Lorsque Abu-d-Dardâ' écrivit à Salmân : "Viens dans la terre sanctifiée [Shâm] !"... Salmân lui répondit alors : "Une terre ne sanctifie personne. Ce n'est que l'action de l'homme qui le sanctifie" (Mâlik) - أهل علم الدين درجات في فهم نصوص الدين

"عن يحيى بن سعيد أن أبا الدرداء كتب إلى سلمان الفارسى أن: هَلُمَّ إلى الأرض المُقَدَّسة. فكتب إليه سلمان: إنَّ الأرض لا تُقَدِّسُ أحدا، وإنما يُقَدِّسُ الإنسانَ عملُه" :
Abu-d-Dardâ' [résidant alors à Shâm], écrivit à Salmân "le persan" [lequel se trouvait alors en Irak] : "Viens dans la terre sanctifiée ("muqaddassa") [= Shâm] !".
Salmân lui répondit : "Une terre ne sanctifie ("lâ tuqaddissu") personne. Ce n'est que l'action de l'homme qui le sanctifie" (Muwatta' Mâlik, n° 1533).
(Que Dieu agrée tous les Compagnons.)

Abu-d-Dardâ invitait ici Salmân à quitter l'Irak où il se trouvait pour s'installer à Shâm, qui est une terre davantage bénie (cliquez ici). Abu-d-Dardâ' habitait Damas, qui est à Shâm.

Ibn Taymiyya a relaté cet échange épistolaire entre Abu-d-Dardâ' et Salmân dans quelques-unes des ses fatwas. Dans l'une d'elles, il le commente ainsi : "وكان النبي صلى الله عليه وسلم قد آخى بين سلمان وأبي الدرداء. وكان سلمان أفقه من أبي الدرداء في أشياء، من جملتها هذا" : "Le Prophète, que Dieu prie sur lui et le salue, avait établi la fraternité* entre Salman et Abu-d-Dardâ' [lors de l'arrivée des Emigrants à Médine]. Et Salmân avait davantage de compréhension profonde que (afqah min) Abu-d-Dardâ' dans plusieurs choses, parmi lesquelles celle-ci" (MF 18/283). (* Nous verrons plus bas ce dont il s'agit.)

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Ce que Abu-d-Dardâ' voulait dire à Salmân :

Abu-d-Dardâ voulait signifier ceci à Abu-d-Dardâ' :
"- Shâm est une terre plus sanctifiée que l'Irak.
- Et le fait de résider dans une terre sanctifiée sanctifie l'homme.
- Viens donc t'installer à Shâm !"

Et c'est Dieu Lui-même qui a relaté du prophète Moïse (sur lui soit la paix) qu'il a désigné la terre de Shâm (ou d'une partie de Shâm) comme étant : "la terre sanctifiée" ("al-ardh ul-muqaddassa") (Coran 5/21). Le terme "taqdîs" signifie : "purifier de toute souillure spirituelle et morale" (Muf'radât ur-Râghib). "Muqaddassa" veut donc dire : "purifié de ce qui est mal" ; cependant, il s'agit de ce qui est "purifié de ce qui est mal" tout en étant "empli de ce qui est bien" (Asmâ' ullâh il-husnâ, p. 250). C'est parce que le terme recèle lui aussi le sens de "être empli de bien" que Mujâhid a commenté "al-ardh ul-muqaddassa" par : "mubâraka" (Tafsîr ul-Qurtubî sur 5/21) ; c'est aussi pourquoi Ibn ul-Anbârî a commenté le terme "Tabâraka" par : "Taqaddassa" (Jalâ' ul-af'hâm, p. 167).
La terre "sanctifiée" est donc la terre "bénie de baraka dîniyya".

Par ailleurs il est bien connu qu'il est mieux de résider dans une terre qui est davantage bénie de baraka dîniyya. Sans compter que le Prophète (sur lui soit la paix) a explicitement institué le fait de chercher à s'installer à Shâm plutôt qu'en Irak. Il a dit :
"L'affaire en viendra à ce que vous serez plusieurs groupes constitués : un groupe à ash-Shâm, un groupe au Yémen et un groupe en Irak." Ibn Hawâla lui dit alors : "Choisis pour moi, ô Messager de Dieu, si je parviens à cette (situation). Choisis ash-Shâm, car elle est ce que Dieu a choisi de Sa terre, Il y attirera ceux qu'Il a choisis parmi Ses serviteurs. Si vous ne voulez pas, alors choisissez le Yémen. Et donnez à boire de vos bassins. Dieu a pris la garantie pour moi de ash-Shâm et de ses habitants" (Abû Dâoûd 2473, traduction de "junûdan mujannada" d'après 'Awn ul-ma'bûd).
Ce hadîth est à comprendre comme signifiant que ash-Shâm est la terre choisie de Dieu après celle de la Mecque et de Médine, conformément aux autres hadîths évoqués dans un autre article ; ce hadîth parle de plus d'une situation précise. Chercher à s'installer à Shâm est donc d'une action requise (soit matlûb bi juz'iyyatihî, soit matlûb li maslaha).

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Si tout le propos de Abu-d-Dardâ' est ainsi vérifié par cette parole du Prophète (sur lui soit la paix), comment comprendre la réponse de Salmân, qui semble, elle, le contredire ?

En répondant "Une terre ne sanctifie personne", Salmân n'a en fait pas complètement contredit le contenu de l'écrit de Abu-d-Dardâ'.

Il l'a seulement nuancé.

Salmân n'a pas voulu dire que le fait de chercher à résider dans une terre recelant davantage de bénédictions dînî était une action inutile, et qu'il était donc inutile pour un résident de l'Irak de chercher à s'installer à Shâm.
Il a voulu lui dire que c'est une action requise (matlûb) (soit ayant été requise à un niveau juz'î, soit à un niveau maslahî, comme nous venons de le dire), cependant pas en tant que finalité mais en tant que moyen permettant de mieux réaliser ce qui constitue la finalité : la foi et les actions pieuses.
Dès lors, le seul fait de résider dans une terre, fût-elle sanctifiée, ne rend pas quelqu'un pieux. L'homme ne doit donc pas se contenter de constater que la terre où il habite est particulièrement sacrée. Résider dans une telle terre est certes requis, mais en tant que moyen élémentaire (juz'î) ayant un objectif : c'est qu'il est plus à même de rendre possible de chercher à avoir la foi que Dieu agrée et à accomplir les actions particulièrement pieuses (le caractère sanctifié de cette terre devant lui en faciliter la réalisation), car "ce n'est que l'action de l'homme qui le sanctifie". Il ne s'agit donc pas pour le musulman de choisir d'y séjourner sans mettre en œuvre ce pourquoi cette règle est requise.
Exactement comme celui qui a émigré (al-muhâjir) en terre musulmane ne doit pas se contenter d'avoir émigré : il doit mettre en œuvre l'objectif pour lequel il a émigré dans une terre musulmane : s'y préserver de plus de péchés : c'est là une des significations du hadîth : "Et l'émigré est celui qui a délaissé ce que Dieu a interdit" (FB 1/76).

La réponse de Salmân fait, de plus, allusion au fait que, certes, résider à Shâm est effectivement de base (fi-l-asl) et en soi (fî nafsihî) meilleur que résider par exemple en Irak ; cependant, il se peut que, pour une raison extérieure particulière (li 'âridh), il soit meilleur pour un croyant de résider dans une terre moins bénie que Shâm. Et c'était son cas à lui, Salmân : il occupait un poste de responsabilité (nâ'ïb) de la part de Omar en Irak (que Dieu les agrée tous) : Ibn Taymiyya l'a relaté (MF 27/144). Salmân précisément, en tant que responsable de ce poste, pouvait donc à ce moment-là accomplir en Irak des actions vertueuses d'une plus grande importance que celles qu'il pourrait accomplir à Shâm. A ce moment là, il valait mieux pour lui de résider en Irak plutôt que de s'installer à Shâm.

Salmân voulait donc signifier ceci à Abu-d-Dardâ' :

"- Certes, Shâm est une terre plus sanctifiée que l'Irak.
- Et, certes, résider dans une terre sanctifiée est en soi meilleur pour l'homme.
- Cependant, cela n'est meilleur pour l'homme que dans la mesure où celui-ci va en profiter pour faire des actions
meilleures que celles qu'il pouvait faire dans une terre moins sanctifiée. Car ce n'est que l'action que l'homme fait qui le sanctifie.
- Par voie d'incidence, si un homme donné fait, exceptionnellement (li 'âridh), une action meilleure encore en résidant dans une terre moins sanctifiée,
pour lui il est mieux de rester dans cette autre terre."

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Cela est comparable au fait d'être enterré dans un lieu béni d'une bénédiction dînî (comme le Baqî'), ou près des tombes de prophètes, de Compagnons ou d'autres pieux :

Cela a une valeur.
Aussi, souhaiter mourir et être inhumé dans tel lieu béni d'une bénédiction dînî ; de même, demander à nos proches de nous inhumer dans un tel lieu, ou bien près de la tombe de tel pieux personnage : cela est mashrû' par recherche de Baraka Dîniyya.
Le prophète Moïse (sur lui soit la paix) demanda à Dieu, juste avant de mourir, de le rapprocher de la terre sanctifiée (al-Bukhârî). Ibn Battâl écrit : " معنى سؤال موسى أن يدنيه من الأرض المقدسة - والله أعلم -: لفضل من دُفن في الأرض المقدسة من الأنبياء والصالحين، فاستحب مجاورتهم في الممات، كما يستحب جيرتهم في المحيا؛ ولأن الفضلاء يقصدون المواضع الفاضلة، ويزورون قبورها ويدعون لأهلها" (Shar'h Ibn Battâl).
Le prophète Muhammad (que Dieu l'élève et le salue) a dit : "عن ابن عمر، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "من استطاع أن يموت بالمدينة، فليمت بها؛ فإني أشفع لمن يموت بها" (at-Tirmidhî, 3917, Ibn Mâja). Alî al-qârî écrit : "من استطاع أن يموت بالمدينة"، أي: يقيم بها حتى يدركه الموت ثمة، "فليمت بها" أي: فليقم بها حتى يموت بها؛ "فإني أشفع لمن يموت بها" أي: في محو سيئات العاصين، ورفع درجات المطيعين؛ والمعنى: شفاعة مخصوصة بأهلها لم توجد لمن لم يمت بها" (Mirqât ul-mafâtîh).
Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) invoqua Dieu en ces termes : "اللهم ارزقني شهادة في سبيلك، واجعل موتي في بلد رسولك" (al-Bukhârî). Une fois mortellement blessé et sachant que sa dernière heure terrestre était proche, il fit demander à Aïcha (que Dieu l'agrée) l'autorisation d'être inhumé aux côtés du Prophète et de Abû Bakr (al-Bukhârî). Ibn Battâl écrit : "فيه من الفقه: الحرص على مجاورة الموتى الصالحين فى القبور، طمعا أن تنزل عليهم رحمة فتصيب جيرانهم، أو رغبة أن ينالهم دعاء من يزورهم فى قبورهم من الصالحين" (Shar'h Ibn Battâl). Ibn Qudâma écrit : "ويستحب الدفن في المقبرة التي يكثر فيها الصالحون والشهداء، لتناله بركتهم؛ وكذلك في البقاع الشريفة" (Al-Mughnî).

Cependant, cela ne peut pas l'emporter sur le kufr akbar. Et, même par rapport aux mauvaises actions, cela n'apporte pas la garantie de toutes les contrebalancer.

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Le Prophète (sur lui soit la paix) avait ainsi dit qu'il arrive que de deux personnes appréhendant le même texte, l'un ait davantage de compréhension profonde (tafaqquh) que l'autre :

Nous l'avons déjà vu plus haut, voici comment Ibn Taymiyya commente le contenu de ces lettres que Abu-d-Dardâ' et Salmân se sont échangé :
"وكان سلمان أفقه من أبي الدرداء في أشياء، من جملتها هذا" :

"Et Salmân avait davantage de compréhension profonde que (afqah min) Abu-d-Dardâ' dans plusieurs choses, parmi lesquelles celle-ci"
(MF 18/283).

Ce terme est très important à noter : at-tafaqquh, avoir de la compréhension profonde. Celle-ci permet, on en a vu un exemple ici, à celui qui en est doté (par la permission de Dieu) d'appréhender la portée d'un texte (nass) d'une façon plus nuancée et plus précise que celui qui appréhende ce même texte de façon littéraliste (al-akhdhu bi-z-zahir il-mah'dh).

Dans un célèbre hadîth relaté par Zayd ibn Thâbit, le Prophète (sur lui soit la paix) avait dit :
"نضر الله امرأ سمع منا حديثا فحفظه حتى يبلغه غيره، فرب حامل فقه إلى من هو أفقه منه، ورب حامل فقه ليس بفقيه" :
"Que Dieu place dans le bien-être un serviteur qui a entendu de nous une parole et l'a mémorisée jusqu'à la retransmettre à autrui.
Car il arrive qu'il y a le porteur d'un propos à comprendre ("fiqh") qui va le retransmettre à qui est davantage doté de compréhension profonde que lui ("afqahu min'h"). Et il arrive qu'il y a le porteur d'un propos à comprendre ("fiqh") qui n'est pas doté de compréhension profonde ("ghayru faqîh"). (...)"
(rapporté par at-Tirmidhî, n° 2656, authentifié par al-Albânî).

Le même hadîth est relaté ainsi par Ibn Mas'ûd :
"نضر الله عبدا سمع مقالتي فحفظها ورعاها فأداها كما سمعها؛ فرب حامل فقه غير فقيه؛ ورب حامل فقه أداه إلى من هو أفقه منه" (rapporté par ash-Shâfi'î, Mishkât n° 228, authentifié par al-Albânî).

Il y a aussi cette version relatée par Ibn Mas'ûd :
"نضر الله امرأ سمع منا شيئا فبلغه كما سمع، فرب مبلغ أوعى من سامع" :
"Que Dieu place dans le bien-être un homme qui a entendu de nous quelque chose, puis l'a retransmis comme il l'avait entendu.
Car il arrive qu'un (homme) à qui il aura été retransmis soit doté de plus de compréhension profonde vis-à-vis de lui ("aw'â") qu'un (homme) qui l'aura entendu (directement)"
(rapporté par at-Tirmidhî, n° 2657, authentifié par al-Albânî).

C'est ce que le hadîth suivant exprime (si on retient l'interprétation d'après laquelle il distingue en tout 2 grandes catégories, et, au sein de la 1ère d'entre elles, 2 sous-catégories. Il y a ainsi : la terre qui a absorbé l'eau de la pluie et a fait pousser de l'herbe abondante : les ulémas qui ont extrait des textes les réponses aux problèmes nouveaux ; et la terre qui a retenu l'eau de la pluie pour que s'en servent d'autres : ceux qui ont fait le travail de conservation des textes dans leur authenticité ; alors que la 2nde grande catégorie est la terre qui "n'a ni retenu d'eau, ni fait pousser l'herbe" : ceux qui n'ont ni fait un travail de conservation, ni d'extraction) :
"عن أبي موسى عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "مثل ما بعثني الله به من الهدى والعلم، كمثل الغيث الكثير أصاب أرضا، فكان منها نقية قبلت الماء فأنبتت الكلأ والعشب الكثير، وكانت منها أجادب أمسكت الماء فنفع الله بها الناس فشربوا وسقوا وزرعوا؛ وأصابت منها طائفة أخرى إنما هي قيعان لا تمسك ماء ولا تنبت كلأ. فذلك مثل من فقه في دين الله، ونفعه ما بعثني الله به فعلم وعلم، ومثل من لم يرفع بذلك رأسا، ولم يقبل هدى الله الذي أرسلت به" (al-Bukhârî, 79, Muslim, 2282).

Quelqu'un demanda à Alî ibn Abî Tâlib (que Dieu l'agrée) si le Prophète (sur lui la paix) lui avait communiqué une connaissance particulière, qu'il n'avait pas transmise à d'autres. Alî répondit par la négative, disant clairement qu'il n'avait rien reçu rien d'autre que le texte du Coran et les textes des Hadîths (dont il avait écrit quelques-uns sur un feuillet qu'il gardait). Voulant cependant expliquer pourquoi parfois il arrivait qu'il exposait certaines règles que d'autres ne connaissait pas, il précisa cependant :
"ما عندنا إلا ما في القرآن، إلا فهما يعطى رجل في كتابه، وما في الصحيفة" :
"Sauf (qu'il y a) une compréhension ("fahm") qui est accordée à quelqu'un par rapport au Livre de (Dieu"
(al-Bukhârî, n° 111, 2882, 6507).

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Quand Ibn Taymiyya dit que Salmân avait plus de compréhension profonde (tafaqquh) que Abu-d-Dardâ' dans d'autres choses encore que la seule question de s'établir systématiquement dans la terre la plus sanctifiée, il fait allusion à notamment cet autre échange s'étant passé entre les deux Compagnons :

"عن أبي جحيفة قال: آخى النبي صلى الله عليه وسلم بين سلمان وأبي الدرداء، فزار سلمان أبا الدرداء، فرأى أم الدرداء متبذلة، فقال لها: ما شأنك؟ قالت: أخوك أبو الدرداء ليس له حاجة في الدنيا. فجاء أبو الدرداء فصنع له طعاما، فقال: كل. قال: فإني صائم. قال: ما أنا بآكل حتى تأكل. قال: فأكل. فلما كان الليل، ذهب أبو الدرداء يقوم، قال: نم. فنام. ثم ذهب يقوم، فقال: نم. فلما كان من آخر الليل، قال سلمان: قم الآن، فصليا. فقال له سلمان: "إن لربك عليك حقا، ولنفسك عليك حقا، ولأهلك عليك حقا، فأعط كل ذي حق حقه." فأتى النبي صلى الله عليه وسلم، فذكر ذلك له، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: صدق سلمان"
Abû Juhayfa raconte :
"Le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, avait établi la fraternité entre Salmân et Abu-d-Dardâ'.
(Une fois) Salmân rendit visite à Abu-d-Dardâ'. Il vit Umm ud-Dardâ' [l'épouse de celui-ci] dans une tenue négligée. Il lui dit alors : "Que t'arrive-t-il ?" Elle (répon)dit : "Ton frère Abu-d-Dardâ' n'a pas besoin de la vie temporelle (dunyâ)."
Puis Abu-d-Dardâ' arriva. Il prépara à manger pour (Salmân) et lui dit : "Mange, car moi je jeûne." (Salmân) (lui) dit : "Je ne mangerai pas tant que tu ne mangeras pas." Alors (Abu-d-Dardâ') [rompit son jeûne facultatif et] mangea. Lorsque ce fut la nuit, Abu-d-Dardâ' s'en allait prier (la prière facultative de nuit) ; (Salmân) lui dit alors : "Dors !" Il alla dormir. Puis il (se réveilla) et allait prier ; (Salmân) lui dit alors : "Dors !" Lorsque ce fut la dernière partie de la nuit, Salmân dit : "Maintenant lève-toi." Et tous deux accomplirent ensemble (la prière facultative de nuit).
Puis Salmân lui dit : "Ton Seigneur a des droits sur toi. Ta personne a des droits sur toi. Et ta famille a des droits sur toi. Donne donc son droit à chaque ayant-droit."
Ensuite (Abu-d-Dardâ') se rendit auprès du Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, et lui relata cela. Le Prophète dit alors : "Salmân a dit vrai"" (al-Bukhârî 1867, at-Tirmidhî 2413).

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Que signifie que le Prophète avait "établi la fraternité" entre ces deux Compagnons ?

Lorsque le Prophète (sur lui soit la paix) émigra à Médine, il y établit une "fraternité" – il s'agit d'un lien plus particulier que celui qui existe entre tous les croyants – entre chaque Emigrant (muhâjirî) et chaque Auxiliaire (ansârî).

Après l'émigration du Prophète à Médine et jusqu'à la conquête de la Mecque, la succession ne pouvait se faire qu'entre personnes ayant émigré à Médine. Si l'Emigrant (muhâjirî) défunt laissait derrière lui des personnes de consanguinité étant musulmanes et ayant elles aussi émigré, elles héritaient prioritairement de lui (et celui qui avait été désigné "frère" parmi les Auxiliaires n'héritait pas de lui) ; c'est ce qui a été exposé dans ce passage : "... Et les détenteurs de lien de consanguinité ont, d'après le Décret de Dieu, priorité entre eux [dans le droit de succession, par rapport à celui qui n'a pas de lien de consanguinité]... " (Coran 8/75). Par contre, si l'Emigrant défunt laissait des personnes de consanguinité étant musulmanes mais n'ayant pas émigré, ces personnes n'héritaient pas de lui : "Ceux qui ont apporté foi, ont émigré et fait des efforts par leurs biens et leurs personnes dans le Chemin de Dieu, ainsi qui ceux qui ont donné refuge et apporté aide, ceux-là sont awliyâ' les uns des autres. Et (quant à) ceux qui ont apporté foi et n'ont pas émigré, vous n'avez rien de leur wilâya jusqu'à ce qu'ils émigrent ; (mais) s'ils vous demandent de l'aide au nom de la religion, alors vous devez les aider, sauf contre un peuple auquel vous êtes liés par un pacte. Et Dieu est Voyant de ce que vous faites" (Coran 8/72). C'était alors celui dont il avait été nommé "le frère" parmi les Auxiliaires (Ansâr) qui héritait de lui.

Plus tard, lors de la conquête de la Mecque, cette règle fut abrogée : même si le parent musulman n'a pas émigré et est demeuré ailleurs qu'en Dâr ul-islâm, il hérite de son parent musulman défunt. Quant au "frère" auxiliaire, il n'hérite plus du tout ; par contre, il peut toucher quelque chose si l'Emigrant défunt avait fait un testament en sa faveur : "Et les détenteurs de lien de consanguinité ont, d'après le Décret de Dieu, priorité entre eux [dans le droit de succession] sur les (autres) croyants et émigrants. Sauf si vous faites un bien [= un testament] en faveur de vos awliyâ'..." (Coran 33/6). Ce verset est venu abroger la règle antérieure de succession entre ceux qui avaient été établis "frères" parmi les Emigrants (al-Muhâjirûn) et les Auxiliaires (al-Ansâr).

Cette explication est celle de Cheikh Thânwî in Bayân ul-qur'ân, tome 4 pp. 90-92. Pour plus de détails sur ce point, lire notre article consacré aux différents sens et usages du terme "wilâya".

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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