La différence entre le fait d'envier quelqu'un par rapport au bienfait dont il jouit (Ghibta), et le fait de souhaiter que ce quelqu'un perde le bienfait dont il jouit (Hassad) - الفرق بين الغبطة والحسد

I) Ghibta (A) et Hassad (B) :

A) Ghibta, envier une personne, c'est souhaiter avoir, soi aussi, bienfait semblable au bienfait d'ordre Dînî ou Dunyawî dont cette personne jouit, sans qu'elle perde le sien (أن تتمنى أن يكون لك ما لأخيك المسلم من الخير والنعمة، ولا يزول عنه خيره) :

Cela n'est nullement interdit, mais est autorisé (mubâh) dès lors que le bienfait en question est en soi autorisé (mubâh) et existe en de multiples exemplaires ; et dès lors qu'on ne souhaite pas un bienfait Dunyawî au point d'être insatisfait (par rapport à Dieu) des autres bienfaits qu'on a déjà.

Fâtima bint Qays (que Dieu l'agrée), venue demander conseil au Prophète (sur lui soit la paix) quant à son remariage, entendit celui-ci lui conseiller Ussâma bin Zayd (que Dieu l'agrée) ; elle raconte : "Je ne l'ai pas voulu. (Mais) il me dit (de nouveau) : "Epouse Ussâma." Je l'épousai alors. Dieu mit pour moi du bien en (le mariage avec) lui. Et je fus enviée quant à mon (mariage heureux avec) lui" : "عن فاطمة بنت قيس، أن أبا عمرو بن حفص طلقها البتة، وهو غائب (...). قالت: فلما حللت ذكرت له أن معاوية بن أبي سفيان وأبا جهم خطباني، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أما أبو جهم فلا يضع عصاه عن عاتقه. وأما معاوية فصعلوك لا مال له. انكحي أسامة بن زيد"؛ فكرهته؛ ثم قال: "انكحي أسامة". فنكحته، فجعل الله فيه خيرا، واغتبطت به" (Muslim, 1480).
Il y a aussi cette parole de Aïcha (que Dieu l'agrée), qui emploie ce terme "Ghibta" : "عن ابن عمر، عن عائشة قالت: "ما أغبط أحدا بهون موت، بعد الذي رأيت من شدة موت رسول الله صلى الله عليه وسلم" (at-Tirmidhî, 979).

C'est la Ghibta qui est signifiée dans ces célèbres hadîths (lesquels emploient pourtant le terme Hassad) :
"Il n'y a pas à envier, sauf en deux qualités : le fait qu'un homme soit tel que Dieu lui a enseigné le Coran, et il le récite alors aux moments de la nuit et aux moments de la journée ; un voisin l'entend alors et dit : "Si j'avais reçu ce que Untel a reçu, et que je pouvais faire ce qu'il fait !". Et le fait qu'un homme soit tel que Dieu lui a donné des biens matériels, et il le dépense alors dans le vrai ; un (autre) homme dit alors : "Si j'avais reçu ce que Untel a reçu, et que je pouvais faire ce qu'il fait !"" : "عن أبي هريرة: أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "لا حسد إلا في اثنتين: رجل علمه الله القرآن، فهو يتلوه آناء الليل وآناء النهار، فسمعه جار له فقال: ليتني أوتيت مثل ما أوتي فلان، فعملت مثل ما يعمل؛ ورجل آتاه الله مالا فهو يهلكه في الحق، فقال رجل: ليتني أوتيت مثل ما أوتي فلان، فعملت مثل ما يعمل" (al-Bukhârî, 4738) ; "عن عبد الله بن عمر رضي الله عنهما قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "لا حسد إلا على اثنتين: رجل آتاه الله الكتاب، وقام به آناء الليل؛ ورجل أعطاه الله مالا، فهو يتصدق به آناء الليل والنهار" (al-Bukhârî, 4737, Muslim, 815).
Ces hadîths ne veulent pas dire que la Ghibta ne serait autorisée que dans ces deux cas ; ils veulent dire que ce sont ces deux cas qui méritent d'être les objets de Ghibta : le fait est que la Ghibta au sujet de telles bonnes actions n'est pas seulement purement autorisée (mubâh), mais est chose recommandée (ShM 6/97).

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B) Par contre, le Hassad vis-à-vis d'une personne, c'est souhaiter que cette personne perde un bienfait d'ordre Dînî ou Dunyawî dont elle jouit, et ce : que ce soit pour obtenir soi-même ensuite ce bienfait, ou même pas ; le Hassad consiste seulement à souhaiter que la personne perdre le bienfait dont elle jouit : "je ne veux pas la voir jouir de ce bienfait qu'elle a" (أن تتمنى زوال نعمة الله عن أخيك المسلم، سواء تمنيت مع ذلك أن تعود إليك أو لا). Dans un sens un peu plus élargi, c'est même : souhaiter que telle personne n'obtienne pas le bienfait dont elle souhaite l'acquisition : cela aussi constitue du Hassad.

Il existe donc deux types de Hassad (tous deux interdits) :
--- B.A) souhaiter que l'autre perde le bienfait dont il jouit, parce qu'on souhaite obtenir soi-même ce bienfait à sa place ;
--- B.B) souhaiter que l'autre perde le bienfait dont il jouit, mais sans que ce soit parce qu'on souhaite obtenir celui-ci à sa place.

Parlant de non-musulmans n'aimant pas les musulmans, Dieu dit : "Si un bienfait vous touche, cela leur cause de la peine. Et si un malheur vous touche, ils s'en réjouissent" : "إِنْ تَمْسَسْكُمْ حَسَنَةٌ تَسُؤْهُمْ وَإِنْ تُصِبْكُمْ سَيِّئَةٌ يَفْرَحُوا بِهَا" (Coran 3/120). Voilà un cas de Hassad.

Les célèbres hadîths suivants disent (entre autres choses) : "Et n'ayez pas de Hassad les uns pour les autres" : "عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إياكم والظن، فإن الظن أكذب الحديث، ولا تحسسوا، ولا تجسسوا، ولا تحاسدوا، ولا تدابروا، ولا تباغضوا، وكونوا عباد الله إخوانا" (al-Bukhârî, 5717, Muslim, 2563) ; "عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لا تحاسدوا، ولا تناجشوا، ولا تباغضوا، ولا تدابروا، ولا يبع بعضكم على بيع بعض، وكونوا عباد الله إخوانا. المسلم أخو المسلم، لا يظلمه، ولا يخذله، ولا يحقره. التقوى هاهنا" ويشير إلى صدره ثلاث مرات "بحسب امرئ من الشر أن يحقر أخاه المسلم. كل المسلم على المسلم حرام: دمه وماله وعرضه" (Muslim, 2564) ; "عن أنس بن مالك رضي الله عنه أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "لا تباغضوا، ولا تحاسدوا، ولا تدابروا، وكونوا عباد الله إخوانا. ولا يحل لمسلم أن يهجر أخاه فوق ثلاثة أيام" (al-Bukhârî, 5718, Muslim, 2559).

Le Hassad consiste donc à souhaiter un malheur pour autrui ; et cela sans que ce souhait soit motivé par le fait que ce frère nous a fait quelque chose qui est reconnu "répréhensible" au niveau shar'î ; ce souhait est seulement motivé par le fait qu'on ne l'aime pas (soit qu'il ne fait pas partie du même clan que nous, soit que nous avons des intérêts divergents, et autres raisons non valables sur le plan shar'î).

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Le B.A demeure un khuluq madhmûm (quelque chose de répréhensible) quel que soit l'individu vis-à-vis de qui il est fait : souhaiter qu'un bienfait que quelqu'un possède le perde afin qu'on puisse, soi, l'obtenir individuellement, cela est toujours mauvais (islamqa).

Par contre, le B.B est interdit vis-à-vis du kâfir mu'âhid également ; cependant, il est autorisé vis-à-vis du kâfir muhârib au sujet d'un bienfait qu'il utilise pour nuire aux musulmans : il s'agit seulement de souhaiter que ce bienfait dont cette personne muhârib jouit, elle le perde, de sorte qu'elle cesse de l'utiliser pour nuire aux musulmans (islamweb).

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Al-Qurtubî écrit :
"الثانية: الحسد نوعان: مذموم ومحمود.
فالمذموم أن تتمنى زوال نعمة الله عن أخيك المسلم، وسواء تمنيت مع ذلك أن تعود إليك أو لا. وهذا النوع الذي ذمه الله تعالى في كتابه بقوله: أم يحسدون الناس على ما آتاهم الله من فضله. وإنما كان مذموما لأن فيه تسفيه الحق سبحانه، وأنه أنعم على من لا يستحق.
وأما المحمود فهو ما جاء في صحيح الحديث من قوله عليه السلام: "لا حسد إلا في اثنين: رجل آتاه الله القرآن فهو يقوم به آناء الليل وآناء النهار؛ ورجل آتاه الله مالا فهو ينفقه آناء الليل وآناء النهار". وهذا الحسد معناه الغبطة. وكذلك ترجم عليه البخاري "باب الاغتباط في العلم والحكمة". وحقيقتها: أن تتمنى أن يكون لك ما لأخيك المسلم من الخير والنعمة ولا يزول عنه خيره" (Tafsîr ul-Qurtubî, commentaire de Coran 2/109).

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II) Un petit croquis illustrant la Ghibta (A) ainsi que les deux types de Hassad (B.A & B.B) :

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III) Différents degrés dans le fait de souhaiter que quelqu'un perde le bienfait dont il jouit :

Deux textes sont à considérer ici :

Un passage du Coran : "Et que vous exprimiez ce qui se trouve dans vos âmes ou que vous le cachiez, Dieu vous jugera pour cela. Puis Il pardonnera à qui Il voudra et châtiera qui Il voudra" : "وَإِن تُبْدُواْ مَا فِي أَنفُسِكُمْ أَوْ تُخْفُوهُ يُحَاسِبْكُم بِهِ اللّهُ فَيَغْفِرُ لِمَن يَشَاء وَيُعَذِّبُ مَن يَشَاء" (Coran 2/284), avec, un peu plus loin : "Dieu ne tient responsable une âme que ce dont elle est capable" : "لَا يُكَلِّفُ اللَّهُ نَفْسًا إِلَّا وُسْعَهَا" (Coran 2/286).

Un hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) : "Dieu a pardonné aux gens de ma communauté ce que leur âme leur suggère, tant qu'ils n'agissent pas en fonction et ne l'expriment pas par la parole" : "عن أبي هريرة، يرفعه قال: "إن الله تجاوز لأمتي عما وسوست - أو حدثت - به أنفسها، ما لم تعمل به أو تكلم" (al-Bukhârî, 6287, Muslim, 127).

De ces deux textes il ressort, à propos de "souhaiter que telle personne perde le bienfait dont elle jouit", que :

--- a) Si ce souhait ne relève que de ce qui "passe" involontairement dans l'esprit de l'homme puis disparaît, l'homme n'en est pas responsable (car "Dieu ne tient responsable une âme que de ce dont elle est capable") ; et vu que cela disparaît de soi-même, l'homme n'a même pas à le repousser.

--- b) Si ce souhait vient, part et revient, alors, l'homme doit le repousser, et, alors, il n'en sera pas non plus tenu responsable.

--- c) Par contre, si ce souhait, d'abord involontaire, a fini par "prendre racine" en lui, parce qu'il ne l'avait pas repoussé, l'homme en est responsable, car il s'agit justement là d'une mauvaise action intérieure.

--- d) De même, si c'est sciemment qu'il se laisse aller et entretient ce souhait en lui ('aqlî), l'homme en est responsable.

--- e) Quant au cas où il exprime verbalement ce souhait, ou qu'il entreprend quelque chose à la fin de réaliser ce souhait, cela est encore plus accentué que le seul fait de penser cela volontairement, et l'homme en est a fortiori responsable.

Lire à ce sujet mes articles :
----- Serons-nous jugés pour nos pensées aussi ? ;
----- La différence entre le Tab'î et le 'Aqlî.

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Quant au verset du Coran qui enseigne de se mettre sous la protection de Dieu "contre le mal de celui qui a du Hassad lorsqu'il (exprime ce) Hassad" : "وَمِن شَرِّ حَاسِدٍ إِذَا حَسَدَ" (Coran 113/5), il signifie que :

----- l'homme qui a du Hassad en lui vis-à-vis de Untel, cet homme en est déjà pécheur si ce souhait est du niveau c ou d : mais cela ne fait alors du tort qu'à lui-même ;

----- cela ne peut constituer un tort (شَرِّ) pour Untel (qui est l'objet de son Hassad) que lorsque le Hâssid exprime son Hassad (إِذَا حَسَدَ), en passant à l'acte (soit par son verbe, soit par ce qu'il entreprend) afin de tenter de priver Untel du bienfait en question ; c'est pourquoi on demande la Protection de Dieu contre ce qui nous concerne nous : l'expression de la Hassad de cet homme qui est au fond de lui Hâssid.

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IV) Le hadîth : "Aucun d'entre vous n'aura la foi (complète) tant qu'il n'aimera pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même" :

Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Aucun d'entre vous n'aura la foi (complète) tant qu'il n'aimera pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même" : "عن أنس عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "لا يؤمن أحدكم، حتى يحب لأخيه ما يحب لنفسه" (al-Bukhârî, 13, Muslim, 45).

Par rapport à ce hadîth, une évidente objection surgit : Comment aimer que son prochain ait exactement la même chose que soi ?Quid du cas où deux personnes désirent acheter le même terrain, ou la même voiture ? ou louer le même appartement (Radd ul-muhtâr 7/305) ? La même question se pose pour le cas où deux hommes désirent épouser la même femme ?

En fait plusieurs cas existent ici, eu égard à l'état dans lequel la personne qui a reçu la proposition (de vente, ou d'achat, ou de mariage) se trouve :
--- 1) si cette personne a exprimé son accord ou seulement son penchant pour l'offre du premier (التصريح بالرضا أو الركون), il est interdit à un autre de faire une autre proposition ;
--- 2) s'il y a un indicateur montrant (يوجد منه ما يدلّ من غير تصريح على الرضا أو الركون) que cette personne éprouve un penchant pour l'offre du premier, alors d'après l'un des deux avis, il est interdit à un autre de faire sa proposition ;
--- 3) il y a ensuite le cas où la personne n'a rien exprimé, ni dans un sens ni dans l'autre (لا يوجد منه ما يدلّ على الرضا أو الركون، ولا على الإعراض) ; ici il demeure autorisé à un autre de faire sa proposition (la personne se trouve alors dans un cas où, comme on dit, "elle étudie toutes les propositions") ;
--- 4) de même, s'il y a un indicateur montrant que la personne n'est pas intéressée par l'offre du premier (يوجد منه ما يدلّ على الردّ أو الإعراض), il demeure autorisé à un autre de faire sa proposition ;
--- 5) enfin, si la personne a explicitement rejeté l'offre du premier (التصريح بالرد), il demeure bien évidemment autorisé à un autre de faire sa proposition.
(Cf. Al-Mughnî 5/663-664 ; Al-Hidâya 2/50-51).
Il y a sur le sujet les hadîths suivants : "عن أبي هريرة عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "لا يخطب الرجل على خطبة أخيه، ولا يسوم على سوم أخيه. ولا تنكح المرأة على عمتها ولا على خالتها. ولا تسأل المرأة طلاق أختها لتكتفئ صحفتها ولتنكح، فإنما لها ما كتب الله لها" (Muslim, 1408) ; "عن أبي هريرة أن النبي صلى الله عليه وسلم "نهى أن يبيع حاضر لباد، أو يتناجشوا، أو يخطب الرجل على خطبة أخيه، أو يبيع على بيع أخيه، ولا تسأل المرأة طلاق أختها لتكتفئ ما في إنائها، أو ما في صحفتها." زاد عمرو في روايته: "ولا يسم الرجل على سوم أخيه" (Muslim, 1413) ; "عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم نهى أن يستام الرجل على سوم أخيه"؛ وفي رواية الدورقي: "على سيمة أخيه" (Muslim, 1515) ; "عن ابن عمر رضي الله عنهما، كان يقول: "نهى النبي صلى الله عليه وسلم أن يبيع بعضكم على بيع بعض، ولا يخطب الرجل على خطبة أخيه حتى يترك الخاطب قبله أو يأذن له الخاطب" (al-Bukhârî, 4848, Muslim, 1412) "عن الأعرج، قال: قال أبو هريرة يأثر عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "إياكم والظن، فإن الظن أكذب الحديث، ولا تجسسوا، ولا تحسسوا، ولا تباغضوا، وكونوا إخوانا، ولا يخطب الرجل على خطبة أخيه حتى ينكح أو يترك" (al-Bukhârî, 4849) ; "قال مالك بن أنس: "إنما معنى كراهية أن يخطب الرجل على خطبة أخيه: إذا خطب الرجل المرأة فرضيت به فليس لأحد أن يخطب على خطبته". وقال الشافعي: "معنى هذا الحديث "لا يخطب الرجل على خطبة أخيه" هذا عندنا: إذا خطب الرجل المرأة فرضيت به وركنت إليه فليس لأحد أن يخطب على خطبته؛ فأما قبل أن يعلم رضاها أو ركونها إليه فلا بأس أن يخطبها. والحجة في ذلك حديث فاطمة بنت قيس حيث جاءت النبي صلى الله عليه وسلم فذكرت له أن أبا جهم بن حذيفة ومعاوية بن أبي سفيان خطباها، فقال: "أما أبو جهم فرجل لا يرفع عصاه عن النساء، وأما معاوية فصعلوك لا مال له، ولكن انكحي أسامة"، فمعنى هذا الحديث عندنا - والله أعلم-: أن فاطمة لم تخبره برضاها بواحد منهما؛ ولو أخبرته لم يشر عليها بغير الذي ذكرت" (at-Tirmidhî, après le hadîth 1134).

On voit ici que, certes, il est interdit à une femme de proposer à un homme marié de se séparer de la femme qui est déjà mariée à lui, afin de se marier à elle.
On voit aussi que, certes, dans les cas 1 et 2, alors qu'il n'y a qu'une demande en mariage qui a été adressée par un homme à une femme célibataire, un second homme ne doit pas adresser une nouvelle demande en mariage ; de même, si la personne qui a reçu l'offre de l'achat ou de la vente a manifesté un penchant, un second homme ne doit pas faire une nouvelle proposition du même type.
Cependant, dans les cas 3, 4 et 5, une autre demande en mariage peut être adressée à la même femme par un autre homme ; de même, une autre proposition d'achat ou de vente peut être adressé à la même personne par un autre homme. Il est alors évident que chacun ne souhaite pas que ce soit l'autre, mais bien soi, qui conclue cette affaire, ou qui obtienne la main de cette demoiselle ou dame.
Ce cas de figure ne contredit-il pas le hadîth qui dit qu'il faut aimer pour son frère ce qu'on aime pour soi-même ?

La réponse à cette question est que :

--- Dans ce hadîth, "aimer pour son frère ce qu'on aime pour soi-même", cela est une périphrase (kinâya) pour dire seulement : "ne pas avoir de Hassad pour son frère".
Or, ne pas avoir de Hassad pour son frère (ou sa soeur) signifie :

----- ne pas souhaiter que ce frère (ou cette soeur) perde l'un des bienfaits qu'il a dûment acquis ; ainsi, une femme ne peut pas faire des intrigues pour que l'homme qu'elle désire épouser mais qui est déjà marié, se sépare de son épouse, pour qu'elle puisse se marier à elle ;

----- par contre, pour ce qui est des bienfaits que les frères (ou les soeurs) désirent acquérir, ou sont susceptibles d'acquérir, il suffit de vouloir globalement le bien pour ces frères (ou soeurs), et non pas de vouloir que chaque bienfait individuel potentiel, les frères (ou soeurs) l'aient : cela n'est pas possible. Ainsi, il suffit de vouloir que chaque frère ait une épouse qu'il aime et qui l'aime. Le hadîth sus-cité n'induit ni comme obligation ni comme recommandation que, la demoiselle dont soi-même on cherchait à obtenir la main, ce soit l'autre frère - et pas soi - qui réussisse à se marier avec elle. "وفي الحديث السبعين: "لا يؤمن أحدكم حتى يحب لأخيه ما يحب لنفسه". إن قيل: كيف يتصور هذا وكل أحد يقدم نفسه فيما يختاره لها، ويحب أن يسبق غيره في الفضائل، وقد سابق عمر أبا بكر؟ فالجواب: أن المراد حصول الخير في الجملة، واندفاع الشر في الجملة، فينبغي للإنسان أن يحب ذلك لأخيه كما يحبه لنفسه. فأما ما هو من زوائد الفضائل وعلو المناقب، فلا جناح عليه أن يوثر سبق نفسه لغيره في ذلك" (Kashf ul-mushkil, Ibn ul-Jawzî).
Ceci nous amène au point suivant : entrer en compétition (tanâfus) pour obtenir un bienfait donné.

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V) La compétition pour être meilleur, Tanâfus (التنافس) :

A condition que l'objet de cette compétition ne soit pas interdit ; que cette compétition soit saine, c'est-à-dire ne soit pas faite avec le souhait que l'autre ne réussisse pas à obtenir le bienfait qu'il espère, ni qu'il perde le bienfait dont il jouit ; et que, si c'est l'autre qui l'a emporté, on n'en éprouve pas de la colère ni de la haine :
----- si cela est lié à quelque chose du Dîn, avec l'objectif d'avoir les plus hauts grades du Paradis : ce genre de compétition est bien : "وَفِي ذَلِكَ فَلْيَتَنَافَسِ الْمُتَنَافِسُونَ" (Coran 83/26) ;
----- et si cela est lié à quelque chose du Dunyâ, alors ce genre de compétition est toléré (jâ'ïz).

La phrase "ولا تنافسوا" : "Et n'entrez pas en compétition" (Muslim, 2563/28) :

--- soit induit un interdit, mais parle alors de la compétition qui concerne quelque chose d'interdit (FB 1/219), ou encore de la compétition qui concerne quelque chose d'autorisé mais qui comporte du Hassad (vouloir que l'autre perde le bienfait qu'il a déjà, ou n'obtienne rien du tout) ;

--- soit induit un caractère légèrement déconseillé, et parle alors de la compétition qui reste saine mais qui se fait à propos des choses Dunyawî : il est toujours mieux de ne pas entrer en compétition (même saine) à leur sujet. An-Nawawî écrit : "وأما المنافسة والتنافس فمعناهما: الرغبة في الشئ وفي الانفراد به. ونافسته منافسة إذا رغبت فيما رغب فيه. قيل: معنى الحديث: التباري في الرغبة في الدنيا وأسبابها وحظوظها" (Shar'h Muslim, 16/119). Alî al-qârî dit pour sa part : "واسألوا الله من فضله} أي مثل تلك النعمة أو أمثل منها، وهذا الحسد المحمود المسمى بالغبطة، كما تقدم في حديث "لا حسد إلا في اثنتين" الحديث. (...) قال الشراح: التنافس والتحاسد في المعنى واحد، وإن اختلفا في الأصل. قلت: لكن التنافس يفيد المبالغة التي قد تفضي إلى المنازعة؛ فالمعنى: لا تحاسدوا ولا تنازعوا في الأمور الخسيسة الدينية والدنيوية، بل ينبغي أن يكون تنافسكم في الأشياء النفسية المرضية الأخروية، كما قال تعالى: {وفي ذلك فليتنافس المتنافسون" (Mirqât ul-mafâtîh, commentaire du hadîth n° 5028). "قوله "لم ننفس عليك خيرا ساقه الله إليك" هو بفتح الفاء يقال: نفست عليه بكسر الفاء أنفس بفتحها نفاسة، وهو قريب من معنى الحسد" (Shar'h Muslim, 12/79).

La raison de ce caractère légèrement déconseillé est que même la saine compétition pour des choses Dunyawî risque de déboucher sur du Hassad, comme le montre cet autre hadîth, dans lequel le Prophète (sur lui soit la paix) avait prédit à ses Compagnons à propos du moment où, après lui, ils obtiendraient de nombreuses richesses matérielles : "Vous entrerez en compétition, ensuite vous aurez du Hassad l'un pour l'autre, ensuite vous couperez les relations entre vous, ensuite vous vous détesterez l'un l'autre" : "عن عبد الله بن عمرو بن العاص، عن رسول الله صلى الله عليه وسلم أنه قال: "إذا فتحت عليكم فارس والروم، أي قوم أنتم؟" قال عبد الرحمن بن عوف: "نقول كما أمرنا الله". قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أو غير ذلك! تتنافسون، ثم تتحاسدون، ثم تتدابرون، ثم تتباغضون، أو نحو ذلك، ثم تنطلقون في مساكين المهاجرين، فتجعلون بعضهم على رقاب بعض" (Muslim, 2962).

Par ailleurs, la compétition pour les choses Dunyawî entraîne une plus grande attirance pour ces choses, et donc un relatif désintérêt pour les affaires Ukhrawî : Après avoir dit aux Compagnons venus lui demander quelque chose des biens matériels arrivés de al-Bahraïn : "Bonne nouvelle ! Ayez espoir de ce qui vous réjouit", le Prophète ajouta : "Ce n'est pas la pauvreté que je crains pour vous. Mais ce par rapport à quoi j'éprouve de la crainte pour vous, c'est que ce monde soit étendu sur vous comme il l'a été sur ceux qui étaient avant vous, que vous entriez en compétition par rapport à lui comme l'ont fait ceux (qui étaient avant vous), et qu'il vous distraie alors comme il les avait distraits" : "عن عمرو بن عوف أن رسول الله صلى الله عليه وسلم (...) قال: "فأبشروا وأملوا ما يسركم، فوالله ما الفقر أخشى عليكم، ولكن أخشى عليكم أن تبسط عليكم الدنيا، كما بسطت على من كان قبلكم، فتنافسوها كما تنافسوها، وتلهيكم كما ألهتهم" (al-Bukhârî, 6061 etc., Muslim, 2961).

Il y a encore cet autre hadîth : Lors de l'ultime sermon qu'il fit, "5 jours" avant son décès (Muslim, 532), le Prophète dit (entre autres choses) : "Et je ne crains pas, vous concernant, l'associationnisme, mais je crains que vous entriez en compétition pour (les richesses de ce monde)" : "عن عقبة بن عامر: أن النبي صلى الله عليه وسلم خرج يوما، فصلى على أهل أحد صلاته على الميت، ثم انصرف إلى المنبر، فقال: "إني فرط لكم، وأنا شهيد عليكم، وإني والله لأنظر إلى حوضي الآن، وإني أعطيت مفاتيح خزائن الأرض - أو مفاتيح الأرض - وإني والله ما أخاف عليكم أن تشركوا بعدي، ولكن أخاف عليكم أن تنافسوا فيها" (al-Bukhârî, 1279).

Malgré tout, en soi la compétition pour quelque chose de Dunyawî n'est pas interdite (mais est jâ'ïz) : Mâlik ibn Murâra (que Dieu l'agrée) a ainsi dit : "Je n'aime pas que quelqu'un me dépasse dans deux lacets, ou plus" ; il voulut seulement dire : "Je fais des efforts pour avoir les plus beaux vêtements", et non pas qu'il était véritablement mécontent que quelqu'un ait des vêtements plus beaux que les siens. "قال ابن مسعود: "كنت لا أحبس عن ثلاث" - وقال ابن عون: فنسي عمرو واحدة، ونسيت أنا أخرى، وبقيت هذه: "عن النجوى، عن كذا، وعن كذا". قال: "فأتيته، وعنده مالك بن مرارة الرهاوي، قال: فأدركت من آخر حديثه، وهو يقول: "يا رسول الله، إني رجل قد قسم لي من الجمال ما ترى، فما أحب أن أحدا من الناس فضلني بشراكين فما فوقهما، أفليس ذلك هو البغي؟" قال: "ليس ذلك بالبغي، ولكن البغي من سفه الحق، أو بطر الحق، وغمط الناس" (Ahmad, 4058).
Ibn Rajab écrit ainsi : "وروى ابن جرير بإسناد فيه نظر عن علي رضي الله عنه قال: "إن الرجل ليعجبه من شراك نعله أن يكون أجود من شراك نعل صاحبه، فيدخل في قوله: {تلك الدار الآخرة نجعلها للذين لا يريدون علوا في الأرض ولا فسادا والعاقبة للمتقين}". وكذا روي عن الفضيل بن عياض في هذه الآية، قال: "لا يحب أن يكون نعله أجود من نعل غيره، ولا شراكه أجود من شراك غيره". وقد قيل: إن هذا محمول على أنه إذا أراد الفخر على غيره لا مجرد التجمل: قال عكرمة وغيره من المفسرين في هذه الآية: "{العلو في الأرض}: التكبر، وطلب الشرف والمنزلة عند ذي سلطانها، {والفساد}: العمل بالمعاصي. وقد ورد ما يدل على أنه لا يأثم من كره أن يفوقه من الناس أحد في الجمال، فخرج الإمام أحمد رحمه الله والحاكم في صحيحه من حديث ابن مسعود رضي الله عنه، قال: "أتيت النبي صلى الله عليه وسلم وعنده مالك بن مرارة الرهاوي، فأدركته وهو يقول: "يا رسول الله، قد قسم لي من الجمال ما ترى، فما أحب أحدا من الناس فضلني بشراكين فما فوقهما، أليس ذلك هو البغي؟" فقال: "لا، ليس ذلك بالبغي، ولكن البغي من بطر - أو قال: - سفه الحق وغمص الناس"". وخرج أبو داود من حديث أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم معناه، وفي حديثه: "الكبر" بدل "البغي". فنفى أن يكون كراهته لأن يفوقه أحد في الجمال بغيا أو كبرا، وفسر الكبر والبغي ببطر الحق، وهو التكبر عليه، والامتناع من قبوله كبرا إذا خالف هواه. ومن هنا قال بعض السلف: "التواضع أن تقبل الحق من كل من جاء به، وإن كان صغيرا؛ فمن قبل الحق ممن جاء به، سواء كان صغيرا أو كبيرا، وسواء كان يحبه أو لا يحبه، فهو متواضع؛ ومن أبى قبول الحق تعاظما عليه، فهو متكبر. وغمص الناس: هو احتقارهم وازدراؤهم، وذلك يحصل من النظر إلى النفس بعين الكمال، وإلى غيره بعين النقص" (Jâmi' ul-'ulûm wa-l-hikam, commentaire du hadîth n° 13).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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