Quelle différence entre "islâm" et "îmân", "muslim" et "mu'min" ?

Question :

Quelle est la différence entre "islâm" et "îmân" ?
Tout "muslim" est-il également "mu'min", ou certains ne le sont-ils pas ?

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Réponse :

En fait il faut, pour répondre à cette question, distinguer plusieurs cas de figure quant à l'utilisation de ces termes...

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A) Lorsque les deux termes sont employés en coordination, alors ce que chacun d'eux indique est totalement distinct de ce que l'autre indique (humâ mutabâyinân) :

C'est ainsi que, dans le Hadîthu Jibrîl, le Prophète a défini le islâm comme "le fait que tu témoignes qu'il n'est pas de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est le Messager de Dieu, que tu accomplisses la prière, que tu donnes la zakât, que tu jeûnes pendant le ramadan, et que tu accomplisses le pèlerinage à la Maison si tu peux t'y rendre", alors qu'il y a défini le îmân comme : "le fait que tu croies en Dieu, en Ses anges, en Ses Livres, en Ses Envoyés, en le Jour dernier, et que tu croies en le destin, que le bien et le mal viennent de Dieu".

Le fait est que le sens littéral de "îmân" est "le fait de croire" (at-tasdîq), tandis que celui de "islâm" est "le fait de se conformer extérieurement" (al-istislâm wa-l-inqiyâd uz-zâhir) (cf. Shar'h Muslim, an-Nawawî, 1/145, 148), et ces deux sens réapparaissent quand les deux termes sont employés en coordination, l'un à côté de l'autre : ce que chacun désigne est alors différent de ce que l'autre désigne. "Imân" renvoie alors aux croyances, qui sont intérieures et expriment ce en quoi on croit, et "islâm" aux actions, qui sont extérieures et constituent l'expression de sa soumission.

Ceci entraîne que tout "mu'min" est aussi "muslim", mais que tout "muslim" n'est pas forcément "mu'min" (baynahumâ 'umûm wa khussûs mutlaqan) ; nous allons le voir en B.a, ci-dessous...

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B) Lorsque l'un ou l'autre de ces termes est employé seul, alors :

Il y a alors deux cas : B.a et B.b

--- B.a) Soit le terme est employé avec la nuance de son sens littéral :

Dans ce cas, ce que désigne le terme "islâm" est distinct de ce que désigne le terme "îmân" (humâ mutabâyinân) (comme en A, ci-dessus).
Ce qui entraîne que tout "mu'min" est aussi "muslim", mais que tout "muslim" n'est pas forcément "mu'min" (baynahumâ 'umûm wa khussûs mutlaqan).

En effet, parfois, même employés seuls (donc hors cas A), les termes "islâm" et "îmân" gardent ainsi une trace de leur sens littéral : la "îmân" est ce qui se trouve dans le cœur, tandis que "islâm" fait référence à l'extérieur uniquement.
Etant donné qu'on ne peut témoigner, à propos d'un homme, que de ce qu'il dit et fait apparemment, et non de ce qui se trouve dans son cœur, on peut donc témoigner que quelqu'un est "muslim", mais non pas du fait qu'il est "mu'min". Le terme "mu'min" désigne donc celui qui croit parfaitement en son cœur. Mais le terme "muslim", lui, n'est plus considéré que dans sa littéralité – celui qui, dans le regard des hommes, est entré en islam – et non plus son sens complet – celui qui est véritablement en islam, corps et cœur (sens que l'on va voir plus bas en B.b).

C'est une fois cette nuance assimilée que l'on pourra comprendre le propos suivant.
Le Prophète (sur lui soit la paix) privilégiait certaines personnes dans le partage de certaines recettes [d'après une interprétation, il s'agissait du khums, et il y a la possibilité de partager celui-ci en fonction de la maslaha]. Sa'd ibn Abî Waqqâs, qui était présent, ne comprit pas que le Prophète donnait en réalité à ceux qui étaient encore faibles dans leur foi, afin de gagner davantage leur cœur. Ayant remarqué que le Prophète n'avait rien donné à Ju'ayl, un musulman des premiers temps, il lui demanda pourquoi il ne lui donnait rien, argumentant : "Je pense bien qu'il est mu'min". Le Prophète lui dit : "Ne dis pas "mu'min", mais plutôt : "muslim"". Le même propos se répéta plusieurs fois entre Sa'd et le Prophète. Puis ce dernier lui dit : "Sa'd, je donne à des personnes alors que ce sont d'autres qui me sont plus chères, de crainte que les premières tombent dans la géhenne" : "عن سعد رضي الله عنه، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم أعطى رهطا وسعد جالس، فترك رسول الله صلى الله عليه وسلم رجلا هو أعجبهم إلي، فقلت: "يا رسول الله ما لك عن فلان؟ فوالله إني لأراه مؤمنا"، فقال: "أو مسلما". فسكت قليلا، ثم غلبني ما أعلم منه، فعدت لمقالتي، فقلت: "ما لك عن فلان؟ فوالله إني لأراه مؤمنا"، فقال: "أو مسلما". ثم غلبني ما أعلم منه فعدت لمقالتي، وعاد رسول الله صلى الله عليه وسلم. ثم قال: "يا سعد إني لأعطي الرجل، وغيره أحب إلي منه، خشية أن يكبه الله في النار"  (al-Bukhârî, 27, Muslim, 150) (avec Fat'h ul-bârî 1/109).
Ce qui nous intéresse ici est ce propos du Prophète : "Ne dis pas "mu'min", mais plutôt : "muslim"" : on note que Sa'd n'avait pas utilisé les deux termes "mu'min" et "muslim" côte à côte (comme dans le hadîth que nous avons vu en A, plus haut) : il n'avait employé que le mot "mu'min" ; malgré tout le Prophète lui dit de ne pas utiliser le terme "mu'min" mais de lui préférer le terme "muslim". Le premier est donc général, le second plus particulier : toute personne véritablement "mu'min" est aussi qualifiée de "muslim", tandis que certains "muslims" ne sont pas qualifiés de "mu'mins", puisque soit ils ne croient pas du tout dans leur cœur, soit leur foi n'est pas complète dans leur cœur (nous allons le voir ci-après).

Un verset du Coran dit : "Des bédouins ont dit : "Nous avons îmân". Dis(-leur) : "Vous n'avez pas la îmân, mais dites (plutôt) : "Nous sommes en islâm". La îmân n'a pas encore pénétré dans vos cœurs"" (Coran 49/14). Ici encore, les bédouins avaient employé le terme "îmân" seul, et on n'est donc pas dans le cas A. Alors, que signifient ces versets qui disent à ces bédouins qu'ils n'ont pas la îmân mais sont seulement en islâm : veulent-ils dire qu'ils sont des Hypocrites, dont la conversion à l'islam n'est qu'apparente, ou signifient-ils autre chose ?
A la différence de ce que dit al-Bukhârî (cf. Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-îmân, bâb n° 19), Ibn Kathîr pense que les bédouins dont il est question dans ce verset (49/14) "n'étaient pas des Hypocrites". Dès lors, puisqu'un autre verset dit des Hypocrites qu'ils "... ont dit avec leur bouche : "Nous avons apporté foi", alors que leur cœur n'a pas apporté foi..." (Coran 5/41), ces bédouins avaient, eux, réellement apporté foi. Mais ce que ce verset 49/14 dit est que ces bédouins possédaient uniquement le minimum de foi dans leur cœur et que la foi ne s'y était pas encore suffisamment développée et profondément enracinée (cf. Tafsîr Ibn Kathîr). C'est cela dont il est question ici : "Vous n'avez pas la îmân" signifie : "Vous n'avez pas encore la îmân complète", comme l'a d'ailleurs dit explicitement la suite du verset : "La îmân n'a pas encore pénétré dans vos cœurs". On voit que, d'après cette interprétation, le terme "îmân", employé de façon inconditionnelle (mutlaqan), désigne "la îmân complète". Il s'agit d'un degré, et ces bédouins ne l'avaient pas encore atteint.

An-Nawawî écrit : "L'approbation ("tasdîq") constitue [avec l'adhésion – "iltizâm"] le premier degré de la foi. Ceci implique pour la personne qu'elle est entrée dans la foi, mais non pas qu'elle en ait nécessairement réalisé tous les degrés. Tant qu'on est à ce stade on n'est pas appelé "mu'min" de façon inconditionnelle" (Shar'h Muslim, 1/147), car cela désigne : "le mu'min parfait".
Ibn Taymiyya écrit ainsi de la posture de l'orthodoxie sunnite à propos du croyant qui fait des péchés qu'elle "ne retire pas de façon inconditionnelle le nom [îmân] et ne l'attribuent pas de façon inconditionnelle. (Mais) nous disons : "Il est mu'min à la foi incomplète", ou "mu'min faisant des péchés", ou "mu'min par sa îmân, fâssiq par sa kabîra"" (MF 7/673).
Ici s'enracine le débat de savoir si on peut dire : "Je suis croyant", ou si on doit obligatoirement dire : "Je suis croyant inshâ Allâh" (الاستثناء في الإيمان) : cela est en relation d'une part avec le fait que nul ne sait dans quel état il va mourir (الموافاة) (MF 7/429-430), et d'autre part parce que le terme "croyant", en arabe : "mu'min", employé de façon inconditionnelle, signifie : "ayant non seulement le Asl ul-îmân, mais aussi le Kamâl ul-îmân" (MF 7/446). Ibn Taymiyya nuance finalement les choses ainsi : "وهذا مطابق لما تقدم من أن المؤمن المطلق هو القائم بالواجبات المستحق للجنة إذا مات على ذلك، وأن المفرط بترك المأمور أو فعل المحظور لا يطلق عليه أنه مؤمن؛ وأن المؤمن المطلق هو البر التقي ولي الله. فإذا قال: "أنا مؤمن" قطعا، كان كقوله: "أنا بر تقي ولي الله" قطعا. وقد كان أحمد وغيره من السلف مع هذا يكرهون سؤال الرجل لغيره: أمؤمن أنت؟ ويكرهون الجواب؛ لأن هذه بدعة أحدثها المرجئة ليحتجوا بها لقولهم؛ فإن الرجل يعلم من نفسه أنه ليس بكافر؛ بل يجد قلبه مصدقا بما جاء به الرسول فيقول: أنا مؤمن فيثبت أن الإيمان هو التصديق لأنك تجزم بأنك مؤمن ولا تجزم بأنك فعلت كل ما أمرت به؛ فلما علم السلف مقصدهم صاروا يكرهون الجواب، أو يفصلون في الجواب؛ وهذا لأن لفظ "الإيمان" فيه إطلاق وتقييد فكانوا يجيبون بالإيمان المقيد الذي لا يستلزم أنه شاهد فيه لنفسه بالكمال. ولهذا كان الصحيح أنه يجوز أن يقال: "أنا مؤمن" بلا استثناء إذا أراد ذلك؛ لكن ينبغي أن يقرن كلامه بما يبين أنه لم يرد الإيمان المطلق الكامل. ولهذا كان أحمد يكره أن يجيب على المطلق بلا استثناء يقدمه. وقال المروذي: قيل لأبي عبد الله نقول: نحن المؤمنون؟ فقال نقول: نحن المسلمون وقال أيضا: قلت لأبي عبد الله: نقول إنا مؤمنون؟ قال: ولكن نقول: إنا مسلمون؛ ومع هذا فلم ينكر على من ترك الاستثناء إذا لم يكن قصده قصد المرجئة أن الإيمان مجرد القول بل يكره تركه لما يعلم أن في قلبه إيمانا وإن كان لا يجزم بكمال إيمانه" (MF 7/448-449).

Ceci concerne les termes "îmân" et "mu'min".

Par contre, on peut employer seuls les noms "islâm" et "muslim" sans qu'ils désignent "le islâm complet" et le "muslim parfait" (car il faut savoir que si, comme nous venons de le voir, le nom "islâm" désigne parfois "la conversion et la pratique extérieures" seulement, il désigne aussi, d'autres fois, "le islâm complet" et englobe alors également la foi et la pratique intérieure : nous allons le voir immédiatement, en B.b.).

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--- B.b) soit chacun de ces deux termes est employé pour désigner son sens complet :

Dans ce cas, chacun de ces deux termes, "islâm" et "îmân", désigne la même chose que ce que l'autre désigne (humâ mutassâwiyân).
Un verset coranique dit ainsi : "Ils te font la faveur qu'ils sont entrés en islâm. Dis : "Ne faites pas la faveur sur moi de votre islâm ; mais plutôt Dieu vous fait la faveur de vous avoir guidé vers la îmân, si vous êtes véridiques"" (Coran 49/17).
Un autre verset dit : "Nous avons fait sortir les mu'minûn qui s'y trouvaient. Nous n'y trouvâmes alors rien qu'une maisonnée de muslimûn" (Coran 51/35). (Voir entre autres Al-Muhallâ, mas'ala n° 75.)

Un autre verset encore dit : "Le "dîn" auprès de Dieu est l'islam" (Coran 3/151). Quand il est dit que l'adhésion à l'islam sera la cause du salut dans l'au-delà, il ne s'agit sûrement pas d'un islam prononcé du bout des lèvres sans que ne l'accompagne aucune foi dans le cœur ; il s'agit, tout au contraire, de l'islam complet – c'est-à-dire de corps et de cœur – ; dès lors, cela revient à la même chose que "îmân".

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C) Enfin, parfois les termes "îmân" et "islâm" sont à appréhender dans un sens figuré :

– Le terme "îmân" peut ainsi désigner : "la forte empreinte de la foi", ou : "de nombreux musulmans".
Ainsi, du Hadîth "Le "îmân" se réfugiera à Médine" (al-Bukhârî 1777, Muslim 147), certains ulémas l'ont interprété comme signifiant qu'il évoque l'époque où surviendront de grandes difficultés. Ensuite :
--- il est possible que le terme "îmân" désigne ici "l'empreinte de la îmân" : c'est-à-dire qu'en ces temps-là, dans les pays musulmans aussi la foi aura une très faible empreinte, et elle n'aura d'empreinte conséquente qu'à Médine ;
--- d'après 'Alî al-qârî, le terme "îmân" signifie ici : "les gens de la îmân" (cf. Mirqât ul-mafâtîh 1/234).
(Quelle que soit l'interprétation reconnue, il est à noter en passant que le lieu ici concerné pourrait être non pas seulement Médine mais aussi ses environs, c'est-à-dire la Mecque ainsi que la région où se situent ces deux cités ; ceci correspondrait alors à l'autre hadîth où on lit : "Le "dîn" se réfugiera au Hedjaz" (at-Tirmidhî 2630) (cf. Mirqât ul-mafâtîh 1/234, 246). (Cliquez ici.))

– Le terme "islâm" peut également signifier : "l'ensemble des musulmans".
C'est avec ce sens qu'il se comprend dans cette parole de Sa'd ibn Abî Waqqâs : "J'ai été pendant 7 jours le tiers de l'islâm" (al-Bukhârî 3521) ; il voulait dire : "le tiers des musulmans alors existant", c'est-à-dire que, selon sa connaissance, ou en tant que parmi les hommes majeurs et libres, il était l'une des 3 seules personnes à avoir alors embrassé l'islam.

– La même chose est vérifiée par rapport au terme "Dîn", dans le propos suivant, de Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée)... Lorsque la parole de Dieu descendit qui dit : "Aujourd'hui, J'ai parachevé votre Dîn, J'ai complété sur vous Mon bienfait, et J'ai agréé pour vous l'islam comme Dîn" (Coran 5/3) , Omar pleura. A la question du Prophète (sur lui soit la paix) : "Qu'est-ce qui te fait pleurer ?", il répondit : "Me fait pleurer que nous étions en augmentation par rapport à notre Dîn ; mais maintenant qu'il est arrivé à la complétion, alors toute chose qui arrive à complétion connaît ensuite un déclin. - Tu as dit vrai, fit le Prophète" : "عن عنترة، قال: لما نزلت: {اليوم أكملت لكم دينكم}، وذلك يوم الحج الأكبر، بكى عمر، فقال له النبي صلى الله عليه وسلم: "ما يبكيك؟" قال: "أبكاني أنّا كنا في زيادة من ديننا؛ فأما إذ كمل، فإنه لم يكمل شيء إلا نقص!" فقال: "صدقت" (Tafsîr ut-Tabarî, 11083). Ici il ne s'agit pas d'une diminution dans le Dîn théorique, mais dans la pratique du Dîn chez les musulmans ; et aussi dans la force de la présence du Dîn dans le Réel (ce qui induit également de nombreux cas d'apostasie). Surtout que la "complétion du Dîn" elle-même fait l'objet d'interprétations différentes : "وفي معنى إكمال الدين خمسة أقوال: أحدها: أنه إكمال فرائضه وحدوده، ولم ينزل بعد هذه الآية تحليل ولا تحريم، قاله ابن عباس، والسدي. فعلى هذا يكون المعنى: اليوم أكملت لكم شرائع دينكم. والثاني: أنه بنفي المشركين عن البيت، فلم يحج معهم مشرك عامئذ، قاله سعيد بن جبير، وقتادة. وقال الشعبي: كمال الدين هاهنا: عزه وظهوره، وذل الشرك ودروسه؛ لا تكامل الفرائض والسنن، لأنها لم تزل تنزل إلى أن قبض رسول الله صلى الله عليه وسلم. فعلى هذا يكون المعنى: اليوم أكملت لكم نصر دينكم. والثالث: أنه رفع النسخ عنه. وأما الفرائض فلم تزل تنزل عليه حتى قبض، روي عن ابن جبير أيضا. والرابع: أنه زوال الخوف من العدو، والظهور عليهم، قاله الزجاج. والخامس: أنه أمن هذه الشريعة من أن تنسخ بأخرى بعدها، كما نسخ بها ما تقدمها" (Zâd ul-massîr).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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