Y a-t-il des termes à appréhender au sens figuré (مجاز) dans le Coran et la Sunna, ou ne peut-on pas dire qu'il existe des termes Majâz dans le Coran (comme l'affirme Ibn Taymiyya) ?

Question :

Un frère m'a dit qu'il n'existe pas de sens figuré dans le Coran et la Sunna, et qu'il est donc grave de chercher à comprendre des textes du Coran et de la Sunna au sens figuré. Ce serait de la falsification de sens (tahrîf ma'nawî), a-t-il dit.

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Réponse :

Il est certes erroné d'appréhender au sens figuré tous les textes, ou n'importe quel texte, du Coran et de la Sunna, selon son envie (hawâ).
Ainsi, il est erroné d'appréhender au sens figuré la formule "يديَّ" que Dieu a employée à Son Sujet en Coran 38/75 : cela est à appréhender en son sens propre et immédiat, et non pas au sens figuré : cela ne signifie pas ce que le terme "قدرة" ou "نعمة" signifie.

Par contre il est possible d'appréhender au sens figuré certains textes précis, suivant en cela des principes précis. Cela revient alors à appréhender un terme ou un groupe de termes dans un sens autre que le sens le plus immédiat qu'ils ont.

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Avant de vous donner quelques exemples de termes du Coran et de la Sunna qu'il s'agit bel et bien d'appréhender au sens figuré...

... je vous rappelle d'abord que les noms "حقيقة" et "مجاز" renvoient aux termes (ألفاظ) utilisés par le locuteur :

– Le terme (ou la formule) (لفظ) que le locuteur utilise à l'intention de son interlocuteur, si ce locuteur confère à ce terme le sens (معنى) pour lequel il (ou elle) a été forgé(e) (بأصل الوضع اللغوي) ou pour lequel il (ou elle) est normalement employé(e) dans l'usage de ces deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين), alors ce terme (ou cette formule) (لفظ) est dit : "حقيقة", et il y a : "تحقيق".

– Et le terme (ou la formule) (لفظ) que le locuteur utilise, s'il lui confère un sens (معنى) autre que celui pour lequel il (ou elle) a été forgé(e) (بأصل الوضع اللغوي) ou pour lequel il (ou elle) est normalement employé(e) dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين), cependant que ce sens (معنى) voulu présente un lien avec le sens (معنى) originel, alors ce terme (ou cette formule) (لفظ) est dit : "مجاز", et il y a : "تَجوُّز". Et il faut toujours un indice (قرينة) (soit dans le texte, soit dans le contexte) montrant que le terme en question n'est pas à appréhender dans son sens premier.

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Par rapport maintenant au sens (معنى) que le locuteur confère au terme qu'il utilise, on emploie 2 formules voisines mais différentes :

– Le sens (معنى) que le locuteur a conféré à un terme (لفظ) donné, si ce sens est bien le sens pour lequel ce terme a été forgé (بأصل الوضع اللغوي) ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين), alors ce sens est dit : "معنى حقيقيّ".

– Et le sens (معنى) que le locuteur a conféré à un terme (لفظ) donné, si ce sens est autre que le sens pour lequel ce terme pour lequel il a été forgé (بأصل الوضع اللغوي) ou pour lequel il est normalement employé dans l'usage des deux locuteurs (بحسب عرف المتخاطبين), mais présente malgré tout un lien avec le sens originel, alors ce sens est dit : "معنى مجازيّ".

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Voici maintenant un exemple de présence d'un terme مجاز dans le Coran :

--- Dieu relate dans le Coran que l'un des deux compagnons de prison du prophète Joseph dit à ce dernier, lui relatant son rêve dont il voulait l'interprétation : "قَالَ أَحَدُهُمَآ إِنِّي أَرَانِي أَعْصِرُ خَمْرًا" : "L'un d'eux dit : "Je me vois (en rêve) pressant du khamr"" (Coran 12/36).

Le terme "khamr" (خمر) désigne une boisson alcoolique (soit le vin précisément, soit toute boisson alcoolique : lire notre article).

Or c'était en réalité de "raisin" – et non de "vin" – que cet homme parlait : il voulait dire qu'il s'était vu en rêve pressant du raisin.

Le fait est qu'il est impossible (ou insensé) de presser du vin : c'est là l'indice, qarîna, que le terme "khamr" n'est pas à appréhender, ici, en son sens propre.

Pourtant, et bien que le terme "khamr" ne désigne pas de façon originelle "le raisin", Dieu a bien cité cette phrase où il y a ce terme "khamr" qui y désigne le raisin (au lieu que s'y trouve le terme "'inab", qui, lui, désigne de façon normale : "le raisin", et qui figure par ailleurs dans le Coran).

En fait si cette opération a été possible, c'est parce que ce que ce terme "khamr" désigne originellement – à savoir "le vin" – (et c'est là son sens propre), cela présente une relation ('alâqa) avec "le raisin" : "le vin" était du "raisin" ("al-khamru kâna 'inaban") ; en fait il est le résultat d'une transformation complète du raisin. C'est ce qui a fait qu'il a été possible d'employer le terme qui signifie à l'origine "vin" pour signifier en fait : "raisin".

Dans ce verset, le terme "خمر" est donc bel et bien un "مجاز", eu égard à ce qu'il y signifie ("raisin"), ce qui représente un "معنى مجازي" par rapport à ce terme.
Pour signifier la même chose, c'est le terme "عنب" qui est "حقيقة" ou "تحقيق" : le sens "raisin" est un "معنى حقيقيّ" par rapport à ce terme.

Vous avez ainsi, dans ce verset du Coran, l'emploi d'un terme à appréhender au sens figuré : il désigne originellement quelque chose, mais a été employé pour désigner ce à partir de quoi cette chose est faite.

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Alors, certes, Ibn Taymiyya affirme qu'il n'y a pas de majâz dans le Coran :

Ibn Taymiyya étaye cela sur plusieurs affirmations, notamment les 2 suivantes...

--- Il affirme d'une part que les passages tels que "وَاسْأَلِ الْقَرْيَةَ الَّتِي كُنَّا فِيهَا" : "Demande à la cité dans laquelle nous étions" (Coran 12/82), que certaines personnes présentent comme des exemples de "majâz" dans le Coran, aucun auditeur n'en comprend, comme sens apparent, venant immédiatement à l'esprit, qu'il s'agirait de demander aux "murs et ruelles de la cité". Tout auditeur en comprend immédiatement qu'il s'agit de demander aux "hommes habitant la cité". Le sens qui est immédiat (mutabâdir) et que le lecteur et l'auditeur comprennent aisément de chacun de ces passages est donc bien le sens voulu (al-ma'na-l-murâd) par le locuteur. Quelle possibilité y a-t-il alors de distinguer un sens "haqîqî" et un autre "majâzî", puisque personne n'en comprend un autre sens que celui qui vient immédiatement (mutabâdir) à l'esprit ?

--- Ibn Taymiyya affirme d'autre part que, d'ailleurs, aucun des anciens ulémas de la Sunna n'ont dit que dans le Coran ou la Sunna il y avait des termes "majâz" (cf. MF 7/87-90).

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Cependant, avec toute la reconnaissance de l'insignifiance de notre état par rapport à l'énorme savoir de Cheikh ul-islâm, ces 2 affirmations de sa part sont discutables...

--- Voici 4 textes du Coran ou de la Sunna où l'on voit bien que le terme ou la formule ayant été employée ne doit pas être appréhendé(e) en son sens le plus immédiat (mutabâdir) :

----- 1) Le Prophète (sur lui soit la paix) avait dit un jour à ses épouses : "Celle d'entre vous qui me rejoindra le plus rapidement [= qui mourra la première après moi] sera celle d'entre vous qui a les plus longs bras". Les épouses du Prophète mesurèrent alors leurs bras, et trouvèrent que Sawda était celle d'entre elles qui avait les plus longs bras.
Mais ce ne fut que plus tard : lorsque ce fut Zaynab ibn Jahsh qui mourut la première parmi elles, qu'elles comprirent le sens véritable du propos du Prophète. En effet, c'était parmi elles Zaynab qui faisait le plus la charité aux pauvres : "عن عائشة رضي الله عنها أن بعض أزواج النبي صلى الله عليه وسلم، قلن للنبي صلى الله عليه وسلم: "أينا أسرع بك لحوقا؟" قال: "أطولكن يدا." فأخذوا قَصَبَة يذرعونها، فكانت سودة أطولهن يدا. فعلمنا بعد أنما كانت طول يدها الصدقة؛ وكانت أسرعنا لحوقا به وكانت تحب الصدقة" (al-Bukhârî, n° 1354, Muslim, n° 2452).

Les épouses du Prophète (sur lui soit la paix) n'ont pas compris ce sens-là dès lors qu'elles ont entendu leur illustre mari prononcer ce propos. Elles ne l'ont compris que plus tard, lors de sa réalisation (ta'wîl, dans le sens de : tahaqquq). La formule "avoir les bras longs" était donc à appréhender non pas selon son sens apparent (zâhir) et le plus immédiat (mutabâdir), mais dans le sens de : "être généreux et pratiquer abondamment la charité".

Le sens voulu (murâd) n'était donc pas le sens venant immédiatement (mutabâdir) à l'esprit : les épouses du Prophète elles-mêmes n'ont pas compris le sens voulu par leur illustre mari. Ce n'est que lors de la constatation du réel qu'elles l'ont compris...

A-t-on alors un autre choix que de distinguer 2 sens, l'un venant immédiatement à l'esprit, et l'autre étant plus subtil, à cette formule ?

Le terme "yad" signifiait en fait : "don", et "la longueur" : "la quantité". Il y a eu ici métonymie (مجاز مرسل) (avec emploi de l'outil pour désigner l'effet).

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----- 2) Un verset coranique dit que le jeûne doit débuter au moment où on peut distinguer le fil blanc du fil noir : "... jusqu'à ce que vous puissiez distinguer le fil blanc du fil noir" : "فَالآنَ بَاشِرُوهُنَّ وَابْتَغُواْ مَا كَتَبَ اللّهُ لَكُمْ وَكُلُواْ وَاشْرَبُواْ حَتَّى يَتَبَيَّنَ لَكُمُ الْخَيْطُ الأَبْيَضُ مِنَ الْخَيْطِ الأَسْوَدِ مِنَ الْفَجْرِ ثُمَّ أَتِمُّواْ الصِّيَامَ إِلَى الَّليْلِ" (Coran 2/187).

Or, relate Sahl ibn Sa'd, un groupe de musulmans crurent qu'il s'agissait d'un fil blanc et d'un fil noir véritables, à observer jusqu'à ce qu'on puisse distinguer l'un de l'autre à cause de la lueur de l'aube naissante ; c'est seulement à ce moment-là qu'ils cessaient de manger.
Suite à cette mauvaise compréhension de la part de ces musulmans, Dieu révéla les mots "min al-fajr" : "c'est-à-dire la lueur de l'aube", mots qui furent placés à la fin de la phrase (al-Bukhârî 1818, Muslim 1091). "Le fil blanc" évoqué dans le verset désignait donc "la lueur de l'aube" ; et "le fil noir" est donc forcément "la noirceur de la nuit". Le verset se comprenait correctement ainsi : "jusqu'à ce que le fil blanc de l'aube se distingue du fil noir [de la nuit]".

Or ce n'est pas là le sens immédiat (mutabâdir) de ces termes !

A-t-on alors d'autre choix que de distinguer 2 sens à cette formule, l'un venant immédiatement à l'esprit de l'homme non-averti, et l'autre étant plus subtil, et de dire que c'est en lui conférant son sens "moins immédiat" que le locuteur avait employé cette formule ?

Quelques années plus tard (FB 4/170), ce fut 'Adî ibn Hâtim qui, alors récemment converti à l'islam, comprit lui aussi le verset de façon erronée : il ne comprit pas que dans les termes "min al-fajr" la particule "min" est explicative (bayâniyya), et crut qu'elle exprime la causalité (sababiyya) (FB 4/173). Il crut donc que cela signifiait : "jusqu'à ce que le fil blanc se distingue du fil noir, à cause de l'aube". Il chercha alors lui aussi à distinguer un fil blanc d'un fil noir, qu'il plaçait tous deux sous son oreiller.
S'étant ouvert au Prophète (sur lui soit la paix) de ce qu'il faisait, celui-ci lui dit : "Ton oreiller est bien vaste ! Il s'agit de la noirceur de la nuit et de la blancheur du jour", et l'informa de la signification correcte de celui-ci (al-Bukhârî 1817, Muslim 1090).
En fait nous avons ici une métaphore directe (استعارة), laquelle sous-entend donc naturellement une comparaison (تشبيه).

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----- 3) Un autre exemple se trouve dans la parole du Prophète (sur lui soit la paix) suivante : "Récitez le Coran, il viendra, le jour du jugement, intercesseur pour ses gens. Récitez les deux lumineuses - al-Baqara et sourate Âlu 'Imrân - : elles viendront le Jour de la Résurrection comme si elles sont deux nuages, ou : comme si elles sont deux groupes d'oiseaux en rangs ; argumentant de la part de leur compagnons. (...)" : "عن أبي أمامة الباهلي، قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم، يقول: "اقرءوا القرآن فإنه يأتي يوم القيامة شفيعا لأصحابه. اقرءوا الزهراوين البقرة وسورة آل عمران، فإنهما تأتيان يوم القيامة كأنهما غمامتان، أو كأنهما غيايتان، أو كأنهما فرقان من طير صواف، تحاجان عن أصحابهما. اقرءوا سورة البقرة، فإن أخذها بركة، وتركها حسرة، ولا تستطيعها البطلة" (Muslim 804).

Le sens correct n'est pas le sens qui vient immédiatement à l'esprit de l'auditeur non-informé.

Les Mutazilites
, eux, ont trouvé dans ce hadîth la justification de ce qu'ils disaient déjà : appréhendant le pronom renvoyant à "qur'ân" avec le sens qui vient immédiatement à l'esprit, et ils ont dit qu'on voit bien dans ce hadîth que le Coran est parole de Dieu, mais la parole le constituant est créée, car il y est dit que le Coran viendra le jour du jugement en étant un être séparé de Dieu (munfasil 'an dhât illâh).

Alors qu'en fait, le pronom renvoyant à "qur'ân" désigne ici la récitation que l'homme faisait du Coran : c'est sa récitation qui viendra intercéder (cf. Shar'h ul-'aqida at-tahâwiyya, p. 94).

A-t-on alors un autre choix que de distinguer 2 sens au terme "qur'ân", l'un venant immédiatement à l'esprit, et l'autre étant plus subtil ? et que "qur'ân" veut dire : "kalâm ullâh, al-maqrû'" (qui est parole incréée de Dieu), mais parfois : "qirâ'at ul-insâni kalâm-allâh" (qui, lorsqu'elle est faite par l'homme, est action créée, et c'est elle qui viendra le jour du jugement) ?

Et, à l'opposé total des Mutazilites, justement, les Lafziyya Muthbita affirmaient que même la Qir'â'ah que l'homme fait du texte coranique est incréée. Les Lafziyya Muthbita se fondaient d'une part sur l'affirmation de l'orthodoxie sunnite selon laquelle "le qur'ân est incréé", et d'autre part sur le zâhir de certains textes du Coran et de la Sunna qui désignaient comme étant "qur'ân" la récitation que l'homme fait du texte coranique. Eux non plus n'avaient pas réussi à comprendre que le terme "qur'ân" a 2 sens, l'un venant immédiatement à l'esprit : "kalâm ullâh, al-maqrû'", et l'autre étant : "qirâ'at ul-insâni kalâmallâh"...

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----- 4) Dans le Coran, Jésus fils de Marie (sur lui soit la paix) a été désigné par l'appellation : "une parole venant de Lui [= Dieu]" : "إِذْ قَالَتِ الْمَلآئِكَةُ يَا مَرْيَمُ إِنَّ اللّهَ يُبَشِّرُكِ بِكَلِمَةٍ مِّنْهُ اسْمُهُ الْمَسِيحُ عِيسَى ابْنُ مَرْيَمَ وَجِيهًا فِي الدُّنْيَا وَالآخِرَةِ وَمِنَ الْمُقَرَّبِينَ" (Coran 3/45).
Or Jésus n'est pas en soi une parole de Dieu, il est le résultat direct d'une parole de Dieu. Nous l'avons exposé de façon détaillée dans un autre article.

Pourtant, ce n'est pas là le sens immédiat (mutabâdir) de cette formule.

A-t-on alors un autre choix que de distinguer 2 sens, l'un venant immédiatement à l'esprit, et l'autre étant plus subtil, au terme "kalimah" ?

Nous avons en fait ici une métonymie (مجاز مرسل) (avec emploi de la cause pour désigner sa conséquence).

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On voit au travers de ces 4 exemples que le sens voulu (murâd) par le locuteur du Coran ou par celui de la Sunna n'est pas toujours le sens le plus immédiat que l'auditeur ou le lecteur peut comprendre du terme ou de la formule.

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Dès lors, si on désigne le sens venant le premier à l'esprit de l'homme lambda par : "ma'nâ haqîqî", et le sens secondaire, plus subtil, par : "ma'nâ majâzî", et si on nomme un terme donné : "haqîqa" (ou : "tahqîq") lorsque le locuteur lui confère son sens venant le premier à l'esprit, et : "majâz" lorsqu'il lui confère un sens autre mais apparenté au premier par une relation précise avec le sens premier, est le problème ?

En faisant ainsi, on suit d'ailleurs ce qu'a fait ce 'âlim que al-Bukhârî a évoqué, sans le désapprouver, dans un passage de Khalqu Af'âl il-'ibâd où il réfute l'argumentation des Lafziyya Muthbita.

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Al-Bukhârî cite une (ou des) personne(s) qui parle(nt) de la présence de termes مجاز dans la Sunna, et cela sans le(s) contredire (mais, tout au contraire, en paraissant l'(es) approuver) :

Al-Bukhârî écrit en effet dans son livre Khalqu af'âl il-'ibâd :
"قال أبو عبد الله: وقال بعضهم: إن أكثر مغاليط الناس من هذه الأوجه حين لم يعرفوا المجاز من التحقيق ولا الفعل من المفعول ولا الوصف من الصفة؛ ولم يعرفوا الكذب لم صار كذبا ولا الصدق لم صار صدقا.
فأما بيان المجاز من التحقيق، فمثل قول النبي صلى الله عليه و سلم للفرس: "وجدته بحرا"، وهو الذي يجوز فيما بين الناس؛ وتحقيقه أن "مشيه حسن". ومثل قول القائل: "علم الله معنا وفينا" "وأنا في علم الله"، إنما المراد من ذلك: أن "الله يعلمنا"، وهو التحقيق. ومثل قول القائل: "النهر يجري"، ومعناه: أن "الماء يجري"، وهو التحقيق. وأشباهه في اللغات كثيرة"

"Certain parmi les (ulémas) a dit : "La plupart des erreurs des gens sur ces points (s'est produite) lorsqu'ils n'ont pas distingué le "مجاز" du "تحقيق" ; ni le "فعل" du "مفعول" ; ni le "وصف" de la "صفة". Ils n'ont pas connu le mensonge pourquoi il est devenu mensonge, ni la véracité pourquoi elle est devenue véracité."
Pour ce qui est de distinguer le
"مجاز" du "تحقيق", cela est comme dans la parole du Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, à propos du cheval : "وجدتُه بحرًا" ("Je l'ai trouvé étant une mer") : il s'agit de celui qui circule parmi les gens. Le "تحقيق" de cela aurait été (de dire) : "Sa course est bonne".
(…)
Et cela est (encore) comme la parole de celui qui dit : "النهر يجري" : son sens est : "L'eau coule". [Employer ces termes exacts et dire : "الماء يجري في النهر"] est le "تحقيق".
Les choses semblables (à cela) sont nombreuses dans les langues"
(Khalqu af'âl il-'ibâd, p. 111 dans l'édition que je possède).
Suit la relation, avec différentes chaînes de transmission, du premier hadîth.
Puis, le second "مجاز" dont il a parlé, al-Bukhârî veut montrer qu'il est présent dans le hadîth suivant : "الصَّلَوَاتُ الْخَمْس كَنَهَرٍ يجري عَلَى بَابِ أَحَدِكُمْ، يَغْتَسِلُ منهِ كُلَّ يَوْمٍ خَمْسَ مِراتٍ، فَمَا يُبْقِي مِنْ الدَرَنِ شيء" ("Les 5 prières sont comme une rivière qui coule à la porte de l'un d'entre vous, dans laquelle il se baigne 5 fois chaque jour ; cela ne laisse alors subsister rien de la saleté") (Khalqu Af'âl il-'ibâd, relation n° 453).

On voit ici al-Bukhârî présenter ces 2 hadîths comme étant de parfaits exemples de "مجاز".

--- Le premier de ces deux hadîths ("وجدتُه بحرًا", "Je l'ai trouvé étant une mer") recèle soit une métaphore annoncée (تشبيه بليغ), soit une métaphore directe (استعارة).

--- Et le second hadîth ("الصَّلَوَاتُ الْخَمْس كَنَهَرٍ يجري عَلَى بَابِ أَحَدِكُمْ، يَغْتَسِلُ منهِ كُلَّ يَوْمٍ خَمْسَ مِراتٍ، فَمَا يُبْقِي مِنْ الدَرَنِ شيء""Les 5 prières sont comme une rivière qui coule à la porte de l'un d'entre vous) recèle :
----- soit une métonymie (مجاز مرسل) (avec emploi du lieu pour désigner ce qui se trouve en ce lieu : l'eau) ;
----- soit un "Majâz 'Aqlî" (مجاز عقلي) (avec "إسناد الفعل إلى المكان" : l'action de couler a été attribuée non pas au sujet de l'action, mais au lieu où l'action se produit) (un peu comme dans la parole du prophète Joseph, sur lui soit la paix : "ثُمَّ يَأْتِي مِن بَعْدِ ذَلِكَ سَبْعٌ شِدَادٌ يَأْكُلْنَ مَا قَدَّمْتُمْ لَهُنَّ إِلاَّ قَلِيلاً مِّمَّا تُحْصِنُونَ" (Coran 12/48), où on a un "إسناد الفعل إلى الزمان" : il est évident que ce ne sont pas les 7 années de disette qui, elles-mêmes, mangeront le grain auparavant accumulé, mais les hommes qui, lors de ces 7 années de disette, mangeront le grain auparavant accumulé).

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Quant au verset "وَاسْأَلِ الْقَرْيَةَ الَّتِي كُنَّا فِيهَا" (Coran 12/82) et autres textes du même genre, tels que "J'ai bu le verre", dont le sens est évident :

Certes, tout le monde en comprend le sens voulu par le locuteur, qui est le sens qui vient immédiatement à l'esprit (mutabâdir) : il s'agit des gens de la cité, et pas de ses murs.

Cependant, cela est vérifié par rapport au terme "الْقَرْيَةَ" lorsqu'il est intégré à toute la phrase.
Par contre, le mot "الْقَرْيَةَ", considéré seul, lui est bien qualifié de : "majâz", car il ne désigne pas, considéré individuellement, des personnes humaines.

Quand on cherche à établir si le terme est utilisé en son sens propre ou bien en son sens figuré, il s'agit donc de considérer le sens premier que ce terme a lorsqu'il est considéré isolément.

Car, parfois, lorsqu'un terme est placé aux côtés de certains autres termes précis, le sens qui en vient le premier à l'esprit de l'interlocuteur (2) s'en trouve modifié. Ainsi :
– le terme individuel "cité" veut dire en son sens premier (2) : "un ensemble d'habitations regroupées" ;
– mais lorsque mis aux côtés du verbe "demander à", dans la phrase : "Demande à la cité", ce terme "cité" veut dire : "les habitants de cet ensemble d'habitations" : vu que tout interlocuteur comprend, de ce terme "cité" présent dans cette phrase, ce sens-là ("habitants de la cité"), on pourrait dire que ce sens-là étant le sens évident de ce terme dans cette phrase, il n'y a pas à distinguer haqîqa et majâz. Mais en fait, il s'agit du sens que chacun comprend de ce terme lorsque celui-ci est placé après le verbe "demander à". Sinon, lorsque ce terme est considéré isolément, ce n'est pas là le sens que chacun comprend de lui. C'est là la différence entre "lemme simple" et "lemme complexe".
Dès lors, le terme "cité" est bel et bien, dans cette phrase "Demande à la cité", un majâz : la raison en est que le sens premier qu'a alors ce terme au contact de ce groupe est autre que le sens premier qu'il a lorsque considéré individuellement ; or c'est le sens du terme lorsque considéré individuellement qui est à considérer pour établir si ce terme a été employé en son sens propre ou bien en son sens figuré.

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En fait, ce que Ibn Taymiyya entendait réfuter en réfutant l'existence de termes "Majâz" dans le Coran et la Sunna, c'est autre chose :

Ibn Taymiyya entendait réfuter non pas vraiment la possibilité d'utiliser ces noms techniques (مصطلحات) de "haqîqa" et "majâz" pour désigner deux types de mots. Le fait est qu'il a lui-même écrit que le fait d'avoir nommé "kalimat-ullâh" ce qui a vu le jour par cette "kalimat-ullâh" (c'est-à-dire Jésus fils de Marie), dire que cela "recèle un certain type d'utilisation de majâz", "cela est possible" : "فلو قيل "إن في هذا نوعا من التوسع والتجوز" - حيث سمي ما يكون عن العمل باسم العمل -، لكان هذا سايغا؛ لكن ذلك لا يمنع أن يكون ذلك هو المعنى الظاهر، كما تقدم نظيره" (Naqdhu Assâs it-taqdîs, 3/319). Il s'agit ici de l'exemple 4 cité plus haut. Néanmoins, pour reprendre l'exemple 3 (lui aussi énoncé supra) est-ce vraiment évident pour tout un chacun (même ceux qui n'ont pas étudié les sciences islamiques) de comprendre que quand il a été dit que le Coran viendra le Jour du Jugement, ou que les Sourates al-Baqara et Âlu 'Imrân viendront, cela signifie non pas que le Coran lui-même viendra alors, mais seulement la récitation que le croyant en aura faite ? Pour moi cela reste discutable. Quant aux exemples 1 et 2, ils sont encore plus parlants à ce sujet, vu que des Compagnons eux-mêmes - les Arabes de l'époque de la révélation - ne comprirent le sens véritable de la parole qu'une fois la confrontation avec le réel (exemple 1) / la correction de compréhension apportée par le Prophète (exemple 2).

En fait Ibn Taymiyya entendait réfuter que, d'un mot présent dans le Coran ou la Sunna, ce soit le "ma'nâ mjâzî" - c'est-à-dire, ici : "ma'nan siwa-l-ma'na-l-mutabâdîr", "le sens autre que celui qui vient naturellement à l'esprit, même lorsque ce mot est employé en corrélation avec d'autres termes lui conférant un sens précis" - qui soit voulu (murâd) par le locuteur.
On le voit bien dans cet autre écrit, dans lequel il parle de l'utilisation de la formule "prêter à Dieu" présente dans le Coran : "فأكثر ما يقال: "إن تسمية هذا "قرضا": مجاز". لكن هذا المجاز هو الظاهر من هذا اللفظ بعد التركيب والتأليف الذي يجعله نصا في معناه حيث أضيف القرض إلى الله. ألا ترى أن قول النبي صلى الله عليه وسلم في خالد "إنه سيف من سيوف الله"، وقوله في فرس أبي طلحة "إن وجدناه لبحرا"، وقول أبي بكر عن أبي قتادة "لا يعمد إلى أسد من أسد الله" ونحو ذلك، فإن قيل: "إن هذا مجاز"، فلا يقول أحد: "إن ظاهر هذا اللفظ أن خالدا حديد وأن الفرس ماء وأن أبا قتادة هو السبع الذي له ناب"! بل اللفظ نص في خلاف هذا؛ وهو أن خالدا شجاع متقدم بمنزلة السيف الذي يقتل الله به أعداءه، وأن الفرس جواد جرى بمنزلة البحر، وأن أبا قتادة رجل شجاع بمنزلة الأسد الذي سلطه الله على أعدائه. وقد بسطنا هذه القاعدة في غير هذا الموضع" (Naqdhu Assâs it-taqdîs, 3/286).

En fait il veut réfuter l'utilisation abusive que les Mutazilites ont fait de cette distinction "haqîqa" / "majâz", usant et abusant du recours à une considération de majâz pour nier le sens premier que des termes du Coran et de la Sunna ont. C'est ce qu'ils ont fait avec le verbe "istawâ" employé par Dieu à Son propre Sujet dans le Coran : les Mutazilites ont dit que ce terme a :
--- un sens "haqîqî" - mutabâdir -, quand il est employé au sujet des humains et des créatures ;
--- et un sens "majâzî" - siwa-l-ma'na-l-mutabâdîr - quand il est employé au sujet de Dieu : "istawlâ".
Ici eux aussi ont eu recours à une considération des autres termes en corrélation avec lesquels ce terme est employé. Mais si, ici, au sujet de Dieu, ils ont fait ainsi, c'est parce que leur avis est que les langues sont istilâhî : elles ont été forgées par les hommes pour décrire ce que ceux-ci voient sur Terre : c'est là selon eux le Asl ul-Wadh' des termes du langage. Ce qui entraîne que, pour eux, Dieu a emprunté au langage humain ces termes pour désigner des choses relatives à Lui : ces termes ne peuvent dès lors qu'être au sens figuré lorsqu'ils sont employés à Son Sujet.
Or la vérité est contraire à cela : le fait que le terme "istawâ" soit employé avec comme sujet le pronom "Huwa" renvoyant à "Allah", cela n'a donc aucune incidence sur le fait qu'il possède bien, ici aussi, le sens qui vient naturellement à l'esprit.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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