Quand les Compagnons du Prophète le questionnaient et discutaient

Question :

Pourquoi l'islam n'a-t-il pas voulu que les gens se trouvant dans l'entourage du Prophète lui posent des questions ou lui fassent des objections ? Cette interdiction de proposer au Prophète autre chose que ce qu'il a dit, n'est-ce pas une forme de manque de liberté d'expression ?

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Réponse :

Quand il a été dit qu'il ne fallait pas poser trop de questions au Prophète (sur lui la paix), c'était pour éviter le risque d'amener des réglementations supplémentaires. Le verset du Coran relatif à ce point le dit très clairement : "O vous qui avez apporté foi, ne questionnez pas au sujet de choses qui, si elles vous sont énoncées, vous affligeront ; or, si vous questionnez au sujet de ces choses alors que le Coran est en train d'être révélé, elles vous seront énoncées" (Coran 5/101). Le Prophète l'a dit lui aussi très clairement quand il a affirmé que l'une des plus grands fautes morales devant Dieu serait celle que commet le musulman "ayant posé question au sujet de quelque chose qui était permis, cette chose ayant été alors interdite suite à sa question" (al-Bukhârî, n° 6859, Muslim, n° 2358).

Par ailleurs il y a aussi, dans le fait de poser des questions inutiles, le fait de vouloir chercher la faille, en se montrant plus intelligent, ou de chercher à esquiver la pratique. C'est dans ces deux sens que le Prophète a dit : "(…) Ceux qui étaient avant vous n'ont été perdus qu'à cause de leur trop grand nombre de questions et de divergences d'avec leur prophète" (Muslim, n° 1337 ; une version voisine est rapportée par al-Bukhârî, n° 6858).

Par contre, pour ce qui est des questions utiles, jamais il n'a été interdit aux Compagnons d'en poser au Prophète, et jamais ceux-ci ne s'en sont privés : Ibn ul-Qayyim a consacré la dernière partie de son ouvrage A'lâm ul-muwaqqi'în à la compilation de questions dont il est rapporté que des Compagnons les ont posées au Prophète, et des réponses que ce dernier leur a données ; ce qu'il a compilé a rempli quelques... 109 pages dans l'édition que je possède de cet ouvrage : cf. A'lâm ul-muwaqqi'în, tome 4, p. 205 à p. 314.

Pour ce qui est maintenant de faire au Prophète des objections, des remarques et des propositions différentes, cela relève en fait de plusieurs catégories. Et toutes n'ont pas le même caractère, comme nous allons le voir ci-après…

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Il faut tout d'abord relever que ce que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) disait relevait d'une des 2 catégories suivantes :

A) Ce que le Prophète a dit de faire ta'abbudan :

"عن سلمة بن الأكوع أن رجلا أكل عند رسول الله صلى الله عليه وسلم بشماله، فقال: "كل بيمينك." قال: "لا أستطيع." قال: "لا استطعت!" ما منعه إلا الكبر. قال: فما رفعها إلى فيه" : Mangeant en compagnie du Messager de Dieu, un homme utilisa pour ce faire sa main gauche. Le Prophète lui dit : "Mange de ta main droite." Il répondit : "Je ne peux pas" : ce fut par orgueil qu'il ne se conforma pas en acte à l'injonction du Prophète. Le Prophète lui dit alors : "Que tu ne puisses plus !" Il ne put ensuite plus lever sa main droite jusqu'à sa bouche (Muslim 2021).

B) Ce qu'il a dit de faire maslahatan, pour la maslaha dîniyya ou dunyawiyya de la Communauté :

Lors d'un voyage, les vivres venant à manquer, des Compagnons vinrent demander au Prophète l'autorisation d'abattre des chameaux destinés au transport d'eau. Le Prophète leur donna alors l'autorisation de le faire. Mais quand Omar apprit cela, il vint trouver le Prophète et lui dit que les montures étaient le moyen de locomotion pendant le voyage et pour faire face à l'ennemi : "Messager de Dieu, demande plutôt que tout le monde apporte les miettes de vivres qui leur restent, et invoque Dieu de les bénir". Le Prophète se rangea alors à l'avis de Omar (rapporté par Muslim, 27, Ahmad).
Voici l'une des versions de Muslim : "عن أبي هريرة أو عن أبي سعيد - شك الأعمش - قال: لما كان غزوة تبوك أصاب الناس مجاعة، قالوا: يا رسول الله، لو أذنت لنا فنحرنا نواضحنا، فأكلنا وادهنا. فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "افعلوا!" قال: فجاء عمر، فقال: يا رسول الله، إن فعلت قل الظهر، ولكن ادعهم بفضل أزوادهم، ثم ادع الله لهم عليها بالبركة، لعل الله أن يجعل في ذلك" (Muslim, 27).

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Ensuite...

A) Ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a ordonné de faire ta'abbudan :

--- A.A) la règle de base est que cela induisait une obligation ;

--- A.B) mais parfois cela n'induisait qu'une recommandation...

--- Si cela induisait une obligation, il fallait la faire (lorsque la cause, les conditions et le principe motivant étaient présents).

--- Quant au amr ta'abbudî qui induisait une simple recommandation, le faire n'est par définition pas obligatoire, mais le croire "recommandé" est pour sa part obligatoire.

Que certaines paroles du Prophète (sur lui soit la paix) ont été comprises par des Compagnons ainsi, on le voit dans les hadîths suivants :
--- Ummu 'Atiyya dit : "Il nous a été défendu [à nous les femmes] de suivre les convois funéraires, mais sans ce que (cette interdiction) soit avec force" : "عن أم عطية رضي الله عنها، قالت: "نهينا عن اتباع الجنائز، ولم يعزم علينا" (al-Bukhârî, 1219, Muslim, 938) ;
--- Râfi' ibn Khadîj disait que la location d'un terrain agricole contre une partie fixe de la récolte n'est pas autorisée, car il se peut que la récolte soit inexistante (sécheresse) ou disparaisse entièrement (tempête), et la transaction n'est donc pas juste (al-Bukhârî, 2202, 2207) ; et que, par contre, la location d'un terrain contre de l'argent est autorisée : "حدثنا عمرو بن خالد، حدثنا الليث، عن ربيعة بن أبي عبد الرحمن، عن حنظلة بن قيس، عن رافع بن خديج، قال: حدثني عماي، أنهم كانوا يكرون الأرض على عهد النبي صلى الله عليه وسلم بما ينبت على الأربعاء أو شيء يستثنيه صاحب الأرض، فنهى النبي صلى الله عليه وسلم عن ذلك. فقلت لرافع: "فكيف هي بالدينار والدرهم؟" فقال رافع: "ليس بها بأس بالدينار والدرهم". وقال الليث: "وكان الذي نهي عن ذلك ما لو نظر فيه ذوو الفهم بالحلال والحرام، لم يجيزوه لما فيه من المخاطرة" (al-Bukhârî, 2220) : "يحيى بن سعيد، قال: سمعت حنظلة الزرقي، قال: سمعت رافع بن خديج رضي الله عنه، يقول: "كنا أكثر الأنصار حقلا، فكنا نكري الأرض، فربما أخرجت هذه، ولم تخرج ذه؛ فنهينا عن ذلك، ولم ننه عن الورق" (al-Bukhârî, 2573, Muslim, 1547) ; cependant, lui-même s'abstenait, car ayant compris que le Prophète préférait qu'on ne fasse pas ainsi : "عن أبي النجاشي مولى رافع بن خديج، سمعت رافع بن خديج بن رافع، عن عمه ظهير بن رافع، قال ظهير: لقد نهانا رسول الله صلى الله عليه وسلم عن أمر كان بنا رافقا، قلت: "ما قال رسول الله صلى الله عليه وسلم، فهو حق". قال: دعاني رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: "ما تصنعون بمحاقلكم؟"، قلت: "نؤاجرها على الربع، وعلى الأوسق من التمر والشعير"، قال: "لا تفعلوا، ازرعوها، أو أزرعوها، أو أمسكوها". قال رافع: قلت: "سمعا وطاعة" (al-Bukhârî, 2214) ; "حدثنا سليمان بن حرب، حدثنا حماد، عن أيوب، عن نافع، أن ابن عمر رضي الله عنهما كان يكري مزارعه على عهد النبي صلى الله عليه وسلم، وأبي بكر، وعمر، وعثمان، وصدرا من إمارة معاوية. ثم حدث عن رافع بن خديج أن النبي صلى الله عليه وسلم نهى عن كراء المزارع؛ فذهب ابن عمر إلى رافع، فذهبت معه، فسأله، فقال: "نهى النبي صلى الله عليه وسلم عن كراء المزارع" فقال ابن عمر: "قد علمت أنا كنا نكري مزارعنا على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم، بما على الأربعاء، وبشيء من التبن" (al-Bukhârî, 2218) ; "حدثنا يحيى بن بكير، حدثنا الليث، عن عقيل، عن ابن شهاب، أخبرني سالم، أن عبد الله بن عمر رضي الله عنهما، قال: "كنت أعلم في عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم أن الأرض تكرى". ثم خشي عبد الله أن يكون النبي صلى الله عليه وسلم قد أحدث في ذلك شيئا لم يكن يعلمه، فترك كراء الأرض" (al-Bukhârî, 2219). "عن الزهري، أن سالم بن عبد الله، أخبره قال: أخبر رافع بن خديج عبد الله بن عمر، أن عميه، وكانا شهدا بدرا، أخبراه أن رسول الله صلى الله عليه وسلم نهى عن كراء المزارع. قلت لسالم: "فتكريها أنت؟" قال: "نعم، إن رافعا أكثر على نفسه" (al-Bukhârî, 3789). Abdullâh ibn Abbâs avait compris l'interdiction pareillement : induisant un caractère légèrement déconseillé : "عن عمرو بن دينار، عن طاوس، عن ابن عباس، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم لم يحرم المزارعة، ولكن أمر أن يرفق بعضهم ببعض" (at-Tirmidhî, 1385).

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--- Est-ce que tous les éléments ta'abbudî ont été révélés au Prophète (sur lui soit la paix) ?
--- Ou bien est-ce que certains éléments ta'abbudî, il les a établis par ijtihâd à partir des règles et principes lui ayant été révélés ?
--- Cette question fait l'objet d'avis divergents entre les ulémas.

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B) Ce que le Prophète a dit de faire maslahatan :

--- B.A) parfois le caractère de "maslaha râjiha" de cela avait été révélé au Prophète ;

--- B.B) mais d'autres fois il avait établi le caractère de "maslaha râjiha" de cela par lui-même ("الاجتهاد في الأمور الدنيوية المتعلقة بمصالح الدين" : As-Sârim, p. 191)...

----- B.B.A) ... cependant, il avait pris la décision qu'il fallait le faire absolument (jazm) :

Il était alors nécessaire de lui obéir.
C'est bien pourquoi, quand des Compagnons hésitèrent après la conclusion du traité de Hudaybiya, le Prophète fut mécontent.
De même, après l'hésitation de Compagnons quand il leur ordonna de faire une 'umra (petit pèlerinage) et de sortir de l'état de sacralisation avant le grand pèlerinage et qu'ils discutèrent entre eux de cela, le Prophète en fut mécontent.

Cependant, il était possible de le questionner sur la raison l'ayant amené à agir ainsi (nous le verrons en 2.1.2).

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----- B.B.B) ... mais il avait pris cette décision par tarjîh de sa part :

Il était alors possible de lui proposer autre chose (nous le verrons en 2.1.1).

--- Ainsi, à Badr, en tant que chef de l'armée musulmane, il devait choisir le meilleur endroit d'où se tiendrait son armée face aux Mecquois. Mais quel était précisément cet endroit, il le choisit non en fonction d'une indication de la révélation divine mais selon sa réflexion personnelle en tant qu'être humain : il s'agissait donc d'une ijtihâd du Prophète consistant à appliquer un principe de l'islam – faire le maximum pour assurer à son armée la victoire – à un cas précis, qu'il a considéré selon son expérience humaine personnelle ("al-ijtihâd fi-l-umûr id-dunyawiyya al-muta'alliqa bi massâlih id-dîn"). Al-Hubâb ibn Mundhir vint alors le trouver et lui dit : "Messager de Dieu, ce lieu que tu as choisi, l'as-tu fait selon une indication de la part de Dieu – de sorte que nous devions nous y tenir – ou bien n'est-ce qu'un avis personnel lié à la compréhension de l'art du combat ("am huwa-r-ra'yu wal-harbu wal-makîda") ?C'est plutôt un avis personnel lié à la compréhension de l'art du combat ("Bal huwa-r-ra'yu wa-l-harbu wa-l-makîda"), répondit-il. Eh bien ce n'est pas le meilleur lieu pour livrer bataille", lui dit al-Hubâb. Le Prophète accepta alors l'avis de al-Hubab et changea de lieu (As-Sârim, p. 191).

--- Car il arrivait que le Prophète émette un avis personnel, exprimant ce qu'il a compris personnellement de quelque chose de purement temporel, en tant qu'être humain et non en tant que Messager de Dieu. Ainsi, après son émigration à Médine, Le Prophète Muhammad (sur lui la paix), observant la pratique médinoise de la fécondation des palmiers-dattiers, dit : "Je ne pense pas que cela serve à grand-chose." Les Compagnons s'en abstinrent donc. La récolte de dattes ayant été ensuite médiocre, les Compagnons vinrent lui en parler. Il dit alors : "Vous connaissez mieux vos affaires purement temporelles ("dunyâkum"). Mais lorsque je vous ordonne quelque chose de cultuel ("dînikum"), prenez-le" (Muslim, synthèse des Hadîths 2361-2363).

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------ B.B.C) ... et c'était par simple irshâd de sa part (conseil pour le bien-être) qu'il recommandait de faire ainsi :

Il était mieux de faire comme il le disait. Ainsi en est-il de ce récit :

– Alors que des Compagnons étaient à Marr uz-Zahrân en train de cueillir les fruits du Salvadora Persica, le Prophète (sur lui soit la paix) leur dit : "Choisissez les (fruits) noirs, car ce sont les meilleurs". On lui demanda alors : "As-tu donc été berger d'ovins / caprins ?" Il répondit : "Oui. Y a-t-il un prophète qui n'ait pas été berger !" : "عن جابر بن عبد الله، قال: كنا مع رسول الله صلى الله عليه وسلم بمر الظهران نجني الكباث، فقال: "عليكم بالأسود منه فإنه أيطب." فقال: أكنت ترعى الغنم؟ قال: "نعم، وهل من نبي إلا رعاها" (al-Bukhârî, 5138, Muslim).
Il s'est agi d'une recherche de ce qui est mieux sur le plan dunyawî : ce sont les fruits noirs de cet arbre qui sont meilleurs en goût, et le Prophète, ayant expérience de cela, a donc conseillé (amru irshâd, li maslaha dunyawiyya) à ses Compagnons de choisir ces fruits-là.

Ici il n'y a pas eu d'ordre, mais un simple conseil, pour leur mieux-être sur le plan dunyawî.

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----- B.B.D) ... il y avait encore le cas où il proposait, sans avoir encore pris de décision, et sa proposition était l'expression d'un simple tarjîh ou maylân ou encore simple 'ardh de sa part :

--- En l'an 3 de l'hégire, lorsque les Mecquois étaient sur le point d'arriver aux portes de Médine, le Prophète (sur lui soit la paix) consulta (mashûra) ses Compagnons quant à ce qu'il fallait faire. Il présenta la préférence qu'il avait : ne pas aller rencontrer l'ennemi mais la protéger ville en se barricadant. C'était ainsi qu'il voulait empêcher l'invasion. Il avait vu un rêve, et il interprétait ce rêve comme signifiant de se barricader. Il faisait alors, lors de cette consultation, tarjîh de de cela.
- Mais un grand nombre de Compagnons (surtout ceux qui n'avaient pas participé à Badr l'an précédent) insistèrent pour aller à la rencontre de l'ennemi et lui livrer bataille.
- Le Prophète se rangea alors à leur avis, et entra donc chez lui pour se préparer (voir Zâd ul-ma'âd 3/193). Il appliqua donc ici le contraire du tarjîh qu'il avait. En fait, ayant constaté que c'était l'autre avis qui était celui d'un grand nombre de ses hommes, il appliqua cet autre avis, pour cause de suivi du délibéré.

La suite de ce récit sera visible plus bas.

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--- Quand, lors de la tentative d'invasion par les Coalisés, en l'an 5, le Prophète reçut comme proposition de la part de la grande tribu Ghatafân de monnayer le retrait des Ghatafân en leur promettant de leur donner la moitié de la production des dattes de Médine. Les chefs lui demandèrent :
- si c'était là l'objet d'une révélation de la part de Dieu ?
- ou si c'était là son avis, qu'il avait pris comme décision en tant que Chef, par maslaha, mais pour le bien nécessaire de toute la Communauté ?
Ils ajoutèrent une troisième option :
- ou bien si c'était là un avis motivé seulement pour leur maslaha à eux, pour leur faciliter les choses, alors ils déclinaient cette solution.
Le Prophète dit alors aux Ghatafân : "Voilà, vous entendez ce qu'ils disent !"
"عن أبي هريرة قال: جاء الحارث الغطفاني إلى النبي صلى الله عليه وسلم فقال: "يا محمد، شاطرنا تمر المدينة." قال: "حتى أستأمر السعود." فبعث إلى سعد بن معاذ، وسعد بن عبادة، وسعد بن الربيع، وسعد بن خيثمة، وسعد بن مسعود، رحمهم الله، فقال: "إني قد علمت أن العرب قد رمتكم عن قوس واحدة، وإن الحارث يسألكم أن تشاطروه تمر المدينة، فإن أردتم أن تدفعوا إليه عامكم هذا، حتى تنظروا في أمركم بعد." قالوا: يا رسول الله، "أوحي من السماء؟ فالتسليم لأمر الله! أو عن رأيك أو هواك؟ فرأينا تبع لهواك ورأيك! فإن كنت إنما تريد الإبقاء علينا، فوالله لقد رأيتنا وإياهم على سواء ما ينالون منا تمرة إلا بشرى أو قرى!" فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "هو ذا تسمعون ما يقولون!" قالوا: "غدرت يا محمد!" فقال حسان بن ثابت رحمه الله:
يا حار من يغدر بذمة جاره ... أبدا فإن محمدا لا يغدر
وأمانة المرء حيث لقيتها ... كسر الزجاجة صدعها لا يجبر
إن تغدروا فالغدر من عاداتكم ... واللؤم ينبت في أصول السخبر"
(at-Tabarânî dans son Kabîr : "hadîth hassan" : note de bas de page n° 4 sur p. 833 de Irshâd ul-fuhûl).
Ici il n'y avait pas eu tarjîh de sa part, mais seulement 'ardh : présentation d'une possibilité (ihtimâl).

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Voici un écrit de Ibn Taymiyya exposant une synthèse voisine de celle ci-dessus :

"وأما الذين تكلموا من أحداث الأسنان ونحوهم فرأوا أن النبي صلى الله عليه وسلم إنما يقسم المال لمصالح الإسلام ولا يضعه في محل إلا لأن وضعه فيه أولى من وضعه في غيره. هذا مما لا يشكون فيه. وكان العلم بجهة المصلحة قد تنال بالوحي، وقد تنال بالاجتهاد. ولم يكونوا علموا أن ذلك مما فعله النبي صلى الله عليه وسلم وقال: أنه بوحي من الله (فإن من كره ذلك أو اعترض عليه بعد أن يقول ذلك فهو كافر مكذب)، وجوزوا أن يكون قسمه اجتهادا.
وكانوا يراجعونه بالاجتهاد في الأمور الدنيوية المتعلقة بمصالح الدين؛ وهو باب يجوز له العمل فيه باجتهاده باتفاق الأمة. وربما سألوه عن الأمر لا لمراجعته فيه لكن ليتثبتوا وجهه ويتفقهوا في سننه ويعلموا علته.
وكانت المراجعة المشهورة منهم لا تعدو هذين الوجهين: إما لتكميل نظره صلى الله عليه وسلم في ذلك إن كان من الأمور السياسة التي للاجتهاد فيها مساغ؛ أو ليتبين لهم وجه ذلك إذا ذكر ويزدادوا علما وإيمانا وينفتح لهم طريق التفقه فيه.
فالأول كمراجعة الحباب بن المنذر له لما نزل ببدر منزلا قال: يا رسول الله أرأيت هذا المنزل الذي نزلته أهو منزل أنزلكه الله فليس لنا أن نتعداه أم هو الرأي والحرب والمكيدة؟ فقال: "بل هو الرأي والحرب والمكيدة" فقال: إن هذا ليس بمنزل قتال فقبل رسول الله صلى الله عليه وسلم رأيه وتحول إلى غيره.
وكذلك أيضا لما عزم أن يصالح غطفان عام الخندق على نصف تمر المدينة ثم جاء سعد بن معاذ في طائفة من الأنصار فقال: يا رسول الله بأبي أنت وأمي هذا الذي تعطيهم أشيء من الله أمرك فسمع وطاعة لله ولرسوله أم شيء من قبل رأيك؟ قال: " لا بل من قبل رأيي أني رأيت القوم أعطوا الأموال فجمعوا لكم ما رأيتم من القبائل وإنما أنتم قبيل واحد فأردت أن أدفع بعضهم ونعطيهم شيئا وننصب لبعض أشتري بذلك ما قد نزل بكم معشر الأنصار " فقال سعد: والله يا رسول الله لقد كنا في الشرك وما يطمعون منا في أخذ النصف أو كما قال وفي رواية: ما يأكلون منها تمرة إلا بشرى أو قرى فكيف اليوم والله معنا وأنت بين أظهرنا لا نعطيهم ولا كرامة لهم ثم تناول الصحيفة فتفل فيها ثم رمى بها"
(As-Sârim, pp. 190-191).

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Voici maintenant les différents types de remarques que des gens autour du Prophète ont pu faire à propos de ces catégories

1) La critique qu'une personne a faite par dénigrement de ce que le Prophète a dit ou fait (catégories A ou B), en le traitant d"injuste" :

--- 1.1) et soit cela constitue une parole de kufr akbar :

Ce genre d'objection constitue effectivement une parole qui fait quitter l'islam (kufr). C'est logique : on ne peut prétendre être sur la voie que le Prophète a enseignée et, parallèlement, refuser clairement ce dont on sait pertinemment qu'il l'a dit ou fait en tant que Messager de Dieu.

--- Ainsi, en fut-il de la parole de Dhu-l-Khuwayssira, cet homme qui vint dire au Prophète (sur lui la paix) suite à un partage d'un morceau d'or qu'il avait fait : "Muhammad, crains Dieu" [al-Bukhârî 6995], "tu n'as pas fait preuve de justice" [al-Bukhârî 4390]. Le Prophète répondit : "Ne suis-je pas celui qui mérite le plus de craindre Dieu ? [al-Bukhârî 4094] Et qui ferait preuve de justice si je n'en fais pas ? Si je ne suis pas juste, tu es perdu [puisque tu me suis en tant que prophète]" [al-Bukhârî 3414]. Ce que Dhu-l-Khuwayssira dit là fut une parole de kufr (As-Sârim, p. 199, p. 228, p. 233, p. 528). Ce récit s'est passé lorsque Alî avait envoyé de l'or depuis le Yémen ; c'est cet or que le Prophète avait partagé (al-Bukhârî 3166, 4094, 6995, Muslim 1064). Il y a une autre version, dite "de Jâbir", d'après laquelle pareilles paroles ont été dites quand le Prophète partageait les recettes après Hunayn (rapporté par Muslim 1063, al-Bukhârî 2969, Ahmad 14276).

--- Il y a encore cet événement : "عن بهز بن حكيم بن معاوية، عن أبيه، عن جده قال: أخذ النبي صلى الله عليه وسلم ناسا من قومي في تهمة فحبسهم، فجاء رجل من قومي إلى النبي صلى الله عليه وسلم وهو يخطب، فقال: يا محمد علام تحبس جيرتي؟ فصمت النبي صلى الله عليه وسلم عنه فقال: "إن ناسا ليقولون إنك تنهى عن الشر، وتستخلي به." فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "ما يقول؟" قال: فجعلت أعرض بينهما بالكلام مخافة أن يسمعها فيدعو على قومي دعوة لا يفلحون بعدها أبدا. فلم يزل النبي صلى الله عليه وسلم به حتى فهمها فقال: "قد قالوها أو قائلها منهم! والله لو فعلت لكان علي وما كان عليهم. خلوا له عن جيرانه" (Ahmad, 20019 ; voir aussi 20014, 20017, 20042). Ibn Taymiyya affirme que ce fut également du sabb, constituant parole de kufr akbar (As-Sârim, p. 233).

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1.2) soit cela constitue un péché qui ne va pas jusqu'au kufr akbar :

--- Il y a également le récit suivant : lors d'un litige au sujet de la répartition de l'eau d'irrigation, entre az-Zubayr et un Ansarite , le Prophète ayant rendu le jugement en faveur de az-Zubayr, mais tout en cherchant une solution intermédiaire, le Ansarite fit : "Parce que c'est ton cousin !". Mécontent, le Prophète donna alors à az-Zubayr son plein droit  : "عن عروة بن الزبير، أنه حدثه أن رجلا من الأنصار خاصم الزبير في شراج من الحرة يسقي بها النخل، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "اسق يا زبير"، فأمره بالمعروف، "ثم أرسل إلى جارك." فقال الأنصاري: أن كان ابن عمتك! فتلون وجه رسول الله صلى الله عليه وسلم، ثم قال: "اسق، ثم احبس، يرجع الماء إلى الجدر"، واستوعى له حقه. فقال الزبير: "والله إن هذه الآية أنزلت في ذلك: {فلا وربك لا يؤمنون حتى يحكموك فيما شجر بينهم}." قال لي ابن شهاب: فقدرت الأنصار والناس قول النبي صلى الله عليه وسلم: "اسق، ثم احبس حتى يرجع إلى الجدر"، وكان ذلك إلى الكعبين" (al-Bukhârî 2233, Muslim 2357). "عن عروة بن الزبير أن الزبير كان يحدث: أنه خاصم رجلا من الأنصار قد شهد بدرا إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم في شراج من الحرة، كانا يسقيان به كلاهما، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم للزبير: "اسق يا زبير، ثم أرسل إلى جارك." فغضب الأنصاري، فقال: يا رسول الله، أن كان ابن عمتك! فتلون وجه رسول الله صلى الله عليه وسلم، ثم قال: "اسق، ثم احبس حتى يبلغ الجدر". فاستوعى رسول الله صلى الله عليه وسلم حينئذ حقه للزبير؛ وكان رسول الله صلى الله عليه وسلم قبل ذلك أشار على الزبير برأي سعة له وللأنصاري؛ فلما أحفظ الأنصاري رسول الله صلى الله عليه وسلم، استوعى للزبير حقه في صريح الحكم. قال عروة: قال الزبير: "والله ما أحسب هذه الآية نزلت إلا في ذلك: {فلا وربك لا يؤمنون حتى يحكموك فيما شجر بينهم} الآية" (al-Bukhârî, 2561).
Ibn Taymiyya est d'avis que ce fut une parole de kufr de la part de cet homme. Ibn Hajar penche vers le fait que, certes, ce fut une parole grave, cependant, cet Ansarite n'était pas un hypocrite : "وأما قول الداودي وأبي إسحاق الزجاج وغيرهما أن خصم الزبير كان منافقا، فقد وجهه القرطبي بأن قول من قال إنه كان من الأنصار يعني نسبا لا دينا؛ قال: وهذا هو الظاهر من حاله؛ ويحتمل أنه لم يكن منافقا ولكن أصدر ذلك منه بادرة النفس كما وقع لغيره ممن صحت توبته. وقوى هذا شارح المصابيح التوربشتي ووهّى ما عداه وقال: "لم تجر عادة السلف بوصف المنافقين بصفة النصرة التي هي المدح، ولو شاركهم في النسب"؛ قال: "بل هي زلة من الشيطان تمكن به منها عند الغضب وليس ذلك بمستنكر من غير المعصوم في تلك الحالة" اه. وقد قال الداودي بعد جزمه بأنه كان منافقا: "وقيل: "كان بدريا"؛ فإن صح فقد وقع ذلك منه قبل شهودها لانتفاء النفاق عمن شهدها اه. وقد عرفت أنه لا ملازمة بين صدور هذه القضية منه وبين النفاق. وقال ابن التين: إن كان بدريا، فمعنى قوله {لا يؤمنون}: لا يستكملون الإيمان والله أعلم" (Fat'h ul-bârî, tome 5, sur 2231).

--- Il y a encore le récit relatif au partage de biens matériels (ghanâ'ïm) à Hunayn, en l'an 8 de l'hégire, lors duquel le Prophète donna une part particulièrement importante de la quinte (khums) (c'est l'un des avis à ce sujet) à al-Aqra' ibn Hâbis et à d'autres personnages dont il voulait gagner les cœurs à l'islam ; il en avait parfaitement le droit, car la règle instituée par l'islam est que le dirigeant peut distribuer la quinte selon les nécessités du moment (As-Sârim, p. 195). Mais un homme dit alors : "C'est là un partage où la justice n'a pas été observée et qui n'a pas été fait avec sincérité vis-à-vis de Dieu !" Ibn Mas'ûd entendit ce propos et vint le relater au Prophète. Ce dernier dit seulement : "Qui donc ferait preuve de justice si Dieu et Son Messager font preuve d'injustice ? Que Dieu fasse miséricorde à Moïse : on lui a fait plus de tort que ceci, il a fait preuve de patience" : "عن عبد الله رضي الله عنه، قال: لما كان يوم حنين، آثر النبي صلى الله عليه وسلم أناسا في القسمة، فأعطى الأقرع بن حابس مائة من الإبل، وأعطى عيينة مثل ذلك، وأعطى أناسا من أشراف العرب، فآثرهم يومئذ في القسمة. قال رجل: "والله إن هذه القسمة ما عدل فيها، وما أريد بها وجه الله". فقلت: "والله لأخبرن النبي صلى الله عليه وسلم". فأتيته، فأخبرته، فقال: "فمن يعدل إذا لم يعدل الله ورسوله! رحم الله موسى قد أوذي بأكثر من هذا فصبر" (al-Bukhârî, n° 2981, etc., Muslim, n° 1062) ; "فقال رجل من الأنصار: "والله ما أراد محمد بهذا وجه الله" (al-Bukhârî, n° 5712). Cet homme fut-il Mu'attib ibn Qushayr ? Si Oui, alors, bien que al-Wâqidî l'ait décrit comme Hypocrite (Fat'h ul-bârî, 8/69 ; As-Sârim, p. 232), Ibn Hazm a dit que cela est faux, car il est un Bad'rî (Jawâmi' us-sîra an-nabawiyya, p. 75) ; Ibn ul-Athîr aussi a relaté qu'il est Bad'rî (Ussud ul-Ghâba fî ma'rifat is-Sahâba). Ce que cet homme (qui peut très bien avoir été autre que Mu'attib ibn Qushayr) dit là fut-il une parole de kufr ? Oui d'après Ibn Taymiyya (As-Sârim, p. 199, pp. 232-233, p. 528) ; cependant, d'autres ulémas auraient-ils répondu à cela : "Non, ce fut comme le cas du Ansarite" mentionné précédemment ?

Lire ici : Quelques paroles et faits d'épouses du Prophète qui ont été tolérées parce que prononcées ou accomplis en tant qu'épouses.

Lire aussi : Comment Hâtib ibn Abî Balta'a (que Dieu l'agrée) a-t-il pu écrire une missive aux Quraysh les informant de l'imminence de la venue du Prophète, sachant d'une part que cela est interdit et d'autre part qu'il est un Bad'rî ?.

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2) La remarque qu'un Compagnon a faite non pas par dénigrement du Prophète, mais sur la base d'une bonne intention :

--- 2.1) et ce, parce que ce Compagnon a pensé que le Prophète avait fait un ijtihad pour quelque chose du type A.B ("quelque chose de ta'abbudî mais qui induisait seulement une awlawiyya"), ou du type B.B.B ("quelque chose de maslahî à quoi il donnait seulement tarjîh"), et l'a donc questionné sur le sujet, ou bien lui a directement proposé autre chose :

Cela est tout à fait autorisé.

Il est ainsi arrivé que le Prophète dise quelque chose et qu'un Compagnon lui demande s'il peut ne pas pratiquer cela, ou qu'il lui propose de façon respectueuse autre chose, parce qu'il pensait que le hukm ta'abbudî énoncé par le Prophète n'induisait pas une obligation, ou qu'il pensait que le Prophète avait fait un ijtihâd de type maslahî n'induisant pas un jazm :
--- "Préservez-vous de vous asseoir près des chemins !" Les Compagnons dire : "O Messager de Dieu, nous avons besoin de nos assises : nous y parlons entre nous." Le Prophète leur dit : "Si donc vous tenez à vous (y) asseoir, donnez au chemin son droit ! - Et quel est le droit du chemin, Messager de Dieu ? - C'est de baisser le regard, d'enlever ce qui gêne (les gens), de retourner le salam, d'ordonner le bien et d'interdire le mal" : "عن أبي سعيد الخدري رضي الله عنه: أن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إياكم والجلوس بالطرقات!" فقالوا: :يا رسول الله، ما لنا من مجالسنا بد نتحدث فيها." فقال: "إذ أبيتم إلا المجلس، فأعطوا الطريق حقه." قالوا: :وما حق الطريق يا رسول الله؟: قال: "غض البصر، وكف الأذى، ورد السلام، والأمر بالمعروف، والنهي عن المنكر" (al-Bukhârî, 5875, Muslim, 2121). Ici le Compagnon qui a dit cela (il s'agit de Abû tal'ha : FB 5/140) a considéré que le Prophète ne disait "Préservez-vous de vous asseoir près des chemins !" que sur la base d'un ijtihâd (en l'occurrence une mesure de sadd ul-bâb : FB 5/140), et qu'il n'y avait pas là un jazm ;
--- à Khaybar, en l'an 7, le Prophète remarqua que des Compagnons faisaient cuire quelque chose dans des marmites. "Quelle viande font-ils cuire ? s'enquit-il. La viande d'ânes domestiques, répondit-on. Renversez ces (marmites) et brisez-les". Quelqu'un dit alors : "Messager de Dieu, ne se pourrait-il pas que nous les renversions et les lavions [au lieu de les briser] ?" Le Prophète répondit : "Ou bien cela !" : "فأتينا خيبر فحاصرناهم حتى أصابتنا مخمصة شديدة، ثم إن الله تعالى فتحها عليهم، فلما أمسى الناس مساء اليوم الذي فتحت عليهم، أوقدوا نيرانا كثيرة، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "ما هذه النيران على أي شيء توقدون؟" قالوا: على لحم، قال: "على أي لحم؟" قالوا: "لحم حمر الإنسية"، قال النبي صلى الله عليه وسلم: "أهريقوها واكسروها"، فقال رجل: "يا رسول الله، أو نهريقها ونغسلها؟" قال: "أو ذاك" (al-Bukhârî, n° 3960 etc., Muslim n° 1802). On peut considérer que le premier impératif du Prophète ("brisez les marmites") était d'ordre maslahî (et pas ta'abbudî mustahabb).

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Dans ce cas...

----- 2.1.1) Soit l'ijtihad fait par le Prophète était, au contraire, de type B.B.A ("quelque chose de maslahî à quoi il donnait jazm"), et le Prophète expliqua alors au Compagnon qu'il était nécessaire qu'il agisse comme il l'a fait :

--- Nous avons déjà vu que lors du partage des recettes (ghanâ'ïm) à Hunayn, en l'an 8, lorsque le Prophète donna une part particulièrement importante de la quinte (khums) à certains personnages, certains Ansâr exprimèrent eux aussi leur étonnement à cette occasion. Cependant, eux employèrent des mots et un ton tout autres que ceux que Mu'tib employa, ce qui montrait bien que leur état d'esprit n'était pas le même que le sien. Voici ce que ces Ansârites dirent ce jour là : "… Le Prophète donne à des gens de Quraysh et pas à nous, alors que nous avons récemment combattu ces Qurayshites ?" Le Prophète leur expliqua alors qu'il le faisait parce que ces personnages venaient de quitter l'incroyance (al-Bukhârî, n° 2978, Muslim, n° 1059). Certaines versions relatent d'ailleurs que les quelques Ansârites qui avaient parlé avaient dit : "Nous voudrions savoir la cause de cela : si cela vient de Dieu, nous ferons preuve d'abnégation ; et si cela vient d'un avis personnel du Prophète, nous lui en parlerons" (cité dans As-Sârim, p. 193).

--- Nous avons également vu que lors du partage de l'or envoyé par Alî depuis le Yémen en l'an 10, Dhu-l-Khuwayssira dit ce qu'il dit. A cette occasion, des personnes parmi les Quraysh et les Ansâr exprimèrent elles aussi leur étonnement ; mais elles le firent avec des mots et un ton tout autres que ceux que Dhu-l-Khuwayssira allait employer peu après. Voici ce que ces Qurayshites et ces Ansârites dirent : "Il le donne à des grands personnages du Nadjd et nous délaisse ?" Le Prophète expliqua alors : "Je ne fais cela que pour gagner leur cœur". C'est ensuite que survint Dhu-l-Khuwayssira, qui dit au Prophète ce qu'il dit (al-Bukhârî, n° 3166, an-Nassâ'ï, n° 2578).

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----- 2.1.1') Dans ce cas, si, malgré la clarification reçue du Prophète, le Compagnon insista trop, cela constitua un manquement de sa part :

--- Lors de la paix conclue à al-Hudaybiya, en l'an 6, après que le traité eut été signé et après avoir vu Abû Jandal (un jeune musulman retenu et persécuté à La Mecque) arriver jusqu'à eux (après s'être échappé de chez lui) portant encore ses entraves mais être renvoyé chez ses bourreaux, les Compagnons furent estomaqués : comment s'en retourner à Médine sans avoir pu entrer à La Mecque y accomplir le petit pèlerinage, et cela, de surcroît, après avoir accepté un traité comportant des clauses aussi désavantageuses pour les musulmans ? Aussi, lorsque le Prophète leur dit : "Allez. Sacrifiez les bêtes et rasez-vous la tête (ici même)", aucun d'entre eux ne bougea tellement ils étaient tous abasourdis par ce qu'ils venaient de vivre [et cela inclut Abû Bakr et 'Alî ibn Abî Tâlib]. Le Prophète répéta son ordre encore 2 fois supplémentaires. Aucune réaction. Ce fut seulement lorsque, suivant en cela le conseil de son épouse Ummu Salama, le Prophète se mit à sacrifier lui-même en silence, que les Compagnons se mirent à faire de même : "فلما فرغ من قضية الكتاب، قال رسول الله صلى الله عليه وسلم لأصحابه: "قوموا فانحروا ثم احلقوا". قال: فوالله ما قام منهم رجل. حتى قال ذلك ثلاث مرات. فلما لم يقم منهم أحد، دخل على أم سلمة، فذكر لها ما لقي من الناس. فقالت أم سلمة: "يا نبي الله، أتحب ذلك؟ اخرج ثم لا تكلم أحدا منهم كلمة، حتى تنحر بدنك وتدعو حالقك فيحلقك". فخرج فلم يكلم أحدا منهم حتى فعل ذلك نحر بدنه، ودعا حالقه فحلقه، فلما رأوا ذلك قاموا، فنحروا وجعل بعضهم يحلق بعضا حتى كاد بعضهم يقتل بعضا غما" (al-Bukhârî, 2581). Sur le chemin du retour, de très nombreux Compagnons étaient dominés par un sentiment de tristesse et de dépit : "وهم يخالطهم الحزن والكآبة" (Muslim, 1786). Abû Bakr avait pour sa part alors recouvré sa sérénité. Mais Omar ibn ul-Khattâb questionna d'abord Abû Bakr, puis le Prophète lui-même : il vint lui demander comment il avait pu accepter un tel traité de paix avec les Mecquois, alors que ceux-ci étaient idolâtres, avaient combattu les musulmans, avaient installé des idoles autour de la Maison que Abraham avait consacré à l'Unique, et leur demandaient maintenant de revenir seulement une année plus tard s'ils voulaient accomplir le pèlerinage. Il dit au Prophète : "Pourquoi donc faisons-nous preuve d'abaissement dans notre religion, Dieu n'ayant pas encore fait (apparaître) la finalité entre eux et nous ?Ibn al-Khattâb, je suis le Messager de Dieu, et Il ne me fera pas échouer" : "عن حبيب بن أبي ثابت، قال: أتيت أبا وائل أسأله. فقال: "كنا بصفين فقال رجل: "ألم تر إلى الذين يدعون إلى كتاب الله!"فقال علي: "نعم". فقال سهل بن حنيف: "اتهموا أنفسكم فلقد رأيتنا يوم الحديبية - يعني الصلح الذي كان بين النبي صلى الله عليه وسلم والمشركين - ولو نرى قتالا لقاتلنا. فجاء عمر فقال: "ألسنا على الحق وهم على الباطل؟ أليس قتلانا في الجنة، وقتلاهم في النار؟"، قال: "بلى"، قال: "ففيم نعطي الدنية في ديننا، ونرجع ولما يحكم الله بيننا؟"، فقال: "يا ابن الخطاب إني رسول الله ولن يضيعني الله أبدا". فرجع متغيظا، فلم يصبر حتى جاء أبا بكر فقال: "يا أبا بكر، ألسنا على الحق وهم على الباطل؟" قال: "يا ابن الخطاب إنه رسول الله صلى الله عليه وسلم ولن يضيعه الله أبدا". فنزلت سورة الفتح" (al-Bukhârî, 4563, Muslim, 1785).
"عن المسور بن مخرمة ومروان - يصدق كل واحد منهما حديث صاحبه -، قالا: (...) فقال عمر بن الخطاب: فأتيت نبي الله صلى الله عليه وسلم فقلت: "ألست نبي الله حقا؟" قال: "بلى"، قلت: "ألسنا على الحق، وعدونا على الباطل؟"، قال: "بلى"، قلت: "فلم نعطي الدنية في ديننا إذا؟" قال: "إني رسول الله، ولست أعصيه، وهو ناصري"، قلت: "أو ليس كنت تحدثنا أنا سنأتي البيت فنطوف به؟" قال: "بلى، فأخبرتك أنا نأتيه العام؟"، قال: قلت: "لا"، قال: "فإنك آتيه ومطوف به". قال: فأتيت أبا بكر فقلت: "يا أبا بكر أليس هذا نبي الله حقا؟" قال: "بلى"، قلت: "ألسنا على الحق وعدونا على الباطل؟" قال: "بلى"، قلت: "فلم نعطي الدنية في ديننا إذا؟" قال: "أيها الرجل إنه لرسول الله صلى الله عليه وسلم، وليس يعصي ربه، وهو ناصره. فاستمسك بغرزه، فوالله إنه على الحق"، قلت: "أليس كان يحدثنا أنا سنأتي البيت ونطوف به؟" قال: "بلى، أفأخبرك أنك تأتيه العام؟" قلت: "لا"، قال: "فإنك آتيه ومطوف به". قال الزهري: قال عمر: فعملت لذلك أعمالا" (al-Bukhârî, 2581).
Omar interpella 3 fois le Prophète à ce sujet, avant de se rendre compte qu'il fatiguait le Prophète, et, alors, pressa le pas de sa monture pour s'éloigner, confus et regrettant ce qu'il avait fait (al-Bukhârî, 3943).
Le Prophète lui avait également dit : "Omar, tu me vois être d'accord, et toi tu refuses ?" : "قال: فرضي رسول الله صلى الله عليه وسلم وأبيت حتى قال لي: يا عمر تراني رضيت وتأبى" (FB 5/424, 13/353).

Plus tard, ayant reçu la révélation de la sourate al-Fat'h, le Prophète fit appeler Omar et la lui récita (al-Bukhârî, 3943). C'est lorsque le Prophète lui récita cela que Omar s'apaisa (Muslim, 1785).

Plus tard, Omar, relatant cette épisode, en déduisait : "Restez circonspects par rapport au Ra'y qui est relatif à quelque chose du Dîn" : "وأخرجه البزار من حديث عمر نفسه مختصرا ولفظه فقال عمر: اتهموا الرأي على الدين! فلقد رأيتني أرد أمر رسول الله صلى الله عليه وسلم برأي؛ وما آلوت عن الحق" (FB 5/424, 13/353).
Et il raconta : "Je n'ai cessé (par la suite) de faire des jeûnes, de donner des aumônes, de faire des prières et d'effectuer des affranchissements, de ce que j'ai fait, par crainte pour la parole que j'avais dite ce jour là. Jusqu'à ce que j'ai espéré que cela a constitué un bien (qui a contrebalancé ce que j'avais dit ce jour-là)" : "ثم قال عمر: "ما زلت أصوم وأتصدق وأصلي وأعتق من الذي صنعت مخافة كلامي الذي تكلمت به يومئذ. حتى رجوت أن يكون خيرا" (Ahmad, 18910). "قال الزهري: قال عمر: "فعملت لذلك أعمالا" (al-Bukhârî, 2581).

Shâh Waliyyullâh souligne la différence entre ce commentaire de Omar à propos de la remarque qu'il fit ici au Prophète, et son commentaire à propos de la remarque qu'il fit à l'occasion de la prière funéraire sur Abdullâh ibn Ubayy (et que nous allons voir en 2.1.2) (Hujjat ullâh il-bâligha, 2/264).

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----- 2.1.2) Soit le ijtihâd fait par le Prophète était effectivement un ijtihâd de type B.B.B ("quelque chose de maslahî, à quoi il donnait seulement tarjîh"). Et, alors :

------- soit le Prophète maintenait ce qu'il avait pensé, car le propos du Compagnon ne parvenait pas à infléchir son tarjîh précédent, et il n'y avait pas non de plus un 'âridh (tel une situation où il fallait tenir compte du souhait de ses hommes) qui l'aurait fait ne pas appliquer ce tarjîh précédent ;
------- soit le propos du Compagnon le convainquait, et le Prophète abandonnait alors son tarjîh précédent pour adopter le tarjîh de ce que le Compagnon proposait ;
------- soit, plus rarement, Dieu envoyait une révélation au Prophète qui allait dans le sens de ce que le Compagnon avait proposé...

Les récits suivants peuvent être rattachés à ce cas 2.1.2...

--- Lors de sa dernière maladie, le jeudi, le Prophète dit : "Apportez-moi (un support), que je fasse écrire un écrit après lequel vous ne dévierez jamais".
Or un désaccord quant à ce qu'il fallait faire se produisit alors chez les Compagnons présents dans l'appartement du Prophète :
----- Certains dirent : "Qu'a-t-il ? Aurait-il déliré ? Demandez-lui bien !"
----- Omar ibn ul-Khattâb dit pour sa part : "Le Messager de Dieu est malade. Et vous avez déjà le Coran. Le Livre de Dieu nous suffit."
----- D'autres dirent : "Amenez (un support), qu'il fasse écrire un écrit après lequel vous ne dévierez pas !"
Les voix s'élevèrent.
Lorsque beaucoup de bruit eut été fait de la sorte, le Prophète dit : "Levez-vous d'auprès de moi ! Il ne convient pas de se disputer auprès de moi. Laissez-moi, ce en quoi je suis est meilleur que ce à quoi vous m'appelez" (al-Bukhârî, 114, 4168, 4169, Muslim, 1637).
"عن ابن عباس، قال: لما اشتد بالنبي صلى الله عليه وسلم وجعه قال: "ائتوني بكتاب أكتب لكم كتابا لا تضلوا بعده." قال عمر: "إن النبي صلى الله عليه وسلم غلبه الوجع، وعندنا كتاب الله، حسبنا!" فاختلفوا وكثر اللغط، قال: "قوموا عني، ولا ينبغي عندي التنازع." فخرج ابن عباس يقول: "إن الرزية كل الرزية ما حال بين رسول الله صلى الله عليه وسلم وبين كتابه" (al-Bukhârî, 114).
"عن سعيد بن جبير، قال: قال ابن عباس: يوم الخميس! وما يوم الخميس؟ اشتد برسول الله صلى الله عليه وسلم وجعه، فقال: "ائتوني أكتب لكم كتابا لن تضلوا بعده أبدا." فتنازعوا ولا ينبغي عند نبي تنازع، فقالوا: "ما شأنه، أهجر؟ استفهموه!" فذهبوا يردون عليه، فقال: "دعوني، فالذي أنا فيه خير مما تدعوني إليه." وأوصاهم بثلاث، قال: "أخرجوا المشركين من جزيرة العرب، وأجيزوا الوفد بنحو ما كنت أجيزهم"، وسكت عن الثالثة أو قال فنسيتها" (al-Bukhârî, 4168).
"عن ابن عباس رضي الله عنهما، قال: لما حضر رسول الله صلى الله عليه وسلم وفي البيت رجال، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "هلموا أكتب لكم كتابا لا تضلوا بعده." فقال بعضهم: "إن رسول الله صلى الله عليه وسلم قد غلبه الوجع، وعندكم القرآن، حسبنا كتاب الله!" فاختلف أهل البيت واختصموا، فمنهم من يقول: "قربوا يكتب لكم كتابا لا تضلوا بعده"، ومنهم من يقول غير ذلك. فلما أكثروا اللغو والاختلاف، قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "قوموا!" قال عبيد الله، فكان يقول ابن عباس: "إن الرزية كل الرزية ما حال بين رسول الله صلى الله عليه وسلم وبين أن يكتب لهم ذلك الكتاب، لاختلافهم ولغطهم" (al-Bukhârî, 4169).

Il s'agissait peut-être des points principaux sur lesquels les groupes déviants ont trébuché ("أو أراد أن يكتب كتابا يبين فيه طريق الفرقة الناجية، ويفصل فيه أحوال الفرق الضالة من المعتزلة والخوارج والرافضة وسائر المبتدعة" : Mirqât ul-mafâtîh). Et/ ou (FB 1/276) des noms des califes après le Prophète ; il aurait alors fait écrire que Abû Bakr serait son premier successeur (ce qu'il avait eu l'intention de le faire au tout début de sa maladie), mais aussi des successeurs après lui (c'est une autre possibilité que 'Alî al-qârî évoque, allant cependant jusqu'à proposer qu'il se serait alors agi de tous les dirigeants jusqu'à al-Mahdî).

En fait :
----- ce qui a étonné le premier groupe et l'a amené à se demander si le Prophète n'aurait pas déliré, c'est que le Prophète avait toujours dit que le Coran et la Sunna suffisent pour ne jamais dévier. Mais ils ne refusaient pas son ordre, vu qu'ils disaient : "Demandez-lui bien !" Ils voulaient seulement vérifier qu'il voulait bien qu'on apporte un écrit.
----- Omar ibn ul-Khattâb raisonnait pour sa part comme suit : "Le Coran [ce qui inclut son nécessaire complément, la Sunna] est déjà suffisant pour ne pas dévier. Quant à cet écrit, il aurait été "un plus", mais, vu la circonstance - le Prophète était souffrant -, il valait mieux ne pas fatiguer celui-ci davantage" (FB 1/276 ; 8/168) ;
----- les autres demandaient à ce qu'on exécute l'ordre du Prophète sans plus discuter.

- Si le Prophète avait en lui la décision ferme et catégorique (jazm) (degré "4" ou "5") de faire écrire cela, il n'aurait pas abandonné, malgré le désaccord qui éclata à ce sujet entre certains Compagnons, de faire amener un support et de dicter ce qu'il avait pensé dicter (FB 1/276 ; 8/169).
- Mais il ne le fit pas. Il n'y avait donc pas, même avant l'expression de leur désaccord, eu jazm, mais seulement tarjîh de sa part quant au fait de faire écrire ce papier. Et après l'expression de leur désaccord, s'il ne demanda plus de mettre à exécution ce tarjîh, peut-être pensait-il toujours que faire écrire cela était Râjih (il maintenait donc ce qu'il avait pensé d'abord) ("ويحتمل أن يكون المعنى فإن امتناعي من أن أكتب لكم خير مما تدعونني إليه من الكتابة. قلت: ويحتمل عكسه أي الذي أشرت عليكم به من الكتابة خير مما تدعونني إليه من عدمها؛ بل هذا هو الظاهر" : FB 8/168) ; mais, ayant constaté leur désaccord, il ne le fit pas faire li 'âridh.
Ici, ce fut cependant avec un léger mécontentement (qui transparaît dans ce qu'il dit alors) :
------- soit parce que le caractère Râjih était plus accentué que dans d'autres cas ;
------- soit par rapport à leur désaccord, avec élévation de voix, en sa présence par rapport à son hukm.

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--- En l'an 3 de l'hégire, lorsque les Mecquois étaient sur le point d'arriver aux portes de Médine, le Prophète (sur lui soit la paix) consulta (mashûra) ses Compagnons quant à ce qu'il fallait faire. Il présenta la préférence qu'il avait : ne pas aller rencontrer l'ennemi mais la protéger ville en se barricadant. C'était ainsi qu'il voulait empêcher l'invasion. Il avait vu en rêve que c'est comme s'il se trouvait dans une armure solide et avait vu des bovins être égorgés. Il interprétait alors l'armure comme représentant Médine (Fat'h ul-bârî 13/417). L'avis qu'il émettait lors de cette consultation (mashûra) était donc la tarjîh de se barricader à Médine et d'attendre que l'ennemi s'en aille.
- Mais un grand nombre de Compagnons (surtout ceux qui n'avaient pas participé à Badr l'an précédent) insistèrent pour aller à la rencontre de l'ennemi et lui livrer bataille.
- Suite à l'insistance de ces hommes, et vu que c'était une consultation (mashûra), le Prophète délaissa l'application de sa tarjîh pour appliquer l'avis de ce grand nombre de personnes. Il rentra donc chez lui pour se préparer et revêtir sa tenue (voir Zâd ul-ma'âd 3/193).
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Entre-temps, ces Compagnons regrettèrent d'avoir contredit ce que le Prophète jugeait plus sage, et, quand celui-ci ressortit de chez lui, ils lui dirent : "Messager de Dieu, reste [= restons] (ici) ! Car l'avis à retenir est ton avis !" (FB 13/417).
- Mais le Prophète leur dit alors que, une fois que le dirigeant avait pris la décision d'avoir recours (pour repousser l'attaquant) à l'option de la rencontre avec celui-ci et qu'il avait revêtu la tenue appropriée, il n'était plus possible, shar'an, de revenir à l'autre option : se barricader et attendre que l'attaquant s'en aille. En fait cela était comparable au fait qu'une personne sur qui le pèlerinage n'était pas obligatoire, une fois qu'elle avait fait l'intention d'aller en pèlerinage et avait revêtu la tenue appropriée, il ne lui était plus possible de revenir en arrière (Zâd ul-ma'âd 3/211, Majmû' ul-fatâwâ 14/251).
On voit ici le Prophète appliquer le contraire de l'avis pour lequel il avait du tarjîh (avis qui reposait sur son interprétation - ta'bîr - de son rêve, laquelle interprétation était zannî). Cela car l'autre avis d'une part "tenait lui aussi la route" (bien que marjûh dans son esprit) et d'autre part était celui d'un grand nombre de ses hommes. Le Prophète appliqua alors cet autre avis, parce que c'est ainsi que doit être le bon chef lors d'une consultation. Ici, ce fut donc li 'âridh (tenir compte du souhait de ses hommes) qu'il abandonna l'application de l'avis qui lui paraissait râjih, et qu'il adopta le tarjîh de ce que ces Compagnons lui proposèrent.
Par la suite il ne put plus adopter son premier avis, auquel ses Compagnons étaient revenus, parce que cela aurait, cette fois, contredit une règle ta'abbudî.

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--- Lors du siège de la forteresse de at-Tâ'ïf, en l'an 8, au bout d'un moment, le Prophète dit à ses hommes : "Nous allons lever le camp demain inshâ Allâh".
Mais ses Compagnons insistèrent pour poursuivre le siège.
Le Prophète accepta donc.
Le lendemain, il y eut de nombreux blessés parmi eux. Cette fois, quand le Prophète dit : "Nous allons lever le camp", personne ne proposa plus autre chose, ce qui fit sourire le Prophète.
"عن عبد الله بن عمر، قال: لما حاصر رسول الله صلى الله عليه وسلم الطائف، فلم ينل منهم شيئا، قال: "إنا قافلون إن شاء الله." فثقل عليهم، وقالوا: نذهب ولا نفتحه! وقال مرة: نقفل. فقال: "اغدوا على القتال." فغدوا فأصابهم جراح، فقال: "إنا قافلون غدا إن شاء الله"، فأعجبهم. فضحك النبي صلى الله عليه وسلم؛ وقال سفيان مرة: فتبسم" (al-Bukhârî, 4070, 5736, Muslim, 1778).
On voit ici le Prophète appliquer le contraire de l'avis pour lequel il avait du tarjîh. Cela car l'autre avis d'une part "tenait lui aussi la route" (bien que marjûh dans son esprit) et d'autre part était celui d'un grand nombre de ses hommes. Le Prophète appliqua alors cet autre avis, parce que c'est ainsi que doit être le bon chef lors d'une consultation : il doit tenir compte des souhaits de ses hommes tant que cela ne contredit aucune règle ta'abbudî. Ici encore, ce fut li 'âridh (tenir compte du souhait de ses hommes) qu'il abandonna l'application de l'avis qui lui paraissait râjih, et qu'il adopta le tarjîh de ce que ces Compagnons lui proposèrent.

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---  'Amr ibn 'Abassa était venu rencontrer le Prophète à la Mecque. L'ayant questionné et s'étant converti à l'islam, il lui dit : "Je vais rester avec toi. Tu ne le pourras pas maintenant ; ne vois-tu ma situation et ce que font les gens ? Mais retourne auprès des tiens, puis, lorsque tu auras entendu que j'ai émergé, rejoins-moi". C'est ce que 'Amr fit : il retourna auprès des siens. Plus tard, ayant appris que l'islam avait émergé suite à l'émigration du Prophète à Médine, il alla l'y rejoindre (Muslim, 832).
Or Abû Dharr était lui aussi venu rencontrer le Prophète à la Mecque pour s'enquérir de ce qu'il enseignait. L'ayant entendu, il embrassa l'islam. Le Prophète lui dit : "Cache cette affaire [= ta conversion] [par rapport aux gens de la Mecque] et retourne dans ta ville ; lorsque la nouvelle de notre émergence te sera parvenue, reviens". Mais Abû Dharr [comprenant qu'il ne s'agissait pas d'un impératif catégorique : Fat'h ul-bârî 7/221,] dit : "Par Dieu, je le proclamerai parmi eux !". L'eut-il annoncé sur la place publique à la Mecque qu'il fut battu férocement, au point où il serait mort sous les coups des Mecquois si al-'Abbâs n'était pas intervenu (al-Bukhârî, 3328).
Ici la sagesse se trouvait bien dans ce que le Prophète avait dit de faire. Cela n'était pas un impératif catégorique, mais restait Râjih.

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--- Lors du voyage pour Tabûk, en l'an 9, les vivres venant à manquer, des Compagnons vinrent demander au Prophète l'autorisation d'abattre des chameaux destinés au transport d'eau ; le Prophète leur donna alors cette autorisation. Quand Omar apprit cela, il vint trouver le Prophète et lui dit que les montures étaient le moyen de locomotion pendant le voyage et pour faire face à l'ennemi : "Messager de Dieu, demande plutôt que tout le monde apporte les miettes de vivres qui leur restent, et invoque Dieu de les bénir". Le Prophète se rangea alors à l'avis de Omar (Ahmad, Muslim n° 27).
Voici une des versions de Muslim : "عن أبي هريرة أو عن أبي سعيد - شك الأعمش - قال: لما كان غزوة تبوك أصاب الناس مجاعة، قالوا: يا رسول الله، لو أذنت لنا فنحرنا نواضحنا، فأكلنا وادهنا. فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "افعلوا!" قال: فجاء عمر، فقال: "يا رسول الله، إن فعلت قل الظهر، ولكن ادعهم بفضل أزوادهم، ثم ادع الله لهم عليها بالبركة، لعل الله أن يجعل في ذلك" (Muslim, 27).
Voici une autre version de Muslim  : "عن أبي هريرة، قال: كنا مع النبي صلى الله عليه وسلم في مسير، قال: فنفدت أزواد القوم، قال: حتى هم بنحر بعض حمائلهم، قال: فقال عمر: "يا رسول الله، لو جمعت ما بقي من أزواد القوم، فدعوت الله عليه." قال: ففعل، قال: فجاء ذو البر ببره، وذو التمر بتمره، قال: وقال مجاهد: وذو النواة بنواه، قلت: وما كانوا يصنعون بالنوى؟ قال: كانوا يمصونه ويشربون عليه الماء. قال: فدعا عليها قال حتى ملأ القوم أزودتهم، قال: فقال عند ذلك: أشهد أن لا إله إلا الله، وأني رسول الله، لا يلقى الله بهما عبد غير شاك فيهما، إلا دخل الجنة" (Muslim, 27).
Et voici la version de Ahmad : "عن أبي سعيد، أو عن أبي هريرة، - شك الأعمش - قال: لما كان غزوة تبوك أصاب الناس مجاعة، فقالوا: يا رسول الله لو أذنت لنا فنحرنا نواضحنا فأكلنا وادهنا، فقال لهم رسول الله صلى الله عليه وسلم: "افعلوا." فجاء عمر فقال : "يا رسول الله إنهم إن يفعلوا، قل الظهر! ولكن ادعهم بفضل أزوادهم، ثم ادع لهم عليه بالبركة لعل الله أن يجعل في ذلك." فدعا رسول الله صلى الله عليه وسلم بنطع فبسطه، ثم دعاهم بفضل أزوادهم، فجعل الرجل يجيء بكف الذرة، والآخر بكف التمر، والآخر بالكسرة حتى اجتمع على النطع من ذلك شيء يسير، ثم دعا عليه بالبركة، ثم قال لهم : "خذوا في أوعيتكم"، قال: فأخذوا في أوعيتهم حتى ما تركوا في العسكر وعاء إلا ملئوه، وأكلوا حتى شبعوا وفضلت منه فضلة، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: " أشهد أن لا إله إلا الله وأني رسول الله لا يلقى الله بها عبد غير شاك فتحجب عنه الجنة" (Ahmad, 11080).

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--- Bloqué à al-Hudaybiya, en l'an 6 de l'hégire, alors qu'il projetait seulement de se rendre en petit pèlerinage à la Kaaba, à la Mecque, le Prophète demanda à Omar de se rendre auprès des Quraysh pour parlementer avec eux et leur expliquer la teneur de la venue des musulmans. Mais Omar lui dit : "Messager de Dieu, je crains les Qurayshites à mon égard : il n'y a personne de mon clan Banû 'Adî qui me protègerait ; et les Qurayshites connaissent l'inimitié ainsi que la dureté que j'ai à leur égard. Mais je vais t'indiquer un homme qui est plus honoré que moi : Uthman ibn 'Affân". Le Prophète envoya alors appeler celui-ci et l'envoya à la Mecque : "قال: وقد كان رسول الله صلى الله عليه وسلم قبل ذلك بعث خراش بن أمية الخزاعي إلى مكة، وحمله على جمل له يقال له: الثعلب، فلما دخل مكة عقرت به قريش، وأرادوا قتل خراش، فمنعهم الأحابيش حتى أتى رسول الله صلى الله عليه وسلم. فدعا عمر ليبعثه إلى مكة، فقال: يا رسول الله، إني أخاف قريشا على نفسي، وليس بها من بني عدي أحد يمنعني، وقد عرفت قريش عداوتي إياها وغلظتي عليها، ولكن أدلك على رجل هو أعز مني عثمان بن عفان. قال: فدعاه رسول الله صلى الله عليه وسلم، فبعثه إلى قريش يخبرهم أنه لم يأت لحرب، وأنه جاء زائرا لهذا البيت، معظما لحرمته، فخرج عثمان حتى أتى مكة، ولقيه أبان بن سعيد بن العاص، فنزل عن دابته وحمله بين يديه، وردف خلفه، وأجاره حتى بلغ رسالة رسول الله صلى الله عليه وسلم، فانطلق عثمان حتى أتى أبا سفيان وعظماء قريش، فبلغهم عن رسول الله صلى الله عليه وسلم ما أرسله به، فقالوا لعثمان: إن شئت أن تطوف بالبيت، فطف به. فقال: ما كنت لأفعل حتى يطوف به رسول الله صلى الله عليه وسلم. قال: فاحتبسته قريش عندها. فبلغ رسول الله صلى الله عليه وسلم والمسلمين أن عثمان قد قتل" (Ahmad, n° 18910).

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--- Quand le chef des Hypocrites, Abdullâh ibn Ubayy Ibn Salûl, mourut, son fils, qui était un croyant sincère, vint trouver le Prophète et lui demanda d'accomplir la prière funéraire et d'invoquer le Pardon divin pour son père. Comme le Prophète accepta et s'avançait pour le faire, Omar s'interposa et dit : "Messager de Dieu, vas-tu prier pour Abdullâh ibn Ubayy alors que tel jour il avait dit telle chose" (citant de ses propos). Le Prophète sourit et dit : "Cesse (ta parole), Omar". Mais Omar insista et insista. Le Prophète dit alors : "Dieu m'a donné le choix et j'ai fait le choix [cf. Coran 9/80]. Et si je savais que, à demander plus de soixante-dix fois pardon pour lui, le pardon lui serait accordé, je le ferais". Le Prophète accomplit alors la prière funéraire.
Mais peu de temps passa que Dieu lui révéla : "Et n'accomplis jamais la prière sur l'un d'entre eux qui est mort, ni ne te tiens sur sa tombe…." [Coran 9/84].
Omar ajoute : "Je ne cessais, par la suite, d'être étonné du culot que j'ai eu devant le Messager de Dieu. (Mais) Dieu et Son Messager savent mieux" (al-Bukhârî, n° 4394).

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--- A la faveur de la bataille de Badr (an 2 de l'hégire), il y eut parmi 70 ennemis mecquois capturés (Muslim 1763). Le Prophète (sur lui soit la paix) consulta alors des Compagnons quant à savoir que faire vis-à-vis des captifs. Abû Bakr fut d'avis de les libérer contre rançon ; Omar ibn ul-Khattâb proposa qu'il soient exécutés ("قال ابن عباس: فلما أسروا الأسارى، قال رسول الله صلى الله عليه وسلم لأبي بكر، وعمر: "ما ترون في هؤلاء الأسارى؟" فقال أبو بكر: "يا نبي الله، هم بنو العم والعشيرة، أرى أن تأخذ منهم فدية فتكون لنا قوة على الكفار، فعسى الله أن يهديهم للإسلام." فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ما ترى يا ابن الخطاب؟" قلت: "لا والله يا رسول الله، ما أرى الذي رأى أبو بكر، ولكني أرى أن تمكنا فنضرب أعناقهم، فتمكن عليا من عقيل فيضرب عنقه، وتمكني من فلان نسيبا لعمر، فأضرب عنقه، فإن هؤلاء أئمة الكفر وصناديدها." فهوي رسول الله صلى الله عليه وسلم ما قال أبو بكر، ولم يهو ما قلت. فلما كان من الغد جئت، فإذا رسول الله صلى الله عليه وسلم وأبو بكر قاعدين يبكيان، قلت: "يا رسول الله، أخبرني من أي شيء تبكي أنت وصاحبك؟ فإن وجدت بكاء بكيت، وإن لم أجد بكاء تباكيت لبكائكما." فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أبكي للذي عرض علي أصحابك من أخذهم الفداء، لقد عرض علي عذابهم أدنى من هذه الشجرة" - شجرة قريبة من نبي الله صلى الله عليه وسلم - وأنزل الله عز وجل: {ما كان لنبي أن يكون له أسرى حتى يثخن في الأرض} إلى قوله {فكلوا مما غنمتم حلالا طيبا} فأحل الله الغنيمة لهم" : Muslim 1763).
----- L'argument de Abû Bakr était primo que, la victoire étant déjà acquise contre l'ennemi, ce qui serait plus profitable aux musulmans serait d'obtenir une rançon, dont il pourrait tirer profit ("qad a'tâka-dh-dhafara wa nassaraka 'alayhim, fa fâdihim fa yakûna 'awnan li as'hâbika" : Ad-Durr ul-manthûr, 3/364) ; secundo qu'un jour Dieu guiderait peut-être ceux qui seraient ainsi libérés ("la'alallâha an yatûba 'alayhim" : Ibid.) ; tertio qu'ils restaient malgré tout de sa parenté ("qawmuka wa ahluka" : Ibid.) (la première et la troisième raisons ont également été rapportées par Muslim, 1763).
----- L'argument de Omar ibn ul-Khattâb était que c'était un groupe qui avaient été, eux, sans pitié pour le Prophète ("kadhdhabûka wa akhrajûka wa qâtalûka") (Ibid., 3/365), et qu'ils étaient des suppôts du kufr ("aïmmat ul-kufr wa sanâdîduhâ" : Muslim 1763).
- Le Prophète compara la posture de Abû Bakr à celle des prophètes Abraham et de Jésus, et celle de Omar ibn ul-Khattâb à celle des prophètes Noé et de Moïse (sur eux tous soit la paix) (Ibid. 3/365). D'après une autre relation, il compara aussi les deux postures à celle de l'ange Michel et à celle de l'ange Gabriel respectivement (sur eux soit la paix) (Ibid. 3/366).
- Puis le Prophète donna préférence à l'avis de Abû Bakr, et le mit en pratique : il opta pour la libération des captifs contre rançon (exception faite des captifs qui n'avaient pas de quoi payer une rançon : eux seraient libérés sans contrepartie : Sîrat Ibn Hishâm 1/233).
- Les versets suivants furent alors révélés : "Un prophète n'a pas à faire de prisonniers tant qu'il n'a pas affaibli (l'ennemi) sur terre. Vous vouliez le bien (matériel) d'ici-bas, et Dieu veut [pour vous] [l'action qui confère la réussite dans] l'au-delà. Et Dieu est Puissant, Sage. N'était une décision de la part de Dieu déjà passée, un châtiment énorme vous aurait touché pour ce que vous avez pris" (Coran 8/67-68 : le terme "ithkhân" a plusieurs sens, dont celui d'"affaiblir". Ces versets furent insérés dans la sourate Al-Anfâl (sourate 8 du Coran).

Quant au verset de la sourate Muhammad, le 47/4, qui dit explicitement au Prophète de ne faire de prisonniers qu'une fois que l'ennemi a été affaibli, d'après un avis, il fut révélé plus tard, après ces versets de la sourate Al-Anfâl, en tant que rappel. Et d'après l'autre avis, il avait déjà été révélé avant cet événement ; simplement le Prophète pensait que le ithkhân requis avait déjà été réalisé, or il ne l'avait pas été à un niveau suffisant, et c'est pourquoi Dieu intervint par les versets 8/67-68, pour dire qu'il y avait eu une khata' ijtihâdî qat'î dans l'application concrète (wâqi') du hukm.

C'est à cet événement que, plus tard, Omar ibn ul-Khattâb faisait allusion quand, énumérant les choses par rapport auxquelles, disait-il, "j'ai abondé dans le sens de mon Dieu", il citait : "les captifs de Badr" (Muslim 2399 ; voir aussi Fat'h ul-bârî 1/654-655).

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--- 2.2) et ce, parce que ce Compagnon a pensé que le Prophète avait dit là quelque chose lié à son état d'humain, et non de Prophète (ta'abbudî) ni de Chef (maslahî) (or ce Compagnon se trompait : il s'agissait d'un impératif maslahî, et il y avait jazm). Dans ce cas, le Prophète a exprimé un léger agacement :

--- Lors de dernière maladie, alors qu'il était encore dans la maison de Meymûna (FB 8/185), un jour, des Epouses ainsi que des Compagnons présents au chevet du Prophète (sur lui soit la paix) voulurent lui faire absorber un remède par les coins de la bouche (ladûd). Le Prophète, ne pouvant alors pas parler tellement il était faible, leur fit signe de ne pas le faire. Ils dirent : "(Ce n'est là que) aversion de tout malade pour le remède !" Et ils le lui firent avaler quand même. Plus tard, le Prophète leur reprocha cela : "Ne vous avais-je pas défendu de me faire prendre (ce remède) par le coin de la bouche ?". Ils dirent : "(Simple) aversion pour le remède !" Il dit alors : "A l'exception de al-Abbâs, que personne parmi vous ne reste à qui on ne fasse prendre ce remède par les coins de la bouche !"
"عن عائشة: لددنا رسول الله صلى الله عليه وسلم في مرضه، وجعل يشير إلينا: "لا تلدوني." قال: فقلنا: "كراهية المريض بالدواء." فلما أفاق قال: "ألم أنهكم أن تلدوني؟" قال: قلنا: "كراهية للدواء!" فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لا يبقى منكم أحد إلا لد وأنا أنظر إلا العباس، فإنه لم يشهدكم" (al-Bukhârî, 6501, Muslim).
En fait ils pensaient que le Prophète souffrait de pleurésie, mais le Prophète leur dit que Dieu ne lui infligerait pas cette maladie-là. Et ce fut pour leur reprocher de n'avoir pas obtempéré à sa demande qu'il leur fit absorber ce remède, de la même façon (FB 8/185).

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--- Toujours dans sa dernière maladie, le Prophète (sur lui soit la paix) ordonna qu'on dise à Abû Bakr de diriger les prières rituelles dans sa mosquée.
Mais Aïcha pensa que des gens tireraient mauvais augure pas la personne prenant la place du Prophète ; elle souhaitait que ce soit donc un autre que son père, Abû Bakr, qui dirige les prières. Mais elle avança une autre raison : "Abû Bakr, dit elle, est un homme au coeur tellement tendre que lorsqu'il se tiendra debout à ta place, il pleurera tellement que les fidèles ne pourront même pas entendre sa voix récitant le Coran."
Cependant, le Prophète réitéra son ordre.
Aïcha insista elle aussi.
Le Prophète dit alors : "Vous êtes (comme) les femmes de l'époque de Joseph ! Ordonnez à Abû Bakr, qu'il dirige la prière pour les gens !" (al-Bukhârî).

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--- Quelle différence y eut-il entre les propos de Mu'tib ibn Qushayr et Dhu-l-Khuwayssira (relatés en 1), et le propos de certains Compagnons (relaté en 2.1.2), les deux ayant consisté en une objection à ce que le Prophète fit ? "فإن قيل: فما الفرق بين قول هؤلاء اللامزين في كونه نفاقا موجبا للكفر (...) حتى صار جنس هذا القائل شر الخلق، وبين ما ذكر من موجدة قريش والأنصار؟" (As-Sârim, p. 189)

"Il n'a été dit, dans les propos de ces croyants, ni que le Prophète a été injuste ou a pu l'être, ni qu'il a fait preuve de favoritisme dans le partage, ni qu'il n'a pas été sincère vis-à-vis de Dieu, comme l'ont dit par contre les hypocrites. La plupart des Quraysh et des Ansâr n'ont d'ailleurs rien dit. Seuls certains jeunes parmi entre eux ont tenu ces propos. En fait ils savaient que le Prophète partageait ces recettes selon ce qui constitue l'intérêt de l'islam. Où se trouve la maslaha de l'islam dans une situation donnée, parfois le Prophète savait cela par révélation divine, parfois par sa réflexion personnelle. Ces Compagnons ont donc pensé qu'il était possible que si le Prophète a procédé à ce partage de cette façon, c'était sur la base d'une réflexion personnelle [cas de figure cité ici en B.B.B]. Or il arrivait qu'ils discutent avec lui à propos de certaines de ces réflexions personnelles"
"قيل: إن أحدا من المؤمنين من قريش والأنصار وغيرهم لم يكن في شيء من كلامه تجوير لرسول الله صلى الله عليه وسلم ولا تجويز ذلك عليه ولا اتهام له أنه حابى في القسمة لهوى النفس وطلب الملك ولا نسبة له إلى أنه لم يرد بالقسمة وجه الله تعالى ونحو ذلك مما جاء مثله في كلام المنافقين. وذوو الرأي من القبيلتين وهم الجمهور لم يتكلموا بشيء أصلا بل قد رضوا ما آتاهم الله ورسوله وقالوا: "حسبنا الله سيؤتينا الله من فضله ورسوله"، كما قالت فقهاء الأنصار: "أما ذوو رأينا فلم يقولوا شيئا". وأما الذين تكلموا من أحداث الأسنان ونحوهم فرأوا أن النبي صلى الله عليه وسلم إنما يقسم المال لمصالح الإسلام ولا يضعه في محل إلا لأن وضعه فيه أولى من وضعه في غيره. هذا مما لا يشكون فيه. وكان العلم بجهة المصلحة قد تنال بالوحي، وقد تنال بالاجتهاد. ولم يكونوا علموا أن ذلك مما فعله النبي صلى الله عليه وسلم وقال: أنه بوحي من الله (فإن من كره ذلك أو اعترض عليه بعد أن يقول ذلك فهو كافر مكذب)، وجوزوا أن يكون قسمه اجتهادا.
وكانوا يراجعونه بالاجتهاد في الأمور الدنيوية المتعلقة بمصالح الدين؛ وهو باب يجوز له العمل فيه باجتهاده باتفاق الأمة. وربما سألوه عن الأمر لا لمراجعته فيه لكن ليتثبتوا وجهه ويتفقهوا في سننه ويعلموا علته"
(As-Sârim, pp. 190-191).

Certaines versions relatent d'ailleurs que les quelques Ansârites qui avaient parlé avaient dit : "Nous voudrions savoir la cause de cela : si cela vient de Dieu, nous ferons preuve d'abnégation ; et si cela vient d'un avis personnel du Prophète, nous lui en parlerons" (cité dans As-Sârim, p. 193).

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Deux autres cas :

3) L'objection qu'un Compagnon fait parce qu'il recherche sincèrement une clarification quant à un point ta'abbudî qu'il n'a pas compris et cherche avec humilité à comprendre :

--- Le Prophète dit un jour : "J'ai l'espoir que inshâ Allâh aucun de ceux qui ont participé à Badr et à al-Hudaybiya n'ira en enfer". Hafsa dit alors : "Messager de Dieu, Dieu n'a-t-il pas dit : "Chacun d'entre vous se rendra sur l'enfer ; c'est une décision ferme que ton Seigneur a pris" [Coran] ? (Oui mais) ne L'as-tu pas entendu (aussi) dire (ensuite) : "Puis Nous en sauverons ceux qui auront été pieux et y laisserons les injustes à genoux" ?" (Ibn Mâja, n° 4281).

--- Ibn Abî Mulayka relate : "Chaque fois que Aïcha, épouse du Prophète, entendait quelque chose qu'elle ne comprenait pas, elle y revenait jusqu'à comprendre" (al-Bukhârî, n° 103).

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4) Le fait qu'un Compagnon décline l'offre du Prophète parce qu'il s'estime indigne de la marque d'honneur que le Prophète voulait lui conférer (As-Sârim, p. 198) :

--- Le Prophète s'était un jour rendu à Qubâ pour réconcilier deux groupes de musulmans qui s'étaient violemment disputés. N'étant pas rentré alors que l'heure d'une prière était arrivée, Bilâl vint demander à Abû Bakr de diriger la prière. Ce que celui-ci fit. Le Prophète arriva pendant que Abû Bakr dirigeait la prière. Les personnes présentent firent alors comprendre à Abû Bakr, en donnant des petites tapes sur leurs mains, que le Prophète était de retour. Le Prophète fit signe à Abû Bakr de continuer à diriger la prière, mais Abû Bakr recula pour lui laisser la place. Après la fin de la prière, le Prophète dit : "Qu'est-ce qui t'a empêché de rester à ta place quand je te l'avais ordonné ?" Abû Bakr répondit : "Il ne convient pas que le fils de Abû Quhâfa [= moi] dirige une prière devant le Messager de Dieu" (al-Bukhârî, n° 652, Muslim, n° 421).

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Un autre cas encore :

5) Le cas de la pluralité d'interprétations d'une parole du Prophète :

Si nous citons ici ce cas de figure, c'est pour bien montrer que la nécessité d'accepter (taslîm) les impératifs communiqués par le Prophète n'a jamais empêché les Compagnons de s'interroger rationnellement sur leur sens et d'en réaliser parfois des interprétations différentes.

Ainsi, après la bataille du Fossé, le Prophète (sur lui soit la paix) déclara : "Que personne n’accomplisse la salât de ‘asr sauf chez les Banû Qurayza". Les Compagnons se mirent donc en route vers le lieu indiqué. L’heure de 'asr survint cependant tandis qu’un certain nombre de Compagnons étaient encore en chemin. Parmi eux, un groupe déclara alors : "Nous n’accomplirons la prière que là où le Prophète nous a ordonné de le faire, l’heure légale dût-elle nous manquer" Un autre groupe déclara : "Nous allons accomplir la prière, ce n’est pas cela qu’il a voulu de nous". Ceci fut rapporté au Prophète. Il ne fit alors de reproche à aucun des deux groupes. (Ce récit est rapporté par al-Bukhârî, 904, 3893, Muslim, 1770, qui évoque la prière de zuhr au lieu de celle de 'asr ; voir également les autres versions citées dans Fat'h ul-bârî 7/510-511).

Ibn ul-Qayyim écrit que ceci ne veut pas dire que le Prophète a considéré que les deux interprétations étaient justes : au contraire, une seule de ces deux interprétations est correcte (Zâd ul-ma'âd, 3/131). Ce qui s'est passé c'est que le Prophète a, de par sa profonde et fine intelligence, compris immédiatement et intuitivement les argumentations des deux parties ; et, dans sa sagesse, il n'a reproché aucun des deux efforts d'interprétation. L'approbation du Prophète traduit ici une approbation de l'effort d'interprétation de son propos ainsi que le fait que les arguments de chacune des deux parties "tient la route" (zannî), et non pas que les deux avis sont corrects.

Ibn ul-Qayyim écrit également : "Les ulémas ont des avis divergents à propos de savoir lequel des avis de ces deux groupes était correct ?"
Décrivant ensuite les positions des deux groupes, il dit du premier groupe de gens que s'ils ont agi comme ils l'ont fait, c'est "par délaissement de toute interprétation (ta'wîl) différente du sens littéral (az-zâhir)". Et du second qu'"ils ont été jusqu'à la (recherche de la) compréhension de ce que le texte voulait d'eux" (Zâd ul-ma'âd, 3/131).
Ibn ul-Qayyim écrit encore des premiers qu'"ils ont pris en considération le sens littéral (az-zâhir)" et des seconds qu'"ils ont pris en considération le sens (al-ma'nâ) [également]". Il conclut : "Ces Compagnons-ci sont les prédécesseurs des ulémas qui prennent le sens littéral (ahl uz-zâhir), ceux-là les prédécesseurs des ulémas qui penchent pour la prise en compte de l'objectif et le raisonnement par analogie (ahl ul-ma'nâ wa-l-qiyâs)" (A'lâm ul-muwaqqi'în, 1/155-156).

An-Nawawî a écrit des propos très voisins (Shar'h Muslim, 12/98).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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