Pourquoi ne peut-on pas adresser une invocation à un Attribut de Dieu alors que l'Attribut de Dieu n'est pas séparé de Lui ?

Je m'étais posé la question suivante :

Il n'est pas autorisé de s'adresser à un Attribut de Dieu et de lui faire une demande. Il n'est ainsi pas autorisé de dire : "َيا قُدْرَة الله انصرني" (voir At-Tafsîr ul-kabîr, Ibn Taymiyya, tome 4 p. 194).

Pourtant, il est bien autorisé de dire : "أَعُوذُ بِعِزَّةِ اللَّهِ وَقُدْرَتِهِ مِنْ شَرِّ مَا أَجِدُ" ou encore : "بِرَحْمَتِكَ أَسْتَغِيثُ" ; en un mot de chercher la protection de tel Attribut de Dieu...

Pourquoi cette différence ?

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J'ai ensuite obtenu la réponse à partir d'un écrit de Cheikh al-Barrâk sur islamtoday.net, écrit dont le lien m'a été fourni par une sœur (que je remercie ici).

Cheikh al-Barrâk affirme que c'est pour éviter le risque (saddan li-l-bâb) d'une mauvaise compréhension qu'on ne peut pas dire : "َيا قُدْرَة الله انصريني" : le fait est que cette formulation peut laisser croire que les Attributs de Dieu sont séparés de Lui, sont choses à part Lui (ce qui n'est pas la vérité, lire notre article consacré à ce point).

En fait plusieurs types de formulations peuvent théoriquement exister quand on invoque Dieu et qu'on Lui demande de nous accorder telle chose au nom de tel ou tel de Ses Attributs :

A) Soit, pour demander à Dieu, on emploie un verbe de demande (istikhâra, istighâtha, isti'âdha) au temps présent, dont le sujet est soi-même ("O Dieu, je Te demande secours...")...

B) Soit, pour demander à Dieu, on emploie un verbe à l'impératif, dont le sujet est un pronom à la seconde personne ("O Dieu, accorde-moi telle chose...")...

Ensuite chacun de ces deux cas principaux se subdivise en plusieurs sous-cas…
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Ce sont les 2 sous-cas que nous allons voir plus bas sous les dénominations B.b et B.c qui ne sont pas autorisés, à cause du risque que nous avons évoqué.
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Les 4 autres sous-cas (A.a, A.b, A.c et B.a) sont tous autorisés, et présents dans les textes des sources (Coran et Sunna).

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A) Pour demander à Dieu "au nom de tel de Ses Attributs", on emploie un verbe de demande (istikhâra, istighâtha, isti'âdha) au temps présent, dont le sujet est soi-même ("Je demande...") : et on relie la demande, grammaticalement parlant, à l'une des choses suivantes...

A.a) la demande est, sur le plan grammatical (lafzan), reliée à un pronom à la seconde personne représentant le Nom "Allâh", et ensuite seulement il y a mention de l'Attribut, après une lettre "bâ'" (bâ' us-sababiyya) :
- "اللَّهُمَّ إِنِّى أَسْتَخِيرُكَ بِعِلْمِكَ وَأَسْتَقْدِرُكَ بِقُدْرَتِكَ" (al-Bukhârî, 6019, at-Tirmidhî, etc. ) (ay : bi sababi 'ilmika : Mirqât ul-mafâtîh 3/206) ;

– A.b) la demande est, sur le plan grammatical (lafzan), reliée non plus à un pronom représentant le Nom "Allâh", mais à l'Attribut divin ; et cet Attribut est en rapport d'annexion avec le pronom à la seconde personne ("Toi") représentant le Nom "Allâh" ; par ailleurs, le verbe de demande est relié au mot représentant l'Attribut par la lettre "bâ'" (bâ' ul-ilsâq) :
- "أَعُوذُ بِرِضَاكَ مِنْ سَخَطِكَ" (Muslim 486, Abû Dâoûd 879, an-Nassâ'ï, etc.) ;
- "وَأَعُوذُ بِعَظَمَتِكَ أَنْ أُغْتَالَ مِنْ تَحْتِى" (Abû Dâoûd 5074) ;
- "يَا حَىُّ يَا قَيُّومُ بِرَحْمَتِكَ أَسْتَغِيثُ" (at-Tirmidhî 3524) ;

--- A.c) la demande est, sur le plan grammatical (lafzan), reliée non plus à un pronom représentant le Nom "Allâh", mais à l'Attribut divin ; et cet Attribut est en rapport d'annexion avec le Nom "Allâh" ; par ailleurs, ici aussi, le verbe de demande est relié au mot représentant l'Attribut par la lettre "bâ'" (bâ' ul-ilsâq) :
- "أَعُوذُ بِعِزَّةِ اللَّهِ وَقُدْرَتِهِ مِنْ شَرِّ مَا أَجِدُ" (Abû Dâoûd 3891, at-Tirmidhî 2080) ;
- "أَعُوذُ بِكَلِمَاتِ اللَّهِ التَّامَّاتِ مِنْ شَرِّ مَا خَلَقَ" (Muslim 2708, etc.).

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B) Pour demander à Dieu "au nom de tel de Ses Attributs", on emploie un verbe à l'impératif, dont le sujet est un pronom à la seconde personne ("Accorde-moi...") ; et ce pronom renvoie à l'une des choses suivantes...

B.a) ce pronom à la seconde personne renvoie vers le Nom "Allâh", Nom vers lequel se fait donc le lien grammatical du verbe demandé, et ensuite seulement il y a mention de l'Attribut, après une lettre "bâ'" (il s'agit d'un bâ' us-sababiyya, comme en A.a) :
- "رَبِّ أَوْزِعْنِي أَنْ أَشْكُرَ نِعْمَتَكَ الَّتِي أَنْعَمْتَ عَلَيَّ وَعَلَى وَالِدَيَّ وَأَنْ أَعْمَلَ صَالِحًا تَرْضَاهُ وَأَدْخِلْنِي بِرَحْمَتِكَ فِي عِبَادِكَ الصَّالِحِينَ" (Coran 27/19) ;
- "اللَّهُمَّ بِعِلْمِكَ الْغَيْبَ وَقُدْرَتِكَ عَلَى الْخَلْقِ أَحْيِنِى مَا عَلِمْتَ الْحَيَاةَ خَيْرًا لِى وَتَوَفَّنِى إِذَا عَلِمْتَ الْوَفَاةَ خَيْرًا لِى" (an-Nassâ'ï, 1305-1306) ;

B.b) ce pronom à la seconde personne renvoie bien au Nom "Allâh", mais c'est pour demander alors à Dieu de faire réaliser la requête par Son Attribut :
- "اللَّهُمَّ اجعل َقُدْرَتكَ تنصرني" ;

B.c) ce pronom à la seconde personne renvoie non pas au Nom "Allâh" mais à un des Attributs de Dieu, cet Attribut étant en rapport d'annexion vers le Nom "Allâh" ; c'est donc à cet Attribut qu'on s'adresse directement, et c'est à lui qu'on demande de réaliser la requête :
- "َيا قُدْرَة الله انصريني".

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Le statut de chacun de ces 6 possibilités :

On peut déjà noter le parallèle existant entre les types :
A.a et B.a ;
A.b et B.b ;
– A.c et B.c....

– Les types A.a et B.a ne soulèvent aucun questionnement, vu que la demande y est faite explicitement à Dieu. Quant à la mention d'un ou de plusieurs de Ses Attributs après un bâ' us-sababiyya, cela ne relève que de la du'â bi-l-wassîla ; cela signifie : "Parce que Tu as telle Qualité, je Te demande / accorde-moi..." (cliquez ici pour en savoir plus sur le du'â bi-l-wassîla).

– Par contre, si les types B.b et B.c ne sont pas autorisés (ghayr mashrû'), c'est parce qu'ils laissent encourir le risque plus haut évoqué :
--- le type B.b donne l'impression que l'Attribut de Dieu est quelque chose qui est séparé de Dieu, à part Lui (qâ'ïma bi nafsihâ) (ce qui n'est pas la vérité) ; en effet, la formulation de la demande donne l'impression que l'on croit alors que c'est cet Attribut de Dieu qui va agir et réaliser la requête qu'on a adressée ;
--- le type B.c laisse lui aussi penser que l'Attribut de Dieu est quelque chose qui est à part de Dieu ; cela d'une part parce qu'on dirait que c'est cet Attribut qui va agir et réaliser la requête ; et d'autre part parce qu'on dirait que l'Attribut de Dieu entend de lui-même, puisque c'est à lui qu'on s'adresse directement, à la seconde personne.

– Dans ce cas, pourrait questionner quelqu'un, pourquoi les types A.b et A.c sont-ils alors autorisés, alors que, ici aussi, au regard de l'apparent libellé (zâhir) de l'invocation, grammaticalement (lafzan) c'est à l'Attribut que la demande est reliée ?
La réponse est que, dans ces deux types A.b et A.c la probabilité du risque (de penser que l'Attribut divin est chose à part de Dieu), cette probabilité est bien moindre que dans les types B.b et B.c ; en effet :
--- dans le type A.b ("وَأَعُوذُ بِعَظَمَتِكَ") il n'est pas dit que c'est l'Attribut de Dieu al-'Azama qui va accorder la protection, contrairement au type B.b, où cela est dit explicitement ("اللَّهُمَّ اجعل َقُدْرَتكَ تنصرني") ;
--- et dans le type A.c ("أَعُوذُ بِعِزَّةِ اللَّهِ وَقُدْرَتِهِ"), il n'y a pas de demande faite directement à l'Attribut (contrairement au type B.c) : on dit seulement, littéralement, chercher refuge auprès de cet Attribut.
Le fait qu'il y ait ta'wîl de la phrase est donc, dans les deux types A.b et A.c, évident :
--- "َأَعُوذُ بِعَظَمَتِكَ" (A.b) signifie en fait : "َأَعُوذُ بك اللهم، بأنَّك عظيم" (le premier bâ' est de ilsâq, le second de sababiyya) ;
--- "أَعُوذُ بِعِزَّةِ اللَّهِ وَقُدْرَتِهِ" (A.c) : signifie en fait : "َأَعُوذُ بالله، بأنَّ له العزة والقدرة".

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Un point supplémentaire :

Les formulations suivantes, présentes dans des hadîths :
"اللَّهُمَّ إِنِّى عَبْدُكَ وَابْنُ عَبْدِكَ وَابْنُ أَمَتِكَ نَاصِيَتِى بِيَدِكَ مَاضٍ فِىَّ حُكْمُكَ عَدْلٌ فِىَّ قَضَاؤُكَ أَسْأَلُكَ بِكُلِّ اسْمٍ هُوَ لَكَ سَمَّيْتَ بِهِ نَفْسَكَ أَوْ عَلَّمْتَهُ أَحَداً مِنْ خَلْقِكَ أَوْ أَنْزَلْتَهُ فِى كِتَابِكَ أَوِ اسْتَأْثَرْتَ بِهِ فِى عِلْمِ الْغَيْبِ عِنْدَكَ أَنْ تَجْعَلَ الْقُرْآنَ رَبِيعَ قَلْبِى وَنُورَ صَدْرِى وَجَلاَءَ حُزْنِى وَذَهَابَ هَمِّى" (Ahmad ; Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha 199),
- et : "أَسْأَلُكَ يَا اللَّهُ يَا رَحْمَنُ بِجَلاَلِكَ وَنُورِ وَجْهِكَ أَنْ تُنَوِّرَ بِكِتَابِكَ بَصَرِى وَأَنْ تُطْلِقَ بِهِ لِسَانِى وَأَنْ تُفَرِّجَ بِهِ عَنْ قَلْبِى وَأَنْ تَشْرَحَ بِهِ صَدْرِى وَأَنْ تَغْسِلَ بِهِ بَدَنِى" (at-Tirmidhî 3570, dha'îf),
relèvent du type A.a, c'est évident.

Mais qu'en est-il si on emploie ce même verbe "أَسْأَلُ" mais qu'à la place du pronom à la seconde personne, qui renvoie au nom "Allâh", on place l'Attribut divin ? Rejoint-on alors le type A.c (qui est autorisé) ou bien le type B.c (qui n'est pas autorisé) ?
En d'autres termes : Si on dit : "أَسْأَلُ قُدْرَة الله أن تنصرني" :
cela revient-il à la même chose que de dire : "أَعُوذُ بِعِزَّةِ اللَّهِ وَقُدْرَتِهِ" (soit le type A.c, qui est autorisé) : car même si, grammaticalement, on a adressé la demande à l'Attribut, c'est comme si on s'était placé sous la protection de l'Attribut ; c'est donc du'a'ullâh bi wassîlati sifâtih ?
ou bien cela revient-il à la même chose que de dire : "َيا قُدْرَة الله انصرني" (soit le type B.c, qui n'est pas autorisé) : car alors on a adressé la demande à l'Attribut, comme si elle était à part de Dieu ?

Si c'est la seconde réponse qui est la bonne (selon laquelle dire cela relève du type B.c et n'est donc pas autorisé), alors la différence avec le type A.c ("أَعُوذُ بِعِزَّةِ اللَّهِ وَقُدْرَتِهِ", qui, lui, est autorisé) tient à ce que ici il y a une demande faite directement à l'Attribut, tandis que dans le type A.c il n'y a pas de demande faite directement à celui-ci.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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