"Comment est-il imaginable que Dieu abroge une règle qu'Il avait Lui-même communiquée auparavant à un autre Messager ?"

Question :

Vous dites que le Coran, la Torah et l'Évangile ont une seule et même origine, à savoir Dieu.
Cela signifierait donc que Dieu aurait communiqué des enseignements à des hommes par l'intermédiaire de certains prophètes, puis les aurait abrogés par d'autres enseignements qu'Il a révélés à d'autres prophètes ? Allons donc ! Dieu ne saurait-Il pas ce qu'Il dit ? Dieu se raviserait-Il ? Vous voyez bien que cela n'a absolument aucun sens !

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Réponse :

Rappelons tout d'abord que le concept d'abrogation d'une Loi divine communiquée à un Messager, par une nouvelle Loi divine apportée par un Messager plus récent, ne constitue aucunement un "oubli" de la part de Dieu de ce qu'Il avait révélé auparavant ; cela ne constitue pas non plus une "découverte" par Lui de ce qu'Il ne savait pas : Dieu ne S'est pas "ravisé" ("badâ'").

Ce genre d'abrogation, faite par Dieu, d'une Loi par une tout autre Loi, est dû tout simplement à deux choses :
– Dieu a institué certaines règles pour un peuple à cause d'une circonstance particulière présente chez celui-ci ; la circonstance n'étant plus présente chez le peuple recevant le nouveau Message divin, Dieu institue chez eux une règle différente ;
– d'autre part, Dieu tient compte de la progression sociale et intellectuelle de l'humanité ; or, tant que les peuples vivaient avec un sentiment très marqué de tribalisme, à cause de l'absence de véritable sentiment de culture universelle, les messages ont été délivrés uniquement à l'intention du peuple auquel appartenait le Messager et à l'intention de ceux qui étaient dans le voisinage immédiat de ce peuple ; plus tard, avec la mondialisation, un nouveau message, mondial, a été donné par Dieu (cliquez ici pour en savoir plus).

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Deux types d'"Abrogation" nous intéressent ici (cf. notre article traitant de l'abrogation, dans lequel davantage de détails sont exposés) :
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--- Sens
a) La Progressivité dans la législation : "L'Interdiction de quelque chose qui, auparavant, n'avait pas encore fait l'objet d'une réglementation ; ou la détermination de quelque chose qui, auparavant, avait été laissé à l'appréciation de chacun" (النسخ بمعنى: نزول حكم التحريم لشيء كان حكمه الجواز الأصليّ قبل ذلك، أو بمعنى: نزول حكم التعيين لشيء كان حكمه الخيرة الأصليّة قبل ذلك).
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--- Sens
b) Le Remplacement d'une règle par une nouvelle règle : "La Modification dans l'applicabilité d'une règle révélée auparavant : auparavant explicitement déclarée "licite", l'action est maintenant explicitement déclarée "illicite" ; ou vice-versa ; ou encore, auparavant explicitement déclarée "obligatoire", l'action est maintenant explicitement déclarée (totalement, ou partiellement) : "non-obligatoire" ; ou vice-versa" (النسخ بمعنى رفع الحكم المنزل قبلُ، بحيث يبدّل الوجوب بعدم الوجوب أو بعدم الجواز؛ أو الحرمة بالجواز ؛ وهكذا).

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Dans le texte de la Genèse il est clairement relaté que Dieu avait explicitement autorisé à Noé et aux hommes de son époque la consommation de tout animal et qu'Il avait explicitement interdit la consommation de sang : "Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture comme déjà l'herbe mûrissante, je vous donne tout. Toutefois vous ne mangerez pas la chair avec sa vie, c'est-à-dire son sang" (Genèse 9/3-4).

Voyez : le sang était interdit, les autres choses étant permises ("Je vous donne tout"). Nous avons bien là une Loi que Dieu avait communiquée, par l'intermédiaire de Noé, Son Messager, aux hommes se trouvant dans son entourage, et selon laquelle la consommation de tout animal était explicitement déclarée "licite"...

Or, plus tard, Dieu a, par le biais de Son autre Messager Moïse, interdit la consommation de certaines catégories d'animaux : porcs et autres (voir Lévitique 11, Deutéronome 14).

Il y a donc bien là Abrogation au sens b du terme : une Loi divine révélée à un Messager, Noé, – selon laquelle tous les animaux avaient été explicitement déclarés "licites" pour tous les humains descendants de Noé et de ses fils – est remplacée par une nouvelle Loi divine révélée à un autre Messager, Moïse, – selon laquelle un certain nombre de ces animaux sont maintenant déclarés "illicites" au moins pour certains humains descendant de Noé et de ses enfants : les fils d'Israël.

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Un exemple différent, maintenant : Jacob eut deux sœurs comme épouses en même temps (Genèse 29) : "Puis Laban dit à Jacob : "Parce que tu es mon parent, me serviras-tu pour rien ? Déclare-moi ce que tu veux comme salaire." Or, Laban avait deux filles : le nom de l'aînée était Léa, et le nom de la cadette Rachel. Léa avait les yeux délicats, mais Rachel était d'une très grande beauté. Et Jacob aimait Rachel. Il dit : "Je te servirai sept ans pour Rachel, ta fille cadette." Laban dit : "J'aime mieux te la donner à toi plutôt que de la donner à un autre homme. Reste chez moi." Ainsi Jacob servit sept années pour Rachel. Elles furent à ses yeux comme quelques jours, parce qu'il l'aimait. Ensuite Jacob dit à Laban : "Donne-moi ma femme, car mon temps (de service) est accompli, et je veux aller vers elle." Laban réunit tous les gens de l'endroit et fit un festin. Le soir, il prit sa fille Léa et l'amena vers Jacob, qui alla vers elle. Laban donna sa servante Zilpa pour servante à sa fille Léa. Le matin venu, (Jacob vit) que c'était Léa. Alors il dit à Laban : "Qu'est-ce que tu m'as fait ? N'est-ce pas pour Rachel que j'ai servi chez toi ? Pourquoi m'as-tu trompé ?" Laban dit : "Cela ne se fait pas chez nous de donner la cadette avant l'aînée. Achève la semaine avec celle-ci, et nous te donnerons aussi l'autre pour le service que tu feras encore chez moi pendant sept autres années." Jacob fit ainsi et acheva la semaine avec Léa ; puis Laban lui donna pour femme sa fille Rachel. Laban donna sa servante Bilha pour servante à sa fille Rachel. Jacob alla aussi vers Rachel, qu'il aimait plus que Léa ; et il servit encore chez Laban pendant sept autres années" (Genèse 29/15-30) ; et d'elles sont nés pas moins de 8 (sur le total des 12 fils d'Israël) : 6 fils sont nés de la première, et 2 de la seconde.

Or cela a par la suite été déclaré illicite dans la Torah : "Tu ne prendras pas la sœur de ta femme de manière à créer une rivalité, en découvrant la nudité de l'une avec celle de l'autre de son vivant" (Lévitique 18/18).

Or lorsque quelque chose est déclaré "illicite" par Dieu dans Sa Loi, ce n'est pas arbitrairement, mais bien parce qu'en soi cela constitue ou recèle quelque chose de mauvais pour l'homme (considéré soit individuellement, soit socialement).
Il y a alors ici deux possibilités :
--- Soit on dit que, à cette époque-là, être marié à deux sœurs en même temps n'était pas encore mauvais, car pas encore rendu illicite par Dieu : c'est seulement plus tard que cela a été rendu illicite par Lui, et alors cela est devenu mauvais. Alors cela implique qu'on reconnaisse qu'abrogation au sens
b il y a bien eu : ce qui, dans le passé, était licite (et donc bon) dans le regard de Dieu et a été source de bénédiction, cela a été rendu plus tard illicite (et donc mauvais) par le même Dieu, et source de malédiction : Il peut donc changer une loi, et la remplacer par son contraire.
--- Soit on dit que le fait d'être marié à deux
sœurs en même temps est quelque chose de mauvais en soi, mais Dieu ne l'avait pas encore communiqué aux fils d'Israël. Abrogation au sens
a il y a alors eu ; par contre cela implique qu'une partie des fils d'Israël est issue d'une union qui recelait quelque chose de mauvais (bien qu'on ne le savait pas encore à cette époque-là, Dieu ne l'ayant pas encore fait savoir aux hommes).

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Un autre exemple : Amran, fils de Qehat, lui-même fils de Lévi, avait épousé Jokébed, fille de Lévi, donc sa tante paternelle : "Et Amram prit pour femme Jokébed, sa tante, et elle lui enfanta Aaron et Moïse" (Exode 6/20), "Et le nom de la femme d’Amram était Jokébed, fille de Lévi, laquelle naquit à Lévi en Égypte ; et elle enfanta à Amram Aaron, Moïse et Marie, leur sœur" (Nombres 26/59).

Or Dieu a interdit pareil mariage dans la Loi donnée à Moïse : "Tu ne découvriras pas la nudité de la sœur de ton père ; elle est du sang de ton père" (Lévitique 18/12).

Auparavant ce mariage était forcément autorisé, sinon les dix générations suivantes n'auraient pas pu entrer dans l'assemblée de Dieu ("Celui qui est issu d’une union illicite n’entrera pas dans l’assemblée de l’Éternel ; même sa dixième génération n’entrera pas dans l’assemblée de l’Éternel" : Deutéronome 23/3), et Moïse lui-même aurait été touché par cette impossibilité !

On pourrait objecter à cela qu'en fait la Loi est venue seulement avec Moïse, et qu'auparavant il n'y avait pas de Loi divine du tout : il n'y a donc, dirait-on, pas eu une réelle abrogation d'une Loi divine par une autre, mais plutôt l'institution d'une Loi divine après un temps où il n'y avait pas du tout de Loi et où c'était le principe de la permission originelle qui s'appliquait. D'où une grande différence.

Or, comme nous l'avons déjà dit dans l'exemple précédent :

Lorsque Dieu déclare quelque chose "illicite" dans Sa Loi, ce n'est pas arbitrairement, mais bien parce qu'en soi il constitue ou recèle quelque chose de mauvais pour l'homme (considéré soit individuellement, soit socialement).
Il y a alors ici deux possibilités :
--- Soit on dit que, à cette époque-là, être marié à deux sœurs en même temps n'était pas encore mauvais, car pas encore rendu illicite par Dieu : c'est seulement plus tard que cela a été rendu illicite par Lui, et alors cela est devenu mauvais. Alors cela implique qu'on reconnaisse qu'abrogation au sens
b il y a bien eu : ce qui, dans le passé, était licite (et donc bon) dans le regard de Dieu et a été source de bénédiction, cela a été rendu plus tard illicite (et donc mauvais) par le même Dieu, et source de malédiction.
--- Soit on dit que le fait d'être marié à sa tante paternelle est quelque chose de mauvais en soi, mais Dieu ne l'avait pas encore communiqué aux fils d'Israël. Abrogation au sens
a il y a alors eu, par contre cela implique que Miriam, Aaron et Moïse sont issus d'une union qui recelait quelque chose de mauvais (bien qu'on ne le savait pas encore à cette époque-là, Dieu ne l'ayant pas encore fait savoir aux hommes).

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Jésus n'a, pour sa part, apparemment pas abrogé une règle de la Torah écrite, mais seulement nuancé et relativisé l'applicabilité de certaines règles telles que fixées par la tradition orale.
C'est l'un des deux commentaires de la parole que le Coran relate de lui : "وَلِأُحِلَّ لَكُم بَعْضَ الَّذِي حُرِّمَ عَلَيْكُمْ" (Coran 3/50) : "ثم اختلفوا فقال بعضهم: إنه عليه السلام ما غير شيئا من أحكام التوراة. قال وهب بن منبه: إن عيسى عليه السلام كان على شريعة موسى عليه السلام كان يقرر السبت ويستقبل بيت المقدس. ثم إنه فسر قوله {ولأحل لكم بعض الذي حرم عليكم} بأمرين: أحدهما: أن الأحبار كانوا قد وضعوا من عند أنفسهم شرائع باطلة ونسبوها إلى موسى، فجاء عيسى عليه السلام ورفعها وأبطلها وأعاد الأمر إلى ما كان في زمن موسى عليه السلام؛ والثاني: أن الله تعالى كان قد حرم بعض الأشياء على اليهود عقوبة لهم على بعض ما صدر عنهم من الجنايات، كما قال الله تعالى: {فبظلم من الذين هادوا حرمنا عليهم طيبات أحلت لهم}، ثم بقي ذلك التحريم مستمرا على اليهود، فجاء عيسى عليه السلام ورفع تلك التشديدات عنهم. وقال آخرون: إن عيسى عليه السلام رفع كثيرا من أحكام التوراة، ولم يكن ذلك قادحا في كونه مصدقا بالتوراة على ما بيناه ورفع السبت ووضع الأحد قائما مقامه وكان محقا في كل ما عمل لما بينا أن الناسخ والمنسوخ كلاهما حق وصدق" (
Tafsîr ur-Râzî).

Un exemple : selon la Loi que suivaient les Fils d'Israël, une forte interdiction était liée au Sabbat (voir par exemple Exode 31/13-17). Or Jésus vint assouplir non pas l'institution même du sabbat – puisqu'il s'adressait à des fils d'Israël –, mais seulement la très stricte façon par laquelle elle était appliquée : "Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat, de sorte que le Fils de l'homme est maître du sabbat" (Marc 2/27-28).

Un autre exemple : selon la loi mosaïque, il était licite pour le mari de répudier sa femme sans raison ; or Jésus vint dire que la répudiation n'était autorisée qu'en cas d'adultère : "C'est à cause de la dureté de vos cœurs que Moïse vous a permis de répudier vos femmes. Mais il n'en était pas ainsi au commencement" (Matthieu 5/19). D'après ce propos, la répudiation faite sans raison constitue une faute sur le plan moral (sans qu'apparemment il y ait pour autant invalidité). Toujours d'après ce propos, si Moïse avait rendu entièrement licite – sans même que cela soit une faute morale – ce genre de répudiation, c'était à cause de la dureté de cœur de ses contemporains : de deux maux, le moindre avait été choisi : une répudiation injuste était certes mauvaise, mais moins mauvaise que des coups. La règle que Moïse avait énoncée était donc due à un contexte particulier, et ce contexte ayant disparu, Jésus nuança la règle.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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