Quand le Prophète (sur lui soit la paix) accomplit la prière funéraire sur le chef des Hypocrites, Abdullâh ibn Ubayy Ibnu Salûl

L'Hypocrite, en arabe : "munâfiq", est celui qui se dit et se montre musulman alors qu'en son for intérieur il est sciemment non-musulman ; en fait il ne se dit musulman que par opportunisme.

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Un premier événement :

A la suite d'un événement s'étant déroulé pendant que le Prophète voyageait avec ses Compagnons, Dieu révéla au sujet des Hypocrites tout un passage de la sourate 63, intitulée justement Les Hypocrites (63ème sourate du Coran) (al-Bukhârî 4618 : on y lit que ce sont les versets 1 à 8 de cette sourate qui furent alors révélés).
Ceci se passa :
--- soit lors de la campagne des Banu-l-Mustaliq (cf. Fat'h ul-bârî, 8/821, 827) (laquelle eut lieu en l'an 4 ou en l'an 5 de l'hégire, cliquez ici) ;
--- soit lors de la campagne de Tabûk (cf. Fat'h ul-bârî, 8/821) (laquelle eut lieu en l'an 9 de l'hégire).
Parmi les versets alors révélés figure celui-ci : "سَوَاء عَلَيْهِمْ أَسْتَغْفَرْتَ لَهُمْ أَمْ لَمْ تَسْتَغْفِرْ لَهُمْ لَن يَغْفِرَ اللَّهُ لَهُمْ إِنَّ اللَّهَ لَا يَهْدِي الْقَوْمَ الْفَاسِقِينَ" : "Il est égal par rapport à eux que tu demandes le Pardon pour eux ou que tu ne le demandes pas : Dieu ne leur accordera pas Son pardon, car Dieu ne guide pas les fâssiqûn" (Coran 63/6).

Un autre verset) Dieu a également révélé au Prophète cet autre verset : "اسْتَغْفِرْ لَهُمْ أَوْ لاَ تَسْتَغْفِرْ لَهُمْ إِن تَسْتَغْفِرْ لَهُمْ سَبْعِينَ مَرَّةً فَلَن يَغْفِرَ اللّهُ لَهُمْ ذَلِكَ بِأَنَّهُمْ كَفَرُواْ بِاللّهِ وَرَسُولِهِ وَاللّهُ لاَ يَهْدِي الْقَوْمَ الْفَاسِقِينَ" : "Demande pardon pour eux ou ne le demande pas ; si tu demandes pardon 70 fois pour eux, Dieu ne leur accordera pas Son pardon" (Coran 9/80). Lorsque le "second événement" que nous allons évoquer ci-après se produira, le Prophète citera ce verset 9/80 : ce verset 9/80 a donc été révélé avant le verset 9/84 (lequel sera pour sa part révélé à la suite de ce "second événement").

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Un second événement :

Ce fut en dhu-l-qa'da de l'an 9 de l'hégire, après Tabûk, que Abdullâh ibn Ubayy Ibn Salûl, le chef de file des Hypocrites de Médine, mourut (Fat'h ul-bârî 8/423). Le fils de cet homme, qui était, lui, croyant sincère, vint trouver le Prophète et lui demanda d'accomplir la prière funéraire (dans laquelle on demande à Dieu d'accorder Son Pardon au défunt) sur son père. Le Prophète acquiesça.
Tandis qu'il s'avançait pour le faire, Omar le tira par son vêtement et lui dit : "Messager de Dieu, vas-tu accomplir la prière funéraire sur lui alors que tel et tel jours il avait dit telle et telle choses ? Et alors que c'est un Hypocrite et que ton Seigneur t'a interdit de demander pardon pour eux ?"
Le Prophète sourit et dit : "Cesse [cette parole], Omar".
Mais comme celui-ci insista, le Prophète finit par lui dire : "Dieu n'a fait que me donner le choix : Il m'a dit : "Demande pardon pour eux ou ne le demande pas ; si tu demandes pardon soixante-dix fois pour eux, Dieu ne leur accordera pas Son pardon" [Coran 9/80]. Et si je savais qu'à demander pardon pour lui plus de soixante-dix fois le pardon lui serait accordé, je le ferais." Puis il accomplit la prière funéraire sur Abdullâh ibn Ubayy.
Peu de temps passa qu'il reçut la révélation des deux versets de la sourate Le Désaveu : "وَلاَ تُصَلِّ عَلَى أَحَدٍ مِّنْهُم مَّاتَ أَبَدًا وَلاَ تَقُمْ عَلَىَ قَبْرِهِ إِنَّهُمْ كَفَرُواْ بِاللّهِ وَرَسُولِهِ وَمَاتُواْ وَهُمْ فَاسِقُونَ" : "Et n'accomplis jamais la prière funéraire sur l'un d'entre eux qui vient à mourir, et ne te tiens pas non plus debout sur sa tombe : ils n'ont pas cru ("kafarû") en Dieu et en Son Messager et sont morts en étant fâssiqûn" [Coran 9/84].
"عن ابن عمر رضي الله عنهما، قال: لما توفي عبد الله بن أبي، جاء ابنه عبد الله بن عبد الله إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم، فسأله أن يعطيه قميصه يكفن فيه أباه، فأعطاه، ثم سأله أن يصلي عليه، فقام رسول الله صلى الله عليه وسلم ليصلي عليه، فقام عمر فأخذ بثوب رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: "يا رسول الله تصلي عليه، وقد نهاك ربك أن تصلي عليه؟". فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إنما خيرني الله فقال: {استغفر لهم أو لا تستغفر لهم، إن تستغفر لهم سبعين مرة}، وسأزيده على السبعين". قال: "إنه منافق". قال: فصلى عليه رسول الله صلى الله عليه وسلم، فأنزل الله: {ولا تصل على أحد منهم مات أبدا، ولا تقم على قبره" (al-Bukhârî, 4393, Muslim, 2400 et 2774).
"عن ابن عمر رضي الله عنهما، أنه قال: لما توفي عبد الله بن أبي، جاء ابنه عبد الله بن عبد الله إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم فأعطاه قميصه، وأمره أن يكفنه فيه، ثم قام يصلي عليه فأخذ عمر بن الخطاب بثوبه، فقال: "تصلي عليه وهو منافق، وقد نهاك الله أن تستغفر لهم؟" قال: "إنما خيرني الله - أو أخبرني الله - فقال: {استغفر لهم، أو لا تستغفر لهم، إن تستغفر لهم سبعين مرة فلن يغفر الله لهم}"؛ فقال: "سأزيده على سبعين". قال: فصلى عليه رسول الله صلى الله عليه وسلم وصلينا معه، ثم أنزل الله عليه: {ولا تصل على أحد منهم مات أبدا، ولا تقم على قبره إنهم كفروا بالله ورسوله، وماتوا وهم فاسقون" (al-Bukhârî, 4395).
"عن عمر بن الخطاب رضي الله عنهم، أنه قال: لما مات عبد الله بن أبي ابن سلول، دعي له رسول الله صلى الله عليه وسلم ليصلي عليه، فلما قام رسول الله صلى الله عليه وسلم وثبت إليه، فقلت: "يا رسول الله، أتصلي على ابن أبي وقد قال يوم كذا وكذا: كذا وكذا؟" أعدد عليه قوله، فتبسم رسول الله صلى الله عليه وسلم وقال: "أخر عني يا عمر". فلما أكثرت عليه، قال: "إني خيرت فاخترت، لو أعلم أني إن زدت على السبعين يغفر له لزدت عليها". قال: فصلى عليه رسول الله صلى الله عليه وسلم ثم انصرف، فلم يمكث إلا يسيرا، حتى نزلت الآيتان من براءة: {ولا تصل على أحد منهم مات أبدا} إلى قوله {وهم فاسقون} قال: فعجبت بعد من جرأتي على رسول الله صلى الله عليه وسلم يومئذ، والله ورسوله أعلم" (al-Bukhârî, 1300).

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Un certain nombre de questions se posent ici :

1) Pourquoi le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a-t-il accompli la prière funéraire sur Ibn Ubayy alors qu'apparemment le verset 9/113, qui interdit de demander pardon en faveur de ceux qui sont morts en étant non-croyants, lui avait déjà été révélé ?

La réponse est que le cas des Hypocrites (munâfiq bi nifâqin akbar) n'est pas semblable à celui de ceux qui sont ouvertement non-musulmans (kâfir) : le fait est que, même s'ils ne le sont pas dans leur for intérieur, les Hypocrites se disent et se montrent musulmans. Les règles extérieures applicables aux musulmans le sont donc aux Hypocrites aussi (comme la licité du mariage avec une musulmane, le fait de bénéficier de la prière funéraire, etc.) (cliquez ici) (sauf s'ils prononcent ouvertement une parole de kufr akbar). Or le verset 9/113, précédemment révélé, parlait de ceux qui sont morts en étant ouvertement non-musulmans. C'est à cause de cette différence existant entre ces deux groupes que le Prophète a compris que la règle révélée au sujet du premier d'entre eux n'était pas, d'elle-même, applicable par analogie au second aussi.

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2) Si l'interdiction de demander pardon à Dieu au sujet de ceux qui sont morts en étant ouvertement kâfirs n'englobe pas ceux qui sont morts hypocrites, pourquoi, alors, Omar a-t-il dit au Prophète de ne pas accomplir la prière funéraire sur Ibn Ubayy au motif que Dieu lui "a interdit de demander pardon pour les (Hypocrites)" (al-Bukhârî 4395) / lui "a interdit d'accomplir la prière funéraire sur lui" (al-Bukhârî 4393) ?

Soit parce que, Dieu ayant déjà expressément interdit, en Coran 9/113, de demander pardon à Dieu pour un homme mort en étant non-musulman (voir le point 1), Omar pensait que les paroles que Ibn Ubayy avait maintes fois proférées constituaient la preuve qu'il n'était pas musulman. Donc cette règle s'appliquait à Ibn Ubayy aussi.
De son côté, le Prophète considérait le fait que si Ibn Ubayy avait proféré de telles paroles, cela ne l'était pas de façon assez établie pour servir de preuve contre lui au point de dire de lui que, ayant embrassé l'islam, il avait ensuite apostasié et ne pouvait plus être considéré par les humains comme musulman (Fat'h ul-bârî 8/426).

Soit parce que, étant donné que Dieu avait dit en Coran 9/80 qu'Il n'accorderait pas Son Pardon à ceux qui sont morts hypocrites, Lui demander pardon en leur faveur (et la prière funéraire n'a que cela comme objectif : demander pardon à Dieu en faveur du défunt) ne servait à rien. Omar pensait donc qu'il est interdit de faire un acte (cultuel) dont il est certain que son objectif ne sera pas acquis auprès de Dieu (d'après Bayân ul-qur'ân). Ou il pensa que le verset 9/80 constituait une allusion subtile au fait qu'il ne fallait pas demander pardon à Dieu en faveur des Hypocrites.

De plus, Omar pensait que le Prophète devait exprimer de la sévérité à l'égard de Ibn Ubayy pour tout le tort que celui-ci avait fait à l'islam, au Prophète lui-même, et aux autres musulmans.

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3) Le verset 9/80, exprimait-il réellement le choix entre demander pardon en leur faveur et ne pas le demander ? ou bien constituait-il une allusion au fait que demander pardon en leur faveur ne sert à rien ?

--- Al-Hassan, Qatâda et 'Urwa pensent qu'il exprimait le choix.

--- D'autres ulémas sont d'avis qu'il constituait une allusion au fait que cela ne sert à rien.

"الرابعة: واختلف العلماء في تأويل قوله: {استغفر لهم} هل هو إياس أو تخيير؟ فقالت طائفة: المقصود به اليأس، بدليل قوله تعالى: {فلن يغفر الله لهم}؛ وذكر السبعين وفاق جرى، أو هو عادتهم في العبارة عن الكثرة والإغياء فإذا قال قائلهم : "لا أكلمه سبعين سنة"، صار عندهم بمنزلة قوله: "لا أكلمه أبدا". ومثله في الإغياء قوله تعالى: { في سلسلة ذرعها سبعون ذراعا}، وقوله عليه السلام : "من صام يوما في سبيل الله باعد الله وجهه عن النار سبعين خريفا". وقالت طائفة: هو تخيير - منهم الحسن وقتاده وعروة -: إن شئت استغفر لهم، وإن شئت لا تستغفر. ولهذا لما أراد أن يصلي على ابن أبي قال عمر: "أتصلي على عدو الله، القائل يوم كذا كذا وكذا؟ فقال: "إني خيرت فاخترت"؛ قالوا: ثم نسخ هذا لما نزل {سواء عليهم أستغفرت لهم أم لم تستغفر لهم} {ذلك بأنهم كفروا} أي لا يغفر الله لهم لكفرهم" (Tafsîr ul-Qurtubî).

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4) Comment le Prophète a-t-il pu se référer au nombre "70" présent dans le verset et ne pas en comprendre ce que Omar en a compris, à savoir que ce nombre n'a pas de sens sinon de dire que, même s'il demandait pardon pour un hypocrite un très grand nombre de fois, cela ne serait pas accepté ?

La réponse est que le Prophète n'avait pas conféré au chiffre "70" une valeur de clause (shart).

C'est pourquoi il avait seulement dit : "Si je savais que si je demandais pardon plus de 70 fois, le pardon lui serait accordé, j'aurais demandé plus de ces (70 fois")" : "لو أعلم أني إن زدت على السبعين يغفر له لزدت عليها", et n'avait pas demandé pardon plus de 70 fois.

Il voulait seulement rappeler à Omar ibn ul-Khattâb que, du verset précédemment révélé, il penchait vers (maylân) le sens littéral (ma'nâ zâhirî). C'est pourquoi il dit : "Dieu n'a fait que me donner le choix : Il a dit : ..." : "إنما خيرني الله".

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5) Bien que, en ce qui concerne la possibilité de demander pardon à Dieu en faveur de Ibn Ubayy, le Prophète retenait le sens littéral du verset 9/80, en revanche Dieu lui avait déjà explicitement dit (9/80) qu'Il n'accorderait pas Son pardon à ces Hypocrites, même si Son Messager le lui demandait 70 fois. Pourquoi donc le Prophète a-t-il malgré tout accompli la prière funéraire sur Abdullâh, celle-ci consistant à demander à Dieu une fois pardon en faveur du défunt (et pas en plus de 70 fois) ?

Parce que, même s'il n'entraînait pas le Pardon de Dieu pour le défunt, l'accomplissement de cette prière présentait comme avantages : contenter le cœur du fils du défunt (et ce fils était pour sa part un croyant sincère) ; ainsi qu'apaiser le clan du défunt et gagner leurs cœurs (Fat'h ul-bârî 8/426 : c'est la réponse de al-Khattâbî et Ibn Battâl).

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6) Le verset 9/84 a-t-il abrogé (Naskh) le caractère jusqu'alors autorisé d'accomplir la prière funéraire sur un Hypocrite ?

Il est certain que, jusqu'alors, la révélation n'avait pas exprimé clairement cet interdit. Et cela est compté parmi les "muwâfaqât" de Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée).

Pour autant, il y a ici 3 avis...

Al-Hassan, Qatâda et 'Urwa pensent que le verset 9/84 est venu instituer une règle nouvelle en abrogeant l'autorisation explicite, le choix, donné précédemment (au verset 9/80) de demander pardon (voir plus haut, le point 3) : selon eux il y a eu Naskh au sens A du terme.

Une autre interprétation est que le verset 9/84 est venu instituer une règle nouvelle par rapport à la précédente autorisation originelle, due au silence de la révélation sur le sujet : il y aura alors eu Naskh au sens B du terme.

Une autre interprétation encore est que le verset 9/84 est venu rendre explicite (Naskh au sens de Tab'yîn ul-Murâd, E) que le verset 9/80 n'induisait en fait pas un choix mais bien, comme Omar ibn ul-Khattâb l'avait compris, une subtile allusion au fait que le Messager ne devait pas demander à Dieu pardon pour un Munâfiq bi nifâq akbar. Cependant, vu que ce verset 9/80 ne le disait pas explicitement et se prêtait à l'interprétation du choix (takhyîr) comme de l'autre sens, le Messager (que Dieu l'élève et le salue) fit son ijtihâd. Cet ijtihâd mena cependant à une khata' ijtihâdî, et le verset 9/84 vint rendre explicite (tab'yîn) ce que Dieu n'agréait pas depuis auparavant, mais auquel Il n'avait fait qu'allusion.

Al-Qurtubî écrit : "الثانية: إن قال قائل: فكيف قال عمر: "أتصلي عليه وقد نهاك الله أن تصلي عليه؟"، ولم يكن تقدم نهي عن الصلاة عليهم؟ قيل له: يحتمل أن يكون ذلك وقع له في خاطره، ويكون من قبيل الإلهام والتحدث الذي شهد له به النبي صلى الله عليه وسلم، وقد كان القرآن ينزل على مراده، كما قال: "وافقت ربي في ثلاث"، وجاء: "في أربع"؛ وقد تقدم في البقرة؛ فيكون هذا من ذلك. ويحتمل أن يكون فهم ذلك من قوله تعالى: {استغفر لهم أو لا تستغفر لهم} الآية، لا أنه كان تقدم نهي، على ما دل عليه حديث البخاري ومسلم، والله أعلم. قلت: ويحتمل أن يكون فهمه من قوله تعالى: {ما كان للنبي والذين آمنوا أن يستغفروا للمشركين} لأنها نزلت بمكة. وسيأتي القول فيها" (Tafsîr ul-Qurtubî).

Cet événement serait alors comparable à celui ayant entraîné la révélation du verset 8/67 : la prise de rançon de la part des Quraysh pour leurs 70 hommes faits prisonniers à Badr, au sujet de laquelle al-Baydhâwî a écrit : "والآية دليل على أن الأنبياء عليهم الصلاة والسلام يجتهدون، وأنه قد يكون خطأ ولكن لا يقرون عليه. (...) {لَوْلا كِتابٌ مِنَ اللَّهِ سَبَقَ} لولا حكم من الله سبق إثباته في اللوح المحفوظ، وهو أن لا يعاقب المخطئ في اجتهاده أو أن لا يعذب أهل بدر أو قوماً بما لم يصرح لهم بالنهي عنه، أو أن الفدية التي أخذوها ستحل لهم، {لَمَسَّكُمْ} لنالكم {فِيما أَخَذْتُمْ} من الفداء {عَذابٌ عَظِيمٌ" (Tafsîr ul-Baydhâwî, sur Coran 8/67). La différence est que pour cet épisode de Badr il y a eu un reproche, tandis qu'ici non. Et, pour cet épisode de Badr, deux possibilités existent chez les commentateurs : soit Coran 47/4 n'avait alors pas encore été révélé (Tafsîr Ibn Kathîr) ; soit cela avait alors déjà été révélé (Ar-Rahîq ul-makhtûm), mais c'est par rapport au réel (wâqi') qu'il y eu khata' ijtihâdî.

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7) Les musulmans autres que le Prophète (sur lui soit la paix) peuvent-ils pour leur part demander pardon à Dieu en faveur de celui qui est mort en étant Hypocrite ?

Le verset qui interdit au Prophète de demander pardon à Dieu en faveur de ceux qui sont morts Hypocrites en mentionne la raison : "Ils n'ont pas cru ("kafarû") en Dieu et en Son Messager, et sont morts en étant fâssiqûn" (Coran 9/84). Or si Dieu sait qui, en son cœur également, est musulman, et qui ne l'est qu'en apparence et non en son intérieur, les humains, eux, ne peuvent le savoir. Et en apparence l'Hypocrite est musulman (c'est intérieurement qu'il ne l'est pas). Les autres musulmans que le Prophète doivent-ils, peuvent-ils dès lors accomplir la prière funéraire et demander pardon pour celui qui est mort Hypocrite ?

--- Pour al-Bukhârî il ne faut pas le faire (cf. Al-Jâmi' us-sahîh, al-janâ'ïz, bâb 83). Pour Ibn Kathîr non plus ("Wa hâdhâ hukmun 'âmm fî kulli man 'urifa nifâquh", Tafsîr Ibn Kathîr 2/327). Le verset 9/84 interdit donc au Prophète de demander pardon pour l'Hypocrite, et cette interdiction s'applique aussi à tout musulman dès lors qu'il sait qu'Untel est Hypocrite (Munâfiq bi nifâq akbar).

--- Par contre, pour Ibn Hazm, si le verset 9/113 interdit au Prophète et aux croyants dans leur ensemble de demander à Dieu d'accorder Son Pardon à celui dont il est établi qu'il est mort en étant ouvertement non-musulman, en revanche le verset 9/84 interdit seulement au Prophète mais non aux autres musulmans d'accomplir la prière funéraire sur celui qui est mort Hypocrite. Cette différence s'apparente, écrit Ibn Hazm, au fait que le Prophète n'accomplissait pas, personnellement, la prière funéraire sur celui qui mourrait en laissant des dettes sans laisser aussi de quoi les régler, mais d'autres musulmans devaient le faire (cf. Al-Muhallâ, 12/140-141).

--- Le premier avis pose le problème de pouvoir dire de quelqu'un qui est apparemment musulman qu'il est un Hypocrite, alors même que ce qui "fait" l'Hypocrite est qu'il n'y a pas de preuve suffisante du fait qu'en son for intérieur il ne se sent pas musulman. Le risque est alors grand que de nombreux musulmans soient traités d'Hypocrites (munâfiq bi nifâq akbar) par d'autres et que ceux-ci ne prient pas sur eux.
Ibn Taymiyya écrit au sujet des Hypocrites : "La plupart d'entre eux ne prononçaient pas une parole de kufr d'une façon qui puisse servir de preuve ; ils exprimaient au contraire leur appartenance à l'islam, (mais) leur hypocrisie dans la foi se remarquait parfois par une parole (qu'ils prononçaient), et un croyant l'ayant entendue et relatée au Prophète, ils faisaient serment de ne pas l'avoir dit, ou parfois ne faisaient pas ce serment ; d'autres fois (leur hypocrisie) se remarquait par ce qui apparaissait d'eux : ils étaient [toujours] en retard dans leur participation aux prières et à la résistance, ils rechignaient à s'acquitter de l'aumône, et exprimaient de ne pas aimer de nombreuses règles énoncées par Dieu. La plupart d'entre eux se faisaient remarquer par le style qu'ils utilisaient dans leur propos ; Dieu l'a dit : "Tu les reconnaîtras certainement au ton de leur parler" [Coran 47/30]". Et Ibn Taymiyya d'écrire ensuite à propos de certaines règles de l'islam que le Prophète ne les appliquait pas à des personnes "par ce qu'il savait au sujet d'elles, ni par l'information qu'un seul homme lui aurait donnée au sujet d'elles, ni par la révélation seulement, ni par les indices" : il fallait une preuve juridiquement valable ("bayyina") ou un aveu ("iqrâr")" (As-Sârim, pp. 355-356).
Certes, Ibn Taymiyya ne parle pas là de la règle de la demande de pardon pour un défunt. Au contraire, sur ce point, et suite à l'interdiction faite par le verset 9/84, le Prophète devait bel et bien se fonder sur ce qu'il savait par le biais de la révélation de telle personne – à savoir qu'elle était Hypocrite – et ne pas accomplir alors la prière funéraire sur elle.
Mais ce qui est intéressant dans ce propos mis en exergue par Ibn Taymiyya est que d'une part même le Prophète ne connaissait pas tous les Hypocrites de son époque, et d'autre part qu'il les connaissait par la révélation, et non par une preuve juridique. Or, les autres musulmans ne reçoivent pas la révélation ; de plus, leur perception des hommes est beaucoup moins sûre que celle du Prophète ; c'est bien, pourquoi après le décès du Prophète, Omar, pourtant homme doué d'une grande sagacité, ne se référait qu'à l'absence de Hudhayfa à une prière funéraire pour savoir si le défunt était Hypocrite, et alors, décider de ne pas se joindre à la prière funéraire sur lui. Et si Hudhayfa connaissait un certain nombre de ces Hypocrites, c'était parce que le Prophète le lui avait confié : "Je vais te confier quelque chose que tu ne diras à personne : il m'a été interdit d'accomplir la prière funéraire sur Untel, Untel…" ; il s'agit probablement, écrit Ibn Hajar, de ceux dont Dieu savait et avait dit au Prophète que ces personnes, apparemment musulmanes, mourraient en étant intérieurement non-croyantes (Fat'h ul-bârî 8/428). Mais en dehors du Prophète et de celui qu'il a informé, les autres musulmans ne peuvent rien savoir sur le sujet.

--- L'avis de Ibn Hazm ne pose pas ce problème. Le verset 9/84 montre effectivement qu'on ne peut demander pardon en faveur de celui qui est mort sans la foi que Dieu agrée. Cependant, on n'est, à ce sujet, responsable que des apparences : on vivra le principe communiqué par ce verset lorsqu'on a en face de soi quelqu'un qui est mort sans la foi que Dieu agrée, car il n'avait pas la foi que Dieu agrée, cela est clair ; par contre, on ne peut, en tant que musulman autre que le Prophète, dire d'un homme apparemment musulman qu'il est Hypocrite, appliquer alors à son égard la règle communiquée par ce verset et ne pas accomplir la prière funéraire sur lui ; différent encore est le cas de l'homme qui était apparemment musulman mais qui a ensuite exprimé clairement et de façon établie qu'il ne l'est plus : celui-là est un apostat (murtadd), et non un hypocrite (munâfiq) (cliquez ici). Il s'agit donc d'une question de tahqîq ul-manât : le principe est reconnu par tous – ne pas accomplir la prière funéraire sur un homme mort en étant non-croyant (kâfir) – mais son application concrète à propos d'un homme précis demande une preuve claire et non un simple soupçon ; chez celui qui est mort sans la foi que Dieu agrée (kâfir), les choses sont évidentes, mais chez l'hypocrite (munâfiq), les choses ne sont pas établies à un point où elles pourraient servir de preuve.

En résumé, selon Ibn Hazm, on doit se fonder sur les apparences, et selon celles-ci un hypocrite est un musulman, même si nombre des propos qu'il a prononcés mais qu'il s'est empressé de démentir ensuite, font s'installer un sérieux doute quant à son appartenance à l'islam : selon l'avis de Ibn Hazm, la prière funéraire sera donc accomplie par un musulman sur lui. Pour le Prophète, ce n'était pas la même chose : il savait d'un certain nombre de personnes qu'intérieurement elles n'étaient pas musulmanes, mais il le savait par révélation divine. Et, sur ce point précis, ce savoir suffisait pour qu'il n'accomplisse pas la prière funéraire sur elles.

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8) Que signifie "Et ne te tiens pas debout sur sa tombe", alors qu'il est établi que le Prophète a reçu de Dieu l'autorisation de rendre visite à la tombe de sa mère, et l'a fait, alors même qu'il n'a pas reçu l'autorisation de demander le Pardon pour elle non plus (rapporté par Muslim, 976) ?

Lire la réponse à cela dans notre article parlant de la visite aux tombes.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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