Rechercher la proximité de la tombe d'un pieux (le Prophète ou autre) pour invoquer Dieu, pensant bénéficier ainsi d'une bénédiction (baraka dîniyya) : institué ou pas ?

Question :

Se rendre auprès de la tombe du Prophète (sur lui soit la paix) pour invoquer Dieu auprès d'elle, y a-t-il un mal à cela ? Est-ce que les invocations n'ont-elle pas plus de chances d'être exaucées auprès de la tombe du Prophète, vu les bénédictions (barakât) qui y descendent ?

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Réponse :

Il est établi, écrit Ibn Taymiyya, qu'"il est recommandé, quand on se rend près d'une tombe, de saluer son habitant et de prier Dieu pour lui [s'il est mort en étant croyant]" (Al-Iqtidhâ', p. 300).

Cela est également vrai pour la tombe du Prophète : après avoir salué le Prophète près de sa tombe, il n'y a aucun mal à invoquer Dieu (du'â) (Al-Iqtidhâ', p. 335). Il s'agit de demander à Dieu que, par exemple, Il récompense le Prophète de notre part du mieux qu'Il récompense un prophète de la part de sa Umma, ou encore qu'Il lui accorde le grade appelé "al-wassîla".

Cependant il s'agit là du fait de se rendre sur la tombe d'un homme, de saluer celui-ci puis de faire incidemment ("dhimnan") des invocations.

Par contre, votre question, elle, concerne le fait de se rendre sur la tombe de cet homme avec l'objectif d'y faire des invocations, pensant bénéficier d'une bénédiction particulière (tabarruk dînî) liée à la présence du pieux défunt.

Si les deux actes sont les mêmes en apparence (se rendre auprès de la tombe, saluer son habitant, et ensuite invoquer Dieu), en revanche ils diffèrent dans leur fond.

Et Ibn Taymiyya écrit que si le premier acte est acte de bien, pour sa part le second est mak'rûh : soit mak'rûh tanzîhî, soit mak'rûh tahrîmî ; Et Ibn Taymiyya de dire qu'il trouve plus cela être makr'ûh tahrîmî (Ibid., pp. 310-311).

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Par ailleurs Ibn Taymiyya écrit pareillement que, une fois après s'être rendu auprès de la tombe, faire le dhikr ullâh auprès d'elle ne pose pas de problème, mais que se rendre auprès de la tombe avec l'objectif de faire le dhikr ullâh près d'elle, cela est une bid'a mak'rûhâ (Ibid., p. 350).

Ibn Taymiyya écrit encore que sacrifier un animal au nom de Dieu, mais auprès d'une tombe, cela est systématiquement interdit (Ibid., p. 351). Cette karâhiyya ressort de ce hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) : "حدثنا يحيى بن موسى البلخي، حدثنا عبد الرزاق، أخبرنا معمر، عن ثابت، عن أنس، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لا عقر في الإسلام". قال عبد الرزاق: كانوا يعقرون عند القبر بقرة أو شاة (Abû Dâoûd, 3222) ; Abû Dâoûd a titré dessus : "باب كراهية الذبح عند القبر".

De même, accomplir une prière rituelle (salât) à l'intérieur d'un cimetière est systématiquement interdit (mak'rûh tahrîmî), même si on accomplit cette prière vis-à-vis de Dieu et sans qu'il y ait une tombe entre soi et la qibla.

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Existe-t-il une bénédiction (baraka) particulière liée à la tombe du Prophète, ou à celle d'un autre homme pieux ?

Ibn Taymiyya écrit : "Il est relaté que des actes miraculeux se passent près des tombes des prophètes et des pieux" : il cite ensuite plusieurs choses, parmi lesquelles le fait qu'il arrive que l'on voit des lumières ou des anges auprès de ces tombes, que des animaux refusent de s'approcher d'elles, qu'un feu s'étant déclaré dans le voisinage ait tout brûlé sauf ces tombes et leurs abords immédiats, que l'on ressente une sérénité auprès de ces tombes, que quelqu'un qui ait voulu profaner ces tombes ait reçu une punition divine, etc. (pp. 344-345).

Il cite également le fait que Sa'îd ibn al-Mussayyab, réfugié tout près de la tombe du Prophète pendant le massacre de al-Harra, en l'an 73 de l'hégire, n'avait eu connaissance des horaires des prières que par un son qu'il entendait de la tombe [ce qui est rapporté par ad-Dârimî, n° 93].

Ibn Taymiyya observe : "Cela est vrai en soi (…)." (Al-Iqtidhâ', p. 343).

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Peut-on pour autant chercher à retirer une part de bénédiction (tabarruk bi) de l'une de ces tombes ?

Non.

Ibn Taymiyya poursuit : "Tout cela n'implique pas le caractère recommandé (istihbâb) de se rendre auprès de ces tombes pour faire auprès d'elles la prière rituelle (salât), ou invoquer Dieu, ou encore y faire des rites" (Ibid., p. 345).

Pourquoi ?

Parce que "C'est là quelque chose que Dieu et Son Messager n'ont pas institué [en disant explicitement de le faire], et que n'a fait [non plus] aucun Compagnon, ni Tâbi'î, ni Imâm (référent) des musulmans, et que n'a cité aucun savant ni pieux des premiers temps. (…)
Pourtant les Compagnons ont eu à faire face à la sécheresse et à d'énormes difficultés plusieurs fois. Pourquoi ne se sont-ils pas rendus tout près de la tombe du Prophète pour invoquer Dieu et Lui demander la pluie ou Son aide ? Au contraire, Omar sortit en emmenant al-'Abbâs et lui demanda de faire des invocations demandant à Dieu la pluie ; ils ne l'ont pas fait près de la tombe du Prophète"
(Ibid., pp. 312).

C'est là l'argumentation (très juste) de Ibn Taymiyya :
- cela est quelque chose relatif à une action des 'ibâdât, mais n'a pas été pratiqué par les Compagnons, leurs élèves et les élèves de leurs élèves ;
- alors même que le besoin (muqtadhî) était présent à leur époque (Ibid., p. 316).

C'est cela qui montre que cela n'est pas institué.

Et cette interdiction recèle une mesure de précaution. Car ce qui a trait aux défunts dans leur tombe n'est pas comparable à ce qui a trait aux vivants se trouvant devant soi : dans le premier cas il y a des risques de shirk asghar (et même parfois des risques de shirk akbar) que certaines actions entraînent, qu'elles n'entraînent pas dans le second cas (Ibid., p. 311).
Tout n'est pas interdit par rapport aux défunts, c'est vrai, mais ce n'est pas tout ce qui est autorisé en islam par rapport au pieux vivant qui le serait par rapport au pieux défunt.

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Cela même s'il a été expérimenté que se rendre auprès de la tombe de tel personnage pour prier Dieu auprès d'elle a apporté à celui qui l'a fait l'exaucement de tel de ses demandes :

"On dit que les gens de Constantinople se rendent près de la tombe de Abû Ayyûb pour invoquer Dieu auprès d'elle.
Certes, mais
ces gens ne sont pas nos références*.

Il y a de nombreuses tombes de Compagnons dans différentes villes, où habitaient des Tâbi'ûn et des ulémas venus après eux parmi les référents ("a'imma"). Eux ne se sont jamais partis auprès de la tombe d'un Compagnon pour y invoquer Dieu en Lui demandant Son aide ou la pluie …"
(Ibid., p. 313).
(* A l'époque où Ibn Taymiyya vivait, Constantinople était encore chrétienne, et il veut dire ici que les gens qui se rendent près de la tombe de Abû Ayyûb sont des chrétiens, dont les actions ne constituent pas des références pour nous musulmans.)

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Ibn Taymiyya relate également que certains musulmans disent que les tombes de certains pieux personnages sont connues pour que, lorsque près d'elles on invoque Dieu et on Lui demande quelque chose, cela est exaucé : l'expérience a montré cela, qui est du concret (Ibid., p. 315).

A cela, Ibn Taymiyya répond que
d'une part la source pour établir le caractère recommandé d'une action est le Coran, la Sunna ou l'agir des Meilleures Générations, et non pas une expérience de ce genre (Ibid., p. 317). Et que d'autre part, ce n'est pas tant la proximité de la tombe que la ferveur et la confiance que l'invoquant a eues au moment de demander à Dieu, qui ont été la cause de l'exaucement par Dieu. Et qu'il arrive que même un Polythéiste-Hénothéiste invoquant Dieu le Créateur auprès d'une idole voit sa demande exaucée par Dieu ; cela à cause de sa ferveur dans la demande qu'il a adressée ce jour là à Dieu Seul, et non pas à cause de la proximité de l'idole (Ibid., p. 320).

Ibn Taymiyya écrit également :
"ومن هنا يغلط كثير من الناس، فإنهم يبلغهم أن بعض الأعيان من الصالحين عبدوا عبادة أو دعوا دعاء، ووجدوا أثر تلك العبادة وذلك الدعاء، فيجعلون ذلك دليلا على استحسان تلك العبادة والدعاء، ويجعلون ذلك العمل سُنَّة، كأنه قد فعله نبي.
وهذا غلط، لما ذكرناه. خصوصا إذا كان ذلك العمل إنما كان أثره بصدق قام بقلب فاعله حين الفعل. ثم يفعله الأتباع صورة لا صدقا، فيضرون به؛ لأنه ليس العمل مشروعا فيكونَ لهم ثوابا لمتبعين، ولا قام بهم صدق ذلك الفاعل الذي لعله بصدق الطلب وصحة القصد يكفر عن الفاعل.
ومن هذا الباب ما يحكى من آثار لبعض الشيوخ حصلت في السماع المبتدع: فإن تلك الآثار إنما كانت عن أحوال قامت بقلوب أولئك الرجال حركها محرك، كانوا في سماعه إما مجتهدين، وإما مقصرين تقصيرا غمره حسنات قصدهم؛ فيأخذ الأتباع حضور صورة السماع، وليس حضور أولئك الرجال سنة تتبع، ولا مع المقتدين من الصدق والقصد ما لأجله عذروا أو غفر لهم؛ فيهلكون بذلك.
وكما يحكى عن بعض الشيوخ أنه رئي بعد موته، فقيل له: ما فعل الله بك؟ فقال: أوقفني بين يديه وقال لي: "يا شيخ السوء! أنت الذي كنت تتمثل بسعدى ولبنى؟ لولا أني أعلم أنك صادق لعذبتك".
فإذا سمعت دعاء أو مناجاة مكروهة في الشرع قد قضيت حاجة صاحبها، فكثيرًا مّا، يكون من هذا الباب.
ولهذا كان الأئمة العلماء بشريعة الله يكرهون هذا من أصحابهم، وإن وجد أصحابهم أثره. كما يحكى عن سمنون المحب قال: وقع في قلبي
شيء من هذه الآيات، فجئت إلى دجلة فقلت: "وعزتك لا أذهب حتى يخرج لي حوت!" فخرج حوت عظيم (أو كما قال). قال: فبلغ ذلك الجنيدَ فقال: "كنت أحب أن تخرج إليه حية فتقتله" (Ibid., p. 322).

Fidèles à ses habitudes et toujours aussi pondéré, Ibn Taymiyya n'oublie pas de rappeler que le principe (extrait des textes) veut que les musulmans qui ont malgré tout fait quelque chose qui est interdit en ignorant le caractère interdit de cela, ces musulmans seront pardonnés par Dieu :
"ثم هذا التحريم والكراهة: قد يعلمه الداعي؛ وقد لا يعلمه على وجه لا يعذر فيه، بتقصير في طلب العلم أو ترك للحق؛ وقد لا يعلمه على وجه يعذر فيه، بأن يكون فيه مجتهدا أو مقلدا، كالمجتهد والمقلد اللذين يعذران في سائر الأعمال.
وغير المعذور قد يُتجاوز عنه في ذلك الدعاءِ لكثرة حسناته وصدق قصده، أو لمحض رحمة الله به، أو نحو ذلك من الأسباب.
فالحاصل: أن ما يقع من الدعاء المشتمل على كراهة شرعية: بمنزلة سائر أنواع العبادات. وقد عُلم أن العبادة المشتملة على وصف مكروه قد تغفر تلك الكراهة لصاحبها لاجتهاده، أو تقليده، أو حسناته، أو غير ذلك. ثم ذلك لا يمنع أن يُعلم أن ذلك مكروه ينهى عنه، وإن كان هذا الفاعل المعين قد زال موجب الكراهة في حقه"
(Al-Iqtidhâ', p. 322).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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