610) (d'après certains d'entre ces ulémas, le fait d'accomplir seulement certaines prières obligatoires et d'en négliger dautres, cela ne fait pas sortir de l'islam, contrairement au fait de ne jamais en accomplir aucune : lire notre article sur le sujet).

Y) Ibn Taymiyya relate que l'avis retenu par de nombreux ulémas hanafites, malikites et shafi'ites, ce qui est aussi un avis hanbalite, est que le simple fait de ne pas accomplir la prière rituelle obligatoire ou de s'acquitter de la zakât n'est pas un acte de kufr akbar, faisant sortir de l'islam après qu'on y soit entré par la prononciation des 2 témoignages de foi (cf. MF 7/610).

Voici l'écrit de Ibn Taymiyya sur le sujet :

"ولهذا تنازع العلماء في تكفير من يترك شيئا من هذه "الفرائض الأربع" بعد الإقرار بوجوبها. فأما "الشهادتان" إذا لم يتكلم بهما مع القدرة فهو كافر باتفاق المسلمين، وهو كافر باطنا وظاهرا عند سلف الأمة وأئمتها وجماهير علمائها. وذهبت طائفة من المرجئة وهم جهمية المرجئة كجهم والصالحي وأتباعهما إلى أنه إذا كان مصدقا بقلبه كان كافرا في الظاهر دون الباطن. وقد تقدم التنبيه على أصل هذا القول وهو قول مبتدع في الإسلام لم يقله أحد من الأئمة. وقد تقدم أن الإيمان الباطن يستلزم الإقرار الظاهر بل وغيره؛ وأن وجود الإيمان الباطن تصديقا وحبا وانقيادا بدون الإقرار الظاهر ممتنع.
وأما "الفرائض الأربع" فإذا جحد وجوب شيء منها بعد بلوغ الحجة فهو كافر وكذلك من جحد تحريم شيء من المحرمات الظاهرة المتواتر تحريمها كالفواحش والظلم والكذب والخمر ونحو ذلك وأما من لم تقم عليه الحجة مثل أن يكون حديث عهد بالإسلام أو نشأ ببادية بعيدة لم تبلغه فيها شرائع الإسلام ونحو ذلك أو غلط فظن أن الذين آمنوا وعملوا الصالحات يستثنون من تحريم الخمر كما غلط في ذلك الذين استتابهم عمر وأمثال ذلك فإنهم يستتابون وتقام الحجة عليهم فإن أصروا كفروا حينئذ ولا يحكم بكفرهم قبل ذلك؛ كما لم يحكم الصحابة بكفر قدامة بن مظعون. وأصحابه لما غلطوا فيما غلطوا فيه من التأويل. وأما مع الإقرار بالوجوب إذا ترك شيئا من هذه الأركان الأربعة ففي التكفير أقوال للعلماء هي روايات عن أحمد:

أحدها: أنه يكفر بترك واحد من الأربعة حتى الحج - وإن كان في جواز تأخيره نزاع بين العلماء فمتى عزم على تركه بالكلية كفر -؛ وهذا قول طائفة من السلف وهي إحدى الروايات عن أحمد اختارها أبو بكر
والثاني: أنه لا يكفر بترك شيء من ذلك مع الإقرار بالوجوب؛ وهذا هو المشهور عند كثير من الفقهاء من أصحاب أبي حنيفة ومالك والشافعي وهو إحدى الروايات عن أحمد اختارها ابن بطة وغيره.
والثالث: لا يكفر إلا بترك الصلاة؛ وهي الرواية الثالثة عن أحمد، وقول كثير من السلف وطائفة من أصحاب مالك والشافعي وطائفة من أصحاب أحمد.
والرابع: يكفر بتركها وترك الزكاة فقط.
والخامس: بتركها وترك الزكاة إذا قاتل الإمام عليها، دون ترك الصيام والحج.
وهذه المسألة لها طرفان. أحدهما في إثبات الكفر الظاهر. والثاني في إثبات الكفر الباطن. فأما "الطرف الثاني" فهو مبني على مسألة كون الإيمان قولا وعملا كما تقدم، ومن الممتنع أن يكون الرجل مؤمنا إيمانا ثابتا في قلبه بأن الله فرض عليه الصلاة والزكاة والصيام والحج ويعيش دهره لا يسجد لله سجدة ولا يصوم من رمضان ولا يؤدي لله زكاة ولا يحج إلى بيته، فهذا ممتنع ولا يصدر هذا إلا مع نفاق في القلب وزندقة، لا مع إيمان صحيح"
(MF 7/609-610).

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Les gens se trouvant dans le cas 4.2 à l'époque de Abû Bakr ne furent pas kâfirs ; c'est par extension que l'on a utilisé à leur sujet aussi le terme "kafara".

Ibn Hajar écrit ainsi : "والمراد بالفرق من أقر بالصلاة وأنكر الزكاة جاحدا أو مانعا مع الاعتراف؛ وإنما أطلق في أول القصة الكفر ليشمل الصنفين فهو في حق من جحد حقيقة وفي حق الآخرين مجاز تغليبا؛ وإنما قاتلهم الصديق ولم يعذرهم بالجهل لأنهم نصبوا القتال فجهز إليهم من دعاهم إلى الرجوع فلما أصروا قاتلهم" : "Par "(ceux qui font) la différence (entre la prière et la zakât)", (Abû Bakr) voulait désigner : ceux qui acceptent la prière (mais) refusent le caractère obligatoire de la zakât [soit le cas 4.1], ou bien qui refusent de s'en acquitter tout en reconnaissant son caractère obligatoire [soit le cas 4.2]. Au début du récit, le (terme) "kufr" a été appliqué de façon qu'il englobe les deux catégories ; cela est au sens propre à propos de ceux qui réfutèrent (le caractère obligatoire de la zakât) [cas 4.1], et au sens figuré, par extension, à propos des autres [cas 4.2]" (Fat'h ul-bârî 12/347).

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Quatrième point) Pourquoi Abû Bakr a-t-il alors combattu les gens qui étaient dans ce cas 4.2 ?

A propos de l'homme qui refuse individuellement de payer la zakât, an-Nawawî a écrit que celle-ci "sera prise de ses biens sans son accord ; il n'y a pas de divergence à ce sujet. Mais est-ce que dans ce cas il sera acquitté de son devoir en son for intérieur [= vis-à-vis de Dieu], il y a deux avis sur le sujet entre nos ulémas [= les shafi'ites]" (Shar'h Muslim 1/200). En fait, dans un cas pareil, l'autorité a d'abord recours au dialogue avec cet homme ; si ce dernier ne veut rien entendre et persiste dans son refus de s'acquitter de l'impôt, l'autorité se saisira du montant de celui-ci de ses biens, comme nous venons de le voir avec an-Nawawî (c'est aussi ce que Ibn Qudâma a écrit : Al-Mughnî 3/380). Et c'est au cas où cet homme s'oppose par la force à cette saisie et est donc prêt à se battre que l'autorité emploiera la force contre lui.

Cependant, Abû Bakr eut à faire face non pas à un homme mais à tout un groupe constitué (tâ'ïfa) et qui disposait d'une certaine puissance, ce qui faisait que l'autorité n'avait pas de qud'ra sur lui (on dit qu'il dispose d'une "mana'ah" : Radd ul-muhtar 6/412, Shar'h Muslim 18/6), groupe qui s'était rassemblé autour de ce refus de paiement de la zakât...

Et, dans les faits, on peut imaginer les cas de figure suivants :
a) le fait que le groupe fasse savoir à l'autorité qu'il refuse de payer la zakât ;
b) suite aux pourparlers engagés par l'autorité, deux cas se présentent :
--- b.a) le groupe revient à la raison et met fin à son refus ;
--- b.b) le groupe persiste dans son refus :
----- b.b.a) soit il se contente de refuser cela, sans pour autant combattre, ni s'apprêter à le faire, ni même disposer de forces armées ;
----- b.b.b) soit il dispose de forces de combat mais ne prend pas l'initiative de débuter les hostilités ;
----- b.b.c) soit il s'apprête à combattre (yantassibu li-l-qitâl) ;
c) soit le groupe attaque le premier l'autorité ou bien les cités qui sont sous contrôle de l'autorité, en vue d'étendre sa perception des choses.

La règle concernant le cas c est claire : l'autorité n'a d'autre choix que celui de se défendre.
Qu'est-ce que Abû Bakr fit ?
est-ce qu'il n'y eut que le dialogue – cas de figure a –, puis, à cause de l'échec de celui-ci et de persistance dans le refus – c'est-à-dire dès que le palier b.b fut atteint (voire même b.b.a) –, il combattit ce groupe ?
ou bien les combattit-il parce qu'il s'agissait-il de gens se trouvant dans le cas b.b.b ?
ou bien est-ce qu'ils se trouvèrent dans le cas de figure b.b.c, c'est-à-dire qu'il y eut des indices sûrs montrant que le groupe était en train de se préparer au combat (intassaba li-l-qitâl bi-l-fi'l) ?

Pour Ibn Taymiyya, Abû Bakr a combattu le premier ceux qui refusaient de payer la zakât (MF 35/57). C'est-à-dire que, dès lors qu'ils étaient organisés en groupe constitué autour du refus de payer la zakât, Abû Bakr les a combattus. Ceci revient donc à dire qu'Abû Bakr les a combattus parce qu'ils sont entrés dans le palier b.b (apparemment il parle de b.b.a même ; mais peut-être qu'un groupe n'est considéré comme "lahum mana'ah" / "min ahl ish-shawka" que s'il dispose de forces armées, ce qui signifie que l'avis d'Ibn Taymiyya est que Abû Bakr les a combattus parce qu'ils relevaient du palier b.b.b. Ce point reste, en ce qui me concerne, à approfondir.

Ce que Ibn Hajar a pour sa part écrit à propos de la raison ayant poussé Abû Bakr à combattre ceux qui refusaient de payer la zakât peut être compris comme désignant le cas de figure b.b.c.
Il a écrit : "والمراد بالفرق من أقر بالصلاة وأنكر الزكاة جاحدا أو مانعا مع الاعتراف؛ وإنما أطلق في أول القصة الكفر ليشمل الصنفين فهو في حق من جحد حقيقة وفي حق الآخرين مجاز تغليبا؛ وإنما قاتلهم الصديق ولم يعذرهم بالجهل لأنهم نصبوا القتال فجهز إليهم من دعاهم إلى الرجوع فلما أصروا قاتلهم" : "Par "(ceux qui font) la différence (entre la prière et la zakât)", (Abû Bakr) voulait désigner : ceux qui acceptent la prière (mais) refusent le caractère obligatoire de la zakât [soit le cas 4.1], ou bien qui refusent de s'en acquitter tout en reconnaissant son caractère obligatoire [soit le cas 4.2]. Au début du récit, le (terme) "kufr" a été appliqué de façon qu'il englobe les deux catégories ; cela est au sens propre à propos de ceux qui réfutèrent (le caractère obligatoire de la zakât) [soit le cas 4.1], et au sens figuré, par extension, à propos des autres [soit le cas 4.2]. (Abû Bakr) as-Siddîq n'a combattu ces [gens du cas 4.2] et ne les a pas excusés pour ignorance parce qu'ils s'étaient apprêtés à combattre ; il a donc dépêchés vers eux qui les a invités à revenir ; lorsqu'ils persistèrent, il les combattit" (Fat'h ul-bârî 12/347).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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