Les variantes de récitation du texte coranique (qirâ'ât) doivent être établies, cela est certain. Mais établies de qui ? Les variantes acceptées sont-elles toutes établies du Prophète lui-même (sur lui soit la paix), ou bien certaines ne le sont-elles que de Compagnons, ou d'élèves de ceux-ci ?

I) Nous avons déjà dit dans un article précédent que les 7 harf, qui sont les catégories des variantes de récitation du texte coranique, qirâ'ât, sont les suivantes d'après l'avis auquel va notre préférence (c'est celui de Abu-l-Fadhl ar-Râzî) :

a) variantes d'accents (ikhtilâf ul-lahajât) : par exemple "nâs" / "nès" ; "yûmin" / "yu'min""salaka-kum" / "salak'kum" ;
b) variantes dans le genre d'un nom (ikhtilâf ul-asmâ') : c'est-à-dire féminin / masculin ;
c) variantes de termes (al-ibdâl) : comme "al-'ihn" / "as-Sûf" (la seconde variante étant rapportée de Ibn Mas'ûd) ; ou comme "wa tal'hin" / "wa tal'in" (la seconde variante étant relatée par Alî : Fat'h ul-bârî 9/37) ;
d) variantes liées aux cas syntaxiques (ikhtilâfu wujûh il-a'râb) : comme "al-'ayna" / "al-'aynu" ;
e) variantes de temps de conjugaison des verbes (ikhtilâfu tas'rîf il-af'âl) : "bâ'id" / "ba'ada" ;
f) variantes liées à une inversion de mots (ikhtilâf ut-taqdîm wa-t-ta'khîr) : comme "wa jâ'at sak'rat ul-mawti bi-l-haqqi" / "wa jâ'at sak'rat ul-haqqi bi-l-mawti", cette seconde variante étant celle relatée par Abû Bakr (Fath ul-bârî, tome 9 p. 37) ;
g) variantes liées à la majoration ou à la diminution d'un ou deux mots (ikhtilâf un-naqs wa-z-ziyâda) : comme "wa mâ khalaqa-dh-dhakara wa-l-unthâ" / "wa-dh-dhakari wa-l-unthâ" (la seconde variante étant rapportée du Prophète par Abu-d-Dardâ' ; Ibn Mas'ûd aussi récitait de la sorte).

Les 3 premières catégories sont liées aux différences dialectales qui existaient alors entre différentes régions d'Arabie...
Les 4 dernières catégories sont quant à elles dues non plus aux seules différences dialectales mais à une multiplicité – due à la souplesse de la révélation coranique – de récitations.

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II) Nous avons dit dans un autre article encore que, pour pouvoir être récitée en tant que kayfiyyat ul-adâ' du texte coranique, toute variante doit satisfaire à 3 conditions :

1) "أن تثبت بسند صحيح" : être établie par une chaîne de transmission authentique (sahîh) ;
2) "وأن توافق العربية والرسم" : être conforme à la langue arabe, et pouvoir être lue à partir de la graphie des copies uthmaniennes (ou au moins de l'une de ces copies) ;
3) "وأن تكون مع ذلك مشهورة عند أئمة هذا الشأن" : avoir été reconnue par les spécialistes de la discipline (cette 3ème condition a été mentionnée par as-Suyûtî – Al-Itqân, p. 239, et pp. 241-242).

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III) Ici, une question supplémentaire se pose par rapport à l'origine de cette relation : La variante doit être dûment établie depuis la source, cela constitue la condition 1, et cela est certain. Cependant, quelle est cette source ? Toutes les variantes ont-elles dû être établies du Prophète (sur lui soit la paix) lui-même ? Ou bien a-t-il suffi qu'elles soient établies de Compagnons, de leurs élèves ou d'élèves de leurs élèves ?

Ci-après quelques dits en relation avec ce point...

--- Al-Bukhârî écrit : "وقال أحمد (رحمه الله): لا يعجبني قراءة حمزة" : "Ahmad ibn Hanbal a dit : "La Qirâ'ah de Hamza* ne me plaît pas."" [* Hamza : l'un des Imams de Qirâ'ah, m. en 156 a. h.]. Al-Bukhârî enchaîne : "ولا يقال: لا يعجبني القرآن" : "(Or) on ne dit pas : "Le Coran ne me plaît pas"" (Khalqu af'âl il-'ibâd, point n° 424, p. 105 dans l'édition que je possède). Ce que Ahmad n'aimait pas dans la Qirâ'ah de Hamza, c'est certaines prononciations : "ولم يكره قراءة أحد من العشر، إلا قراءة حمزة والكسائي، لما فيها من الكسر والإدغام والتكلف وزيادة المد" (Al-Mughnî, 2/48).
Pour en revenir au propos de al-Bukhârî, ce dernier dit aussi : "حتى قال بعضهم: مَن قَرَأ بقراءة حمزة، أعاد الصلاة" : "Au point que certain parmi eux [= les ulémas] a dit : "Celui qui a récité selon la Qirâ'ah de Hamza devra recommencer la prière"" (Khalqu af'âl il-'ibâd, point n° 424, p. 105 dans l'édition que je possède). Celui qui a dit cela est Hammâd ibn Zayd. Pour sa part, Ahmad ibn Hanbal n'est pas allé jusque là : "قال الأثرم: قلت لأبي عبد الله: "إمام كان يصلي بقراءة حمزة أصلي خلفه؟" قال: "لا يبلغ به هذا كله، ولكنها لا تعجبني قراءة حمزة" (Al-Mughnî, 2/48).
Le propos de Ahmad ibn Hanbal prouve ce que az-Zarkashî a dit : le texte coranique est une chose, tandis que les variantes de récitation de ce texte sont chose lui étant liée tout en demeurant distincte de lui ; c'est ce que al-Bukhârâi a fait remarquer : "ولا يقال: لا يعجبني القرآن" : "(Or) on ne dit pas : "Le Coran ne me plaît pas"".
Mais ce que le propos de Ahmad ibn Hanbal prouve également, c'est qu'il pensait que la totalité des variantes constituant "la Qirâ'ah de Hamza" ne proviennent pas du Prophète (sur lui soit la paix). Sinon il n'aurait jamais dit que cette Qirâ'ah "ne" lui "plaît pas", tout en affirmant que "la prière effectuée en récitant d'après cette Qirâ'ah est valide", et al-Bukhârî n'aurait pas relaté et approuvé son propos !

--- Ayant un jour appris que Ibn Mas'ûd (que Dieu l'agrée) enseignait "عتّى حِين" ("'attâ hîn") au lieu de "حتّى حِين" ("hattâ hîn") (il s'agit d'une formule présente en tout dans 6 versets du Coran), Omar ibn ul-Khattâb, alors calife (que Dieu l'agrée), lui écrivit pour lui dire : "Le Coran a été révélé selon le dialecte qurayshite. Enseigne (le) donc aux gens selon le dialecte qurayshite et non selon le dialecte hudhaylite" (إنّ القرآن نزل بلسان قريش، فأقرئ الناس بلغة قريش لا بلغة هذيل) (Fat'h ul-bârî, 9/35, 13). En effet, c'est dans le dialecte des Banû Hudhayl que l'on prononce "عتّى" ("'attâ") au lieu du "حتّى" ("hattâ") habituel, que les Quraysh prononcent pour leur part (Fat'h ul-bârî, 9/36). (Cela est comparable au fait que c'est dans le dialecte des Banû Tamîm que l'on prononce la lettre hamza [sâkina], que les Quraysh ne prononcent pas pour leur part.)
Or la variante "'attâ hîn" que Ibn Mas'ûd enseignait relevait de la catégorie des variantes liées aux accents, et constituait une différence de prononciation seulement due à des accents régionaux. Omar lui écrivit donc pour lui dire que pour ceux qui, comme lui, n'avaient pas besoin d'avoir recours aux accents d'autres régions de l'Arabie, il valait mieux réciter et enseigner le texte selon l'accent qurayshite, ce dernier étant celui selon lequel la récitation se faisait au début, avant que le Prophète demande l'autorisation que le texte coranique puisse être récité avec des variantes (même si les différences d'accents ne formaient qu'une des 7 catégories de variantes instituées).
Ibn Hajar a présenté ce que Omar ibn ul-Khattâb écrivit ainsi à Ibn Mas'ûd comme étant une preuve du fait qu'"il est établi de plus d'un Compagnon qu'il récitait l'équivalent, même si celui-ci n'avait pas été entendu du Prophète". Voici les termes exacts de Ibn Hajar :
"إن الإباحة المذكورة لم تقع بالتشهي (أي أنّ كل أحد يُغَيِّرُ الكلمة بمرادفها في لغته)، بل المراعى في ذلك السماع من النبي صلى الله عليه وسلم؛ ويشير إلى ذلك قول كل من عمر وهشام في حديث الباب: "أقرأني النبي صلى الله عليه وسلم". لكن ثبت عن غير واحد من الصحابة أنه كان يقرأ بالمرادف ولو لم يكن مسموعا له؛ ومِنْ ثمَّ أنكر عمر على ابن مسعود قراءته "عتى حين" أي "حتى حين" وكتب إليه: "إن القرآن لم ينزل بلغة هذيل، فأقرئ الناس بلغة قريش ولا تقرئهم بلغة هذيل"" (Fat'h ul-bârî, 9/35).
On voit que d'après cet écrit de Ibn Hajar il y a bien eu certaines catégories de variantes pour lesquelles le Prophète avait accordé une permission générale, et des Compagnons ont prononcé certains mots du texte coranique d'après tel dialecte même s'ils n'avaient pas entendu en détail le Prophète le réciter ainsi. Le Prophète avait bien dit : "Ce Coran a été descendu avec 7 (catégories de) variantes de récitation (harf). Récitez-en donc ce qui vous est aisé" (al-Bukhârî, 4706). On peut comprendre cela comme une permission de principe, générale, quant aux différences d'accents. Par contre, plus tard, de telles variantes rendues impossibles à réciter à partir des copies uthmaniennes durent être délaissées (ne satisfaisant pas à la condition n° 2 citée plus haut) (et devinrent alors : "shâdhdh", à l'instar de ce "عتى حين", rendu impossible à réciter, vu que c'est "حتى حين" qui est écrit dans les copies) (lire notre article consacré à ce point).

--- De même, Uthmân ibn 'Affân, alors calife (que Dieu l'agrée), avait dit aux 3 membres qurayshites de la commission chargée de préparer les copies coraniques : "Si vous et Zayd ibn Thâbit divergez à propos de la forme arabe de quelque chose du texte coranique, alors écrivez-le d'après le dialecte des Quraysh. Car le Coran a été révélé dans leur dialecte" : "إذا اختلفتم أنتم وزيد بن ثابت في عربية من عربية القرآن فاكتبوها بلسان قريش، فإن القرآن أنزل بلسانهم" (al-Bukhârî 4699, etc.). Ils eurent un désaccord au sujet du terme coranique "التابوت" ("at-tâbût") (Coran 2/248) : les trois qurayshites de la commission disaient : "التابوت" ("at-tâbût"), alors que Zayd ibn Thâbit disait : "التابوه" ("at-tâbûh"). Ils en référèrent donc à Uthmân, qui leur dit : "Ecrivez-le : "التابوت" ("at-tâbût"), car le (Coran) a été révélé selon le dialecte des Quraysh" : "قال الزهري: فاختلفوا يومئذ في التابوت والتابوه، فقال القرشيون: "التابوت"، وقال زيد: "التابوه". فرفع اختلافهم إلى عثمان، فقال: "اكتبوه: "التابوت"، فإنه نزل بلسان قريش" (at-Tirmidhî, 3104).
Cette divergence entre Zayd ibn Thâbit et les trois autres membres de la commission était seulement de l'ordre de la prononciation liée aux différences dialectales : "التابوت" ("at-tâbût") / "التابوه" ("at-tâbûh"). Le propos de Uthmân était donc de donner préférence à la prononciation qurayshite en la matière, car cela était mieux (vu que cela constituait ce qui faisait au début : cliquez ici et ici).
Cependant, la possibilité de divergence que Uthmân avait annoncée ("Si vous et Zayd ibn Thâbit divergez à propos de la forme arabe de quelque chose du texte coranique, alors écrivez-le d'après le dialecte des Quraysh") prouve que, pour ce genre de prononciation, il y avait eu jusqu'alors latitude d'opter pour ce qui était le plus facile. Cela semble de nouveau relever de la permission générale accordée par le Prophète, et ces Compagnons ont récité de ces deux façons différentes "التابوت" ("at-tâbût") / "التابوه" ("at-tâbûh") même s'ils n'avaient pas entendu le Prophète les réciter toutes deux.

--- De même encore, Sufyân ibn 'Uyayna récitait non pas : "حَتَّى إِذَا فُزِّعَ عَن قُلُوبِهِمْ" ("hattâ idhâ fuzzi'a 'an qulûbihim"), mais : "حَتَّى إِذَا فُرِّغَ عَن قُلُوبِهِمْ" ("hattâ idhâ furrigha 'an qulûbihim") (Coran 34/23), affirmait : "C'est là notre qirâ'a", et précisa : "'Amr récitait ainsi. Je ne sais pas s'il l'a entendu (ainsi) (de 'Ik'rima) ou pas" :
"وحدثنا علي بن عبد الله، حدثنا سفيان، فقال: قال عمرو: سمعت عكرمة، حدثنا أبو هريرة، قال: "إذا قضى الله الأمر"، وقال: "على فم الساحر". قلت لسفيان: "أأنت سمعت عمرا قال: سمعت عكرمة قال: سمعت أبا هريرة؟" قال: "نعم". قلت لسفيان: "إن إنسانا روى عنك عن عمرو عن عكرمة عن أبي هريرة ويرفعه أنه قرأ: {فرغ}؟" قال سفيان: "هكذا قرأ عمرو؛ فلا أدري سمعه هكذا أم لا". قال سفيان: "وهي قراءتنا" (al-Bukhârî, 4424 : Kitâb ut-tafsîr, sûrat ul-hijr).
Al-Kirmânî écrit :
"فإن قيل: كيف جازت القراءة إذا لم تكن مسموعة؟
فالجواب: لعل مذهبه جواز القراءة بدون السماع إذا كان المعنى صحيحا"

"Si quelqu'un dit : "Comment une qirâ'ah est-elle autorisée [aux yeux de Suf'yân alors que celui-ci n'est] pas [certain qu']elle ait été entendue ainsi [du Prophète, sur lui soit la paix] ?",
la réponse est
: "Peut-être que son avis [= l'avis de Sufyân ibn 'Uyayna] est qu'il est autorisé de faire une qirâ'ah même si elle n'a pas été entendue [du Prophète], dès lors que le sens [de cette qirâ'ah pouvant être lue à partir du socle des lettres des copies coraniques] est juste""
(cité dans Fat'h ul-bârî 8/685).

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Au vu de tout ce que nous venons de voir, nous pouvons conclure ce qui suit...

A) Des variantes liées seulement aux accents régionaux, ou à des considérations purement syntaxiques, ont été autorisées même si le Prophète (sur lui soit la paix) ne les avait pas enseignées de façon détaillée : cela relève de la permission générale qui avait été accordée de la part de Dieu et que le Prophète avait formulée en ces termes : "إِنَّ الْقُرْآنَ أُنْزِلَ عَلَى سَبْعَةِ أَحْرُفٍ، فَاقْرَءُوا مَا تَيَسَّرَ مِنْهُ" : "Récitez-en ce qui vous est aisé" (al-Bukhârî, Muslim, etc.) : ces différences minimes ont été autorisées de façon générale.

Par exemple :
--- la première voyelle longue du terme "آمَنُوْا" : faut-il l'allonger d'une durée d'1 seul alif, ou bien de 5 alifs ?
--- la voyelle longue du terme "النَّاس" : faut-il la prononcer "â", ou bien "é" ? etc.
--- réciter : "يُوْمِن", ou bien "يُؤْمِن" (prononcer la lettre "hamza" ou en faire l'élision) ?
--- prononcer : "حَتّى حِيْن", ou bien : "عَتّى حِيْن" ?
--- lire : "التابوه", ou bien : "التابوت" ?

C'est pour cette raison que Ahmad ibn Hanbal a dit ce que nous avons cité de lui plus haut : "لا يعجبني قراءة حمزة" : "La Qirâ'ah de Hamza ne me plaît pas" ; et que al-Bukhârî a dit ensuite : "ولا يقال: لا يعجبني القرآن" : "(Or) on ne dit pas : "Le Coran ne me plaît pas"" (Khalqu af'âl il-'ibâd, p. 105). Cela alors même que la Qirâ'ah de Hamza fait bien partie des Qirâ'ât reconnues par les Spécialistes !

Car il s'agit là seulement de différentes façons de prononcer ces mots :
- ces mots sont, pour leur part, établis du Prophète (sur lui soit la paix) au tawâtur ;
- par contre, la façon de les prononcer selon tel accent ou tel autre, ou encore selon telle composition syntaxique ou telle autre, cela a été laissé à la diversité des Arabes de l'époque.

Cependant, pour pouvoir être récitées comme kayfiyyat ul-adâ' du texte coranique, il faut désormais que ces variantes puissent être lues à partir de la graphie des copies uthmaniennes (et satisfassent donc à la condition n° 2) (c'est pourquoi ni "عَتّى حِيْن" ni "التابوه" ne peuvent plus être récitées) ; il faut de surcroît qu'elles aient ultérieurement été reconnues par les Spécialistes de la discipline des variantes de récitation (A'ïmmat ul-Qirâ'ât), et satisfassent donc à la condition n° 3.

On peut peut-être trouver allusion à cela dans ces deux propos de Ibn Taymiyya : "وأما قول السائل: ما السبب الذي أوجب الاختلاف بين القراء فيما احتمله خط المصحف؟ فهذا مرجعه إلى النقل واللغة العربية، لتسويغ الشارع لهم القراءة بذلك كله، إذ ليس لأحد أن يقرأ قراءة بمجرد رأيه؛ بل القراءة سنة متبعة. وهم إذا اتفقوا على اتباع القرآن المكتوب في المصحف الإمامي وقد قرأ بعضهم بالياء وبعضهم بالتاء، لم يكن واحد منهما خارجا عن المصحف" (MF 13/399) ; "وسبب تنوع القراءات فيما احتمله خط المصحف هو تجويز الشارع وتسويغه ذلك لهم؛ إذ مرجع ذلك إلى السنة والاتباع، لا إلى الرأي والابتداع" (MF 13/402).

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B) On pourrait même se demander si, pour un mot établi de telle racine, lire ce mot avec tels points diacritiques et telles voyelles (كُذِبُوا) (نُنْسِهَا), ou avec tels autres points et telles autres voyelles (كُذِّبُوا) (تَنْسَهَا), cela ne faisait pas lui aussi l'objet d'une certaine latitude, de façon comparable à ce qui a été dit en A.
Si on pourrait se demander cela, c'est à cause des débats qui sont relatés entre des Grands de cette époque sur le sujet...
Aïcha (que Dieu l'agrée) n'était ainsi pas d'accord avec la lecture "كُذِبُوا" (pourtant variante elle aussi reconnue) : "عن ابن شهاب، قال: أخبرني عروة بن الزبير، عن عائشة رضي الله عنها، قالت له وهو يسألها عن قول الله تعالى: {حتى إذا استيأس الرسل} قال: قلت: "أ{كُذِّبُوا} أم {كُذِبُوا}؟" قالت عائشة: "{كُذِّبُوا}". قلت: "فقد استيقنوا أن قومهم كذبوهم؛ فما هو بالظن!" قالت: "أجل لعمري، لقد استيقنوا بذلك". فقلت لها: "{وظنوا أنهم قد كُذِبُوا}". قالت: "معاذ الله! لم تكن الرسل تظن ذلك بربها". قلت: "فما هذه الآية؟" قالت: "هم أتباع الرسل الذين آمنوا بربهم وصدقوهم، فطال عليهم البلاء، واستأخر عنهم النصر، حتى إذا استيأس الرسل ممن كذّبهم من قومهم، وظنت الرسل أن أتباعهم قد كذّبوهم، جاءهم نصر الله عند ذلك" (al-Bukhârî, 4418) ; "عن ابن جريج، قال: سمعت ابن أبي مليكة يقول: قال ابن عباس رضي الله عنهما: {حتى إذا استيأس الرسل وظنوا أنهم قد كُذِبُواْ} خفيفة؛ ذهب بها هناك وتلا: {حتى يقول الرسول والذين آمنوا معه متى نصر الله ألا إن نصر الله قريب}. فلقيت عروة بن الزبير، فذكرت له ذلك. فقال: قالت عائشة: "معاذ الله! والله ما وعد الله رسوله من شيء قط إلا علم أنه كائن قبل أن يموت، ولكن لم يزل البلاء بالرسل، حتى خافوا أن يكون من معهم يكذّبونهم". فكانت تقرؤها: {وظنوا أنهم قد كُذِّبوا} مثقلة" (al-Bukhârî, 4252).
Sa'd ibn Abî Waqqâs (que Dieu l'agrée) n'était pour sa part pas d'accord avec la lecture "نُنْسِهَا" (pourtant variante reconnue, contrairement à celle que lui préférait) : "نا هشيم، قال: أخبرني يعلى بن عطاء، قال: حدثني القاسم بن ربيعة بن قايف الثقفي، قال: سمعت سعد بن أبي وقاص يقول: {ما ننسخ من آية أو تَنْسَها}. قال: فقلت: "إن سعيد بن المسيب يقرؤها: {أو نُنْسِها}". قال: فقال سعد: "إن القرآن لم ينزل على ابن المسيب، ولا على آل المسيب! قال الله تعالى: {سنقرئك فلا تنسى}، وقال: {واذكر ربك إذا نسيت}" (Tafsîr 'Abd ir-Razzâq, n° 106).

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C) Par contre, pour toute variante engageant de façon conséquente le texte (soit la présence ou l'absence d'un terme - par exemple une particule - ; soit la détermination de la racine du terme dûment établi), il faut impérativement que le Prophète lui-même (sur lui soit la paix) ait enseignée cette variante détaillée à au moins un Compagnon.

(Et cela bien qu'il est arrivé que certaines de ces variantes enseignées par le Prophète aient par la suite été abrogées lors de l'ultime révision entre le Prophète et l'ange Gabriel, et que d'autres encore aient été délaissées suite au Consensus des Compagnons sur la nécessité de prendre l'écriture uthmanienne comme référentiel ; c'est le cas de : "وَالذَّكَرِ وَالْأُنثَى" au lieu de : "وَمَا خَلَقَ الذَّكَرَ وَالْأُنثَى" –, relaté par Abu-d-Dardâ' en tant que variante récitée par le Prophète al-Bukhârî, 4659, 4660 , mais mais ne satisfaisant pas à la condition n° 2.

----- Certaines autres des variantes entendues et relatées du Prophète, sur lui soit la paix, ne peuvent elles non plus plus être récitées : pourtant elles ne contredisent pas l'écriture uthmanienne ; cependant, elles ne se sont pas suffisamment diffusées entre les récitateurs, et n'ont donc pas été reconnues comme "connues", "mash'hûr", par les Spécialistes, qui les ont considérées comme "âhâd" : elles ne satisfont donc pas à la condition n° 3 évoquée plus haut ; c'est le cas de : "لَقَدْ جَاءكُمْ رَسُولٌ مِّنْ أَنفَسِكُمْ" au lieu de : "لَقَدْ جَاءكُمْ رَسُولٌ مِّنْ أَنفُسِكُمْ" –, relaté par Ibn Abbas en tant que variante récitée par le Prophète (al-Hâkim, 2945).
--- Les autres variantes entendues et relatées du Prophète, sur lui soit la paix, furent rapportées et sont toujours connues aujourd'hui : soit elles étaient établies au tawâtur depuis le Prophète (sur lui soit la paix) ; soit, au début "âhâd", elles se sont ensuite diffusées et sont devenues "mash'hûr" : elles sont récitées en tant que modes de récitation des mots du texte coranique.

Quant à des variantes récitées par des Compagnons, des Tâbi'ûn, ou des Atbâ' ut-Tâbi'în mais ne remontant pas jusqu'au Prophète (sur lui soit la paix), certaines étaient en soi acceptables mais n'ont elles non plus pas été retenues par les Spécialistes de la discipline des variantes de récitation (A'ïmmat ul-Qirâ'ât), et ne satisfont donc elles non plus pas à la condition n° 3.

C'est le cas de par exemple :
------- "حَتَّى إِذَا فُرِّغَ عَن قُلُوبِهِمْ" (au lieu de : "حَتَّى إِذَا فُزِّعَ عَن قُلُوبِهِمْ") (Coran 34/23) : récitation de 'Amr ibn Dînâr et de Suf'yân ibn 'Uyayna (al-Bukhârî, 4424) ;
------- "إِذْ تَلِقُوْنَهُ بِأَلْسِنَتِكُمْ" (au lieu de : "إِذْ تَلَقَّوْنَهُ بِأَلْسِنَتِكُمْ") (Coran 24/15) : récitation de Aïcha (al-Bukhârî, 3913, 4475) ; Ibn Abî Mulayka, qui relate cela de Aïcha, relate aussi qu'elle expliquait : ""Al-Walaq" (signifie) : "al-kadhib"", puis lui-même ajoutait : "Elle connaissait mieux cela qu'autrui, puisque cela a été révélé à son sujet" : "قال ابن أبي مليكة: سمعت عائشة تقرأ: "إِذْ تَلِقُوْنَهُ بِأَلْسِنَتِكُمْ" (al-Bukhârî, 4475) ; "عن ابن أبي مليكة، عن عائشة رضي الله عنها كانت تقرأ: "إِذْ تَلِقُوْنَهُ بِأَلْسِنَتِكُمْ"، وتقول: "الولق الكذب". قال ابن أبي مليكة: "وكانت أعلم من غيرها بذلك لأنه نزل فيها" (al-Bukhârî, 3913) ; al-Bughâ a écrit que Ubayy ibn Ka'b, Mujâhid et Abû Haywa lisaient eux aussi ce verset de cette façon ;
------- "إِنَّهَا تَرْمِي بِشَرَرٍ كَالْقَصَرِ" (au lieu de : "إِنَّهَا تَرْمِي بِشَرَرٍ كَالْقَصْرِ") (Coran 77/32) : relaté en tant que variante récitée par Ibn Abbâs : "عن عبد الرحمن بن عابس، قال: سمعت ابن عباس، {إنها ترمي بشرر كالقَصَر} قال: "كنا نرفع الخشب بقصر ثلاثة أذرع أو أقل، فنرفعه للشتاء فنسميه القَصَر" (al-Bukhârî, 4648) ;
------- "وَأَقِمِ الصَّلَاةَ للذِكْرَى" (au lieu de "وَأَقِمِ الصَّلَاةَ لِذِكْرِيْ") (Coran 20/14) : relaté en tant que variante récitée par az-Zuhrî : "حدثني حرملة بن يحيى التجيبي، أخبرنا ابن وهب، أخبرني يونس، عن ابن شهاب، عن سعيد بن المسيب، عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم حين قفل من غزوة خيبر، سار ليله حتى إذا أدركه الكرى عرس، وقال لبلال: "اكلأ لنا الليل". (...) فاقتادوا رواحلهم شيئا، ثم توضأ رسول الله صلى الله عليه وسلم، وأمر بلالا فأقام الصلاة، فصلى بهم الصبح. فلما قضى الصلاة قال: «من نسي الصلاة فليصلها إذا ذكرها، فإن الله قال: أقم الصلاة لذكري". قال يونس: وكان ابن شهاب يقرؤها: للذِكْرَى" (Muslim, 680) ;
------- "wa-ddakara ba'da amahin" (cité ta'lîqan par al-Bukhârî) ;
------- "wa lâ taqûlû li man alqâ ilaykum us-silma" (Fat'h ul-bârî 8/326) ;
------- "ghayri uli-dh-dharar" (Ibid. 8/328) ;
------- "ka'anna-hâ jumâlatun sufr" ;
------- "illâ an takûnâ malikayni" ;
------- "mâ wada'a-ka rabbu-ka wa mâ qalâ".

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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