Le malentendu que, au sujet du calife 'Alî ibn Abî Tâlib (que Dieu l'agrée), Aïcha, Talh'a et az-Zubayr (dans un premier temps), puis Mu'âwiya et 'Amr ul-'Âs (dans un second temps) eurent (que Dieu les agrée tous)

Article faisant suite à : 'Uthmân ibn 'Affân face aux épreuves.

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Alî (35-40 a.h. / 656-660 a.g.) (que Dieu l'agrée) 

Après l'assassinat de Uthmân en dhu-l-hijja de l'an 35, la situation est très délicate à Médine. De nombreux insurgés sont dans la ville et y exercent une forte présence (MS 1/206). Il ne faudrait qu'une étincelle pour déclencher un embrasement général.

On vient proposer à Alî de devenir calife, mais il refuse, chagriné par le fait que Uthmân ait été tué (FB 13/69). Sur l'insistance de certaines personnes, qui lui disent que la situation nécessite que quelqu'un prenne les choses en main, il finit par accepter (Ibid.). Il racontera à des hommes venus le questionner sur ce qui s'était passé : "Des gens ont attaqué cet homme [Uthmân] et l'ont tué ; j'étais à l'écart d'eux ; puis ils m'ont nommé dirigeant ; n'était la crainte pour [l'avenir de] l'Islam, je n'aurais pas accédé à leur demande" (FB 13/72).

Les insurgés présents à Médine font massivement allégeance à Alî et évoluent dans son entourage.
Un nombre conséquent de Compagnons ne font pas allégeance à Alî (voir MS 1/206, 2/292, MT p. 267), préférant attendre : ils ne comprennent pas si c'est Alî qui dirige réellement les affaires ou s'il n'est qu'un outil entre les mains des insurgés qui évoluent dans son entourage.

La discorde ("fitna") va naître de la divergence quant à l'attitude à adopter face aux meurtriers de Uthmân. C'est un droit des parents de la victime que de réclamer aux autorités que les meurtriers de leur parent soient jugés et exécutés. Malheureusement Alî n'a pour le moment pas les moyens de juger les insurgés et de leur appliquer le talion. En effet, il sent bien qu'appliquer le talion en pareilles circonstances risque de provoquer un embrasement généralisé ; il pense donc laisser les choses se calmer et juger plus tard les meurtriers (FB 13/107 MS 2/300) ; quelques mois passent ainsi.

C'est cette absence d'application du talion qui va être mal interprétée par d'illustres personnages : Aïcha, Tal'ha, az-Zubayr, Mu'âwiya et 'Amr ibn ul-'As, lesquels vont d'autant plus se méprendre sur les intentions de Alî que, comme nous l'avons vu, les insurgés lui ont massivement fait allégeance, le soutiennent et évoluent dans son entourage.

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La bataille du Chameau :

Nous sommes en rabî' al-âkhir 36 (FB 13/69). Dans la ville de La Mecque, où ils se sont rendus, Talha et az-Zubayr vont rencontrer Aïcha, qui y était allée pour le pèlerinage. Ils ne comprennent pas les intentions de Alî et – en toute bonne foi – croient que c'est parce que les insurgés le soutiennent qu'il refuse de leur appliquer le talion.
A la tête de tout un groupe, ils partent donc de La Mecque pour l'Irak – pour la ville de Bassora précisément –, pensant y appeler les gens à soutenir leur demande de l'application du talion (FB 12/354, 13/71).

Alors qu'elle était en chemin vers Bassora, bivouaquant près d'un point d'eau une nuit, Aïcha, entendant les chiens aboyer, demanda : "Quel est ce point d'eau ?" Quand on lui eut dit qu'il s'agissait de Haw'ab, elle s'était exclamée : "Je ne pense pas que je vais faire autre chose que retourner." Questionnée, elle dit qu'elle avait entendu le Prophète (sur lui soit la paix) un jour dire à ses épouses : "كيف بإحداكن تنبح عليها كلاب الحوأب" : "Comment sera-t-il de l'une d'entre vous, les chiens de Haw'ab aboyant contre elle ?". Mais az-Zubayr avait insisté pour qu'elle continue : "عن قيس بن أبي حازم، قال: لما أقبلت عائشة بلغت مياه بني عامر ليلا نبحت الكلاب، قالت: أي ماء هذا؟ قالوا: ماء الحوأب قالت: ما أظنني إلا أني راجعة. فقال بعض من كان معها: بل تقدمين فيراك المسلمون، فيصلح الله عز وجل ذات بينهم، قالت: إن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال لنا ذات يوم: "كيف بإحداكن تنبح عليها كلاب الحوأب؟" (Ahmad, 24254) ; "فقال لها الزبير: ترجعين عسى الله عز وجل أن يصلح بك بين الناس" (Ahmad, 24654) (FB 13/69).

Quand 'Alî apprend la nouvelle du départ de ces trois personnages pour l'Irak, il craint que cela soit le point de départ d'une division de la communauté (FB 13/72). Il décide alors, avec l'objectif de clarifier les choses, d'aller, à la tête lui aussi d'un groupe, trouver les trois Compagnons partis pour Bassora. Son fils al-Hassan l'implore de ne pas quitter Médine et d'attendre que les choses se calment d'elles-mêmes, mais Alî part quand même : "وخرج من المدينة، واستخلف عليها قثم بن العباس، وهو عازم أن يقاتل بمن أطاعه من عصاه وخرج عن أمره ولم يبايعه مع الناس. وجاء إليه ابنه الحسن بن علي فقال: "يا أبتي دع هذا فإن فيه سفك دماء المسلمين ووقوع الاختلاف بينهم". فلم يقبل منه ذلك، بل صمم على القتال، ورتب الجيش" (BN) (WK, pp. 49-51). Al-Hassan n'aura d'autre choix que celui de se joindre à son père à coeur défendant : lorsqu'il sera à ar-Rabadha, al-Hassan lui parlera de nouveau en pleurant ; Alî lui dira : "Parle et ne pleurniche pas comme le fait une petite fille" : "عن طارق بن شهاب، قال: جاءنا قتل عثمان وأنا أونس من نفسي شبابا وقوة ولو قتلت القتال. فخرجت أحضر الناس حتى إذا كنت بالربذة إذا علي بها. فصلى بهم العصر. فلما سلم أسند ظهره في مسجدها واستقبل القوم قال: فقام إليه الحسن بن علي يكلمه وهو يبكي، فقال له علي: "تكلم ولا تحن حنين الجارية". قال: "أمرتك حين حصر الناس هذا الرجل أن تأتي مكة فتقيم بها؛ فعصيتني. ثم أمرتك حين قتل أن تلزم بيتك حتى ترجع إلى العرب غوارب أحلامها، فلو كنت في جحر ضب لضربوا إليك آباط الإبل حتى يستخرجوك من جحرك؛ فعصيتني. وأنشدك بالله أن تأتي العراق فتقتل بحال مضيعة." قال: فقال علي: "أما قولك: "آتي مكة"، فلم أكن بالرجل الذي تستحل لي مكة. وأما قولك: "قتل الناس عثمان"، فما ذنبي إن كان الناس قتلوه؟ وأما قولك: "آتي العراقط، فأكون كالضبع تستمع للدم" (Ibn Abî Shayba, 37371) (voir aussi Ibn Abî Shayba, 37799). D'après une autre relation, le troisième reproche de al-Hassan porte sur le fait de vouloir ramener Aïcha, Tal'ha et az-Zubayr par la force : "وأمرتك حين خرجت هذه المرأة وهذان الرجلان أن تجلس في بيتك حتى يصطلحوا، فإن كان الفساد كان على يد غيرك؛ فعصيتني في ذلك كله" (Al-Kâmil fi-t-ta'rîkh ; Al-Bidâya wa-n-Nihâya).

"عن قيس بن عباد، قال: قلت لعلي رضي الله عنه: "أخبرنا عن مسيرك هذا: أعهدٌ عهده إليك رسول الله صلى الله عليه وسلم، أم رأي رأيته؟" فقال: "ما عهد إلي رسول الله صلى الله عليه وسلم بشيء، ولكنه رأي رأيته" : Questionné par Qays au sujet de cette marche qu'il a entreprise [vers l'Irak] : a-t-elle comme source un dire du Prophète, ou bien un avis personnel, Alî répond : "Le Messager de Dieu ne m'avait rien enjoint à ce sujet, ce n'est qu'un avis personnel" (Abû Dâoûd, 4666). En effet, comme Ibn Taymiyya l'a écrit, il n'y a pas de hadîth disant de combattre ceux qui sont bughât 'an il-amîr : "وليس عن النبي صلى الله عليه وسلم في قتال البغاة حديث، إلا حديث كوثر بن حكيم عن نافع، وهو موضوع" (MF 4/451).

Si les deux groupes sont sortis avec des effectifs, nul n'a l'intention d'en découdre avec l'autre : Kulayb al-Jarmî raconte que les gens de Alî disaient : "Nous ne sommes pas sortis pour les combattre – car nous ne combattrons que si eux nous attaquent en premier –, mais pour apaiser". Alî lui-même lui a dit des propos allant dans le même sens (FB 13/72). Abû Mûssa al-Ash'arî (qui était gouverneur de la ville de Kufa avant l'accession de Alî au poste de calife, et que Alî a gardé à ce poste) pense pour sa part que la situation est délicate et, bien que Alî lui demande de mobiliser des gens de Kufa pour venir grossir ses effectifs, il n'est pas décidé à le faire. Alî respecte son choix et envoie alors à Kufa son fils al-Hassan ainsi que 'Ammâr ibn Yâssir pour mobiliser des gens (FB 13/73). "عن أبي وائل قال: دخل أبو موسى وأبو مسعود على عمار حيث بعثه علي إلى أهل الكوفة يستنفرهم، فقالا: "ما رأيناك أتيت أمرا أكره عندنا من إسراعك في هذا الأمر منذ أسلمت؟" فقال عمار: "ما رأيت منكما منذ أسلمتما أمرا أكره عندي من إبطائكما عن هذا الأمر". وكساهما حلة حلة، ثم راحوا إلى المسجد" (al-Bukhârî, 6689). A Kufa, 'Ammâr ibn Yâssir tint ce célèbre propos : "Aïcha s'est dirigée vers Bassora. Par Dieu, elle est épouse de votre Prophète en ce monde et dans la vie dernière. Mais Dieu - Béni et Elevé - vous a mis à l'épreuve afin de savoir : est-ce à Son (Ordre) que vous obéissez, ou à (celui de) Aïcha" : "عن أبي مريم عبد الله بن زياد الأسدي، قال: لما سار طلحة والزبير وعائشة إلى البصرة، بعث علي عمار بن ياسر وحسن بن علي، فقدما علينا الكوفة، فصعدا المنبر، فكان الحسن بن علي فوق المنبر في أعلاه، وقام عمار أسفل من الحسن، فاجتمعنا إليه، فسمعت عمارا، يقول: "إن عائشة قد سارت إلى البصرة. ووالله إنها لزوجة نبيكم صلى الله عليه وسلم في الدنيا والآخرة، ولكن الله تبارك وتعالى ابتلاكم، ليعلم إياه تطيعون أم هي" (al-Bukhârî, 6687).

Arrivés face à face, Alî parle en aparté avec az-Zubayr et lui demande : "N'avais-tu pas entendu le Prophète dire, alors que tu pliais ma main : "Tu le combattras alors que tu seras injuste (envers lui), puis il aura le dessus ?" – J'avais effectivement entendu cela ; je ne te combattrai donc pas" répond az-Zubayr : "وأخرج إسحاق من طريق إسماعيل بن أبي خالد عن عبد السلام رجل من حيه قال: خلا علي بالزبير يوم الجمل فقال: "أنشدك الله هل سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول، وأنت لاوي يدي: "لتقاتلنه وأنت ظالم له، ثم لينصرن عليك"؟" قال: "قد سمعت. لا جرم لا أقاتلك" (Ibn Abî Shayba, 37827) (FB 13/70), qui quitte alors les lieux et prend le chemin de Médine (Ibn Abî Shayba, 37828) (FB 6/276) (az-Zubayr n'a donc pas fait partie des personnes ayant participé à la bataille qui allait éclater peu après ; mais vu qu'il faisait partie des leaders du groupe, le verbe "combattre" a ici été affilié à lui aussi : 'Alî a finalement eu le dessus sur le groupe mené par Aïcha, Tal'ha et az-Zubayr, comme nous allons le voir).

La situation est en bonne voie d'être résolue pacifiquement.

Malheureusement, pendant la nuit, des insurgés parmi les fauteurs de trouble contre Uthmân, présents dans le camp de Alî, attaquent le camp de Aïcha (MS 3/332, FB 13/72). Pensant être attaqué par Alî, le groupe de Aïcha prend les armes pour se défendre. Voyant le groupe de Aïcha l'attaquer sans raison apparente, Alî appelle son groupe à prendre à son tour les armes pour se défendre. Et c'est le début de la bataille dite du Chameau (parce que Aïcha sera, au cours du combat, dans un palanquin sur un chameau). Ceci se passe en jumâdâ al-âkhira 36 (FB 13/72).

La bataille ne dure qu'une journée et se termine en faveur du groupe de Alî. Alî proclame : "N'achevez aucun blessé, ne tuez aucun fuyard et n'entrez dans aucune demeure" (FB 13/72).

Au tout début du combat, Tal'ha a hélas été tué par une flèche.
Qui lui a décoché cette flèche ?
--- Certaines relations disent que c'est Marwân ibn ul-Hakam : la flèche s'est fichée dans son genou, et a entraîné une hémorragie (FB 7/105) (Ibn Abî Shayba, 37770). Marwân était dans le même groupe que Tal'ha, mais ce qui est relaté c'est qu'il pensait que Tal'ha faisait partie des assassins de 'Uthmân et aurait donc voulu venger la mort de celui-ci.
--- D'autres relations disent que l'homme s'est rendu auprès de 'Alî, mais n'en communiquent pas le nom (apparemment il s'agit d'un autre que Marwân, car ce dernier était dans le camp opposé à celui de 'Alî) : "عن زيد بن محمد بن عبيد الله الأنصاري عن أبيه قال: سمعت عليا كرم الله وجهه وقد جاء رجل يوم الجمل فقال: "ائذنوا لقاتل طلحة"، فسمعت عليا يقول: "بشره بالنار" (Ta'rîkhu Dimashq, Ibn 'Assâkir). "عن محمد بن عبيد الأنصاري عن أبيه قال: شهدت عليا مرارا يقول: "اللهم إني أبرأ إليك من قتلة عثمان". قال: وجاء رجل يوم الجمل فقال: "ائذنوا لقاتل طلحة"، قال: سمعت عليا يقول: "بشره بالنار" (Ibid.).
--- D'autres relations encore disent que il s'est agi d'une flèche dont l'origine était inconnue ("بسهمٍ غرب") (alukah.net).

Az-Zubayr (dont nous avons vu qu'il avait pris le chemin de Médine avant que les combats débutent) a été tué pendant son sommeil par 'Amr ibn Jurmûz, un homme qui était dans le groupe de Alî et qui, ayant retrouvé az-Zubayr, croyait bien faire en l'assassinant. Zirr relate que quand Amr ibn Jurmûz demanda l'autorisation d'entrer auprès de Alî, celui-ci dit à Zirr : "Donne la bonne nouvelle du feu à celui qui a tué le fils de Safiyya [= az-Zubayr]" : "عن زر بن حبيش، قال: استأذن ابن جرموز على علي وأنا عنده، فقال علي: "بشر قاتل ابن صفية بالنار"، ثم قال علي: "سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إن لكل نبي حواريا، وحواري الزبير" (Ahmad, 681, etc.) (FB 6/276, 7/104).

Aïcha est traitée par Alî avec tous les égards qui lui sont dus. Il demande à Muhammad ibn Abî Bakr, frère de Aïcha, de la conduire à Médine.

Le Prophète avait dit un jour à Alî : "Quelque chose surviendra entre toi et Aïcha. – Moi, ô Messager de Dieu ? – Oui. – Moi ? – Oui. – Je serai alors le plus malchanceux des humains ! Non, mais quand cela arrivera, fais-la retourner à son lieu de sécurité" : "عن أبي رافع، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال لعلي بن أبي طالب: "إنه سيكون بينك وبين عائشة أمر"، قال: أنا يا رسول الله؟ قال: "نعم"، قال: أنا؟ قال: "نعم"، قال: فأنا أشقاهم يا رسول الله! قال: "لا، ولكن إذا كان ذلك فارددها إلى مأمنها" (Ahmad, 27198) (hassan d'après Ibn Hajar : FB 13/70).

Alors que 'Alî reprochera en public à Sulaymân ibn Surad de ne pas s'être joint à lui lors de sa campagne vers Bassora et Kûfa, et que celui-ci s'en ouvrira peu après à al-Hassan, ce dernier répondra : "Que ceci ne t'afflige pas de sa part : c'est un guerrier" : "لا يهولنك هذا منه فإنه محارب. فلقد رأيته يوم الجمل حين أخذت السيوف مأخذها يقول: "لوددت أني مت قبل هذا اليوم بعشرين سنة" (Ibn Abî Shayba, 37832).

'Alî rappellera que les gens qui l'ont combattu lors de cette bataille n'étaient pas dans le kufr : "وكيع، عن سفيان، عن جعفر، عن أبيه، أن رجلا ذكر عند علي أصحاب الجمل، حتى ذكر الكفر؛ فنهاه علي" (Ibn Abî Shayba, 37807). "عن عبد الله بن محمد، قال: مر علي على قتلى من أهل البصرة، فقال: "اللهم اغفر لهم"؛ ومعه محمد بن أبي بكر وعمار بن ياسر، فقال أحدهما للآخر: "ما تسمع ما يقول؟" فقال له الآخر: "اسكت، لا يزيد بك" (Ibn Abî Shayba, 37829).

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La bataille de Siffîn :

A la tête de la région de Shâm, Mu'âwiya refuse toujours de reconnaître le califat de Alî et donc de se soumettre à son autorité califale (bagh'y mujarrad). Il ne conteste ni la valeur de Alî, ni la supériorité de celui-ci sur lui-même, ni ne réclame le califat pour lui (MS 2/290, FB 13/107). Il affirme seulement que Alî doit d'abord appliquer le talion aux meurtriers de Uthman (dont lui-même est un parent et à propos de qui il peut donc réclamer aux autorités que le talion soit appliqué à ses meurtriers), et qu'il lui fera allégeance ensuite (FB 12/355). Des gens peu scrupuleux avaient témoigné devant Mu'âwiya, en Syrie, que Alî avait approuvé le meurtre de Uthman et que c'était pour cette raison qu'il ne leur appliquait pas le talion ; ce témoignage était bien sûr faux, mais il contribua hélas à créer davantage de malentendus quant à la non application du talion, par Alî, aux meurtriers de Uthmân (MS 2/300).

Telle est la cause ayant conduit Mu'âwiya à avoir cet avis. Il est sincère dans son interprétation, mais il fait une erreur d'interprétation (akhta'a fi-j'tihâdih), et c'est Alî qui a raison. La preuve en est que, des années plus tard, lorsque Mu'âwiya sera devenu calife et qu'il se rendra à Médine, il entendra la fille de 'Uthmân demander qu'on applique enfin le talion aux meurtriers de son père ; Mu'âwiya dira qu'il ne peut pas le faire (MS 2/300).
Pour le moment, cependant, Mu'âwiya, en toute bonne foi, ne comprend pas les raisons de Alî et se méprend sur ses intentions.

D'autres personnages, dans le groupe de Mu'âwiya, constatant que le groupe de Alî comporte entre autres les insurgés contre Uthmân, et que Alî ne peut pas exercer un plein contrôle sur eux, disent ne pas pouvoir faire allégeance à Alî car ce serait donner aux insurgés la possibilité de faire d'autres ravages (MS 2/290, MF 35/72-73).

De son côté, Ali exige la reconnaissance immédiate de son autorité califale. Il pense que le calife a le droit de combattre ceux qui, sous forme de groupe constitué, ne reconnaissent pas son autorité, même s'ils ne le combattent pas (ra'yuhû annahû yushra'u qitâl ul-bughât bi bagh'yin mujarradin, awwalan, idhâ ra'âhu-l-amîr).
Al-Hassan, fils de Alî, implore de nouveau son père : "Ne marche pas contre Mu'âwiya" (MS 3/384, Al-Bidâya wa-n-Nihâya cité dans WK p. 50).
Mais Alî décide de le faire pour établir l'autorité califale sur l'ensemble des terres musulmanes (FB 6/753).

C'est après avoir appris que Alî marche vers lui pour l'attaquer que Mu'âwiya se met à son tour en marche (MS 2/290).

--- Certains Compagnons tels que 'Ammâr ibn Yâssir, Sahl ibn Hunayf, Abû Ayyûb al-Ansârî, al-Hassan ibn 'Alî ainsi que son frère al-Hussein, de même que Abdullâh ibn Abbâs, sont dans le groupe de Alî.
--- D'autres comme 'Amr ibn ul-'As sont dans celui de Mu'âwiya.
--- D'autres encore, tels que Sa'd ibn Abî Waqqâs, Abdullâh ibn Omar, Muhammad ibn Maslama, Ussâma ibn Zayd, Abû Bak'ra, 'Imrân ibn Husayn, pensent que Mu'âwiya se trompe en refusant, même pacifiquement, de reconnaître le califat de Alî, mais aussi que Alî se trompe en marchant contre Mu'âwiya car celui-ci ne le combat pas ; ils pensent donc qu'il faut s'abstenir de prêter main-forte à Alî autant qu'à Mu'âwiya ("kâna-l-qitâlu qitâla fitna") (MS 2/335, MF 4/441-443, 35/77-78, MS 3/329-330).

"عن محمد بن سيرين أنه قال: "هاجت الفتنة وأصحاب رسول الله صلى الله عليه وسلم عشرات الألوف، فلم يحضرها منهم مائة، بل لم يبلغوا ثلاثين" :
Ibn Sîrîn a dit :
"La Fitna a fait rage alors que les Compagnons du Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue) étaient des dizaines de milliers. Ce ne sont pas 100 qui ont assisté à la (Fitna) : ils n'ont même pas atteint le nombre de 30" (Al-Bidâya wa-n-Nihâya, 7/274).

Questionné par Qays au sujet du fait qu'il s'était joint à 'Alî pour aller combattre Mu'âwiya, est-ce que le Prophète le lui avait enjoint, 'Ammâr répondra : "Le Messager de Dieu ne nous avait rien enjoint qu'il n'ait enjoint à tous les hommes" : "عن قيس، قال: قلت لعمار: "أرأيتم صنيعكم هذا الذي صنعتم في أمر عليّ: أرأيا رأيتموه؟ أو شيئا عهده إليكم رسول الله صلى الله عليه وسلم؟" فقال: "ما عهد إلينا رسول الله صلى الله عليه وسلم شيئا لم يعهده إلى الناس كافة، ولكن حذيفة أخبرني عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: قال النبي صلى الله عليه وسلم: "في أصحابي اثنا عشر منافقا؛ فيهم ثمانية لا يدخلون الجنة حتى يلج الجمل في سم الخياط، ثمانية منهم تكفيكهم الدبيلة؛ وأربعة" لم أحفظ ما قال شعبة فيهم" (Muslim, 2779/9). "عن قيس بن عباد، قال: قلنا لعمار: "أرأيت قتالكم، أرأيا رأيتموه - فإن الرأي يخطئ ويصيب -؟ أو عهدا عهده إليكم رسول الله صلى الله عليه وسلم؟" فقال: "ما عهد إلينا رسول الله صلى الله عليه وسلم شيئا لم يعهده إلى الناس كافة"، وقال: "إن رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: "إن في أمتي" قال شعبة: وأحسبه قال: "حدثني حذيفة"، وقال غندر: أراه قال: "في أمتي اثنا عشر منافقا لا يدخلون الجنة ولا يجدون ريحها حتى يلج الجمل في سم الخياط؛ ثمانية منهم تكفيكهم الدبيلة، سراج من النار يظهر في أكتافهم، حتى ينجم من صدورهم" (Muslim, 2779/10).

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Les deux groupes se font face à Siffîn en dhu-l-hijja 36. Ils parlementent, essaient de trouver une issue pacifique à la crise. Ils n'y parviennent cependant pas, et en safar 37, c'est le début des combats.

Le Prophète avait prédit : "La fin du monde ne viendra pas tant que deux grands groupes ne se combattent, une grande tuerie se produira entre deux, la proclamation des deux sera la même chose…" : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "لا تقوم الساعة حتى يقتتل فئتان فيكون بينهما مقتلة عظيمة، دعواهما واحدة" (al-Bukhârî, 3413, voir FB 6/753, Muslim, 157). Le nombre de tués fut en effet élevé ce jour-là : "حدثنا صهيب الفقعسي أبو أسد، عن عمه، قال: "ما كانت أوتاد فساطيطنا يوم صفين إلا القتلى، وما كنا نستطيع أن نأكل الطعام من النتن". قال: وقال رجل: "من دعا إلى البغلة ليوم كفر أهل الشام؟" قال: فقال: "من الكفر فروا" (Ibn Abî Shayba, 37848).

--- Ziyâd ibn ul-Hârith relate : "J'étais à côté de 'Ammâr ibn Yâssir à Siffîn, mon genou touchant le sien ; quelqu'un dit alors : "Les gens de Shâm ont fait kufr !" Ammâr dit alors : "Ne dites pas cela ! Notre prophète et leur prophète est le même, notre Qib'la et leur Qib'la est la même. Ce sont des gens qui ont été induits en erreur, ayant dévié de la vérité. C'est donc un devoir pour nous de les combattre jusqu'à ce qu'ils reviennent à la vérité""عن زياد بن الحارث، قال: كنت إلى جنب عمار بن ياسر بصفين، وركبتي تمس ركبته؛ فقال رجل: "كفر أهل الشام". فقال عمار: "لا تقولوا ذلك! نبينا ونبيهم واحد، وقبلتنا وقبلتهم واحدة. ولكنهم قوم مفتونون جاروا عن الحق؛ فحق علينا أن نقاتلهم حتى يرجعوا إليه" (Ibn Abî Shayba, 37841).

--- 'Alî disait la même chose : les gens de Shâm n'ont pas fait kufr : "أبو أسامة، عن هشام بن عروة، قال: أخبرني عبد الله بن عروة، قال: أخبرني رجل شهد صفين قال: رأيت عليا خرج في بعض تلك الليالي، فنظر إلى أهل الشام فقال: "اللهم اغفر لي ولهم". فأتى عمار فذكر ذلك له فقال: "جروا له الخطير ما جره لكم"" (Ibn Abî Shayba, 37865 : voir l'annotation de Muhammad 'Awwâma sur cette relation). "عن سعد بن إبراهيم، قال: "بينما عليٌّ آخذ بيد عدي بن حاتم وهو يطوف في القتلى، إذ مر برجل عرفته؛ فقلت: "يا أمير المؤمنين، عهدي بهذا وهو مؤمن"؛ قال: "والآن" (Ibn Abî Shayba, 37847).

Quant à la justification, par 'Ammâr, du combat mené contre le groupe de Mu'âwiya, par le fait que Hudhayfa avait rapporté du Prophète (sur lui soit la paix) que parmi ceux qui (en apparence) font partie de ses Compagnons, il y a 12 Munâfiqûn (voir les deux athar rapportés par Muslim, 2779/9 et 2779/10, et cités plus haut)... cela s'explique ainsi : dans les groupes des deux - celui de Mu'âwiya comme celui de 'Alî - il a pu y avoir des personnes dont l'intention n'était pas pure come l'était celle de ces deux Compagnons : "فائدة: ومما ينبغي أن يعلم أنه - وإن كان المختار الإمساك عما شجر بين الصحابة والاستغفار للطائفتين جميعا وموالاتهم - فليس من الواجب اعتقاد أن كل واحد من العسكر لم يكن إلا مجتهدا متأولا كالعلماء؛ بل فيهم المذنب والمسيء وفيهم المقصر في الاجتهاد لنوع من الهوى (لكن إذا كانت السيئة في حسنات كثيرة، كانت مرجوحة مغفورة" (MF 4/434). 'Ammâr pensait que c'étaient quelques-uns de ces Munâfiq qui étaient à l'œuvre pour faire croire à Mu'âwiya, que Alî avait approuvé le meurtre de Uthman et que c'était pour cette raison qu'il ne leur appliquait pas le talion ("وحاصل جواب عمار رضي الله عنه أن النبي صلى الله عليه وسلم أخبر بأن بعض المنافقين يبقون بعده صلى الله عليه وسلم فيثيرون الفتن بين أصحاب النبي صلى الله عليه وسلم. فكأن عمارًا رضي الله عنه أشار إلى أن من قام حربًا على علي رضي الله عنه إنما فعل ذلك بتدسيس من هؤلاء المنافقين، وكان علي رضي الله عنه على حق، فوجب علينا مؤازرته ونصره. والله أعلم" : Al-Kawkab ul-wahhâj).
'Amr ibn ul-Âs fait partie des Muhâjiru-l-Fat'h.
Quant à Mu'âwiya, qui fait partie des Tulaqâ', personne d'entre les Compagnons n'a émis à son sujet l'accusation qu'il serait un Munâfiq : "وأما معاوية بن أبي سفيان وأمثاله من الطلقاء الذين أسلموا بعد فتح مكة - كعكرمة بن أبي جهل، والحارث بن هشام، وسهيل بن عمرو، وصفوان بن أمية، وأبي سفيان بن الحارث بن عبد المطلب -: هؤلاء وغيرهم ممن حسن إسلامهم باتفاق المسلمين، ولم يتهم أحد منهم بعد ذلك بنفاق. ومعاوية قد استكتبه رسول الله صلى الله عليه وسلم وقال: "اللهم علمه الكتاب والحساب، وقه العذاب". وكان أخوه يزيد بن أبي سفيان خيرا منه وأفضل، وهو أحد الأمراء الذين بعثهم أبو بكر الصديق رضي الله عنه في فتح الشام، ووصاه بوصية معروفة، وأبو بكر ماش، ويزيد راكب" (MF 35/64). "ولو كان معاوية كافرا، لم تكن تولية كافر وتسليم الأمر إليه مما يحبه الله ورسوله؛ بل دل الحديث على أن معاوية وأصحابه كانوا مؤمنين، كما كان الحسن وأصحابه مؤمنين؛ وأن الذي فعله الحسن كان محمودا عند الله تعالى محبوبا مرضيا له ولرسوله" (MF 4/466-467).

--- Ammâr ibn Yâssir sera hélas tué pendant le combat par Abu-l-Ghâdiya, un autre Compagnon qui se trouve dans le groupe de Mu'âwiya. Si j'ai bien compris, Abu-l-Ghâdiya ne savait pas de qui il s'agissait, l'ayant tué seulement parce qu'il l'avait entendu auparavant, à Médine, critiquer 'Uthmân et, étant des partisans de 'Uthmân, il s'était alors promis que s'il en avait l'occasion, il le tuerait. Ayant reconnu la personne à Siffîn, il le tua ; c'est après qu'il l'ait tué qu'on lui dit : "Tu as tué 'Ammâr ibn Yâssir !". Abu-l-Ghâdiya vint alors rencontrer 'Amr ibn ul-'As, un autre Compagnon qui est lui aussi dans le même groupe, et l'informa qu'il venait de tuer Ammâr. 'Amr ibn ul-'As lui répondit : "J'avais entendu le Prophète - que Dieu le bénisse et le salue - dire : "Le meurtrier de 'Ammâr et celui qui le dépouillera seront dans la géhenne"". On dit alors à 'Amr ibn ul-'As : "Toi aussi tu l'as combattu" [puisque ayant combattu le groupe dans lequel 'Ammâr se trouvait]. 'Amr ibn ul-'As répondit : "Le Prophète n'a parlé que de celui qui le tuerait et le dépouillerait" : "عن كلثوم بن جبر قال: "كنا بواسط القصب عند عبد الأعلى بن عبد الله بن عامر، قال: فإذا عنده رجل يقال له: أبو الغادية، استسقى ماء، فأتي بإناء مفضض، فأبى أن شرب، وذكر النبي صلى الله عليه وسلم، فذكر هذا الحديث: "لا ترجعوا بعدي كفارا أو ضلالا - شك ابن أبي عدي - يضرب بعضكم رقاب بعض."* فإذا رجلا يسب فلانا، فقلت: "والله لئن أمكنني الله منك في كتيبة". فلما كان يوم صفين، إذا أنا به وعليه درع، قال: ففطنت إلى الفرجة في جربان الدرع، فطعنته، فقتلته. فإذا هو عمار بن ياسر". قال: قلت**: "وأي يد كفتاه، يكره أن يشرب في إناء مفضض، وقد قتل عمار ابن ياسر"" (Zawâ'ïdu Musnadi Ahmad, 16698 : Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, 5/20) (* il semble manquer ici la partie qui figure dans la relation suivante, où Kulthûm ibn Jab'r relate que c'est de Abu-l-Ghâdiya - qu'il a rencontré à Wâssit - qu'il tient ce récit de ce qui a poussé celui-ci à tuer 'Ammâr à Siffîn) (** j'ai cru comprendre que c'est Kulthûm qui a dit cela ironiquement au sujet de Abu-l-Ghâdiya ; et non pas que c'est Abu-l-Ghâdiya qui aurait dit cela amèrement à son propre sujet). "عن أبي حفص وكلثوم بن جبير عن أبي غادية قال: "سمعت عمار بن ياسر يقع في عثمان يشتمه بالمدينة"، قال: فتوعدته بالقتل، قلت: "لئن أمكنني الله منك لأفعلن." فلما كان يوم صفين جعل عمار يحمل على الناس، فقيل: "هذا عمار." فرأيت فرجة بين الرئتين وبين الساقين، قال: فحملت عليه فطعنته في ركبته، قال، فوقع فقتلته. فقيل: "قتلتَ عمار بن ياسر!". وأُخبِرَ عمرو بن العاص، فقال: "سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "قاتل عمار وسالبه في النار"." فقيل لعمرو بن العاص: "هو ذا أنت تقاتله؟" فقال: "إنما قال: قاتله وسالبه"" (Ibn Sa'd ; partiellement par Ahmad, 17776 ; Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, 5/18-19).
Le même Abu-l-Ghâdiya a relaté ce hadîth : "عن أبي غادية الجهني، قال: خطبنا رسول الله صلى الله عليه وسلم يوم العقبة فقال: "يا أيها الناس، إن دماءكم وأموالكم عليكم حرام إلى أن تلقوا ربكم كحرمة يومكم هذا في بلدكم هذا في شهركم هذا. ألا هل بلغت؟" قالوا: نعم. قال: "اللهم هل بلغت؟" (Ahmad, 16699, 16700). Lire : Quand le Prophète (sur lui soit la paix) a évoqué une sanction dans le Feu au sujet d'une personne précise.

--- 'Ammâr dit peu avant d'être tué au combat, ce jour-là : "Le Paradis a été rapproché, et les houris aux grands yeux : mariées. Aujourd'hui nous allons rencontrer notre bien-aimé Muhammad - que Dieu le rapproche de Lui et le salue. Il m'avait informé que la dernière provision que j'aurai de ce monde serait une petite quantité de lait" : "عن إبراهيم بن سعد، عن أبيه، عن جده: سمعت عمار بن ياسر بصفين في اليوم الذي قتل فيه، وهو ينادي: "أزلفت الجنة، وزوجت الحور العين. اليوم نلقى حبيبنا محمدا صلى الله عليه وسلم. عهد إلي أن آخر زادك من الدنيا ضيح من لبن" (al-Hâkim, 5668 ; Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, 3217). "عن أبي البختري قال: قال عمار يوم صفين: "ائتوني بشربة لبن، فإن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "آخر شربة تشربها من الدنيا شربة لبن"". فأتي بشربة لبن فشربها، ثم تقدم فقتل" (Ahmad, 1880, munqati'). "عن مسلم بن الأجدع الليثي - وكان ممن شهد صفين - قال: كان عمار يخرج بين الصفين وقد أخرجت الرايات، فينادي حتى يسمعهم بأعلى صوته: "روحوا إلى الجنة، قد تزينت الحور العين" (Ibn Abî Shayba, 37838).

--- Il y a encore ce hadîth : "Pauvre 'Ammâr : le groupe insurgé le tuera. Ils les appellera vers le Paradis, eux l'appelleront vers le Feu" : "عن عكرمة، قال لي ابن عباس ولابنه علي: انطلقا إلى أبي سعيد فاسمعا من حديثه، فانطلقنا فإذا هو في حائط يصلحه، فأخذ رداءه فاحتبى، ثم أنشأ يحدثنا حتى أتى ذكر بناء المسجد، فقال: كنا نحمل لبنة لبنة وعمار لبنتين لبنتين، فرآه النبي صلى الله عليه وسلم فينفض التراب عنه، ويقول: "ويح عمار، تقتله الفئة الباغية، يدعوهم إلى الجنة، ويدعونه إلى النار." قال: يقول عمار: أعوذ بالله من الفتن"(al-Bukhârî, 2657) / "عن أبي سعيد الخدري، قال: أخبرني من هو خير مني، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال لعمار، حين جعل يحفر الخندق، وجعل يمسح رأسه، ويقول: "بؤس ابن سمية، تقتلك فئة باغية" (Muslim, 2915) ; "عن أم سلمة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال لعمار: "تقتلك الفئة الباغية" (Muslim, 2916).
----- L'action (al-bagh'y 'an il-amîr) de Mu'âwiya et de 'Amr ibn ul-'Âs (que Dieu les agrée) par rapport à 'Alî (que Dieu l'agrée) demeure en soi interdite, et le wa'îd de l'autre monde étant attaché à cette action est ce qui figure dans ce hadîth. Appeler au feu consiste en une action kabîra, et désigne ici : faire le contraire d'appeler à obéir au calife, Alî. Cependant, vu qu'ils étaient mujtahids, le péché ne leur sera pas appliqué (inshâ Allah). La même chose est valable par rapport à ce propos de 'Ammâr, que Riyâh ibn ul-Hârith an-Nakha'î relate de lui : "Ne dites pas : "Les gens de Shâm ont fait kufr", mais dites : "ont fait action de fisq", "ont fait action de zulm"" : "عن رياح، عن عمار، قال: "لا تقولوا: "كفر أهل الشام"، ولكن قولوا: "فسقوا"، "ظلموا" (Ibn Abî Shayba, 37843) (voir aussi 37842). Lire : Chaque croyance pure, ainsi que le statut de chaque action, cela est fixe (muta'ayyan) auprès de Dieu. Le ijtihad consiste à faire l'effort de trouver cela, éventuellement en interaction avec le Réel.
----- Mu'âwiya (que Dieu l'agrée) et son groupe constituaient donc véritablement : "le groupe bâghî".
----- Par contre, pour ce qui est d'attribution du verbe "tuer 'Ammâr" à tout "le groupe bâghî" ("le groupe bâghî le tuera"), ce qui inclut Mu'âwiya et 'Amr ibn ul-'Âs aussi, cela ne signifie pas que tout le groupe l'a véritablement tué, ni que tout le groupe porte le péché du fait qu'il a été tué, surtout que Mu'âwiya et 'Amr ont désapprouvé cela : "ومن رضي بقتل عمار كان حكمه حكمها. ومن المعلوم أنه كان في العسكر من لم يرض بقتل عمار، كعبد الله بن عمرو بن العاص وغيره؛ بل كل الناس كانوا منكرين لقتل عمار، حتى معاوية وعمرو" (MF 35/76). Cette attribution du verbe "tuer" à tout le groupe de Mu'âwiya est comparable à celle que l'on trouve dans le Coran par exemple pour Uhud, où Dieu a attribué à l'ensemble des Compagnons (700 personnes) ce que seulement 40 d'entre eux avaient fait : "وَلَقَدْ صَدَقَكُمُ اللّهُ وَعْدَهُ إِذْ تَحُسُّونَهُم بِإِذْنِهِ حَتَّى إِذَا فَشِلْتُمْ وَتَنَازَعْتُمْ فِي الأَمْرِ وَعَصَيْتُم مِّن بَعْدِ مَا أَرَاكُم مَّا تُحِبُّونَ مِنكُم مَّن يُرِيدُ الدُّنْيَا وَمِنكُم مَّن يُرِيدُ الآخِرَةَ ثُمَّ صَرَفَكُمْ عَنْهُمْ لِيَبْتَلِيَكُمْ وَلَقَدْ عَفَا عَنكُمْ وَاللّهُ ذُو فَضْلٍ عَلَى الْمُؤْمِنِينَ" (Coran 3/152) : Il leur a rappelé ici qu'Il avait rempli Sa promesse, puis leur a reproché d'avoir "divergé" [alors que l'impératif du Prophète ne permettait aucune divergence tant il était explicite et clair] et d'avoir "désobéi", ce qui fait qu'Il leur a retiré Son Aide. Ensuite Il dit leur avoir accordé Son Pardon. Un peu plus loin, Dieu leur dit ceci : "أَوَلَمَّا أَصَابَتْكُم مُّصِيبَةٌ قَدْ أَصَبْتُم مِّثْلَيْهَا قُلْتُمْ أَنَّى هَذَا قُلْ هُوَ مِنْ عِندِ أَنْفُسِكُمْ" : "Et est-ce que, lorsqu'une difficulté vous a atteints alors que vous aviez infligé deux fois son semblable, vous avez dit : "D'où cela (provient-il) ?" Dis : "Cela provient de vous-mêmes"" (Coran 3/165).

--- Aux deux personnes se disputant le fait d'avoir tué 'Ammâr, Abdullâh fils de 'Amr ibn il-'Âs réplique : "Que chacun de vous deux en soit content pour l'autre, car j'ai entendu le Messager de Dieu - que Dieu le bénisse et le salue - dire : "Le groupe bâghî le tuera"" : "عن حنظلة بن خويلد العنبري قال: بينما أنا عند معاوية، إذ جاءه رجلان يختصمان في رأس عمار، يقول كل واحد منهما: "أنا قتلته". فقال عبد الله بن عمرو: "ليطب به أحدكما نفسا لصاحبه، فإني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "تقتله الفئة الباغية"." قال معاوية: "فما بالك معنا؟" قال: "إن أبي شكاني إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: "أطع أباك ما دام حيا، ولا تعصه"؛ فأنا معكم، ولست أقاتل" (Ahmad, 6538 ; voir aussi 6929).

--- Plus tard, 'Amr ibn ul-'Âs (à qui non seulement son fils Abdullâh mais aussi 'Amr ibn Hazm ont rappelé ce hadîth) vient informer Mu'âwiya que 'Ammâr a été tué, alors même que le Prophète (sur lui soit la paix) avait dit que le groupe bâghî le tuerait. Mu'âwiya lui rétorque alors : Sont-ce nous qui l'avons tué ? Ne l'ont tué que ceux qui l'ont emmené (ici) : 'Alî et les siens" : "عن أبي بكر بن محمد بن عمرو بن حزم، عن أبيه، قال: لما قتل عمار بن ياسر دخل عمرو بن حزم على عمرو بن العاص، فقال: "قتل عمار، وقد قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "تقتله الفئة الباغية"". فقام عمرو بن العاص فزعا يرجع حتى دخل على معاوية، فقال له معاوية: "ما شأنك؟" قال: "قتل عمار". فقال معاوية: "قد قتل عمار، فماذا؟" قال عمرو: "سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "تقتله الفئة الباغية"". فقال له معاوية: "دحضت في بولك. أونحن قتلناه؟ إنما قتله علي وأصحابه: جاءوا به حتى ألقوه بين رماحنا، - أو قال: بين سيوفنا" (Ahmad, 17778). "حدثنا أبو معاوية، حدثنا الأعمش، عن عبد الرحمن بن زياد، عن عبد الله بن الحارث، قال: إني لأسير مع معاوية في منصرفه من صفين، بينه وبين عمرو بن العاص، قال: فقال عبد الله بن عمرو بن العاص: "يا أبت، ما سمعتَ رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول لعمار: "ويحك يا ابن سمية تقتلك الفئة الباغية"؟" قال: فقال عمرو لمعاوية: "ألا تسمع ما يقول هذا؟" فقال معاوية: "لا تزال تأتينا بهنة. أنحن قتلناه، إنما قتله الذين جاءوا به" (Ahmad, 6499, 6927 ; voir aussi 6500, 6926). Lire, de cette Ta'wîl faite par Mu'âwiya, la critique. "ويروى أن معاوية تأول أن الذي قتله هو الذي جاء به دون مقاتليه؛ وأن عليا رد هذا التأويل بقوله: "فنحن إذا قتلنا حمزة". ولا ريب أن ما قاله علي هو الصواب؛ لكن من نظر في كلام المتناظرين من العلماء الذين ليس بينهم قتال ولا ملك، وأن لهم في النصوص من التأويلات ما هو أضعف من معاوية بكثير. ومن تأول هذا التأويل لم ير أنه قتل عمارا، فلم يعتقد أنه باغ، ومن لم يعتقد أنه باغ وهو في نفس الأمر باغ: فهو متأول مخطئ" (MF 35/76-77).
--- Mu'âwiya interpelle également 'Abdullâh (qui a rappelé ce hadîth à son père) : "Alors pourquoi es-tu avec nous ?" Abdullâh lui répond que son père s'étant une fois plaint de lui auprès du Prophète, ce dernier lui avait enjoint d'obéir à son père 'Amr ibn ul-'Âs ; c'est ce qu'il faisait donc lors de cette occasion encore, mais il ne participait pas activement au combat contre le groupe de 'Alî.

--- Ibn Taymiyya : "والفقهاء ليس فيهم من رأيه القتال مع من قتل عمارا؛ لكن لهم قولان مشهوران كما كان عليهما أكابر الصحابة: منهم من يرى القتال مع عمار وطائفته؛ ومنهم من يرى الإمساك عن القتال مطلقا. وفي كل من الطائفتين طوائف من السابقين الأولين. ففي القول الأول عمار وسهل بن حنيف وأبو أيوب. وفي الثاني سعد بن أبي وقاص ومحمد بن مسلمة وأسامة بن زيد وعبد الله بن عمر ونحوهم؛ ولعل أكثر الأكابر من الصحابة كانوا على هذا الرأي؛ ولم يكن في العسكرين بعد علي أفضل من سعد بن أبي وقاص، وكان من القاعدين" (MF 35/76-77).

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La bataille tourne à la faveur de Alî.

'Amr ibn ul-'As recommande alors à Mu'âwiya d'appeler à un arbitrage sur la base du Coran pour mettre fin au différend qui existe entre eux.

Alî accepte en disant : "J'ai priorité pour cela ! Que le Livre de Dieu soit donc entre nous !" : "فقال علي: "نعم أنا أولى بذلك، بيننا وبينكم كتاب الله"" (Ahmad, 15975 ; FB 8/748).

Il est confiant en son bon droit. Il dira aux deux arbitres : "Le Livre de Dieu est entièrement en ma faveur" : "قال علي للحكمين: "على أن تحكما بما في كتاب الله. وكتاب الله كله لي. فإن لم تحكما بما في كتاب الله فلا حكومة لكما" (Ibn Abî Shayba, 37856).

Par ailleurs, voyant le résultat de la bataille en terme de morts, Alî exprime des regrets quant au fait qu'il ait pris l'initiative de combattre ; c'est cela qui fait que, de bon coeur, il accepte l'arbitrage : "عن سليمان بن مهران، قال: حدثني من سمع عليا يوم صفين وهو عاض على شفته: "لو علمت أن الأمر يكون هكذا، ما خرجت. اذهب يا أبا موسى فاحكم ولو خر عنقي" (Ibn Abî Shayba, 37852). "حدثنا الأعمش، عن أبي معالج، أن عليا قال لأبي موسى: "احكم ولو يخر عنقي" (Ibn Abî Shayba, 37853).

Mais certains hommes dans le groupe de Alî – il s'agit de ceux qui seront appelés : "les Kharidjites" – s'y opposent.

Sahl ibn Hunayf interpelle ces hommes : il rappelle d'une part que ces batailles entre le calife et d'autres musulmans n'ont, depuis qu'elles ont débuté, rien réglé comme problème ; et il fait d'autre part le parallèle de cette occasion de paix avec celle que, des années plus tôt, le Prophète avait accepté la paix de Hudaybiya : bien qu'ils étaient alors réticents, ils avaient dû reconnaître plus tard que cela avait été le juste choix (FB 8/748).

"عن حبيب بن أبي ثابت، قال: أتيت أبا وائل في مسجد أهله أسأله عن هؤلاء القوم الذين قتلهم علي بالنهروان، فيما استجابوا له، وفيما فارقوه، وفيما استحل قتالهم. قال: كنا بصفين؛ فلما استحر القتل بأهل الشام، اعتصموا بتل، فقال عمرو بن العاص لمعاوية: "أرسل إلى علي بمصحف، وادعه إلى كتاب الله، فإنه لن يأبى عليك". فجاء به رجل، فقال: "بيننا وبينكم كتاب الله {ألم تر إلى الذين أوتوا نصيبا من الكتاب يدعون إلى كتاب الله، ليحكم بينهم، ثم يتولى فريق منهم، وهم معرضون}". فقال علي: "نعم أنا أولى بذلك، بيننا وبينكم كتاب الله". قال: فجاءته الخوارج - ونحن ندعوهم يومئذ القراء -، وسيوفهم على عواتقهم، فقالوا: "يا أمير المؤمنين، ما ننتظر بهؤلاء القوم الذين على التل ألا نمشي إليهم بسيوفنا، حتى يحكم الله بيننا وبينهم؟". فتكلم سهل بن حنيف، فقال: "يا أيها الناس اتهموا أنفسكم، فلقد رأيتنا يوم الحديبية (يعني الصلح الذي كان بين رسول الله صلى الله عليه وسلم وبين المشركين)، ولو نرى قتالا لقاتلنا. فجاء عمر إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال" (Ahmad, 15975 ; FB 13/86, sur 6704). Ibn Hajar commente ainsi ce propos : "فكأنه قال: اتهموا الرأي إذا خالف السنة، كما وقع لنا حيث أمرنا رسول الله صلى الله عليه وسلم بالتحلل فاحببنا الاستمرار إلى الإحرام وأردنا القتال لنكمل نسكنا ونقهر عدونا؛ وخفي عنا حينئذ ما ظهر للنبي صلى الله عليه وسلم مما حمدت عقباه" (FB tome 13, sur 6878).

Lire également : "Le "nah'y 'an il-munkar" fait par l'autorité par rapport à la "tâ'ïfa mumtani'a" (II)".

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L'arbitrage :

Il est prévu que, dans le but que le sang cesse de couler, deux hommes soient désignés comme arbitres, l'un du groupe de Alî et l'autre de celui de Mu'âwiya, et que leur décision fasse autorité.
Mu'âwiya présente 'Amr ibn ul-'As.
Alî est pour sa part représenté par Abû Mûssa al-Ash'arî (il avait proposé un autre personnage mais il a dû céder devant l'avis de son groupe).

L'arbitrage doit se dérouler en ramadan 37 à Dûmat al-jandal, à Adhruh.

Ceux qui – dans le groupe de Alî – refusent l'arrêt des combats et cet arbitrage quittent, mécontents, ses rangs ; cela leur vaudra le nom de "kharidjites", "les sortants". Ils étaient déjà opposés à Mu'âwiya et à 'Amr ibn ul-'As ; ils sont maintenant opposés à Alî aussi.

Certes, certains Compagnons tels que Sa'd ibn Abî Waqqâs, Ibn Omar, Muhammad ibn Maslama, etc. pensaient eux aussi – comme nous l'avons déjà dit – qu'il ne fallait se joindre ni aux côtés de Alî ni aux côtés de Mu'âwiya, mais eux se gardaient bien de faire une insurrection armée contre l'un ou l'autre. De plus, si ces Compagnons ne partageaient ni l'avis de Alî ni celui de Mu'âwiya à propos de la conduite à tenir dans la situation présente, ils voyaient bien que chaque partie s'attachait à une interprétation (ijtihâd). Alors que les Kharidjites, eux, considèrent tout le monde égaré et à combattre ; ils vont bientôt créer de graves problèmes.

En ramadan 37, les deux arbitres, Abû Mûssa al-Ash'arî et 'Amr ibn ul-'As, se rencontrent à l'endroit prévu. Al-Mughîra ibn Shu'ba s'y rend lui aussi. Les deux arbitres envoient appeler Abdullâh ibn Omar et Abdullâh ibn uz-Zubayr. D'autres personnalités de Quraysh s'y rendent elles aussi (rapporté par Abd ur-Razzâq dans son Mussannaf, cité dans WK p. 134). Hafsa, veuve du Prophète, vu l'importance de l'événement et la nécessité de rétablir la paix dans la Umma du Prophète, a insisté auprès de son frère Abdullâh ibn Omar pour qu'il assiste à l'arbitrage (FB 7/504).

Les deux arbitres pensent nommer un nouveau calife afin que la Communauté musulmane puisse aborder un nouveau tournant.

Abd ur-Razzâq rapporte dans son Mussanaf que 'Amr ibn ul-'As dit à Abû Mûssa al-Ash'arî : "Abû Mûssa, es-tu d'accord pour que nous nommions un homme qui s'occupera des affaires de cette Umma ? Nomme-le. Si je peux te suivre dans ta proposition, tu as la garantie que je le ferai. Sinon, tu auras le devoir de suivre ma proposition."
Abû Mûssa lui dit alors : "Je nomme Abdullâh ibn Omar."
'Amr ibn ul-'As n'accepte pas sa proposition et dit : "Je nomme Mu'âwiya fils de Abû Sufyân."
Tous deux ont ensuite des mots (WK pp. 134-135, pp. 147-150).
Apparemment ce que Abû Mûssa reproche à 'Amr ibn ul-'Âs, c'est d'avoir proposé l'une des deux personnes qui font justement l'objet de la discussion.

Voici le texte rapporté par Abd ur-Razzâq :
"فلما حكم الحكمان فاجتمعا بأذرح، وافاهما المغيرة بن شعبة، وأرسل الحكمان إلى عبد الله بن عمر، وإلى عبد الله بن الزبير، ووافى رجالا كثيرا من قريش ووافى معاوية بأهل الشام ووافى أبو موسى الأشعري وعمرو بن العاص - وهما الحكمان - وأبى علي وأهل العراق أن يوافوا.

فقال المغيرة بن شعبة لرجال من ذوي رأي أهل قريش: هل ترون أحدا يقدر على أن يستطيع أن يعلم أيجتمع هذان الحكمان أم لا؟ فقالوا له: لا نرى أن أحدا يعلم ذلك. قال: فوالله إني لأظنني سأعلمه منهما حين أخلو بهما فأراجعهما. فدخل على عمرو بن العاص فبدأ به فقال: يا أبا عبد الله، أخبرني عما أسألك عنه؛ كيف ترانا معشر المعتزلة؟ فإنا قد شككنا في هذا الأمر الذي قد تبين لكم في هذا القتال، ورأينا نستأني ونتثبت حتى تجتمع الأمة على رجل فندخل في صالح ما دخلت فيه الأمة؟ فقال عمرو: أراكم معشر المعتزلة خلف الأبرار ومعشر الفجار. فانصرف المغيرة ولم يسأله عن غير ذلك، حتى دخل على أبي موسى الأشعري، فخلا به فقال له نحوا مما قال لعمرو، فقال أبو موسى: أراكم أثبت الناس رأيا، وأرى فيكم بقية المسلمين. فانصرف فلم يسأله عن غير ذلك قال: فلقي أصحابه الذين قال لهم ما قال من ذوي رأي قريش قال: أقسم لكم لا يجتمع هذان على رجل واحد، وليدعون كل واحد منهما إلى رأيه.

فلما اجتمع الحكمان، وتكلما خاليين، فقال عمرو: يا أبا موسى، أرأيت أول ما نقضي به في الحق؟ علينا أن نقضي لأهل الوفاء بالوفاء، ولأهل الغدر بالغدر. فقال أبو موسى: وما ذلك؟ قال: ألست تعلم أن معاوية وأهل الشام قد وافوا للموعد الذي وعدناهم إياه؟ فقال: فاكتبها. فكتبها أبو موسى. فقال عمرو: قد أخلصت أنا وأنت أن نسمي رجلا يلي أمر هذه الأمة، فسم يا أبا موسى، فإني أقدر على أن أبايعك منك على أن تبايعني.
فقال أبو موسى: "أسمي عبد الله بن عمر بن الخطاب" - وكان عبد الله بن عمر فيمن اعتزل.
فقال عمرو: "فأنا أسمي لك معاوية بن أبي سفيان".
فلم يبرحا من مجلسهما ذلك حتى اختلفا واستبا.

ثم خرجا إلى الناس. ثم قال أبو موسى: "يا أيها الناس، إني قد وجدت مثل عمرو بن العاص مثل الذي قال الله تبارك وتعالى {واتل عليهم نبأ الذي آتيناه آياتنا فانسلخ منها} حتى بلغ {لعلهم يتفكرون}". وقال عمرو بن العاص: "يا أيها الناس، إني وجدت مثل أبي موسى مثل الذي قال الله تبارك وتعالى {مثل الذين حملوا التوراة ثم لم يحملوها كمثل الحمار يحمل أسفارا} حتى بلغ {الظالمين}". ثم كتب كل واحد منهما بالمثل الذي ضرب لصاحبه إلى الأمصار.

قال الزهري: عن سالم، عن ابن عمر قال معمر: وأخبرني ابن طاوس، عن عكرمة بن خالد، عن ابن عمر قال: فقام معاوية عشية، فأثنى على الله بما هو أهله ثم قال: "أما بعد، فمن كان متكلما في هذا الأمر، فليطلع لي قرنه، فوالله لا يطلع فيه أحد إلا كنت أحق به منه ومن أبيه" - قال: يعرض بعبد الله بن عمر -. قال عبد الله بن عمر: "فأطلقت حبوتي فأردت أن أقوم إليه فأقول: "يتكلم فيه رجال قاتلوك وأباك على الإسلام"، ثم خشيت أن أقول كلمة تفرق بين الجمع وتسفك فيه الدماء، وأحمل فيه على غير رأي، فكان ما وعد الله تبارك وتعالى في الجنان أحب إلي من ذلك".

Cette dernière partie, avec Mu'âwiya se présentant comme méritant le califat et Abdullâh ibn Omar pensant lui répondre puis préférant garder le silence, a également été rapportée par al-Bukhârî : "عن ابن عمر، قال: "دخلت على حفصة ونسواتها تنطف، قلت: "قد كان من أمر الناس ما ترين، فلم يجعل لي من الأمر شيء". فقالت: "الحق فإنهم ينتظرونك، وأخشى أن يكون في احتباسك عنهم فرقة"، فلم تدعه حتى ذهب. فلما تفرق الناس، خطب معاوية قال: "من كان يريد أن يتكلم في هذا الأمر، فليطلع لنا قرنه؛ فلنحن أحق به منه ومن أبيه". قال حبيب بن مسلمة: "فهلا أجبته؟" قال عبد الله: "فحللت حبوتي، وهممت أن أقول: "أحق بهذا الأمر منك من قاتلك وأباك على الإسلام". فخشيت أن أقول كلمة تفرق بين الجمع وتسفك الدم ويحمل عني غير ذلك، فذكرت ما أعد الله في الجنان". قال حبيب: "حفظت وعصمت" (n° 3882).

(L'autre récit, celui rapporté par at-Tabarî et qui est le plus souvent relaté à ce sujet et qui montre une tromperie de la part de 'Amr ibn ul-'As lors du déroulement de l'arbitrage, est complètement erroné (WK pp. 147-150).)

L'arbitrage ne donne pas de résultats concrets (FB 12/356). Mu'âwiya annonce maintenant qu'il est calife, se fondant sur l'échange qui a été fait au cours de l'arbitrage à Dumat ul-jandal (MS 2/290 3/328).

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Les Kharidjites :

Pour l'instant, retourné à Kufa, Alî doit faire face à l'insubordination des kharidjites.

Ce sont des hommes puritains, extrêmement littéralistes et violents.

An-Nassâ'ï rapporte qu'ils reprochent 3 choses à Alî :
– d'avoir accepté l'arbitrage de deux humains alors que seul Dieu est arbitre et peut trancher ;
– de n'avoir pas autorisé les combattants à prendre du butin après le combat contre les musulmans entrés en rébellion [après la bataille du Chameau et lors des combats de Siffîn] ;
– enfin d'avoir accepté, lors de la rédaction du traité acceptant l'arbitrage, d'effacer – comme le lui demandaient les gens de Syrie – le titre de "Chef des croyants" de devant son prénom, ce qui voudrait dire qu'il reconnaît ne pas être le calife des musulmans (cité en note de bas de page sur Al-Hidâya 1/588 ; certains de ces éléments sont aussi relatés dans FB 12/370).

Ibn Hajar relate comment Alî fait tous les efforts possibles pour montrer aux kharijites qu'ils se trompent, qu'ils reprennent une parole de vérité ("Lâ hukma illâ lillâh" : "L'arbitrage ne revient qu'à Dieu") mais la comprennent de façon simplificatrice, et l'appliquent donc de façon entièrement erronée ("kalimatu haqq urîda bihâ bâtil" : Muslim 1066/156).
Alî dépêche auprès d'eux Ibn Abbâs ; celui-ci leur parle et certains reviennent, pendant que d'autres persistent dans leur déviance.
Alî leur dit alors : "Nous vous garantissons malgré tout trois droits : nous ne vous empêcherons pas de venir dans les mosquées, nous ne vous priverons pas de votre part dans la redistribution du fay', et nous ne vous combattrons pas tant que vous-mêmes ne créerez pas l'oppression (fassâd)."

Les kharidjites se réunissent ensuite à Ctésiphon. Alî ne cesse de correspondre avec eux pour leur demander de revenir. Ils refusent et lui demandent de reconnaître d'abord qu'il a, lui, apostasié, et donc de se repentir.

Alî continue sa correspondance, mais cette fois ils sont à deux doigts d'assassiner son émissaire.

Puis ils prennent comme résolution que tout musulman n'appartenant pas à leur groupe pourra être tué et volé. Et ils se mettent effectivement à tuer ceux qui passent près du lieu où ils se sont établis.

C'est seulement alors que Alî part les combattre. Il les écrase à Nehrawân, en l'an 38 (FB 12/355-356, 12/369-372, MS 3/329).
Après qu'il les ait combattus, quelqu'un demande à 'Alî à leur sujet : "Sont-ils des Mushrik ? - Du Shirk ils ont fui, répond-il. - Sont-ils des Munâfiq ? - Les Munâfiq n'évoquent Dieu que peu ! - Qui sont-ils donc ? - Des gens qui ont fait Bagh'y contre nous" : "عن طارق بن شهاب، قال: كنت عند عليّ، فسئل عن أهل النهر: أهم مشركون؟ قال: من الشرك فروا! قيل: فمنافقون هم؟ قال: إن المنافقين لا يذكرون الله إلا قليلا! قيل له: فما هم؟ قال: قوم بغوا علينا"" (Ibn Abî Shayba, n° 37942) (MS 3/94-95).

Le Prophète avait annoncé leur venue ; les paroles dans lesquelles il avait dit de les tuer sont à comprendre, écrit Ibn Hajar, dans le sens de les tuer lorsqu'ils auront d'abord tué des musulmans (FB 8/87).

Lire : Pourquoi 'Alî (que Dieu l'agrée) marcha-t-il le premier contre les gens de Jamal et de Siffîn, mais pas contre les Kharijites ?.

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Après l'arbitrage :

Après les temps de l'arbitrage, 'Alî fera des préparatifs pour aller de nouveau combattre Mu'âwiya, et ce parce que ce dernier se proclame calife. Cependant, il ne pourra plus y aller (FB 13/79). Ses partisans ne le suivront pas.

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Le martyre :

Si les Kharidjites ont été décimés à Nehrawân, un petit nombre d'entre eux en ont réchappé. Ils rassemblent bientôt quelques partisans. Au mois de ramadan de l'an 40, Alî est l'objet d'une embuscade tenue par l'un d'entre eux et est mortellement blessé (voir FB 12/356-357).

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Que penser de ces batailles du Chameau et de Siffîn ?

Les deux batailles du Chameau et de Siffîn n'ont été menées par ces Compagnons ni à cause d'une faiblesse de leur foi (wa-l-'iyâdhu bil-llâh) ni à cause d'une recherche du pouvoir, mais à cause d'interprétations différentes (ijtihâd) de certains textes et de ce que le contexte rendait nécessaire ; ces Compagnons ont été de toute bonne foi ; nous les aimons tous et ne dénigrons aucun d'entre eux.

La question qui se pose est la suivante : Dans les faits :
– s'est-il agi de batailles du détenteur de l'autorité contre des gens entrés en rébellion contre lui (qitâl ul-bughât), ce qui tomberait sous l'impératif du verset disant : "فَإِن بَغَتْ إِحْدَاهُمَا عَلَى الْأُخْرَى فَقَاتِلُوا الَّتِي تَبْغِي حَتَّى تَفِيءَ إِلَى أَمْرِ اللَّهِ" (Coran 49/9) ;
ou bien s'est-il agi de batailles de discorde (qitâlu fitna), ce qui tomberait sous le coup des Hadîths demandant qu'on s'en éloigne autant que possible : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ستكون فتن، القاعد فيها خير من القائم، والقائم فيها خير من الماشي، والماشي فيها خير من الساعي، ومن يشرف لها تستشرفه، ومن وجد ملجأ أو معاذا فليعذ به" (al-Bukhârî, Muslim ; voir FB 13/39) ?

Ibn Taymiyya écrit : "Les batailles du Chameau et de Siffîn font l'objet d'une divergence :
relèvent-elles du combat contre ceux qui sont en rébellion et qui est prescrit par le Coran ;
ou bien du combat de fitna [discorde, épreuve] où [selon les Hadîths] celui qui reste à l'écart agit mieux que celui qui y participe ?"
(MS 2/335.)

En fait 2 points font l'unanimité :

A) Alî était devenu le calife ("الخلافة ثلاثون سنة").

B) Mu'âwiya pensait – en toute bonne foi – qu'il avait le droit d'exiger que le talion soit d'abord appliqué aux meurtriers de Uthmân avant de reconnaître le califat de Alî ; 'Amr ibn ul-'As, un autre Compagnon, était du même avis que lui. Tous deux étaient donc sincères (ils croyaient véritablement que 'Alî refusait délibérément de venger Uthmân) mais ils faisaient une erreur d'interprétation (khata' ijtihâdî), car Alî ne pouvait réellement pas appliquer le talion dans l'état des choses. Ils étaient donc bâghî 'an tâ'at il-amîr (MRH, pp. 30-31).

Et un point fait l'objet d'avis divergents :

C) Alî  pouvait-il, devait-il, combattre, ou pas, le groupe de Aïcha, puis le groupe de Mu'âwiya, pour les soumettre à l'autorité califale ? Les autres Compagnons devaient-ils, puisqu'il était le calife et demandait qu'on l'assiste dans ces combats, suivre sa demande et se joindre à lui pour combattre ces deux groupes ?
Certains Compagnons étaient du même avis que Alî : combattre ceux qui refusent de reconnaître l'autorité califale est autorisé, même s'ils ne la combattent pas et ne causent pas de tort à la population. (Cet avis fut ensuite repris par des hanafites et des hanbalites : MF 4/450, 438, 441, MS 2/334.) A l'intérieur de ce groupe de Compagnons, deux tendances apparaissaient :
--- Ammâr ibn Yâssir, Sahl ibn Hunayf et Abû Ayyûb al-Ansârî pensaient que non seulement combattre les gens de ce type est légal (mashrû'), mais c'était même la solution pour mettre fin au problème que traversaient alors les musulmans ; et c'est d'autant plus ce qu'il fallait faire que le calife avait appelé à le faire ;
--- al-Hassan, le propre fils de Alî, pensait pour sa part que si combattre ce genre de personnes est en soi légal (mashrû'), la situation d'alors ne permettait pas qu'on l'entreprenne ; le calife ayant cependant donné l'ordre de faire quelque chose étant en soi autorisé, il fallait obéir.

Et puis d'autres Compagnons (comme Sa'd ibn Abî Waqqâs, Abdullâh ibn Omar, Muhammad ibn Maslama, Abû Bak'ra, Abû Mas'ûd, Abû Mûssâ al-Ash'arî, Ussâma ibn Zayd, 'Imrân ibn ul-Hussayn) pensaient que Alî faisait une erreur d'interprétation (khata' ijtihâdî) en marchant sur le groupe de Aïcha, puis de Mu'âwiya, avec l'objectif de les ramener sous son autorité, et l'éventualité de les attaquer s'ils persistaient à refuser de le faire ; ce qui faisait de ces marches des cas de fitna, auquel il est interdit de participer. Obéir au calife ne pouvant pas se faire à propos de ce qui est clairement interdit, ils ne devaient donc pas s'engager aux côtés du calife (MF 4/442-443).
Ces Compagnons pensaient donc que ces batailles relevaient de la Fitna dont le Prophète avait parlé en disant : "Viendra une fitna ; celui qui sera alors assis agira mieux que celui qui sera debout ; celui qui sera debout agira mieux que celui qui marchera ; celui qui marchera agira mieux que celui qui courra" : C'est quand il y eut insurrection contre 'Uthmân ibn Affân que Sa'd cita ce hadîth : "عن بسر بن سعيد، أن سعد بن أبي وقاص قال عند فتنة عثمان بن عفان: أشهد أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "إنها ستكون فتنة، القاعد فيها خير من القائم، والقائم خير من الماشي، والماشي خير من الساعي". قال: "أفرأيت إن دخل علي بيتي وبسط يده إلي ليقتلني؟" قال: "كن كابن آدم" (at-Tirmidhî, 2194).

Ibn Taymiyya écrit que, Alî excepté, les plus grands des Compagnons alors vivants furent de cet avis : il ne fallait se joindre ni à un camp ni à l'autre. Ibn Taymiyya cite le nom de Sa'd ibn Abî Waqqâs, le Compagnon alors vivant qui, juste après 'Alî, avait le plus de valeur (MF 35/77).

Le fait que le Prophète a fait les éloges de son petit-fils al-Hassan ibn 'Alî, disant que par son intermédiaire, Dieu amènerait la réconciliation entre deux groupes de musulmans : "فقال الحسن: ولقد سمعت أبا بكرة يقول: رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم على المنبر والحسن بن علي إلى جنبه، وهو يقبل على الناس مرة، وعليه أخرى ويقول: "إن ابني هذا سيد، ولعل الله أن يصلح به بين فئتين عظيمتين من المسلمين" (al-Bukhârî 2704, 3629, 3746, 7109, at-Tirmidhî 3775, Abû Dâoûd 4662, FB 13/77) montre que l'avis correct fut au moins celui de al-Hassan, si ce n'est celui de Sa'd ibn Abî Waqqâs etc. Car si le combat mené par 'Alî contre Mu'âwiya était "chose "nécessaire, ou recommandé (ta'abbudan)" à entreprendre, ou "chose bien (par maslaha)" à entreprendre, pourquoi le Prophète aurait-il fait les éloges de celui qui y mettrait fin (d'après MS 2/348) ?
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Par ailleurs, poursuit Ibn Taymiyya, le Prophète avait dit à Muhammad ibn Maslama, celui-là même qui ne s'était joint ni au camp de Mu'âwiya ni au camp de 'Alî : "La "fitna" ne te fera pas de tort" : "عن محمد، قال: قال حذيفة: "ما أحد من الناس تدركه الفتنة إلا أنا أخافها عليه؛ إلا محمد بن مسلمة، فإني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لا تضرك الفتنة" (Abû Dâoûd 4663) ; "عن أبي بردة، عن ثعلبة بن ضبيعة، قال: دخلنا على حذيفة فقال: "إني لأعرف رجلا لا تضره الفتن شيئا". قال: فخرجنا فإذا فسطاط مضروب، فدخلنا فإذا فيه محمد بن مسلمة. فسألناه عن ذلك فقال: "ما أريد أن يشتمل علي شيء من أمصاركم حتى تنجلي عما انجلت" (Abû Dâoûd 4664, 4665) (MS 1/208).
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Ibn Taymiyya écrit que Abû Hanîfa, Mâlik, Ahmad ibn Hanbal, ath-Thawri, al-Awzâ'ï dirent eux aussi qu'il s'agissait d'un combat de discorde ("qitâlu fitna") (MS 4/317, 2/293).

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Sahl ibn Hunayf, qui était aux côtés de 'Alî, dira à ceux qui refusèrent l'arrêt des combats à Siffîn que, auparavant, chaque fois qu'il avait dû combattre, cela avait débouché sur quelque chose de positif, mais que, cette fois, "nous n'obturons pas un côté sans qu'un autre côté jaillit sur nous" ; il a dit cela pour appuyer le bien-fondé de l'arrêt de ce combat, et l'acceptation par 'Alî de l'arbitrage : "عن أبي وائل، قال كنا بصفين، فقام سهل بن حنيف، فقال: "أيها الناس اتهموا أنفسكم" (al-Bukhârî, 3011) ; "عن أبي وائل قال: لما قدم سهل بن حنيف من صفين أتيناه نستخبره، فقال: "اتهموا الرأي، فلقد رأيتني يوم أبي جندل ولو أستطيع أن أرد على رسول الله صلى الله عليه وسلم أمره لرددت، والله ورسوله أعلم. وما وضعنا أسيافنا على عواتقنا لأمر يفظعنا إلا أسهلن بنا إلى أمر نعرفه، قبل هذا الأمر: ما نسد منها خصما إلا انفجر علينا خصم ما ندري كيف نأتي له" (al-Bukhârî, 3953) (Muslim, 1785).
Abû Wâ'ïl (qui est un Tâbi'î Mukhadh'ram) dira pour sa part : "J'ai participé à Siffîn. Et Siffîn n'était pas chose bien" : "وقال أبو وائل: "شهدت صفين، وبئست صفون" (al-Bukhârî, 6878).

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Alî avait donc raison sur le fond dans le désaccord qui l'opposait à Mu'âwiya ; ce dernier faisait une erreur d'interprétation (khata ijtihâdî).
Cependant, en marchant contre Mu'âwiya, chose qui entraîna la bataille de Siffîn, Alî fit ensuite une erreur d'interprétation (khata ijtihâdî)
(MF 4/441-442). Et c'est pourquoi quand, durant son vivant, le Prophète avait fait allusion au combat qui opposerait deux groupes de sa Communauté – celui de Alî et celui de Mu'âwiya – et à l'apparition des Kharidjites, il avait dit que combattrait les Kharijites : "celui des deux groupes qui serait le plus proche de la vérité" ("أدنى الطائفتين إلى الحق" / "أولى الطائفتين بالحق" / "أقرب الطائفتين من الحق") (Muslim 1064, Ahmad 10767). Ce fut Alî qui combattit les Kharidjites, comme nous l'avons vu. Ce Hadîth montre d'une part que ce fut Mu'âwiya qui fit l'erreur d'interprétation fondamentale (et que 'Alî était sur la vérité par rapport à ce que Mu'âwiya exigeait de lui avant de reconnaître son autorité) ; cependant, il montre aussi et d'autre part que Alî fut "le plus proche du vrai, parmi les deux groupes" et non pas : "celui qui était entièrement sur la vérité lors de cette Fitna" : le fait est que (ensuite) il fit une erreur ijtihâdî.
"علي غلّب الرهبة وتأول في الدماء" (MF 35/23).
"عن سعد بن عبيدة، عن أبي عبد الرحمن - وكان عثمانيا -، فقال لابن عطية - وكان علويا -: "إني لأعلم ما الذي جرأ صاحبك على الدماء" (al-Bukhârî, 2915) ; "تنازع أبو عبد الرحمن وحبان بن عطية، فقال أبو عبد الرحمن لحبان: "لقد علمت ما الذي جرأ صاحبك على الدماء"، يعني عليا. قال: "ما هو لا أبا لك؟" (al-Bukhârî, 6540).
"وهذا الذي فعله الحسن رضي الله عنه مما أثنى عليه النبي صلى الله عليه وسلم، كما ثبت في صحيح البخاري وغيره عن أبي بكر - رضي الله عنه - أن النبي
صلى الله عليه وسلم قال: "إن ابني هذا سيد وسيصلح الله به بين فئتين عظيمتين من المسلمين". فجعل النبي صلى الله عليه وسلم مما أثنى به على ابنه الحسن ومدحه على أن أصلح الله تعالى به بين فئتين عظيمتين من المسلمين وذلك حين سلم الأمر إلى معاوية وكان قد سار كل منهما إلى الآخر بعساكر عظيمة. فلما أثنى النبي صلى الله عليه وسلم على الحسن بالإصلاح وترك القتال دل على أن الإصلاح بين تلك الطائفتين كان أحب إلى الله تعالى من فعله، فدل على أن الاقتتال لم يكن مأمورا به" (MF 4/466-467).

Dans quelle mesure la marche de 'Alî contre Aïcha puis contre Mu'âwiya constitua-t-elle une erreur d'interprétation ?

Soit (cela se mariant avec l'avis de al-Hassan) ce fut une erreur d'interprétation du réel (wâqi') : les bughât 'an il-amîr, les combattre pour les amener à reconnaître l'autorité, cela est laissé à l'appréciation de l'émir : cela tâbi' li-l-maslaha : il faut que cela est une chance de réussir sans grande mafsada. Or, dans le cas de 'Alî, la situation (wâqi') était telle que combattre ces gens créerait un problème plus grand que celui que l'on voulait résoudre, et que, dans le cas de Alî, il fallait impérativement s'en abstenir, puisque le mal que cela allait engendrer se révélerait plus grand que celui qu'il voulait résoudre (MF 4/443). Et c'est effectivement ce qui s'est passé, 'Alî faisant, à la fin, l'éloge de la posture de Sa'd ibn Abî Waqqâs et Abdullâh ibn Omar : "لله منزل نزله سعد بن مالك وعبد الله بن عمر، والله لئن كان ذنبا إنه لصغير مغفور، ولئن كان حسنا إنه لعظيم مشكور" (Al-Mu'jam al-kabîr, at-Tabarânî, 319). Ibn Taymiyya écrit : "S'il [= 'Alî] ne les avait pas combattus, il ne serait pas arrivé davantage que ce qui était déjà arrivé : ils ne reconnaissaient (déjà) pas son autorité. Mais par le combat le problème a augmenté" (MF 4/441).

Soit (cela correspondant à l'avis de Sa'd ibn Abî Waqqâs etc.) ce fut une erreur d'interprétation dans le hukm shar'î : les bughât 'an il-amîr (qui ne sont pas sécessionnistes), les combattre pour les faire entrer sous son autorité n'est pas mashrû', et 'Alî fit donc une erreur d'interprétation en pensant que cela est mashrû'. Or il n'y a pas d'obéissance au émir dans ce qu'il entreprend qui est interdit de façon qat'î, même si l'ijtihad de cet émir l'a conduit à penser que cela est permis.

En tous cas, voici quelques propos des Compagnons qui ne se joignirent pas à ces deux combats :
--- "عن الحسن، قال: إن عليا بعث إلى محمد بن مسلمة، فجيء به فقال: "ما خلفك عن هذا الأمر؟" قال: "دفع إلي ابن عمك - يعني النبي صلى الله عليه وسلم - سيفا، فقال: "قاتل به ما قوتل العدو، فإذا رأيت الناس يقتل بعضهم بعضا، فاعمد به إلى صخرة، فاضربه بها، ثم الزم بيتك حتى تأتيك منية قاضية، أو يد خاطئة". قال: "خلوا عنه" (Ahmad, 17979, munqati' entre al-Hassan et ceux dont il rapporte cela) ; "عن زيد بن أسلم، عن أبيه، عن محمد بن مسلمة قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "يا محمد، إذا رأيت الناس يقتتلون على الدنيا فاعمد بسيفك على أعظم صخرة في الحرة، فاضرب بها، حتى ينكسر، ثم اجلس في بيتك حتى تأتيك يد خاطئة أو منية قاضية" ففعلت ما أمرني به النبي صلى الله عليه وسلم" (Al-Mu'jam ul-Awsat, at-Tabarânî, 1289) ;
--- "عن محمد بن علي، أن حرملة مولى أسامة أخبره قال: "أرسلني أسامة إلى علي وقال: "إنه سيسألك الآن فيقول: "ما خلف صاحبك؟" فقل له: "يقول لك: "لو كنت في شدق الأسد لأحببت أن أكون معك فيه، ولكن هذا أمر لم أره""". فلم يعطني شيئا. فذهبت إلى حسن وحسين وابن جعفر، فأوقروا لي راحلتي" (al-Bukhârî, 6693).
--- "عن الأعمش، عن أبي ظبيان، عن أسامة بن زيد قال: بعثنا رسول الله صلى الله عليه وسلم في سرية، فصبحنا الحرقات من جهينة، فأدركت رجلا فقال: "لا إله إلا الله"، فطعنته فوقع في نفسي من ذلك، فذكرته للنبي صلى الله عليه وسلم، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أقال لا إله إلا الله وقتلته؟" قال: قلت: يا رسول الله، إنما قالها خوفا من السلاح، قال: "أفلا شققت عن قلبه حتى تعلم أقالها أم لا؟" فما زال يكررها علي حتى تمنيت أني أسلمت يومئذ. قال: فقال سعد: "وأنا والله لا أقتل مسلما حتى يقتله ذو البطين" - يعني أسامة. قال: قال رجل: "ألم يقل الله: {وقاتلوهم حتى لا تكون فتنة ويكون الدين كله لله}؟" فقال سعد: "قد قاتلنا حتى لا تكون فتنة، وأنت وأصحابك تريدون أن تقاتلوا حتى تكون فتنة" (Muslim, 96). "عن عامر بن سعد بن أبي وقاص، أن أباه حين رأى اختلاف أصحاب رسول الله صلى الله عليه وسلم وتفرقهم، اشترى له ماشية، ثم خرج فاعتزل فيها بأهله على ماء يقال له: قلهي. قال: وكان سعد من أحدّ الناس بصرا فرأى ذات يوم شيئا يزول، فقال لمن تبعه: "ترون شيئا؟" قالوا: "نرى شيئا كالطير"، قال: "أرى راكبا على بعير"، ثم جاء بعد قليل عمر بن سعد على بختي - أو بختية -، ثم قال: "اللهم إنا نعوذ بك من شر ما جاء به". فسلم عمر، ثم قال لأبيه: "أرضيت أن تتبع أذناب هذه الماشية بين هذه الجبال، وأصحابك يتنازعون في أمر الأمة؟" فقال سعد بن أبي وقاص: "سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إنها ستكون بعدي فتن - أو قال: أمور -، خير الناس فيها الغني الخفي التقي". فإن استطعت يا بني أن تكون كذلك، فكن". فقال له عمر: "أما عندك غير هذا؟" فقال له سعد: "لا يا بني". فوثب عمر ليركب، ولم يكن حط عن بعيره، فقال له سعد: "أمهل حتى نغديك"، قال: "لا حاجة لي بغدائكم"، قال سعد: "فنحلب لك فنسقيك"، قال: "لا حاجة لي بشرابكم"، ثم ركب فانصرف مكانه" (Abû Ya'lâ, 749). "عن عامر بن سعد، قال: كان سعد بن أبي وقاص في إبله، فجاءه ابنه عمر، فلما رآه سعد قال: "أعوذ بالله من شر هذا الراكب"، فنزل فقال له: "أنزلت في إبلك وغنمك، وتركت الناس يتنازعون الملك بينهم؟" فضرب سعد في صدره، فقال: "اسكت، سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم، يقول: "إن الله يحب العبد التقي الغني الخفي" (Muslim, 2965).
--- Abû Bak'ra avait d'abord envisagé de se joindre au groupe de Aïcha, avant de se souvenir du hadîth que le Prophète avait dit quand il avait appris que c'était une femme qui était devenue impératrice, en Perse ; Abû Bak'ra en déduisit que leur entreprise était vouée à échouer : "عن الحسن، عن أبي بكرة، قال: لقد نفعني الله بكلمة سمعتها من رسول الله صلى الله عليه وسلم، أيام الجمل، بعد ما كدت أن ألحق بأصحاب الجمل فأقاتل معهم. قال: لما بلغ رسول الله صلى الله عليه وسلم أن أهل فارس قد ملكوا عليهم بنت كسرى، قال: "لن يفلح قوم ولوا أمرهم امرأة" (al-Bukhârî, 4163). Ce fut peut-être à ce moment-là que Abû Bak'ra comprit que c'étaient cet ensemble d'événements qui étaient visés par le hadîth qu'il avait entendu du Prophète : "عن عثمان الشحام، قال: انطلقت أنا وفرقد السبخي إلى مسلم بن أبي بكرة وهو في أرضه، فدخلنا عليه فقلنا: هل سمعت أباك يحدث في الفتن حديثا؟ قال: نعم، سمعت أبا بكرة يحدث، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إنها ستكون فتن. ألا ثم تكون فتنة القاعد فيها خير من الماشي فيها، والماشي فيها خير من الساعي إليها. ألا، فإذا نزلت أو وقعت، فمن كان له إبل فليلحق بإبله، ومن كانت له غنم فليلحق بغنمه، ومن كانت له أرض فليلحق بأرضه". قال فقال رجل: "يا رسول الله أرأيت من لم يكن له إبل ولا غنم ولا أرض؟" قال: "يعمد إلى سيفه فيدق على حده بحجر، ثم لينج إن استطاع النجاء. اللهم هل بلغت؟ اللهم هل بلغت؟ اللهم هل بلغت؟" قال: فقال رجل: "يا رسول الله أرأيت إن أكرهت حتى ينطلق بي إلى أحد الصفين، أو إحدى الفئتين، فضربني رجل بسيفه، أو يجيء سهم فيقتلني؟" قال: "يبوء بإثمه وإثمك، ويكون من أصحاب النار" (Muslim, 2887). "حدثني مسلم بن أبي بكرة، عن أبيه، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إنها ستكون فتنة يكون المضطجع فيها خيرا من الجالس، والجالس خيرا من القائم، والقائم خيرا من الماشي، والماشي خيرا من الساعي". قال: يا رسول الله ما تأمرني؟ قال: "من كانت له إبل، فليلحق بإبله؛ ومن كانت له غنم، فليلحق بغنمه؛ ومن كانت له أرض فليلحق بأرضه". قال: فمن لم يكن له شيء من ذلك؟ قال: "فليعمد إلى سيفه، فليضرب بحده على حرة، ثم لينج ما استطاع النجاء" (Abû Dâoûd, 4256). Abû Bak'ra dissuada al-Ahnaf ibn Qays (un Mukhadh'ram) de se joindre à 'Alî comme à l'autre partie lors de la bataille du Chameau : "عن الأحنف بن قيس قال: خرجت بسلاحي ليالي الفتنة، فاستقبلني أبو بكرة، فقال: "أين تريد؟" قلت: "أريد نصرة ابن عم رسول الله صلى الله عليه وسلم". قال: "قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إذا تواجه المسلمان بسيفيهما فكلاهما من أهل النار". قيل: "فهذا القاتل، فما بال المقتول؟" قال: "إنه أراد قتل صاحبه" (al-Bukhârî, 31, Muslim, 2888), et al-Ahnaf le suivit alors ; cependant, al-Ahnaf changea ensuite d'avis pour les campagnes suivantes (FB 1/117).
--- "وعن يزيد بن أبي عبيد، قال: "لما قتل عثمان بن عفان، خرج سلمة بن الأكوع إلى الربذة، وتزوج هناك امرأة، وولدت له أولادا. فلم يزل بها. حتى قبل أن يموت بليال، فنزل المدينة" (al-Bukhârî, 6676).
--- "عن شقيق بن سلمة، كنت جالسا مع أبي مسعود وأبي موسى وعمار، فقال أبو مسعود: "ما من أصحابك أحد إلا لو شئت لقلت فيه، غيرك. وما رأيت منك شيئا منذ صحبت النبي صلى الله عليه وسلم أعيب عندي من استسراعك في هذا الأمر". قال عمار: "يا أبا مسعود، وما رأيت منك ولا من صاحبك هذا شيئا منذ صحبتما النبي صلى الله عليه وسلم أعيب عندي من إبطائكما في هذا الأمر". فقال أبو مسعود - وكان موسرا -: "يا غلام هات حلتين، فأعطى إحداهما أبا موسى والأخرى عمارا"، وقال: "روحا فيه إلى الجمعة" (al-Bukhârî, 6690).

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Reste alors le passage coranique 49/9-10, qui dit : "وَإِن طَائِفَتَانِ مِنَ الْمُؤْمِنِينَ اقْتَتَلُوا فَأَصْلِحُوا بَيْنَهُمَا فَإِن بَغَتْ إِحْدَاهُمَا عَلَى الْأُخْرَى فَقَاتِلُوا الَّتِي تَبْغِي حَتَّى تَفِيءَ إِلَى أَمْرِ اللَّهِ فَإِن فَاءتْ فَأَصْلِحُوا بَيْنَهُمَا بِالْعَدْلِ وَأَقْسِطُوا إِنَّ اللَّهَ يُحِبُّ الْمُقْسِطِينَ. إِنَّمَا الْمُؤْمِنُونَ إِخْوَةٌ فَأَصْلِحُوا بَيْنَ أَخَوَيْكُمْ وَاتَّقُوا اللَّهَ لَعَلَّكُمْ تُرْحَمُونَ"... Mu'âwiya et son groupe constituaient "la fi'a bâghiya" (hadîth), et ce verset 49/9 parle du "bagh'y", suite à quoi il dit de combattre celui des deux groupes qui fait le "bagh'y" vis-à-vis de l'autre.
Certains ulémas ont donc appliqué ce que ce verset 49/9 dit – combattre le groupe – au cas de bagh'y par simple non-reconnaissance de l'autorité légitime.
Mais Ibn Taymiyya écrit que
le verset parle de ce qu'il faut faire lorsque deux groupes d'entre les musulmans se battent : on doit alors les réconcilier ; puis [al-fâ' li-t-ta'qîb], après la tentative de réconciliation, si l'un de ces deux groupes commet l'injustice – c'est le sens de "bagh'y" dans le verset – vis-à-vis de l'autre, on doit combattre ce groupe jusqu'à ce qu'il revienne à ce que Dieu veut ; puis on doit réconcilier les deux groupes. Le verset parle donc de deux groupes qui se battaient, entre qui on fait une tentative de réconciliation, et dont, finalement, l'un d'eux a commis l'agression envers l'autre : c'est dans ce cas seulement qu'il demande de combattre le bâghî (cf. MS 2/304, 2/335, 2/321, 2/293). Or ce n'était pas le cas de 'Alî face à Mû'âwiya.
On note d'ailleurs que, questionné au sujet de la marche qu'il a entreprise vers les insurgés, Alî ne dit pas que cela tombait sous le coup de ce verset du Coran, mais qu'il agissait selon son avis personnel (Abû Dâoûd, 4666, déjà cité plus haut). 'Ammâr non plus n'a pas cité ce verset (Muslim, 2779/9, déjà cité lui aussi).
Quant au fait que Abû Bakr avait combattu les gens refusant de donner la zakât, il s'agissait en fait de ceux qui refusaient de s'acquitter de la zakât, et non pas de ceux qui refusaient seulement de remettre la zakât au calife ; parce que si c'était eux dont il s'était agi, alors Abû Bakr ne les aurait pas combattus car, comme l'ont dit Abû Hanîfa et Ahmad ibn Hanbal, le calife n'est pas en droit de combattre des gens qui ne font que ne pas reconnaître son autorité (MS 2/293, 2/332, 2/334).

Après l'arbitrage de l'an 37, Mu'âwiya se proclame calife, nous l'avons vu, et ce parce que l'un des deux arbitres a présenté son nom comme calife lors de l'arbitrage. Cela constitue une nouvelle erreur d'interprétation (khata' ijtihâdî) de sa part, car il n'y a pas eu accord des deux arbitres sur le sujet. Cependant, malgré sa bonne foi et le fait qu'une erreur d'interprétation n'est pas un péché, il tombe alors, dit Ibn Taymiyya, sous le coup du Bagh'y qui doit être combattu : "(Ce groupe) devint bâghî ['ala-l-amîr] à ce moment, par le biais de ce qui apparut d'eux : établissement d'un émir désigné comme "Dirigeant des croyants", malédiction proférée contre l'émir légitime, etc. Ceci constitue du bagh'y [du type devant être combattu]. A contrario du combat ayant eu lieu avant cela : cela était du qitâlu fitna. (…)" : "الوجه الثاني: أنها صارت باغية في أثناء الحال بما ظهر منها من نصب إمام وتسميته أمير المؤمنين ومن لعن إمام الحق ونحو ذلك. فإن هذا بغي بخلاف الاقتتال قبل ذلك فإنه كان قتال فتنة" (MF 4/443-444). Ibn Taymiyya est d'avis que, après l'arbitrage de l'an 37, il était du devoir de 'Alî de faire son possible pour combattre le groupe de Mu'âwiya. Ce qu'il a écrit ("établissement d'un émir désigné comme "Dirigeant des croyants"") semble montrer qu'il pense que Mu'âwiya est alors tombé sous le coup du Hadîth qui demande de s'en prendre à la personne qui se proclame calife alors qu'un calife existe déjà (Muslim 1844, 1853) [il s'agit bien sûr d'avoir recours, au préalable, à toute autre possibilité permettant de déposer cette personne sans effusion de sang : Shar'h Muslim 12/234, 242].
Ibn Taymiyya n'est par contre pas d'avis que, même alors, Mu'âwiya soit tombé sous le coup du verset 49/9, car, dit-il, personne n'a procédé à la réconciliation entre les deux groupes (MS 2/335), de sorte que l'on puisse dire qu'il y avait deux groupes qui se battaient, et on a fait une tentative de réconciliation entre eux, mais ensuite l'un des deux a ensuite commis l'injustice vis-à-vis de l'autre ; l'injustice, ici – fût-elle exempte de péché, puisqu'elle est faite suite à une khata' ijtihâdî –, consistait en le fait de se proclamer calife. Ibn Taymiyya dit qu'il n'y a pas eu de tentative de réconciliation entre le groupe de 'Alî et celui de Mu'âwiya. Peut-être qu'il serait possible qu'un autre 'âlim ait un autre avis, disant que l'arbitrage de l'an 37 a bel et bien constitué une telle tentative ? Je ne sais pas (لا أدري).
En tout état de cause, Ibn Taymiyya écrit à propos de la situation d'après l'arbitrage : "A ce moment-là, lorsque se produisit le bagh'y [du type devant être combattu], combattre aux côtés de Alî devint obligatoire. (…) Et à ce moment-là, après l'arbitrage, la séparation et l'apparition du bagh'y [du type de celui dont le verset parle], Alî ne les combattit pas, ses partisans ne lui obéissant plus à propos du combat" : "فما ورد من النصوص بترك القتال في الفتنة يكون قبل البغي. وما ورد من الوصف بالبغي يكون بعد ذلك. وحينئذ يكون القتال مع علي واجبا لمّا حصل البغي (...)؛ وحينئذ فبعد التحكيم والتشيع  وظهور البغي، لم يقاتلهم علي ولم تطعه الشيعة في القتال" (MF 4/443-444).

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Le hadîth : "Celui dont je suis le mawlâ, 'Alî est son mawlâ" :

Ce hadîth signifie que celui qui, étant sincèrement croyant, le Prophète est son mawlâ (son allié), alors qu'il sache que 'Alî aussi est son mawlâ, et qu'il doit aimer 'Alî aussi, car 'Alî est un sincère croyant. Le fait est que tous les pieux croyants, le Prophète est leur mawlâ, comme ils sont ses mawlâ.
"فبين أن الرسول ولي المؤمنين وأنهم مواليه أيضا؛ كما بين أن الله ولي المؤمنين وأنهم أولياؤهم، وأن المؤمنين بعضهم أولياء بعض. فالموالاة ضد المعاداة، وهي تثبت من الطرفين، وإن كان أحد المتواليين أعظم قدرا وولايته إحسان وتفضل، وولاية الآخر طاعة وعبادة. كما أن الله يحب المؤمنين، والمؤمنون يحبونه. فإن الموالاة ضد المعاداة والمحاربة والمخادعة. والكفار لا يحبون الله ورسوله، ويحادون الله ورسوله ويعادونه. وقد قال تعالى: {لا تتخذوا عدوي وعدوكم أولياء}، وهو يجازيهم على ذلك كما قال تعالى: {فإن لم تفعلوا فأذنوا بحرب من الله ورسوله}. وهو ولي المؤمنين وهو مولاهم يخرجهم من الظلمات إلى النور.
وإذا كان كذلك فمعنى كون الله ولي المؤمنين ومولاهم، وكون الرسول وليهم ومولاهم، وكون علي مولاهم، هي الموالاة التي هي ضد المعاداة. والمؤمنون يتولون الله ورسوله الموالاة المضادة للمعاداة، وهذا حكم ثابت لكل مؤمن. فعلي رضي الله عنه من المؤمنين الذين يتولون المؤمنين ويتولونه. وفي هذا الحديث إثبات إيمان علي في الباطن، والشهادة له بأنه يستحق الموالاة باطنا وظاهرا، وذلك يرد ما يقوله فيه أعداؤه من الخوارج والنواصب، لكن ليس فيه أنه ليس للمؤمنين مولى غيره" (Minhâj us-sunna).

Voici quelques relations où cela figure :

--- "عن أبي سريحة، أو زيد بن أرقم - شك شعبة - عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "من كنت مولاه فعلي مولاه" (at-Tirmidhî, 3713). "عن رباح بن الحارث، قال: بينا علي جالسا في الرحبة إذ جاء رجل عليه أثر السفر فقال: "السلام عليك يا مولاي" فقال: "من هذا؟" فقالوا: "هذا أبو أيوب الأنصاري"، فقال: "إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "من كنت مولاه فعلي مولاه" (Ibn Abî Shayba, 32073). "حدثنا شريك عن أبي يزيد الأودي عن أبيه قال: دخل أبو هريرة المسجد فاجتمعنا إليه. فقام إليه شاب فقال: "أنشدك بالله، أسمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "من كنت مولاه فعلي مولاه. اللهم وال من والاه وعاد من عاداه"؟" فقال: "نعم". فقال الشاب: "أنا منك بريء: أشهد أنك قد عاديت من والاه وواليت من عاداه". قال: فحصبه الناس بالحصى" (Ibn Abî Shayba, 32092).

--- "عن سعيد بن جبير عن ابن عباس عن بريدة قال: مررت مع علي إلى اليمن فرأيت منه جفوة. فلما قدمت على رسول الله صلى الله عليه وسلم، ذكرت عليا، فنقصته. فجعل وجه رسول الله صلى الله عليه وسلم يتغير فقال: "ألست أولى بالمؤمنين من أنفسهم؟" قلت: "بلى يا رسول الله" قال: "من كنت مولاه فعلي مولاه" (Ibn Abî Shayba, 32132). "عن بريدة رضي الله عنه، قال: بعث النبي صلى الله عليه وسلم عليا إلى خالد ليقبض الخمس، وكنت أبغض عليا، وقد اغتسل، فقلت لخالد: "ألا ترى إلى هذا؟" فلما قدمنا على النبي صلى الله عليه وسلم، ذكرت ذلك له. فقال: "يا بريدة أتبغض عليا؟" فقلت: "نعم"، قال: "لا تبغضه؛ فإن له في الخمس أكثر من ذلك" (al-Bukhârî, 4093).

--- Lors de son sermon fait à Ghadîru Khumm aussi le Prophète a dit cette parole : "عن جابر بن عبد الله، قال: كنا بالجحفة بغدير خم، إذ خرج علينا رسول الله صلى الله عليه وسلم فأخذ بيد علي فقال: "من كنت مولاه فعلي مولاه" (Ibn Abî Shayba, 32072). "عن عبد الرحمن بن أبي ليلى قال: شهدت عليا في الرحبة ينشد الناس: "أنشد الله من سمع رسول الله - صلى الله عليه وسلم - يقول يوم غدير خم: "من كنت مولاه فعلى مولاه" لما قام فشهد؟" قال عبد الرحمن: فقام اثنا عشر بدريا، كأني أنظر إلى أحدهم، فقالوا: "نشهد أنا سمعنا رسول الله - صلى الله عليه وسلم - يقول يوم غدير خم: "ألست أولى بالمؤمنين من أنفسهم وأزواجي أمهاتهم؟" فقلنا: "بلى يا رسول الله"، قال: "فمن كنت مولاه فعلي مولاه، اللهم وال من والاه، وعاد من عاداه" (Ahmad, 961) (voir aussi Ahmad 950, Ibn Abî Shayba, 32091). 

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Alî vu par les Sunnites, les Chiites et les Kharidjites :

"قال عليّ: والذي فلق الحبة وبرأ النسمة، إنه لعهد النبي الأمي صلى الله عليه وسلم إليّ: أن لا يحبني إلا مؤمن، ولا يبغضني إلا منافق" : Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit à Alî que ne l'aimera que celui qui est croyant, et ne le détestera que celui qui est hypocrite (Muslim 78).

Ceux de l'orthodoxie Sunnite l'aiment donc comme un des plus valeureux Compagnons du Prophète, en 4ème position après Abû Bakr, Omar et Uthmân. Certes, il est quelques ulémas sunnites qui pensent que Alî est supérieur à Uthmân (MF 4/426), mais Ahmad ibn Hanbal a rappelé à ce sujet que lors du choix de Uthmân comme dirigeant, l'ensemble des Emigrants et Auxiliaires avaient donné préférence à Uthmân, comme Ibn 'Awf l'avait relaté d'eux après les avoir consulté pendant trois jours. Il serait donc surprenant, dit en substance Ahmad, que l'on puisse garder à ce sujet un avis qui se trouve être différent de celui de ce grand nombre d'illustres Compagnons (MF 4/426).

Par contre, les Nâssibites, eux, dénigrent Alî. Les Kharidjites font de même.

A l'opposé, les Chiites imamites croient que Alî est supérieur à Abû Bakr et à Omar (n'en parlons plus de Uthmân), et le croient infaillible au même titre que le Prophète (donc ne pouvant pas faire une erreur d'interprétation).

La position des Nassibites et Kharidjites et celle des Chiites imamites constituent deux déviances qui constituent des extrêmes.
"عن علي، رضي الله عنه، قال: قال لي النبي صلى الله عليه وسلم: "فيك مثل من عيسى: أبغضته اليهود حتى بهتوا أمه، وأحبته النصارى حتى أنزلوه بالمنزلة التي ليس به". ثم قال: "يهلك فيّ رجلان محب مفرط يقرظني بما ليس في، ومبغض يحمله شنآني على أن يبهتني"
"عن علي بن أبي طالب، رضي الله عنه، قال: دعاني رسول الله صلى الله عليه وسلم فقال: "إن فيك من عيسى مثلا: أبغضته يهود حتى بهتوا أمه، وأحبته النصارى حتى أنزلوه بالمنزل الذي ليس به". "ألا وإنه يهلك فيّ اثنان، محب يقرظني بما ليس في، ومبغض يحمله شنآني على أن يبهتني. ألا إني لست بنبي ولا يوحى إلي، ولكني أعمل بكتاب الله وسنة نبيه صلى الله عليه وسلم ما استطعت؛ فما أمرتكم من طاعة الله فحق عليكم طاعتي فيما أحببتم وكرهتم"
Dans ces deux relations (rapportées par Ahmad, 1376-1377, mais dha'îf), il est attribué au Prophète qu'il aurait dit à 'Alî qu'il y aura à son sujet des positions que l'on peut comparer à celles concernant Jésus fils de Marie ; en effet, les uns ont détesté celui-ci au point de le traiter de magicien et de calomnier sa mère ; les autres l'ont aimé au point de l'élever au statut de Dieu incarné.
D'après ces relations, Alî aurait dit ensuite : "Je ne suis pas un prophète et ne reçois pas la révélation. Je ne fais que mettre en pratique le Coran et la Sunna autant que je peux. Ce que je vous ordonne ainsi d'obéissance à Dieu, il est de votre devoir de me suivre, que vous l'aimiez ou pas" (voir également MS 3/341). An-Nu'mânî a fait de ce Hadîth un commentaire intéressant (cf. Irânî inqilâb, pp. 94-112).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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Lire la suite de cet article :

Le califat de Mu'âwiya

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Signification des sigles :

AMQ : Al-'Awâssim min al-qawâssim, Ibn ul-'Arabî
FB : Fat'h ul-bârî, Ibn Hajar
FMAN : Al-Fissal fi-l-milal wa-l-ahwâ' wa-n-nihal, Ibn Hazm
HB : Hujjat ullâh il-bâligha, Shâh Waliyyullâh
MF : Majmû' ul-fatâwâ, Ibn Taymiyya
MRH : Makânu ra's il-Hussein, Ibn Taymiyya
MT : Muqaddimatu Târîkh-ibn Khaldûn, Ibn Khaldûn
MS : Minhâj us-sunna an-nabawiyya, Ibn Taymiyya
ShAT : Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, Ibn Abi-l-'izz
WK : Wâqi'a-é Karbalâ' aur uss kâ pass manzar, eik na'é mutala'é kî rôshnî mein, Cheikh 'Atîq ur-Rahmân as-Sanbhalî.

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