Les hadîths de type "akhbâru âhâd" peuvent-ils être la source d'une croyance de type Sifat ullâh ?

Découvrir tout d'abord ce que signifie un hadîth de type "khabaru wâhidin" en lisant notre article.

Dans un article précédent, nous avions évoqué cette question ("Un hadîth de type khabaru wâhidin peut-il être la source de croyances aussi ?") par rapport aux croyances en général. Lire cet article précédent.

Dans le présent article nous allons aborder cette question par rapport à des croyances d'un type particulier : les Qualifications de Dieu (Sifât ullâh). La question est donc : Une Sifat ullâh peut elle être établie sur la base d'un hadîth de type khabaru wâhidin, alors même qu'on ne trouve pas trace de cette Sifa dans le Coran ni la Sunna mutawâtira ?

A) La posture correcte à ce sujet est :

Oui, bien sûr.
Un hadîth de type khabaru wâhidin qui est reconnu authentique, cela est suffisant pour établir une croyance de type Sifat ullâh aussi, comme cela est suffisant pour établir des croyances d'autres types, et comme cela est suffisant pour établir des normes (Ahkâm) (les Ahkâm étant d'ailleurs elles aussi des croyances, puisqu'il s'agit de croire par exemple qu'il est obligatoire de réciter sourate al-Fâtiha dans la posture debout de la prière rituelle, qu'il est interdit de manger de la main gauche, qu'il est recommandé de s'asseoir pour boire une boisson, etc.).
Ensuite, le terme (lafz) de Sifat ullâh établi par un khabaru wâhidin, on l'appréhende en son sens premier (ma'nâhu-l-mutabâdir), sans rien dire de plus. Cela comme c'est le cas pour un terme de Sifat ullâh établi par un verset du Coran (par exemple Yadâni ou Waj'h).

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B) Mais certains ulémas ont répondu à la question par : un Non de principe (il s'agit d'un Non général) : Le refus du terme (lafz) lui-même :

Ces ulémas ont dit que, étant donné que le khabaru wâhidin n'établit jamais un propos plus qu'à un niveau zannî, une khabaru wâhidin est suffisante pour établir les normes (ahkâm), mais pas assez pour établir une Qualification de Dieu (sifat ullâh).

Ces ulémas parlent du terme lui-même de la Qualification : le lafz lui-même, on ne peut pas l'établir à propos de Dieu s'il figure dans un hadîth de type khabaru wâhidin. En fait, disent-ils, il y a forcément eu erreur de la part d'un transmetteur dans la relation de ce lafz.

Ibn 'Aqîl relate la posture de ces ulémas en ces termes : "والمذهب الثاني: رد الأخبار صفحا، واتهموا رواتها إما بالوضع أو بعدم الضبط" (Al-Mussawwadda, p. 212).

Fakhr ud-Dîn ar-Râzî écrit ainsi :
"أما التمسك بخبر الواحد في معرفة الله تعالى، فغير جائز! يدل عليه وجوه: الأول: أن أخبار الآحاد مظنونة، فلم يجز التمسك بها في معرفة الله تعالى وصفاته"
:
"Quant au fait de s'attacher à la khabaru wâhidin pour connaître Dieu, cela est impossible ! Et ce pour plusieurs raisons. La première est que les khabaru wâhidin sont zannî ; il n'est donc pas possible de s'attacher à elles pour connaître Allah et Ses Sifât !"
(Assâs ut-taqdîs, ainsi cité dans Mawqif Ibn Taymiyya, p. 668).
Ce propos signifie apparemment :
--- le refus du lafz lui-même quand il est établi par une khabaru wâhidin.

Cela concerne donc des Sifât ullâh telles que Qadam, Sûra, etc. : ces termes eux-mêmes, disent ces ulémas, on ne peut pas les attribuer à Allah, et cela sans même parler du sens qu'on pourrait ensuite leur donner.

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C) Certains autres ulémas ont la posture suivante : Dès lors que c'est un hadîthu wâhidin qui communique une Sifat ullâh, on accepte le terme (lafz) de cette Sifat, mais tout en récusant systématiquement le sens premier de ce terme (ma'na-l-lafz al-mutabâdir), et on appréhende donc obligatoirement ce lafz dans un sens autre (wujûbu ta'wîl il-lafz) :

Ces autres ulémas (tels que Ibn 'Aqîl, al-Bayhaqî) ont en effet dit : Si le hadîth de type khabaru wâhidin est authentique mais présente un lafz lié à une Sifat ullâh, qui ne renvoie pas à quelque chose de connu dans le Coran ni la Sunna mutawâtira, alors on accepte ce lafz relatif à la Sifat ullâh que ce hadîth contient, mais il est obligatoire de faire ta'wîl ul-lafz (interpréter ce terme dans un sens autre que son sens premier) : c'est le cas de Qadam, ou de Sûra, etc.
Ibn 'Aqîl rajoute comme condition que ce hadîth qui est khabaru wâhidin doit avoir bénéficié de talaqqî as'hâb il-hadîth bi-l-qabûl (c'est le cas de la quasi-totalité des hadîths rapportés par al-Bukhârî ou Muslim).

Cela contrairement au cas où ce lafz est présent dans le Coran ou dans un hadîth de type khabar mutawâtir : là la ta'wîl ul-lafz n'est pas obligatoire (elle est alors soit interdite, soit seulement autorisée) : c'est le cas de Yadân et de Waj'h, par exemple.

Ibn 'Aqîl expose ainsi cette posture C (qui est celle à laquelle il adhère) :
"والمذهب الثالث قال: يجب قبولها حيث تلقاها أصحاب الحديث بالقبول، ويجب تأويلنا لبعضها على ما يدفعها عن ظاهرها، وإن كان من بعيد اللغة ونادرها. قال: وهذا هو اعتقادنا.
قال: ولا يختلف العلماء أنه إذا كان طريق ذلك قطعيا كآى القرآن وأخبار التواتر أنه لا يرد بل يبقى على مذهبين: اما التأويل أو الحمل على الظاهر"
(Al-Mussawwadda, p. 212).

On trouve cette posture également exposée sous la plume de al-Bayhaqî, qui, après avoir fait ta'wîl de "Qadam", "Rijl" et "Sâq", écrit :
"فإن قيل: فهلا تأولت اليد والوجه على هذا النوع من التأويل، وجعلت الأسماء فيهما أمثالا كذلك؟

قيل: إن هذه الصفات مذكورة في كتاب الله عز وجل بأسمائها! وهي صفات مدح.

والأصل أن كل صفة جاء بها الكتاب، أو صحت بأخبار التواتر، أو رويت من طريق الآحاد وكان لها أصل في الكتاب أو خرجت على بعض معانيه: فإنا نقول بها ونجريها على ظاهرها من غير تكييف.
وما لم يكن له في الكتاب ذكر، ولا في التواتر أصل، ولا له بمعاني الكتاب تعلق، وكان مجيئه من طريق الآحاد وأفضى بنا القول إذا أجريناه على ظاهره إلى التشبيه: فإنا نتأوله على معنى يحتمله الكلام ويزول معه معنى التشبيه.

 

 

 

وهذا هو الفرق بين ما جاء من ذكر القدم والرجل والساق، وبين اليد والوجه والعين. وبالله العصمة، ونسأله التوفيق لصواب القول، ونعوذ بالله من الخطأ والزلل فيه، إنه رءوف رحيم" (Al-Asmâ' wa-s-Sifât, p. 494 dans l'édition que je possède).

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La position de Ibn Hajar est beaucoup plus nuancée et proche de la vérité :

Selon Ibn Hajar (cela a été démontré dans l'article traitant de cela) :
--- C) est "établi au yaqîn" [100%] : le hadîth qui a été rapporté au tawâtur ; mais aussi le hadîth de type khabaru wâhidin qui bénéficie à la fois des 3 indices qu'il a mentionnés ;
--- B) est "établi au zann aghlab" [95%] : le hadîth de type khabaru wâhidin qui bénéficie d'un seul des 3 indices susmentionnés (parmi lesquels, rappelons-le : il a été rapporté par al-Bukhârî et Muslim et n'a fait l'objet d'aucune critique de la part d'autres grands spécialistes) ;
--- A) est "établi au zann ghâlib" [75-85%] : le hadîth de type khabaru wâhidin qui est authentique d'après tous les spécialistes, mais sans bénéficier d'aucun des "indices" susmentionnés ;
--- Z) est "établi au zann mujarrad" [55-65%] : le hadîth de type khabaru wâhidin dont l'authentification a fait l'objet d'avis divergents de la part des spécialistes, et par rapport à quoi la détermination de l'avis correct n'est possible qu'à un niveau zannî.

Certes, on voit ici que Ibn Hajar est d'avis que le hadîthu wâhidin qui ne présente aucun des 3 indices qu'il a mentionnés, ce hadîth est établi au zann qui n'est pas aghlab.

Cependant, Ibn Hajar en déduit malgré tout des croyances de type "Qualifications de Dieu" (Sifât ullâh), même si cette croyance ne se retrouve pas formulée telle quelle dans le Coran ou la Sunna mash'hûra.

Ainsi l'a-t-il fait à propos de "Sawt ullâh" ("Dieu a une Voix") : le hadîth qui parle de cela ("عن عبد الله بن أنيس قال: سمعت النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "يحشر الله العباد، فيناديهم بصوت يسمعه من بعد كما يسمعه من قرب: أنا الملك، أنا الديان"), al-Bukhârî l'a rapporté dans son Khalqu af'âl il-'ibâd (n° 364), et l'a cité ta'lîqan dans son Sahîh (Kitâb ut-tawhîd). Ibn Hajar l'a authentifié, ayant exprimé un désaccord avec ce que al-Bayhaqî a écrit sur le sujet.
Ibn Hajar écrit :
"وهذا حاصل كلام من ينفي الصوت من الأئمة. ويلزم منه أن الله لم يسمع أحدا من ملائكته ورسله كلامه، بل ألهمهم إياه! وحاصل الاحتجاج للنفي: الرجوع إلى القياس على أصوات المخلوقين، لأنها التي عهد أنها ذات مخارج.
ولا يخفى ما فيه! إذ الصوت قد يكون من غير مخارج، كما أن الرؤية قد تكون من غير اتصال أشعة، كما سبق.
سلمنا، لكن تمنع القياس المذكور؛ وصفات الخالق لا تقاس على صفة المخلوق.
وإذا ثبت ذكر الصوت بهذه الأحاديث الصحيحة، وجب الإيمان به؛ ثم إما التفويض، وإما التأويل. وبالله التوفيق"
(FB 13/559).

Que Ibn Hajar propose ici le tafwîdh ou le ta'wîl, cela est dû au fait qu'il est Acharite.
Cependant on ne le voit pas délaisser le lafz de cette Sifa au prétexte qu'elle ne figure que dans un hadîthu wâhidin (comme le disent les tenants de la posture B).
Et on ne le voit pas non plus dire (comme les tenants de la posture C, dont al-Bayhaqî) que, vu que cette Sifa ne figure que dans un hadîthu wâhidin sans renvoyer à quelque chose présent dans le Coran ou la Sunna mutawâtira, il est obligatoire d'en faire la ta'wîl : non, pour sa part Ibn Hajar opte pour l'acceptation du terme (ithbât ul-lafz), avec le choix entre le tafwîdhu ma'na-l-lafz et le ta'wîl ul-lafz ilâ ma'nan majâziyy : comme c'est la règle chez lui pour toute Sifat d'Allah.

Cela alors même que ce ne sont pas tous les hadîths cités ta'lîqan dans le Sahîh de al-Bukhârî qui sont du même niveau d'authenticité que les hadîths rapportés isnâdan dans ce Sahîh (cf. Had'y us-sârî, pp. 21-22). Et que Ibn Hajar lui-même avait, dans un premier temps, émis des doutes quant au caractère établi de la partie de ce hadîth contenant le terme "sawt" au sujet de Dieu (FB 1/229).

Le fait que la Sifat ullâh figure dans seulement un hadîthu wâhidin, cela n'a donc aucune incidence chez Ibn Hajar, puisque c'est la même règle chez lui (soit le tafwîdh ul-ma'nâ, soit le ta'wîl ul-lafz) lorsque la Sifat ullâh est présente dans un verset du Coran ou un hadîth mutawâtir.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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