Le langage humain - Mot (= Signifiant), Sens (= Signifié), Réalité

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Introduction) C'est Dieu Lui-même qui a enseigné au premier humain les noms de toute chose :

Le passage coranique qui évoque cette particularité de Adam :

"وَعَلَّمَ آدَمَ الأَسْمَاء كُلَّهَا ثُمَّ عَرَضَهُمْ عَلَى الْمَلاَئِكَةِ فَقَالَ أَنبِئُونِي بِأَسْمَاء هَؤُلاء إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ {2/31} قَالُواْ سُبْحَانَكَ لاَ عِلْمَ لَنَا إِلاَّ مَا عَلَّمْتَنَا إِنَّكَ أَنتَ الْعَلِيمُ الْحَكِيمُ {2/32} قَالَ يَا آدَمُ أَنبِئْهُم بِأَسْمَآئِهِمْ فَلَمَّا أَنبَأَهُمْ بِأَسْمَآئِهِمْ قَالَ أَلَمْ أَقُل لَّكُمْ إِنِّي أَعْلَمُ غَيْبَ السَّمَاوَاتِ وَالأَرْضِ وَأَعْلَمُ مَا تُبْدُونَ وَمَا كُنتُمْ تَكْتُمُونَ {2/33"

"Il (= Dieu)
"enseigna à Adam les noms, tous" (Coran 2/31).

Dans ce passage coranique, Dieu nous dit (Coran 2/30) que lorsqu'Il a informé les Anges qu'Il allait placer sur la Terre un khalîfa – l'homme –, ceux-ci Lui ont demandé : "Vas-Tu mettre sur la (Terre) qui y fera le mal et répandra le sang ? Alors que nous, nous proclamons Ta pureté avec Ta Louange, et nous Te glorifions" (Coran 2/30). (Il ne s'agissait pas, de la part de ces Anges, d'une désapprobation de ce que Dieu allait faire, mais de l'expression de leur étonnement – isti'jâb – et d'une recherche de confirmation auprès de Dieu.)
Dieu nous relate qu'Il a alors répondu aux Anges :
"Je sais ce que vous ne savez pas" (Coran 2/30).

Aux versets 2/31-33, Dieu dit : "Et Il [= Dieu] enseigna à Adam les noms, tous" (Coran 2/31). Le prophète Muhammad (sur lui soit la paix) a précisé que ce que Dieu lui a enseigné fut "le nom de chaque chose" (al-Bukhârî, 4206, kitâb ut-tafsîr, bâb 3).

Dieu nous donne la suite du récit (Coran 2/31-33) :
"Ensuite Il [= Dieu] présenta les [choses] aux Anges et dit (à ceux-ci) : "Informez-Moi des Noms de ces [choses] si vous étiez véridiques."
Ils dirent : "Pureté à Toi, nous n'avons de savoir que ce que Tu nous a enseigné."
(Dieu dit) : "O Adam, informe-les des noms des [choses]."
Lorsqu'il leur eut informé de leur(s) nom(s), (Dieu) dit [aux Anges] : "Ne vous avais-Je pas dit que Je sais ce qui caché (dans) les cieux et la Terre, et que Je sais ce que vous exprimez et ce que vous cachiez ?""
(Coran 2/31-33)
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Pourtant, les animaux aussi ont un langage :

--- Ainsi en est-il des fourmis, comme Dieu le relate : "حَتَّى إِذَا أَتَوْا عَلَى وَادِي النَّمْلِ قَالَتْ نَمْلَةٌ يَا أَيُّهَا النَّمْلُ ادْخُلُوا مَسَاكِنَكُمْ لَا يَحْطِمَنَّكُمْ سُلَيْمَانُ وَجُنُودُهُ وَهُمْ لَا يَشْعُرُونَ فَتَبَسَّمَ ضَاحِكًا مِّن قَوْلِهَا وَقَالَ رَبِّ أَوْزِعْنِي أَنْ أَشْكُرَ نِعْمَتَكَ الَّتِي أَنْعَمْتَ عَلَيَّ وَعَلَى وَالِدَيَّ وَأَنْ أَعْمَلَ صَالِحًا تَرْضَاهُ وَأَدْخِلْنِي بِرَحْمَتِكَ فِي عِبَادِكَ الصَّالِحِينَ" : "Lorsque (Salomon et ses armées) arrivèrent dans la vallée des fourmis, une fourmi dit : "O fourmis, rentrez dans vos demeures, que Salomon et ses armées ne vous brisent pas inconsciemment"" (Coran 27/18-19).
Ce qu'on sait aujourd'hui c'est que les fourmis communiquent entre elles par des sons (soit des stridulations, soit des coups donnés sur le sol), par des odeurs (phéromones) et par voie tactile (par le biais de leurs antennes). Lire un article du Figaro au sujet de la communication des fourmis même lorsque encore à l'état de nymphes.

--- Ainsi en est-il aussi des oiseaux. Dieu relate que Salomon (sur lui soit la paix) dit aussi :
"وَوَرِثَ سُلَيْمَانُ دَاوُودَ وَقَالَ يَا أَيُّهَا النَّاسُ عُلِّمْنَا مَنطِقَ الطَّيْرِ وَأُوتِينَا مِن كُلِّ شَيْءٍ إِنَّ هَذَا لَهُوَ الْفَضْلُ الْمُبِينُ" :
"O les hommes, le langage des oiseaux nous a été enseigné, et il nous a été donné de toute chose"
(Coran 27/16).
On voit d'ailleurs ce prophète-roi dialoguer avec la huppe :
"وَتَفَقَّدَ الطَّيْرَ فَقَالَ مَا لِيَ لَا أَرَى الْهُدْهُدَ أَمْ كَانَ مِنَ الْغَائِبِينَ لَأُعَذِّبَنَّهُ عَذَابًا شَدِيدًا أَوْ لَأَذْبَحَنَّهُ أَوْ لَيَأْتِيَنِّي بِسُلْطَانٍ مُّبِينٍ فَمَكَثَ غَيْرَ بَعِيدٍ فَقَالَ أَحَطتُ بِمَا لَمْ تُحِطْ بِهِ وَجِئْتُكَ مِن سَبَإٍ بِنَبَإٍ يَقِينٍ إِنِّي وَجَدتُّ امْرَأَةً تَمْلِكُهُمْ وَأُوتِيَتْ مِن كُلِّ شَيْءٍ وَلَهَا عَرْشٌ عَظِيمٌ وَجَدتُّهَا وَقَوْمَهَا يَسْجُدُونَ لِلشَّمْسِ مِن دُونِ اللَّهِ وَزَيَّنَ لَهُمُ الشَّيْطَانُ أَعْمَالَهُمْ فَصَدَّهُمْ عَنِ السَّبِيلِ فَهُمْ لَا يَهْتَدُونَ أَلَّا يَسْجُدُوا لِلَّهِ الَّذِي يُخْرِجُ الْخَبْءَ فِي السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ وَيَعْلَمُ مَا تُخْفُونَ وَمَا تُعْلِنُونَ اللَّهُ لَا إِلَهَ إِلَّا هُوَ رَبُّ الْعَرْشِ الْعَظِيمِ قَالَ سَنَنظُرُ أَصَدَقْتَ أَمْ كُنتَ مِنَ الْكَاذِبِينَ اذْهَب بِّكِتَابِي هَذَا فَأَلْقِهْ إِلَيْهِمْ ثُمَّ تَوَلَّ عَنْهُمْ فَانظُرْ مَاذَا يَرْجِعُونَ" (Coran 27/20-28)
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Mais en fait, le langage de l'homme a des particularités que ceux de différents animaux (tels les abeilles, les fourmis, les oiseaux, les dauphins ou encore les baleines) n'ont pas.

Les travaux de Emile Benveniste et ceux de Roman Jakobson peuvent être consultés à ce sujet.

Ce que l'on peut dire d'emblée c'est que les animaux ne peuvent pas parler pas de leur langage, contrairement à l'homme, lequel est capable d'utiliser le langage pour parler du... langage (voir une vidéo exposant une explication très intéressante sur le sujet).

D'ailleurs la connaissance que Adam a reçue pour l'avoir entendu de Dieu, c'est la connaissance des noms de toute chose. L'homme peut parler de (et donc appréhender par sa pensée) toute chose (dans la mesure de la connaissance qu'il a et peut avoir de cette chose), même de la chose la plus abstraite. Ce sont ses capacités cognitives que les versets suscités mettent en exergue.

Il y a des animaux aussi qui peuvent apprendre des mots (et je ne parle pas de seulement les répéter, comme le fait un perroquet). Ainsi, le chien, une fois dressé, réagit de la façon voulue au terme "Attaque !" : il se met alors effectivement à attaquer.
Mais
, comme l'a expliqué Benveniste, en ce qui concerne ce chien dressé, ce mot est un signal, et pas un symbole (comme c'est le cas en ce qui concerne l'homme).

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Les Anges aussi parlent par des mots :

Dieu a parlé aux Anges avant même d'avoir enseigné à Adam les noms de toute chose : on le voit dans le passage suscité. Les Anges s'expriment donc eux aussi par des mots, dont ils ont connaissance. Mais ils ont seulement la connaissance que Dieu a insérée en eux. Ils n'ont pas la capacité d'assimiler la connaissance d'autres mots (ou d'autres concepts) par mémorisation, suite au fait d'avoir entendu (ou d'avoir observé). Par contre, l'homme est pour sa part capable d'un tel apprentissage.
Comme Cheikh Thânwî l'écrit, il est tout à fait possible qu'au moment où Dieu a enseigné ces noms à Adam, les Anges aient été présents et aient entendu l'enseignement, mais qu'ils n'aient pas pu assimiler cette science : cela parce que n'ayant pas les capacités de le faire (Bayân ul-qur'ân 1/20).

Par ailleurs, l'enseignement de tous les noms à Adam eut lieu après que Adam eut conversé avec Dieu.

En effet, un hadîth nous apprend que dès que Dieu lui eut donné vie, Adam éternua et dit : "Louange à Dieu" : "عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لما خلق الله آدم ونفخ فيه الروح، عطس فقال: "الحمد لله"، فحمد الله بإذنه. فقال له ربه: رحمك الله يا آدم! اذهب إلى أولئك الملائكة، إلى ملإ منهم جلوس، فقل: "السلام عليكم". قالوا: "وعليك السلام ورحمة الله" ثم رجع إلى ربه، فقال: "إن هذه تحيتك وتحية بنيك بينهم." فقال الله له ويداه مقبوضتان: اختر أيهما شئت، قال: اخترت يمين ربي وكلتا يدي ربي يمين مباركة ثم بسطها فإذا فيها آدم وذريته، فقال: أي رب، ما هؤلاء؟ فقال: هؤلاء ذريتك" (at-Tirmidhî, 3368).

Dieu avait donc alors déjà créé en lui le langage.

Ce qui lui fut enseigné plus tard fut : les noms de toute chose. Cela prouve :
- la capacité de l'Homme à mémoriser un nouvel enseignement,
- sa capacité à dénommer toute chose, ceci lui permettant d'appréhender mentalement même les concepts abstraits.

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L'homme a des aptitudes à s'exprimer que les autres créatures n'ont pas à un degré aussi développé :

--- "الرَّحْمَنُ عَلَّمَ الْقُرْآنَ خَلَقَ الْإِنسَانَ عَلَّمَهُ الْبَيَانَ" :
"Le Miséricordieux, Il a enseigné le Coran. Il a créé l'homme, Il lui a enseigné le fait de s'exprimer"
(Coran 55/1-4).

--- Est-ce que toutes les langues sont des purs produits des sociétés humaines, ou est-ce qu'elles ont été enseignées aux hommes telles quelles par Dieu ?.
Ibn Taymiyya écrit au sujet des langues humaines : "والذين قالوا إنها توقيفية تنازعوا:
هل التوقيف بالخطاب أو بتعريف ضروري أو كليهما؟ فمن قال: إنها توقيفية وإن التوقيف بالخطاب فإنه ينبني على ذلك أن يقال: إنها غير مخلوقة؛ لأنها كلها من كلام الله تعالى. لكن نحن نعلم قطعا أن في أسماء الأعلام ما هو مرتجل وضعه الناس ابتداء فيكون التردد في أسماء الأجناس. وأيضا فإن تعليم الله لآدم بالخطاب لا يوجب بقاء تلك الأسماء بألفاظها في ذريته" (MF 12/447). Cette possibilité, il la précise sur une autre page en disant que cela implique que Dieu a enseigné les noms de toute chose à Adam "en les lui faisant entendre". "فالذين قالوا: إنها غير مخلوقة يقولون: إنها توقيفية وإن التعليم هو بالخطاب، فيكون الله قد تكلم بالأسماء كلها، وكلام الله غير مخلوق" (MF 12/453). Il ajoute sur la première page que cela n'implique cependant pas que ces noms exacts que Dieu a enseignés à Adam en relation avec "toute chose" soient demeurés parmi sa descendance (MF 12/447).

--- Dieu dit aussi : "اقْرَأْ وَرَبُّكَ الْأَكْرَمُ الَّذِي عَلَّمَ بِالْقَلَمِ عَلَّمَ الْإِنسَانَ مَا لَمْ يَعْلَمْ" :
"Lis, et ton Seigneur est le plus généreux : Celui qui a enseigné par le biais de la plume : Il a enseigné à l'homme ce que celui-ci ne savait pas"
(Coran 96/3-5)
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Par contre Ibn Taymiyya met en doute l'avis selon lequel Adam (sur lui soit la paix) avait reçu de Dieu la science de l'expression orale mais aussi celle de l'écriture. Il pense que l'écriture n'est pour sa part apparue que plus tard chez les humains (MF 12/57-58).

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I) Il y a ce qui existe dans la réalité (الحقيقة الخارجة).

L'homme a la capacité d'avoir, dans son esprit, des connaissances liées à cette réalité.

Le 'Ilm (la Connaissance), al-Jurjânî en donne (parmi d'autres) la définition suivante : "وقيل: العلم هو إدراك الشيء [في العقل] على ما هو به" (Kitâb ut-Ta'rîfât).
Les Logiciens utilisent également les termes Tassawwur et Tasdîq : "التصور: حصول صورة الشيء في العقل. التصور هو إدراك الماهية من غير أن يحكم عليها بنفي أو إثبات" (Ibid.). "صورة الشيء في الذهن، فإن كانت تلك الصورة وقوع نسبة بين الشيئين، أو لا وقوعها، فحصولها هو التصديق؛ وإلا فهو التصور" (Ibid.).
Note a : Les termes "Tassawwur" et "Sûra" ici utilisés ne sont pas synonymes de Sûra au sens d'"Image" : ils sont plus globaux.
Note b : La différence entre Mâhiya et Wujûd est relative, comme l'a écrit Ibn Taymiyya : "فمن عنى بالماهية ما في الذهن وبالوجود ما في الخارج، فهو مصيب في قوله: "الوجود مغاير للماهية". وأما إذا عنى بالماهية ما في الخارج وبالوجود ما في الخارج، أوبالماهية ما في الذهن وبالوجود ما في الذهن، وادعى أن في الذهن شيئين وأن في الخارج شيئين: وجود وماهية، فهذا يتخيل خيالا لا حقيقة له. وبهذا التفصيل يزول الاشتباه الحاصل في هذا الموضع" (Minhâj us-sunna, 3/178-179).

Ce qui est su / connu (Ma'lûm) est : "ما أدرك من الشيء في العقل".

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II) Dans l'esprit humain (dhih'n), les Indicateurs / Signes (دالّ) des choses du Réel sont de 2 types :
– l'indicateur naturel (طبعيّ) ;
– l'indicateur conventionnel (وضعيّ).

L'indicateur naturel de quelque chose, c'est ce qui est son lâzim naturel. Par exemple la fumée qui s'élève est l'indicateur de la présence d'un feu (qu'on ne voit pas).
C'est par l'observation et l'expérience (ou par la connaissance reçue d'autrui) que l'homme prend connaissance de ce lien. Il y a des liens d'implication naturelle que l'homme connaît, et d'autres qu'il ne connaît pas (ou ne connaît pas encore).

Quant à l'indicateur conventionnel de quelque chose, c'est ce qui a été relié conventionnellement à telle réalité. On parle alors de : signifiant. Par exemple le feu rouge signifie l'interdiction d'avancer pour les voitures devant la file desquelles il est allumé, parce que des hommes ont fixé, par convention que cette lumière sur le sémaphore avait ce sens. Et c'est uniquement par l'éducation reçue d'autrui que l'homme prend connaissance du lien entre cette lumière et ce sens. Un autre exemple : Le son "ar-bre" signifie, dans l'esprit des francophones, le végétal bien connu.

Dans les deux cas, c'est la raison, "العقل" /"الذهن", qui apprend et mémorise le lien entre la réalité et ce qui indique celle-ci. Dans le premier cas, ce lien existe dans la réalité et dans la raison, alors que dans le second cas ce lien n'existe que dans la raison, et pas dans la réalité.

En tous cas, c'est dans la raison, "العقل" /"الذهن", que le signifié prend place.

En effet, le signifié est la représentation mentale de la chose se trouvant dans la Réalité, et à laquelle le signe est relié.

Il y a donc ici 3 choses :
– le signe ;
– le signifié ;
– la réalité.

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III) Les Indicateurs, Signes (دالّ) sont, selon une autre classification, de 2 autres types :
verbal (لفظيّ) ;
non verbal (غير لفظيّ).

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IV) Ceci nous donne en tout 4 types de Signes :

– le signe naturel et non-verbal (غير لفظيّ وطبعيّ) : la fumée qui s'élève : elle indique la présence d'un feu ;
– le signe naturel et verbal (لفظيّ وطبعيّ) : la toux, qui indique une irritation de l'appareil laryngo-pharyngal ;
– le signe conventionnel et non-verbal (غير لفظيّ ووضعيّ) : le feu rouge : il indique l'interdiction d'avancer ;
– le signe conventionnel et verbal (لفظيّ ووضعيّ) : les mots qui forment le langage humain.

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V) Le langage est l'ensemble des Signes conventionnels qui sont volontairement utilisés pour Communiquer avec autrui, ces signes ayant un Sens particulier.

Il existe ici 3 choses (parfois : 3 + 1 choses) :

le Mot ("اللفظ") ;

le Sens que ce terme évoque dans notre esprit humain ("المتصوَّر", ou : "المعنى") quand nous entendons ce Mot ;
---- si nous avons déjà, de nos yeux, vu la Réalité que ce mot cherche à désigner, il y a dans notre esprit, couplée à ce Sens : l'Image Mentale ("الصورة الذهنية") de cette Réalité ; sinon, il n'y a que le Sens ("المتصوَّر", ou : "المعنى") ;

la Réalité à laquelle ce Sens correspond ("الحقيقة الخارجة").

Le Sens (Ma'nâ) n'est rien d'autre qu'un Ma'lûm, mais on utilise ce terme "Sens" (Ma'nâ) quand ce Ma'lûm est considéré par rapport au Mot (Lafz) qui l'évoque.
Al-Jurjânî écrit : "فـمن حيث أنها تقصد باللفظ سميت: معنًى؛ ومن حيث أنها تحصل من اللفظ في العقل سميت: مفهومًا؛ ومن حيث أنه مقول في جواب ما هو سميت: ماهية؛ ومن حيث ثبوته في الخارج سميت: حقيقة؛ ومن حيث امتيازه عن الأغيار سميت: هوية" (Kitâb ut-Ta'rîfât).

D'ailleurs le terme "Ma'nâ" est possiblement une transformation de : "Ma'nî" (= "signifié"). 'Anâ / Ya'nî veut dire : "vouloir signifier".

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VI) Réalité, Représentation mentale, et Signe de communication :

Un arbre, c'est quelque chose de palpable.

3 choses entrent en jeu par rapport à lui :

--- 1) la réalité concrète de l'arbre (الوجود الخارجيّ) : il s'agit de la chose concrète de la nature, que l'on connaît bien, et qui est dotée d'un tronc et de branches. Cela existe dans le réel ;

--- 2) l'homme a la connaissance, dans son esprit, de ce qu'est un arbre : c'est le niveau mental (المرتبة الذهنيّة) de la réalité de l'arbre. Ce niveau n'a pas d'existence dans le monde réel, il n'est que dans l'esprit humain, et ce dans la mesure où cet esprit a la capacité de se représenter ce qui existe dans le réel (et d'ailleurs ce qui n'y existe même pas) ;

--- 3) l'homme emploie un signe pour communiquer au sujet de cet arbre avec un autre homme.
--- Quel est ce signe ?
----- 3.0) soit l'homme fait un signe du doigt vers l'arbre qui est devant lui et l'autre homme (المرتبة الإشاريّة) ;
----- 3.1) soit l'homme dessine de la façon la plus réaliste qu'il peut, un arbre sur un support : c'est le niveau dessiné (المرتبة الرسميّة) de la réalité de l'arbre ;
----- 3.2) soit l'homme fait un signe corporel qui représente de façon très stylisée l'arbre : c'est le niveau gestuel (المرتبة الإشاريّة) ;
----- 3.3) soit l'homme prononce un son qui, dans le langage conventionnel (= langue) par lequel il communique avec la personne, représente l'arbre : le son qu'il prononce (en français : "ar-bre", en arabe : "sha-ja-ra") est un symbole, un signe, qui renvoie à l'image mentale (2) ; c'est le niveau verbal oral (المرتبة اللفظيّة) de la réalité de l'arbre ;
----- 3.4) soit l'homme trace sur un support un symbole écrit qui représente l'arbre : c'est le niveau verbal écrit (المرتبة الكتابيّة) de la réalité de l'arbre. L'écriture est seulement de la parole transcrite : il s'agit de :
------- 3.4.1) soit une écriture idéographique (un signe tracé qui schématise l'objet et est indépendant des sons par lesquels on désigne l'arbre dans la langue que l'on parle, comme l'écriture hiéroglyphique),
------- 3.4.2) soit une écriture phonétique (un signe tracé qui renvoie aux sons par lesquels on désigne l'arbre dans la langue que l'on parle, comme l'écriture française, ou arabe, etc.).

Ces quatre moyens 3.1, 3.2, 3.3 et 3.4 constituent des représentations (المرتبة الدلاليّة), par l'homme-source, de la réalité extérieure. Ces représentations sont des symboles, et elles servent à faire venir, dans l'esprit de l'homme-cible, l'image de l'arbre.
Ces représentations servent à l'homme à communiquer, à transmettre à un autre homme que lui l'idée de l'arbre, et ce par le fait que cette représentation évoque, dans l'esprit de cet autre homme, cette image mentale que celui-ci a déjà en lui (niveau 2), laquelle image correspond, dans le monde extérieur, à l'objet cité en 1.

(La Connaissance et la Parole sont quelque peu particulières par rapport à cela.)

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VII) Quelques exemples de "présence dans la représentation mentale seulement" :

Questionné par exemple par son fils quant à l'arbre devant lequel lui et son fils se trouvent, l'homme dit parfois : "Cet arbre est sur le bout de la langue, et ça va me revenir". Il veut alors dire : "Je connais le nom de cet arbre, il est quelque part dans ma mémoire, mais j'ai du mal à en faire revenir le souvenir, et donc à le formuler sur ma langue".

Ou encore : "Cet arbre est dans tel livre, chez moi". Il veut alors dire : "Le dessin / la photographie de cet arbre se trouve dans tel livre, chez moi."

Ou encore : "Cet arbre se trouve dans mon coeur, je l'aime tant". Il veut alors dire : "Le souvenir de cet arbre est très fortement présent à mon coeur".

Ibn Taymiyya a décrit cela ainsi, parlant de certains propos de certains soufis qui disent : "Dieu est dans mon cœur" : cela ne peut pas signifier que Dieu se trouve réellement dans le cœur de ces personnes, mais que l'Amour pour Dieu / le Souvenir de Dieu se trouve dans le cœur de ces personnes :
"ثم يقال: إن أريد بهذا اللائح أن يكون الرب نفسه هو الموحّد لنفسه: في قلوب صفوته، لاتحاده بهم أو حلوله فيهم، فهذا قول النصارى؛ وهو باطل شرعا وعقلا.
وإن أريد أنه يعرف صفوتُه من توحيده ومعرفته والإيمان به ما لا يعرفه غيرُهم، فهذا حق، لكن ما قام بقلوبهم ليس هو نفس الخالق تعالى، بل هو العلم به ومحبته ومعرفته وتوحيده. وقد يسمى المثل الأعلى، ويفسر به قوله تعالى: {وله المثل الأعلى في السماوات والأرض} أي في قلوب أهل السماوات والأرض. ويقال له: المثال الحبي والمثال العلمي.
وقد يخيل لناقص العقل إذا أحب شخصا محبة تامة، بحيث فني في حبه، حتى لا يشهد في قلبه غيره، أن نفس المحبوب صار في قلبه. وهو غالط في ذلك، بل المحبوب في موضع آخر: إما في بيته، وإما في المسجد، وإما في موضع آخر. ولكن الذي في قلبه هو مثاله.
وكثيرا ما يقول القائل: "أنت في قلبي"، و"أنت في فؤادي"، والمراد هذا المثال، لأنه قد علم أنه لم يعن ذاته، فإن ذاته منفصلة عنه.
كما يقال: "أنت بين عيني"، و"أنت دائما على لساني"، كما قال الشاعر: مثالك في عيني وذكرك في فمي ... ومثواك في قلبي فكيف تغيب
وقال آخر: ساكن في القلب يعمره ... لست أنساه فأذكره
فجعله ساكنا عامرا للقلب لا ينسى، ولم يرد أن ذاته حصلت في قلبه كما يحصل الإنسان الساكن في بيته، بل هذا الحاصل هو المثال العلمي.
وقال آخر: ومن عجب أني أحن إليهم ... وأسأل عنهم من لقيت وهم معي
وتطلبهم عيني وهم في سوادها ... ويشتاقهم قلبي وهم بين أضلعي.
ومن هذا الباب قول القائل: "القلب بيت الرب"، وما يذكرونه في الإسرائيليات من قوله: "ما وسعتني أرضي ولا سمائي، ولكن وسعني قلب عبدي المؤمن التقي النقي الورع اللين": فليس المراد أن الله نفسه يكون في قلب كل عبد، بل في القلب معرفته ومحبته وعبادته"
(Minhâj us-Sunna, 3/149).

Egalement :
"وأما القائل: "يا سالم" و "يا غانم" فإن قصد به خطاب حاضر ليس بموجود، فهذا قبيح بالاتفاق.
وأما إن قصد به خطاب من سيكون، مثل أن يقول: "قد أخبرني الصادق أن أمتي تلد غلاما ويسمى غانما، فإذا ولدته فهو حر، وقد جعلته وصيا على أولادي، وأنا آمرك يا غانم بكذا وكذا"، لم يكن هذا ممتنعا. وذلك لأن الخطاب هنا هو لحاضر في العلم، وإن كان مفقودا في العين. والإنسان يخاطب من يستحضره في نفسه، ويتذكر أشخاصا قد أمرهم بأشياء، فيقول: يا فلان أما قلت لك كذا.
والشيعة والسنية يروون عن علي رضي الله عنه أنه لما مر بكربلاء قال: "صبرا أبا عبد الله، صبرا أبا عبد الله"، يخاطب الحسين لعلمه بأنه سيقتل، وهذا قبل أن يحضر الحسين بكربلاء ويطلب قتله.
والنبي صلى الله عليه وسلم ذكر الدجال وخروجه وأنه قال: "يا عباد الله اثبتوا" وبعد لم يوجد عباد الله أولئك.
والمسلمون يقولون في صلاتهم: "السلام عليك أيها النبي ورحمة الله وبركاته" وليس هو حاضرا عندهم ولكنه حاضر في قلوبهم.
وقد قال تعالى: {إنما أمره إذا أراد شيئا أن يقول له كن فيكون} وهذا عند أكثر العلماء هو خطاب يكون لمن يعلمه الرب تعالى في نفسه، وإن لم يوجد بعد"
(MS 2/117, en réponse à l'objection qu'il a relatée p. 112).

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VIII) Quelques passages extraits d'un écrit de Emile Benveniste (et datant de 1962) :

"(...) l'homme n'a pas été créé deux fois, une fois sans langage, et une fois avec le langage. L'émergence de Homo dans la série animale peut avoir été favorisée par sa structure corporelle ou son organisation nerveuse ; elle est due avant tout à sa faculté de représentation symbolique, source commune de la pensée, du langage et de la société. Cette capacité symbolique est à la base des fonctions conceptuelles.

La pensée n'est rien autre que ce pouvoir de construire des représentations des choses et d'opérer sur ces représentations. Elle est par essence symbolique. La transformation symbolique des éléments de la réalité ou de l'expérience en concepts est le processus par lequel s'accomplit le pouvoir rationalisant de l'esprit. La pensée n'est pas un simple reflet du monde ; elle catégorise la réalité, et en cette fonction organisatrice elle est si étroitement associée au langage qu'on peut être tenté d'identifier pensée et langage à ce point de vue. En effet la faculté symbolique chez l'homme atteint sa réalisation suprême dans le langage. Il est l'expression symbolique par excellence ; tous les autres systèmes de communications, graphiques, gestuels, visuels, etc. en sont dérivés et le supposent."

"(...) le langage est le symbolisme le plus économique. A la différence d'autres systèmes représentatifs, il ne demande aucun effort musculaire, il n'entraîne pas de déplacement corporel, il n'impose pas de manipulation laborieuse. Imaginons ce que serait la tâche de représenter aux yeux une "création du monde" s'il était possible de la figurer en images peintes, sculptées ou autres au prix d'un labeur insensé ; puis, voyons ce que devient la même histoire quand elle se réalise dans le récit, suite de petits bruits vocaux qui s'évanouissent sitôt émis, sitôt perçus, mais toute l'âme s'en exalte, et les générations les répètent, et chaque fois que la parole déploie l'événement, chaque fois le monde recommence. Aucun pouvoir n'égalera jamais celui-là, qui fait tant avec si peu.

Qu'un pareil système de symboles existe nous dévoile une des données essentielles, la plus profonde peut-être, de la condition humaine : c'est qu'il n'y a pas de relation naturelle, immédiate et directe entre l'homme et le monde, ni entre l'homme et l'homme. ll y faut un intermédiaire, cet appareil symbolique, qui a rendu possibles la pensée et le langage. Hors de la sphère biologique, la capacité symbolique est la capacité la plus spécifique de l'être humain."

"En posant l'homme dans sa relation avec la nature ou dans sa relation avec l'homme, par le truchement du langage, nous posons la société. Cela n'est pas coïncidence historique, mais enchaînement nécessaire.
Car le langage se réalise toujours dans une langue, dans une structure linguistique définie et particulière, inséparable d'une société définie et particulière. Langue et société ne se conçoivent pas l'une sans l'autre. L'une et l'autre sont données. Mais aussi l'une et l'autre sont apprises par l'être humain, qui n'en possède pas la connaissance innée.

L'enfant naît et se développe dans la société des hommes. Ce sont des humains adultes, ses parents, qui lui inculquent l'usage de la parole. L'acquisition du langage est une expérience qui va de pair chez l'enfant avec la formation du symbole et la construction de l'objet. ll apprend les choses par leur nom ; il découvre que tout a un nom et que d'apprendre les noms lui donne la disposition des choses. Mais il découvre aussi qu'il a lui-même un nom et que par là il communique avec son entourage. Ainsi s'éveille en lui la conscience du milieu social où il baigne et qui façonnera peu à peu son esprit par l'intermédiaire du langage.
A mesure qu'il devient capable d'opérations intellectuelles plus complexes, il est intégré à la culture qui l'environne. J'appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-delà l'accomplissement des fonctions biologiques, donne a la vie et à l'activité humaines forme, sens et contenu. La culture est inhérente à la société des hommes, quel que soit le niveau de civilisation. Elle consiste en une foule de notions et de prescriptions, aussi en des interdits spécifiques ; ce qu'une culture interdit la caractérise au moins autant que ce qu'elle prescrit. Le monde animal ne connaît pas de prohibition.
Or ce phénomène humain, la culture, est un phénomène entièrement symbolique. La culture se définit comme un ensemble très complexe de représentations, organisées par un code de relations et de valeurs : traditions, religion, lois, politique, éthique, arts, tout cela dont l'homme, où qu'il naisse, sera imprégné dans sa conscience la plus profonde et qui dirigera son comportement dans toutes les formes de son activité, qu'est-ce donc sinon un univers de symboles intégrés en une structure spécifique et que le langage manifeste et transmet ? Par la langue l'homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s'identifie chaque société. La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C'est en définitive le symbole qui noue ce lien vivant entre l'homme, la langue et la culture."

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Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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