La raison : aller-retour entre connaissance des textes et savoirs temporels

Si les enseignements de l'islam sont globaux (shâmil) et s'ils intéressent toutes les sphères de l'activité humaine, cela ne veut pas dire que la raison humaine n'ait aucun travail à effectuer pour les comprendre et les appréhender dans une dynamique liée au contexte.

Découvrir le fonctionnement du monde, en rechercher les explications et expérimenter de nouvelles possibilités : l'homme a la liberté de tirer profit des ressources du monde, en quelque sorte de chercher à maîtriser la nature. Pour ce faire il est naturellement amené à développer, par les moyens de l'observation et de l'expérimentation, les savoirs liés aux lois physiques, biologiques, liés aux sociétés humaines, etc. Cependant l'homme a le devoir de faire tout ceci sans oublier le but réel de sa vie, qui constitue un objectif bien plus élevé que celui de rester seulement dans le monde de la matière : il s'agit de développer un lien vivant avec Dieu et d'agir pour la justice et la fraternité humaine, dans le cadre d'une modération de l'utilisation des ressources de la terre. Pour ce faire Dieu lui a fourni une lumière – celle de la révélation – qui vient renforcer, préserver et orienter celle de son cœur. Dans les sources de cette lumière, l'homme entend puiser la connaissance du sens de sa vie et des limites à respecter pour une vie de modération, de fraternité, de justice et d'équilibre. Le principe premier étant la permission originelle, l'homme peut inventer de nouveaux outils et de nouvelles choses, peut adopter des coutumes, pourvu qu'il les marie harmonieusement avec les règles et les principes présents dans les sources. La vision que l'homme a du monde – le sens de sa vie et de l'existence – ainsi que les repères, orientations et limites pour les modalités du déroulement de cette vie sont donc touchés par ce que soufflent les sources de la révélation – le Coran et la Sunna. Ces textes fournissent à la conscience et à la raison humaines les principes éthiques (orientations et limites) destinés à gérer l'application de tout ce que la technique rend possible : c'est ainsi que, du point de vue musulman, l'homme parviendra à maîtriser sa maîtrise de la nature. C'est bien ce que le Prophète avait enseigné à Mu'âdh ibn Jabal : "Selon quoi jugeras-tu lorsque le besoin s'en présentera ? – Selon le Livre de Dieu, avait répondu Mu'âdh. – Et si tu ne trouves pas (de solution explicite) dans le Livre de Dieu ? – Je jugerai alors selon les Hadîths du Messager de Dieu, avait répondu Mu'âdh. – Et si tu ne trouves pas (de solution explicite) dans les Hadîths du Messager de Dieu ? – Je ne manquerai alors pas de faire un effort de réflexion (ijtihâd) pour formuler mon opinion, avait répondu Mu'âdh." Sur quoi le Prophète avait manifesté son approbation en ces termes : "Louange à Dieu qui a guidé le messager du Messager de Dieu vers ce qu'agrée le Messager de Dieu" (rapporté par at-Tirmidhî et Abû Dâoûd, voir A'lâm ul-muwaqqi'în, tome 1 pp. 49-50).

Jusqu'ici il s'est agi, pour la raison humaine, d'intégrer les choses temporelles aux règles présentes dans les textes des sources, les textes fournissant à la raison et à la conscience humaines les principes éthiques (orientations et limites) destinés à gérer l'application de tout ce qui, dans lemonde, est en soi possible. C'est ce qui s'appelle l'ijtihâd inshâ'î. Mais qu'en est-il des règles présentes dans ces textes eux-mêmes ? Ces règles-là doivent-elles être appliquées systématiquement telles quelles – la raison se contentant de recevoir passivement ? Une telle conclusion serait hâtive. En effet, les Textes étant parfois très clairs et parfois demandant à être interprétés, la raison humaine a le devoir de lire ces textes, de les comprendre et d'aller en extraire les principes qu'ils recèlent ; c'est l'ijtihâd bayânî. De plus, l'approfondissement dans la compréhension des Textes et des principes qu'ils véhiculent, de même que la meilleure adéquation possible de ces principes au réel du monde concret, demandent que la raison humaine fasse de ces Textes une lecture éveillée et souvent renouvelée ; c'est ce que nous allons voir ci-après...

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Premièrement) Concernant les textes communiquant une conceptions des choses (croyances quant à l'univers, etc.) :

Ainsi, comme Maurice Bucaille l'a écrit, il arrive qu'à propos de passages coraniques en rapport avec des données de la science, des "commentateurs anciens" aient "à leur époque" donné préférence, au sujet d'un mot arabe présent dans le texte coranique et "possédant plusieurs sens possibles", à un sens donné, alors qu'un autre sens, plus adéquat, "apparaît seulement de nos jours grâce [aux] connaissances scientifiques". Se figer alors sur l'ancienne interprétation c'est faire en sorte qu' "un scientifique serait en droit d'émettre – apparemment à juste titre des critiques que le Livre ne mérite pas en réalité". Se pose donc, conclut Bucaille, la question de la permanente relecture de certains passages de traductions ou de commentaires (La Bible, le Coran et la science, p. 121). Bucaille a traité dans son ouvrages de quelques passages coraniques de ce genre, un exemple en étant celui qui parle de "nutfatin amshâj" (Coran 76/2) (Ibid., pp. 202-203).

– A propos de nombreux récits coraniques, le savant indien as-Syôharwî a fait de même : une relecture du passage coranique, un passage en revue des différents avis ayant été présentés au cours des siècles sur le sujet, une référence aux recherches historiques et archéologiques contemporaines, et finalement la préférence donnée à un des avis anciens, voire parfois à un avis contemporain – quand plusieurs avis anciens existaient déjà à propos d'un point donné. Ainsi, à propos des passages coraniques évoquant Dhu-l-Qarnayn et Gog et Magog, as-Syôhârwî a donné préférence à l'avis du musulman indien Abu-l-Kalâm Azâd (du 20ème siècle grégorien / 14ème siècle hégirien) : Dhu-l-Qarnayn est Cyrus II le Perse, et Gog et Magog étaient, pour ce qui est de son époque, les Scythes (voir Qassas ul-qur'ân, tome 3 pp. 121-171 et autres pages afférentes). L'ouvrage de as-Syôharwî, Qassas ul-qur'ân, est un excellent exemple de ce type de relecture des textes en tenant compte d'une part des différentes interprétations ayant été données par les savants et d'autre part des récentes recherches sur le sujet.

– La faculté de raison se trouve-t-elle dans le cerveau ou bien dans le muscle cardiaque ? Cette question fait l'objet, depuis les premiers siècles de l'Islam, d'avis divergents. Et aujourd'hui qu'il est démontré scientifiquement que le raisonnement se fait dans et par le cerveau, c'est à plus forte raison que l'on sera amené à adopter l'avis qui y correspond. Cliquez ici pour en savoir plus.

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Deuxièmement) Concernant les textes communiquant des règles (ahkâm) :

Le principe est exactement le même pour les Textes qui contiennent des règles : il est en soi possible pour la raison humaine d'approfondir la compréhension de ces Textes par une lecture qui tienne compte des autres savoirs du monde. Car s'il y a une partie des Textes qui sont tellement clairs que leur interprétation fait l'objet d'un consensus depuis quatorze siècles, s'il y a aussi, à propos des Textes, des cas où si divergence il y a eu de la part d'un savant, c'est clairement à cause d'une erreur de sa part (zallatu 'âlim), en revanche il y a également un nombre impressionnant de Textes qui font l'objet de lectures différentes depuis quatorze siècles à cause d'une possibilité due aux textes eux-mêmes, et c'est ce qui s'est passé à propos du Hadîth "Que personne d'entre vous n'accomplisse la prière de la fin d'après-midi sauf chez les Banû Qurayza" : bien que l'avis correct soit un, eu égard à la possibilité de divergences d'interprétations, le Prophète n'a pas reproché la présence des deux interprétations de son propos par ses Compagnons). Ici, la raison humaine peut donc être amenée à lire les textes et à donner alors préférence à l'un de ces avis existants à la lumière de sa connaissance du contexte, et/ou à la lumière de ses savoirs scientifiques.
Al-Qaradhâwî
, qui ne se réclame pas d'une des quatre écoles juridiques constituées, écrit qu'il est possible, à propos de ces points où il y a divergence, "de donner préférence, à la fin, à celui de ces avis qui nous paraît le plus valide sur le plan de l'argumentation, et ce en fonction des critères de préférence". Al-Qaradhâwî énumère parmi ces critères : la correspondance avec les objectifs généraux de l'islam, la nécessité du contexte et la souplesse (Al-ijtihâd ul-mu'âssir, p. 24, Sharî'at ul-islâm sâliha, p. 78). Et il parle bien d'avis relevant de la catégorie où la détermination de l'avis correct n'est possible qu'à un niveau zannî.
Toujours à propos de cette même catégorie, voici maintenant les écrits d'un savant de l'école hanafite, Khâlid Saïfullâh : "Il n'est pas contraire au fait de se réclamer d'une école juridique que d'adopter, à propos de certains points, l'avis d'une autre école quand cela est fait à cause du contexte et de la nécessité et non à cause d'un pur intérêt personnel" (Jadîd fiqhî massâ'ïl, tome 2 p. 21). Khâlid Saïfullâh entend donc, pour sa part, rester dans le cadre général de l'école juridique de laquelle il se réclame – l'école hanafite – tout en adoptant ici et là l'avis de savants d'autres écoles, l'objectif étant également de tenir compte du contexte. Il a ainsi écrit à propos du mariage de jeunes filles non pubères que, compte tenu du contexte de l'Inde, il était possible de donner la fatwa sur l'avis d'un savant parmi les Pieux Prédécesseurs qui se nomme Qâdhî Shurayh (Islam aur jadîd mu'âsharatî massâ'ïl, p. 115).
Cheikh Thânwî écrit pour sa part que dans les questions relevant du domaine des mu'âmalât, les muftis compétents peuvent donner fatwa sur l'avis d'une autre école quand il y a un réel besoin à le faire ("daf'-é haradj") (Ijtihâd-o-taqlîd kâ âkhirî fayssla, p. 69, p. 60).
Shâh Waliyyullâh a quant à lui écrit : "(…) les ulémas n'ont pas cessé d'autoriser le fait que des muftis donnent la fatwa à propos des points qui font l'objet de divergences ("al-massâ'ïl al-ijtihâdiyya"), n'ont pas cessé de reconnaître le jugement rendu par les juges ("cadis") et n'ont pas cessé d'agir en certaines occasions selon un avis différent de celui de leur école" (Hujjat ullâh il-baligha, tome 1 p. 455).

A ce qu'on peut appeler "le salafisme avec prise en compte du contexte" fait ainsi écho "le tamadh'hub avec prise en compte du contexte" (cliquez ici). Tous deux entendent donner à la raison la possibilité de faire un double mouvement, entre les Textes et le contexte, même si, différemment du premier, le second préfère le faire en restant dans le cadre général d'une école juridique donnée.

Ceci constitue ce que certains savants contemporains ont nommé : l'ijtihâd intiqâ'ï.

Le fait que des savants donnent ainsi la fatwa sur un autre avis correspond concrètement à deux grands cas de figure : il s'agit de donner préférence soit à l'interprétation qui correspond le plus à l'esprit des Textes, soit à l'interprétation qui correspond le plus au contexte

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A) L'une des interprétations des Textes correspond plus étroitement à l'objectif général (maqsad) présent dans les textes

A.a) … et cette interprétation correspond concrètement à une précaution (ihtiyât) :

– Certains illustres savants étaient d'avis que seul l'alcool de raisin est interdit en grande et en petite quantité ; quant aux autres alcools, ils sont interdits lorsqu'ils sont pris en quantité suffisante pour provoquer l'ivresse ; par contre, il n'est pas interdit d'en consommer en quantité tellement minime qu'elle ne provoque pas l'ivresse et à condition que ce soit pour une raison valable – davantage de force physique. Mais Shah Waliyyullâh et Ibn Rushd disent en substance ceci : tous les savants sont unanimes à dire que l'alcool de raisin est interdit en grande comme en petite quantité ; or dire que l'alcool de raisin est interdit en grande comme en petite quantité, mais que l'alcool fait à partir d'autres produits est, lui, autorisé en petite quantité et interdit seulement en grande quantité, cela ne correspondrait pas à l'habitude du droit musulman, qui est de ne pas faire de différence entre deux choses semblables (voir Hujjat ullâh il-bâligha, tome 2 p. 438 et p. 509, Bidâyat ul-mujtahid, tome 2 p. 876). Cet avis paraît donc correspondre davantage au principe général des textes : "al-jam' bayn al-mutamâthilayn". C'est d'ailleurs pourquoi, au sein de l'école faisant cette différence entre alcool et alcool, la fatwa est donnée selon l'avis des savants disant que la consommation de tout alcool est interdite, même en petite quantité (avis de Muhammad ibn al-Hassan). (Note : la citation de cet exemple dans cette catégorie A.a est possible seulement si on se fonde sur l'avis des spécialistes du Hadîth selon qui le Hadîth rapporté par Abû Dâoûd, n° 3687, et at-Tirmidhî, n° 1866, n'est pas authentique (voir Bidâyat ul-mujtahid, voir aussi l'ouvrage de Cheikh Habîb ur-Rahmân al-A'zamî, Al-Albânî shudhûdhuhû wa akhtâ'uh) ; par contre, au cas où on prend l'avis d'autres spécialistes, selon lesquels ce Hadîth est authentique, cet exemple n'a pas sa place ici car il relève alors de la catégorie B.1 dont nous parlions plus haut.)

A.b) … et cette interprétation correspond concrètement à une facilité (yusr) :

– Le verset qui fait allusion aux dhimmis dit d'eux qu'"... ils donnent la jizya 'an yadin wa hum sâghirûn" (Coran 9/29). Que signifient les termes "dhimmis", "jizya" et "'an yadin", cliquez ici pour le savoir. Ce qui nous intéresse dans cette page-ci est de savoir ce que signifie "wa hum sâghirûn" ? Saïd Ramadan écrit à ce sujet : "Une autre difficulté linguistique a également donné lieu à une polémique étendue. Le mot arabe "sâghirûn", par lequel cette injonction s'achève, est une dérivation du verbe "saghara", qui signifie "se soumettre" ou "être soumis à". La force de ce mot a cependant introduit une notion d'humiliation dans de nombreuses interprétations" (Le droit islamique, son envergure et son équité, Al-Qalam, Paris, 1997, p. 160). Certains savants ont en effet compris de ce mot qu'il fallait que le dhimmi soit humilié. D'autres savants ont été d'avis que ce mot désignait "l'acceptation, par les non-musulmans, du cadre du droit du pays musulman". Ces deux explications concernant ce mot ont été citées par al-Mâwardî (Al-ahkâm us-sultâniyya, p. 182) (voir également Al-Hidâya, tome 1 pp. 577-578). Ibn ul-Qayyim a pris position sur ce point : il pense que la seconde interprétation est correcte : "La vérité à propos de ce verset est que le mot "saghâr" signifie "l'acceptation, par les non-musulmans, du cadre du droit musulman et leur acquittement de la jizya"" ; évoquant l'interprétation disant qu'il s'agit d'humilier le dhimmi, il pense que "cela n'est pas fondé et ne découle pas du contenu de ce verset, et ce n'est pas non plus rapporté du Prophète ou de ses Compagnons qu'ils aient agi ainsi" (Ahkâmu ahl idh-dhimma, tome 1 pp. 23-24). Et cet avis semble correspondre plus que l'autre aux principes généraux demandant de bien agir envers le résident non-musulman (les textes sont bien connus à ce sujet).

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B) L'une des interprétations des Textes correspond le plus à la situation de la société dans laquelle un groupe donné de musulmans vit

B.a) … et cette interprétation correspond concrètement à une précaution (ihtiyât) :

– Garder chez soi des représentations d'êtres animés faites sur une surface (et non dans du volume) (et ne montrant ni une chose adorée, ni une chose vénérée, ni de la nudité) et non exposée sur un mur ni sur un meuble mais traînant ici et là : l'école hanafite dit que cela est permis (voir Al-Hidâya, tome 1 p. 122, Shar'h ma'âni-l-âthâr, tome 4 p. 285) ; d'autres savants comme az-Zuhrî et Abû Bakr ibn ul-Arabî disent que cela est interdit : selon leur interprétation, on ne doit garder aucune image d'un être animé, que cette image traîne par terre ou bien qu'elle soit placée sur un meuble ou un mur (voir Fat'h ul-bârî et Shar'h Muslim). Cliquez ici pour en savoir plus.
Bien que l'école hanafite permette de garder des représentations d'êtres animés qui ne sont pas mises en valeur mais traînent ici et là, des ulémas hanafites de l'Inde les ont aussi interdites : dans un pays comme le leur, où fleurit l'adoration de multiples entités et où différentes représentations d'êtres animés servent de moyen à cette adoration, c'est là la voie de la sagesse et d'une légitime précaution.

– Si l'interdiction de la spéculation (ihtikâr) fait l'unanimité chez les savants, il y a divergence entre ceux-ci à propos de la question de savoir à propos de quels types de marchandises le cas de spéculation est-il avéré ; ainsi, d'après Abû Hanîfa, l'interdiction de la spéculation ne concerne que les matières alimentaires ; selon Abû Yûssuf, par contre, cette interdiction concerne toute marchandise dont la cité a besoin et que le fait de ne pas vendre cause du tort aux habitants de cette cité (Al-Hidâya, tome 2 pp. 454-455). Par rapport au monde contemporain, où les écarts de niveaux de vie sont très marqués entre différentes classes sociales, certains savants ont donné préférence à l'avis relaté de Abû Yûssuf (voir Al-ijtihâd ul-mu'âssir, pp. 31-32).

B.b) … et cette interprétation correspond concrètement à une facilité (yusr) :

– Un nombre conséquent de savants considèrent que les versets parlant des cas de guerre dessinent ce qui fait la règle générale, et l'état normal des relations internationales est donc l'antagonisme ; la paix, dont parlent les autres versets, fait exception par rapport à la règle générale (voir par exemple Al-Hidâya, tome 1 pp. 538-539, Islâm aur jiddat passandî, pp. 102-109). Mais certains autres savants considèrent que ce sont les versets exhortant à la paix qui tracent en fait ce qui fait la règle et que c'est la paix qui est donc l'état normal des relations internationales ; quant aux cas de guerre évoqués dans les autres versets, ils constituent un cas exceptionnel et temporaire par rapport à l'état normal de paix. D'après az-Zuhaylî, ath-Thawrî et al-Awzâ'ï seraient de cet avis (Al-'Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm, Wahba az-Zuhaylî, p. 94). Cliquez ici pour en savoir plus. Dans un monde tel que celui d'aujourd'hui, où les pays sont liés par des accords de paix et où ils ont signé des traités internationaux, certains savants ont donné la fatwa sur l'avis disant que la règle première est la paix (voir la problématique dans Al-ijtihâd ul-mu'âssir, p. 33) : le nom des savants suivants peut à ce sujet être cité : Wahba az-Zuhaylî, Abû Zahra, Faysal al-Mawlawî, Saïd Ramadan al-Bûtî (voir respectivement Al-'Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm, p. 94, Al-'Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm, pp. 50-51, Al-Ussus ash-shar'iyya lil-'alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn, p. 13, Al-jihâd fi-l-islâm, p. 227).

– D'après certains savants – parmi lesquels ceux de l'école hanafite –, seuls les cas de contrainte fondés sur une menace de perte de vie ou de blessures (ik'râh tâmm) font qu'il devient autorisé de faire ce qui – par rapport à ses devoirs vis-à-vis de Dieu – est normalement interdit ; une menace d'emprisonnement ou de coups légers ne constitue pas, selon ces savants, un cas de contrainte suffisante pour avoir le même effet juridique sur de tels actes (ik'râh nâqis) (lire Al-Hidâya, tome 2 p. 330, Al-Fiqh ul-islâmî, tome 6 pp. 4432-4433 et suivantes). Cependant, Ibn Hazm considère pour sa part que tout ce qui constitue un cas de contrainte (ik'râh), de quelque nature que ce soit, rend autorisé ce qui – par rapport à ses devoirs vis-à-vis de Dieu – constitue normalement un péché : recevoir (de la part d'une personne dont on n'est pas certain qu'elle ne mettra pas sa menace à exécution) la menace d'être tué, ou d'être frappé, ou d'être emprisonné, ou de voir ses biens détruits ; de même, s'entendre dire que ces menaces – tuer, frapper, emprisonner, détruire des biens – seront exécutées sur un musulman autre que soi-même, ou sur quelqu'un d'autre (lire Al-Muhallâ, règles n° 1403, 1404, 1409). Or, quand on vit dans un pays, on est sous la contrainte de ce que la loi du pays déclare strictement obligatoire ou strictement interdit, parce qu'on risque l'emprisonnement ou une amende. Ainsi, certains types d'assurance sont interdits, et pourtant la loi de certains pays les rendent obligatoires pour des choses dont les citoyens ne peuvent pas se passer (location d'un toit, etc.). Si, sur ce point précis, on suivait strictement l'avis hanafite, on n'aurait absolument pas le droit de contracter une telle assurance, même face au risque d'être emprisonné (puisque ce genre de contrainte est insuffisant d'après l'école hanafite). C'est pourquoi des muftis donnent sur ce point la fatwa sur l'avis de Ibn Hazm et disent qu'on peut contracter cette assurance en gardant à l'esprit (i'tiqâd) qu'on ne le fait que parce qu'il y a contrainte (ik'râh) et en nous limitant au degré minimal rendu obligatoire par la loi du pays (adh-dharûra tataqaddaru bi qad'r idh-dharûra).

– En islam, le bébé devient le "fils de lait" de la dame qui l'a allaité avant qu'il atteigne l'âge de deux ans ; il devient dès lors "frère de lait" de la fille de cette dame, fille avec laquelle il ne pourra jamais se marier (voir Coran 4/23). Selon l'avis de la plupart des savants musulmans, le simple fait qu'un bébé absorbe le lait maternel d'une dame donnée fait qu'il en devient le fils de lait, même si ce lait lui a été donné au biberon et que cette dame ne l'a pas "allaité" au sens où cela s'entend habituellement (voir par exemple Al-Hidâya, tome 1 p. 332). D'après Ibn Hazm et quelques autres savants, toutefois, le bébé ne devient "fils de lait" d'une dame que s'il en absorbe le lait par le biais d'un "allaitement direct" (ilqâm uth-thad'y) ; d'après Ibn Hazm, prélever du lait maternel puis le donner au bébé par un biberon ne s'appelle pas "allaiter" (irdhâ'), et le bébé ne devient donc ni "fils de lait" de cette dame ni par conséquent "sœur de lait" de la fille de cette dame.
Aujourd'hui, l'établissement de banques de lait maternel (les lactariums) fait partie de la vie et rend d'énormes services dans certains cas, notamment celui des bébés prématurés. Khalid Saïfullâh a également parlé de ces banques (cf. Jadîd fiqhî massâ'ïl, tome 1 pp. 229-230, ou pp. 357-358 dans la nouvelle édition). Or que va-t-il se passer avec ces banques de lait maternel ? Le lait sera reçu de la part de dames volontaires, sera traité et stocké ; quand on donne au bébé le lait provenant de cette banque, on lui fait absorber un lait constitué des dons de dizaines de dames différentes : il faudrait, d'après le premier avis, que l'on prenne note du nom de chaque dame ayant, de telle période à telle période de telle année, donné son lait, afin que le bébé puisse éviter le risque de se marier plus tard avec une des nombreuses filles devenues ses "sœurs de lait" ! Autant dire que les bébés musulmans seront dans l'impossibilité de consommer le lait de ces banques et que celles-ci ne devront pas voir le jour en pays musulman. Sinon l'autre solution est celle que certains savants ont adoptée : ils ont, par rapport au point précis des banques de lait maternel, donné la fatwa sur l'avis de Ibn Hazm (voir Al-ijtihâd ul-mu'âssir, p. 28, Fatâwâ mu'âssira, tome 2 pp. 550-556).

– S'il est une nécessité pour le Chef d'un Etat musulman que de consulter les personnes voulues (peuple, commissions spécialisées, etc.), le résultat se dégageant de cette consultation (shûrâ) a-t-il, par rapport aux décisions du Chef d'Etat, un rôle purement consultatif (mu'lima) ou bien contraignant (mulzima) ? Les deux avis existent chez les savants musulmans. Par rapport à la situation du monde contemporain, où la complexité des affaires sociales cohabite avec la soif d'une citoyenneté active et aussi, malheureusement, avec la tendance de certains personnages à la dictature, al-Qardhâwî donne la fatwa sur l'avis disant que le résultat se dégageant de la consultation (shûrâ) a un rôle contraignant (mulzima) pour le Chef d'Etat (voir Fatâwâ mu'âssira, tome 2 p. 651).

B.c) … et cette interprétation correspond concrètement à ce qui a été prouvé scientifiquement :

– Certains savants parmi nos prédécesseurs étaient d'avis qu'en cas de litige entre deux hommes, chacun prétendant à la paternité d'un enfant né d'une femme non mariée, on ferait le possible pour démêler la vérité et rendre le jugement en fonction (qâfa, etc.) ; et au cas où la vérité serait impossible à trouver, l'enfant serait affilié aux deux hommes : c'est l'avis de Ahmad ibn Hanbal, de Abû Hanîfa, de Abû Yûssuf et de Muhammad ibn ul-Hassan (lire Zâd ul-ma'âd, tome 5 pp. 423-424 ; sauf que l'école hanafite ne considère pas la possibilité du recours à la qiyâfa dans un tel cas). Par contre ash-Shâfi'î était d'avis qu'un enfant ne peut être affilié qu'à un seul homme, et qu'aucune circonstance ne peut faire dérogation à cette règle (Ibid.). En fait les savants de ces premiers siècles pensaient que même une fois formé, l'œuf humain était "enrichi" par le sperme survenu à l'issue de relations intimes ultérieures, qu'il s'agisse du sperme de son concepteur ou du sperme d'un autre homme ; si le sperme d'un autre homme que son concepteur parvenait jusqu'à cet œuf, il avait lui aussi un effet sur lui ("yazîdu fî sam'ihî wa bassarih" : Zâd ul-ma'âd, tome 5 p. 425 et p. 730, Al-Hidâya, tome 1 p. 292, note de bas de page) ; en cas normal l'enfant n'était bien sûr affilié qu'à son concepteur, mais au cas où il était impossible de démêler la réalité, il pouvait donc être affilié à deux hommes différents.
Or, on sait aujourd'hui qu'un seul spermatozoïde féconde l'ovule et que, une fois fécondé, celui-ci se transforme en œuf, lequel devient ensuite l'embryon qui, des mois plus tard, naîtra sous la forme d'un bébé ; on sait aussi qu'une fois formé, l'œuf humain possède en lui les gènes issus de l'ovule maternel et du spermatozoïde paternel et n'est en aucune manière influencé génétiquement par la venue ultérieure d'autres spermatozoïdes. Bien que plus savants dans le domaine de la connaissance des textes des sources – Coran et Sunna –, les illustres personnages des premiers siècles de l'islam n'avaient pas à leur disposition ce savoir fondé sur une observation scientifique récente, et ils avaient la conception que nous avons relevée plus haut ; c'est ce qui les amené à donner l'avis que nous avons vu. Ce n'est pas manquer de respect à la mémoire de ces anciens le fait que des savants contemporains, bien que de moindre stature qu'eux en terme de connaissances des textes des sources, mais sachant désormais ce qui a été prouvé par l'observation en la matière, donnent préférence ici à l'avis de ash-Shâfi'î : il correspond, sur ce point précis, à ce qui est désormais prouvé scientifiquement (lire Al-ijtihâd ul-mu'âssir, p. 36).

– Les écoles malikite et shafi'ite pensaient que la femme peut avoir des menstrues pendant la grossesse. Les écoles hanafite et hanbalite disaient, elles, que les traces de sang que la femme enceinte peut parfois apercevoir ne sont pas des menstrues. Or il est aujourd'hui prouvé scientifiquement que c'est ce second avis qui est juste. Az-Zuhaylî, pourtant shafi'ite, l'a lui-même écrit : "La médecine et la réalité corroborent cet avis" (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, tome 1 p. 613).

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C) Quand deux interprétations existent depuis l'époque des premiers savants, une autre interprétation peut-elle voir le jour par la suite ?

Si, à propos d'une question donnée, divergence il y a eu entre les pieux prédécesseurs mais que seulement deux avis ont été formulés, y a-t-il la possibilité qu'un nouvel avis – un troisième – voie le jour ? Ce point fait l'objet de positions différentes entre les savants musulmans.

Un nombre conséquent de savants pensent qu'un troisième avis ne peut pas voir le jour, car il y a eu une forme de consensus sur ces deux avis entre les prédécesseurs, un "consensus inclusif" ("ijmâ' dhimnî").

D'autres – les zâhirites – disent que, puisque divergence d'avis il y a eu, le point ne fait pas l'objet d'un réel consensus de la part des pieux prédécesseurs, et un autre avis peut donc être pensé par des savants postérieurs très compétents.

D'autres, enfin, à l'instar de al-Amidî et Ibn ul-Hâjib, pensent qu'un nouvel avis peut voir le jour, mais en tant qu'autre synthèse pour concilier les textes différents étant à l'origine de la divergence ; il y a comme condition que le nouvel avis ne fasse pas disparaître la règle constituant le "dénominateur commun" des deux avis précédents, car ce dénominateur commun fait l'objet d'un réel consensus. C'est à cette troisième position que Wahba az-Zuhaylî a donné préférence (voir Ussûl ul-fiqh al-islâmî, tome 1 pp. 492-494). C'est apparemment à cette position aussi que al-Qaradhâwî adhère ; il a d'ailleurs cité quelques exemples d'avis ainsi nouvellement pensés (Al-ijtihâd ul-mu'âssir, pp. 37-39).

Lire à ce sujet notre article détaillé : Lorsque sur une question donnée (mas'ala) il n'y a eu que deux (ou trois, ou quatre, ou plus encore) avis chez tous les Salaf, est-il impossible que des grands savants postérieurs pensent un nouvel avis, par une nouvelle synthèse des textes existant ?.

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D) Les règles qui font l'objet d'un consensus :

– Si ici la raison ne va pas faire autre chose que se laisser orienter par ces règles consensuelles, elle va néanmoins les appréhender aussi dans une perspective qui sera en relation avec le monde : en effet, le rappel (da'wa) et l'application (tanfîdh) de ces règles doivent se faire en tenant compte des possibilités (qad'r ul-istitâ'ah), des priorités (al-awlawiyya) et de la nécessaire progressivité (tad'rîj). Un jour, Abd ul-Malik demanda à son père, Omar ibn Abd il-Azîz, le calife omeyyade célèbre pour sa justice et sa droiture : "Père, pourquoi n'appliques-tu pas [toutes] les choses ? Je ne me soucie pas que moi et toi ayons à supporter des difficultés à cause de ce qui est vrai." Le sage Omar ibn Abd il-Azîz répondit : "Ne te presse pas, mon fils. Dieu a, dans le Coran, fait la critique de l'alcool deux fois et l'a interdit la troisième fois. Je crains que si j'applique d'un coup aux gens (tout) ce qui est vrai, ils délaissent ensuite (tout) ce qui est vrai ; et que naisse à cause de cela une fitna" (cité par ash-Shâtibî, Al-Muwâfaqât, volume 1 p. 402). Il ne s'agit pas de devenir paresseux et, au nom de la progressivité, se donner bonne conscience en remettant tout à des lendemains toujours plus lointains ; il s'agit concrètement de faire une fine analyse des possibilités, puis, parmi ce qui est possible dans le contexte où l'on vit, de fixer les objectifs à atteindre, de tracer les moyens permettant leur réalisation et de déterminer les étapes en fonction des priorités (tahdîd ul-maqâssid, tahdîd ul-wassâ'ïl, tahdîd ul-marâhil) (lire à ce sujet As-siyâssa ash-shar'iyya fî dhaw'i nussûs ish-sharî'ah wa maqâssidihâ, pp. 298-307). Lire également notre article sur le sujet. La raison travaille donc ici aussi, dans cette mesure précise.

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Quatre précisions :

1) Bien que l'Occident affirme avoir libéré la raison humaine des entraves qu'elle connaissait auparavant dans son espace géographique et avoir rendu son autonomie au domaine de la recherche scientifique, tout le monde sait que ce sont les chercheurs et les spécialistes qui mènent des travaux dans ce domaine. Bon nombre des autres citoyens, conscients ne pas avoir les compétences voulues, se contentent de se renseigner auprès de ces spécialistes à chaque fois que le besoin s'en fait sentir et de profiter des applications pratiques de leurs travaux. Affirmer qu'il y a besoin, pour mener à bien des recherches dans un domaine donné, de compétences, ce n'est pas établir un clergé, puisque les compétences sont le fait d'études et que leur acquisition est ouverte à chacun.
C'est la même chose en islam : quand nous disons "la raison humaine peut approfondir sa lecture des textes", nous parlons de la possibilité que l'islam donne à la raison humaine ; mais l'islam demande aussi que cette raison dispose des compétences voulues pour mener à bien ces recherches. Dire que la raison humaine est autonome et possède la faculté d'approfondir sa lecture des textes en fonction du contexte n'empêche donc pas que, dans les faits, les spécialistes de ce domaine mènent ces travaux ; ces spécialistes portent le nom de "muftis", "fuqahâ'", mujtahidûn fi-l-massâ'ïl" ; ils se concertent sur les résultats de leurs travaux, mais ils ne sont pas établis en hiérarchie ecclésiastique : au contraire ils s'interpellent souvent et font une critique constructive des avis les uns des autres ; de plus ils ne forment pas de classe séparée ou d'ordre distinct du reste de la société.

2) La lecture des textes ne doit pas se faire d'une façon qui conduirait à tout relativiser pour légitimer, par une interprétation tendancieuse des textes, tout ce qui se fait dans la société (Sharî'at ul-islâm sâliha, p. 145, pp. 137-139). C'est pourquoi nous musulmans entendons faire cette lecture dynamique de nos sources en nous référant simultanément aux Textes et aux interprétations faites par l'ensemble de nos pieux prédécesseurs, afin d'éviter de tomber dans le "tout relatif" (Sharî'at ul-islâm sâliha, pp. 77-78, Zâhirat ul-ghuluww, p. 15).
Là où il y a consensus véritable, cela signifie que les textes sont fort explicites et que la règle faisant l'objet de ce consensus n'est pas liée à un contexte particulier (Sharî'at ul-islâm sâliha, p. 105). Et même là où il n'y a pas consensus, il ne s'agit pas de donner préférence à un des avis présents simplement parce qu'il semble "adapté à l'époque actuelle", sans recherche, réflexion et consultation aucunes. Al-Qaradhâwî écrit : "Je ne suis pas du nombre de ceux qui disent qu'il est permis d'adopter tout avis juridique pour peu qu'il a été avancé par un savant au cours des siècles, sans même faire de recherche à propos de l'argumentation sur laquelle cet avis repose (…)" (Al-ijtihâd ul-mu'âssir, p. 24). Comment les choses doivent-elles donc se passer ? Là où l'avis divergent s'apparente à une erreur d'un des juristes (zallatu 'âlim), il faut revenir à ce que disent les Textes et délaisser cet avis (Sharî'at ul-islâm sâliha, p. 79). Et à propos de là où la divergence d'avis relève d'une réelle pluralité d'interprétations, al-Qardhâwî écrit : "Ce à quoi j'appelle est que nous comparions les avis et que nous nous référions à leur argumentation – que celle-ci soit un texte ou un raisonnement fait sur la base d'un texte –, afin de donner préférence, à la fin, à celui de ces avis qui nous paraît le plus valide sur le plan de l'argumentation, et ce en fonction des critères de préférence" ; il énumère parmi ces critères : la correspondance avec les objectifs généraux de l'islam, la nécessité du contexte et la souplesse (Al-ijtihâd ul-mu'âssir, p. 24). Il précise lui aussi qu'il s'agit non pas de se précipiter pour donner la fatwa parce qu'on pense que ce serait bien ainsi ; il faut qu'il y ait un vrai et profond travail de recherche sur les argumentations de chaque avis (Idem, p. 98). Il écrit enfin que le mieux serait que les recherches individuelles de ces grands savants soit compétée par des réunions de travail, des échanges de réflexion et la mise en place de conseils de fatwa où différents savants compétents pourraient débattre librement de leurs avis respectifs et s'interpeller (Idem, pp. 103-106).

3) Si la méthodologie du "tamadh'hub avec prise en compte du contexte" en matière de préférence donnée à d'autres avis est comparable à celle du "salafisme avec prise en compte du contexte", une différence subsiste entre les deux dans la mesure où le premier entend rester dans le cadre d'une école juridique précise. La voie de Khâlid Saïfullâh est ainsi de donner à la raison les possibilités que nous avons vues ci-dessus, tout en conservant le cadre général d'une école juridique donnée, tandis que la méthode de al-Qardhâwî est de donner à la raison ces possibilités sans rester dans le cadre général d'une école juridique donnée. En ce qui me concerne personnellement, je suis plus proche de la voie de Khalîd Saïfullâh. Shâh Waliyyullâh – dont nous avons vu l'écrit plus haut quant à la possibilité que les ulémas ont toujours conservée de donner la fatwa sur des avis présents auprès de savants d'autres écoles – a également écrit à propos du fait de suivre une école juridique donnée : "Il y a en cela des bienfaits qui sont clairs, spécialement aujourd'hui où les ardeurs à l'effort ont diminué, où les âmes s'adonnent abondamment à la recherche du plaisir, et où chacun se complaît dans son avis personnel" (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 1 p. 442).

4) Personnellement je n'ai jamais prétendu possèder les compétences voulues pour l'exercice dont nous parlons ; c'est bien pourquoi je me contente de citer les avis des savants : "Khâlid Saïfullâh a sur ce point donné préférence à tel avis", "Az-Zuhaylî a donné préférence à telle opinion", etc. Dans l'article "Est-ce le cerveau ou le coeur qui est le siège de la raison", j'ai certes proposé sur deux points une proposition personnelle, mais j'ai explicitement écrit : "Prière aux frères et soeurs compétents d'en faire une critique constructive". A propos des "choses douteuses", j'ai aussi cité une synthèse personnelle, mais je l'ai indiqué explicitement et ai relaté que si je l'ai écrite c'est parce que mon professeur l'avait appréciée.

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Conclusion :

Ainsi, certes, d'un côté la raison – en fait "le cœur avec l'accompagnement duquel on raisonne" – est amenée à recevoir, des textes de la révélation, d'une part les croyances qui coloreront sa perception des découvertes scientifiques et d'autre part les règles et principes qui orienteront l'application des possibilités techniques. Cependant, d'un autre côté et parallèlement, cette raison est amenée à approfondir la lecture de ces textes à la lumière de l'approfondissement des savoirs scientifiques dans le monde. Le mouvement de la raison est donc double : d'une part, puiser dans les textes de quoi s'orienter dans sa compréhension du monde, et, d'autre part, tenir compte des savoirs et de la réalité du monde pour approfondir sa compréhension des textes. S'il y a donc orientation de la raison par la lumière des textes, il y a aussi, parallèlement, lecture des textes à la lumière du monde.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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