Au sujet des propos tenus par Benoît XVI à Ratisbonne sur l'islam

Précisons d'emblée trois choses. La première est que l'on pourrait juger quelque peu tardif cet article : il n'est mis en ligne que le 29 décembre 2006 alors que le propos du Pape avait été tenu le 12 septembre, soit trois mois et demi plus tôt. En fait l'ébauche de cet article, je l'avais élaborée dans les jours qui ont suivi le cours de Ratisbonne ; mais je n'ai pu alors lui donner sa forme complète faute de temps : le début du ramadan était arrivé une dizaine de jours après, et je n'ai pu écrire aucun article durant ce mois cette année. Fin octobre 2006, juste après la fin du ramadan 1427, j'ai terminé l'article, et j'étais sur le point de le mettre en ligne quand mon site a cessé de fonctionner. Quand une nouvelle mouture a pu enfin être créée fin novembre 2006, il a fallu manuellement remettre en ligne un à un tous les articles présents dans l'ancien site, et ce dans le même ordre de postage afin de respecter leur numérotation dans les références url connues par des internautes. Cela m'a pris un mois entier. C'est pourquoi ce n'est qu'aujourd'hui que, ayant mis en ligne le dernier de mes anciens articles, je peux livrer cet article-ci.

La seconde chose que j'aimerais dire ici est que si je ne suis pas d'accord avec le propos du Pape, comme nous allons le voir, je ne suis pas non plus d'accord avec le fait qu'on l'agresse ou même qu'on le menace (cliquez ici), de même que je ne comprends pas qu'on s'en prenne, par réaction, à des églises ou des religieux/ses.

La troisième chose que je voudrais souligner c'est que l'émoi que le propos du Pape avait causé s'étant calmé, je ne désire pas le réveiller. Je désire seulement apporter d'autres pistes à ceux qui s'étaient dit : "Après tout, Benoît XVI a raison : il dit tout haut ce que bien du monde pense tout bas ; d'ailleurs il n'y a eu, dans l'ensemble de la part des musulmans, non pas beaucoup de débats et de contre-arguments, mais beaucoup d'indignations, des manifestations, quelques menaces, voire même des dégradations d'églises". Et, à cet égard, on pourrait même penser que le retard involontaire pris à poster cet article pourrait avoir quelque chose de bon inshâ Allâh : peut-être que le fait que le temps a passé et que les choses se sont calmées contribuera à ce que ces contre-arguments soient lus de façon moins passionnée.

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Le 12 septembre 2006, Benoît XVI – M. Ratzinger – avait tenu un long discours sur le thème foi et raison. Seulement un court passage du propos concernait l'islam.

Benoît XVI y a dit : "Tout cela me revint en mémoire récemment à la lecture de l'édition publiée par le professeur Theodore Khoury (Münster) d'une partie du dialogue que le docte empereur byzantin Manuel II Paléologue, peut-être au cours de ses quartiers d'hiver en 1391 à Ankara, entretint avec un Persan cultivé sur le christianisme et l'islam et sur la vérité de chacun d'eux. L'on présume que l'Empereur lui-même annota ce dialogue au cours du siège de Constantinople entre 1394 et 1402 ; ainsi s'explique le fait que ses raisonnements soient rapportés de manière beaucoup plus détaillées que ceux de son interlocuteur persan. Le dialogue porte sur toute l'étendue de la dimension des structures de la foi contenues dans la Bible et dans le Coran et s'arrête notamment sur l'image de Dieu et de l'homme, mais nécessairement aussi toujours à nouveau sur la relation entre - comme on le disait - les trois "Lois" ou trois "ordres de vie" : l'Ancien Testament - le Nouveau Testament - le Coran. Je n'entends pas parler à présent de cela dans cette leçon ; je voudrais seulement aborder un argument - assez marginal dans la structure de l'ensemble du dialogue - qui, dans le contexte du thème "foi et raison", m'a fasciné et servira de point de départ à mes réflexions sur ce thème."

Le cadre est posé : selon ses dires, ce serait pour enrichir le débat sur "foi et raison" que le Pape fait allusion à la différence existant – selon sa conception – entre la foi chrétienne et la foi musulmane.

Il poursuit : "Dans le 7e dialogue édité par le professeur Khoury ("dialexis", "controverse"), l'empereur en arrive à parler du thème du jihâd (guerre sainte). L'empereur savait certainement que dans la sourate 2, 256, il est écrit : "Pas de contrainte en matière de foi" – c'est l'une des sourates primitives datant de l'époque où Mohammed lui-même était privé de pouvoir et se trouvait menacé. Mais l'empereur connaissait naturellement aussi les dispositions inscrites dans le Coran – d'une époque plus tardive – au sujet de la guerre sainte."

C'est bien de se mettre au Tafsîr (discipline du commentaire du texte coranique), mais MM. Khoury et Ratzinger devraient faire du Tafsîr juste : ils ont tout faux !
La sourate 2, où se trouve ce verset 256 "Pas de contrainte en religion", n'est absolument pas "l'une des sourates primitives datant de l'époque où Mohammed lui-même était privé de pouvoir et se trouvait menacé", tandis que dans des sourates "d'une époque plus tardive" figureraient des "dispositions inscrites" "au sujet de la guerre sainte". Absolument pas. La sourate 2 est la plus connue des sourates de la période de Médine, et le Prophète avait alors déjà le pouvoir. De plus, dans cette sourate même, aux versets 190-195, puis aux versets 216-217 il est explicitement fait mention de combat. N'importe qui peut le vérifier aisément.
At-Tabarî a d'ailleurs rapporté de Ibn Abbâs un propos qui montre que ce verset 2/256 a été révélé en l'an 8 ou 9 de l'hégire [soit après la révélation de la plupart ou de la totalité des versets mentionnant le combat] (Tafsîr ut-Tabarî, commentaire de ce verset, relation n° 5810) ; Ibn Âshûr a écrit la même chose (At-Tahrîr wa-t-tanwîr, commentaire de ce verset).
Maintenant est-ce que le contenu de ce verset 2/256 a été  abrogé ? Certains commentateurs ont en effet écrit : "mansûkh" ; mais les spécialistes de l'exégèse coranique savent bien que "mansûkh" ici ne signifie pas "abrogé" (cliquez ici pour en savoir plus). Comment le contenu d'un verset donné pourrait-il avoir été abrogé par des versets lui ayant été révélés de façon antérieure ?

Le Pape poursuit : "Sans s'arrêter sur les détails, tels que la différence de traitement entre "ceux qui possèdent le Livre" et les "incrédules", l'empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s'adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant : "Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l'épée la foi qu'il prêchait"".

Il n'y a pas unanimité mais au contraire divergence à propos de la question de savoir si le Coran fait une différence de traitement (en termes de possibilité de vivre en terre musulmane) entre "Gens du Livre" et "Polythéistes" (c'est, de toute évidence, ceux que Benoît XVI a voulu désigner par le terme "incrédules"). L'avis que Ibn ul-Qayyim trouve pertinent est celui selon lequel il n'y a pas de différence à cet égard entre "Gens du Livre" et "Polythéistes" (lire à ce sujet le point B d'un de nos articles).

Il faut aussi rappeler que des sourates du Coran ne parlent pas textuellement de "guerre sainte", qui se dirait en langue arabe "al-harb ul-muqaddassa". La question qui se pose donc est : Qu'entendez-vous par "guerre sainte" ? Nos textes parlent de jihâd, qui signifie "effort dans la voie de Dieu" et qui revêt plusieurs formes, dont l'une seulement est le combat (le terme jihâd signifie "faire l'effort" et n'a pas un sens spécifiquement militaire : pour en savoir plus, lire un autre de nos articles, ainsi que le point C d'un autre article encore) ; ils parlent aussi de qitâl, qui signifie "combat" et désigne la forme particulière de jihâd que nous venons d'évoquer.

Il faut enfin rappeler que ce combat comporte des règles précises, aussi bien en termes de déclenchement de "l'état de belligérance" (pour en savoir plus cliquez ici – cet autre article devrait montrer également que le combat n'a pas pour objectif de contraindre les gens à embrasser l'islam – ; cliquez également ici) que de "conduites des hostilités" (cliquez ici).

Benoît XVI dit ensuite : "L'empereur intervient alors pour justifier pourquoi il est absurde de répandre la foi par la contrainte. Celle-ci est en contradiction avec la nature de Dieu et la nature de l'âme. Dieu ne prend pas plaisir au sang, et ne pas agir raisonnablement ('sunlogô') est contraire à la nature de Dieu. La foi est un fruit de l'âme, non du corps. Donc si l'on veut amener quelqu'un à la foi, on doit user de la faculté de bien parler et de penser correctement, non de la contrainte et de la menace. Pour convaincre une âme raisonnable, on n'a besoin ni de son bras, ni d'un fouet pour frapper, ni d'aucun autre moyen avec lequel menacer quelqu'un de mort."

Je suis d'accord avec le Pape sur le fait que la contrainte ne peut créer la foi chez un homme, celle-ci étant un acte de cœur volontaire. Mais j'ai deux remarques à faire

La première est que contraindre les hommes à se convertir à l'islam n'est nullement l'objectif du combat dont parle le Coran, nous venons de le dire en renvoyant à l'un de nos articles.

La seconde remarque est que Benoît XVI, illustrant son propos sur le fait qu'il est "absurde de répandre la foi par la contrainte", aurait dû, en passant, rappeler également aux grands intellectuels et universitaires allemands qui l'écoutaient qu'au VIIIè siècle de l'ère chrétienne, c'est par la contrainte que Charlemagne a converti les Saxes au christianisme : ils avaient le choix entre professer la foi catholique et être exécutés. Et cela se passait quelque part dans ce qui allait devenir plus tard… l'Allemagne (où se trouve Ratisbonne). Ceci n'empêchera pas le Pape de l'époque, Léon III, de couronner plus tard Charlemagne empereur, à la Noël de l'an 800. Comme quoi…

Si vous, lecteur de cet article, n'aviez jamais entendu parler de ce fait historique, vous pouvez aller le vérifier à travers – pour faire simple – la page suivante :
"Après cette victoire [en 782], Charlemagne réorganise la Saxe, qui devient une province de son empire et ordonne la conversion forcée des Saxons païens" (wikipedia).

Si l'empereur catholique Charlemagne avait pu rencontrer l'empereur orthodoxe Manuel, assurément celui-ci lui aurait expliqué combien il était absurde de répandre par l'épée leur foi commune… Et si le pape de l'époque de Charlemagne était M. Ratzinger, qui doute du fait qu'il aurait refusé de le couronner empereur en l'an 800, et qu'il l'aurait sermonné, sur un ton docte mais sévère, par ces paroles sages : "Si l'on veut amener quelqu'un à la foi, on doit user de la faculté de bien parler et de penser correctement, non de la contrainte et de la menace. Pour convaincre une âme raisonnable, on n'a besoin ni de son bras, ni d'un fouet pour frapper, ni d'aucun autre moyen avec lequel menacer quelqu'un de mort"...

Qui en doute un instant ?

Alors bien sûr, il y a aussi eu dans l'histoire de l'Islam des conversions forcées. Mais ce que nous voulons montrer c'est qu'elles ont aussi existé dans la Chrétienté, et, comble de l'ironie, notamment sur la terre où Benoît XVI rappelait qu'elles ont eu lieu en Islam (ce qui est vrai) et que les textes de l'islam eux-mêmes sont à l'origine de telles conversions, "puisque le verset coranique disant "Pas de contrainte en religion" daterait d'une époque primitive, quand les versets autorisant le combat n'étaient pas encore venus (ce qui est faux, nous l'avons vu)...

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Ici on pourrait nous dire : "Oui mais tout ça c'est du passé, aujourd'hui ce ne sont plus que des Musulmans qui, ici et là, font montre de violence. Les Chrétiens, eux, sont devenus pacifiques, et doux comme des agneaux."

Sauf que M. Bush n'est pas un musulman mais un Chrétien (certes non-catholique mais chrétien quand même). Et malgré le fait qu'il n'y avait pas d'ADM en Irak, le mouvement évangélique américain qualifie la guerre contre l'Irak de "guerre juste" et le soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël comme un nécessaire prélude au retour de Jésus sur terre : cfr.org. En mars 2003, le Sénat puis le Congrès américains ont même recommandé aux citoyens de leur pays "une journée de jeûne et de prières" pour "assurer la protection" divine aux "forces armées en Irak" notamment. Malgré le fait que le FBI reconnaît n'avoir "pas de preuve solides" de l'implication de Ben Laden dans les attentats du 11 septembre 2001, on a quand même envahi l'Afghanistan et fait périr lors des attaques des milliers d'innocents. (En juin 2006, en effet, le FBI expliquait que si, sur la fiche de recherche de Ben Laden, il n'était pas stipulé qu'il était recherché pour les actes terroristes du 11 septembre 2001 (cliquez ici), c'est parce que lui, le FBI, n'a pas de preuves solides de son lien avec ces actes (cliquez ici).)

Pourquoi est-ce seulement les musulmans que Benoît XVI presse de cesser la justification religieuse de la violence ? Pourquoi on ne l'entend pas beaucoup employer les mêmes mots à propos de ce que font ses propres coreligionnaires ?

On peut de plus noter une chose : quand ce sont des musulmans qui combattent pour une cause qui est, d'après les accords internationaux même, justifiée – comme dans le cas où leur terre a subi une invasion –, mais que, ce faisant, ils visent des non-combattants, on dit – à juste titre, je le souligne, car je le pense aussi – qu'il est interdit de tuer de telles personnes pour une cause, aussi justifiée celle-ci soit-elle ; et on rappelle que tuer des gens qui ne sont pas combattants pour faire pression sur les vrais coupables afin qu'ils cessent leurs forfaits, c'est du terrorisme. Par contre, quand ce sont certains Etats non-musulmans qui combattent et visent des non-combattants musulmans – et ce même quand leur combat contredit les accords internationaux –, le discours change : "Oui… Non… Mais c'est normal : ces Etats s'estiment en danger, ils agissent. Il faut les comprendre, il faut fermer les yeux sur ces petites dérives".

Comment peut-on ne pas voir cette immense injustice, ce deux poids, deux mesures ? Vous ne voyez pas qu'il est malheureusement prévisible – bien que cela demeure bien sûr injustifiable – que cette injustice va engendrer, par réaction, des milliers d'humains prêts à en découdre de toutes les façons et estimant n'avoir plus rien à perdre ?

De tout cela, pas un mot de la part du Pape Benoît XVI. C'est aux musulmans qu'il rappelait qu'il faut faire disparaître le terrorisme : jmj.fr. Pourquoi ne le rappelle-t-il pas aux chrétiens aussi, et ne leur dit-il pas que certains d'entre eux font aussi régner la terreur chez des non-chrétiens ?

J'avoue rester perplexe devant la façon de penser de ce Pape-là.

Et je me souviens ici d'une chose… Pour rester dans le domaine des citations, sachez que Ibn Taymiyya a, au XIVè siècle de l'ère chrétienne, écrit une Lettre chypriote, où, s'adressant à un roi croisé de l'île de Chypre, Sir Johan, il lui "demande de libérer ses prisonniers musulmans ou, à tout le moins, de les traiter avec bienveillance et de s'abstenir de leur imposer le baptême. Et le théologien de faire d'une pierre deux coups en complétant sa missive par une leçon de religions comparées" (4ème de couverture de Ibn Taymiyya, Lettre à un roi croisé, Jean R. Michot, Academia-Tawhid). C'est à l'occasion de rafles opérées sur les côtes syriennes que les croisés, repliés depuis la fin de la huitième croisade sur l'île de Chypre, faisaient des prisonniers parmi les musulmans. Dans l'Introduction à la traduction de la Lettre, Jean Michot expose ainsi une des idées de l'écrit de Ibn Taymiyya : "Parce que l'Islam est une religion recherchant, pour l'ensemble des créatures, le bien ici-bas et dans l'au-delà, il ne verse pas dans un irénisme béat mais comporte, pour les croyant et les croyantes, une obligation de lutte, parfois armée, sur le chemin de Dieu. Mené dans l'obéissance à la révélation [= limites fixées par la révélation], un tel jihâd vaut assurément mieux, selon Ibn Taymiyya, que les agissement des chrétiens auxquels le Messie a dit d'aimer leurs ennemis et de leur tendre la joue gauche mais qui se livrent à des crimes inadmissibles pour qui a de la religion ou, tout simplement, de l'humanité, notamment lors de leurs rafles de prisonniers sur les côtes de Syrie" (p. 102). Il faut savoir que Ibn Taymiyya a vécu juste après l'époque où les derniers croisés ont été expulsés de Syrie-Palestine par les Mamelouks, ces derniers ayant dû faire un jihâd défensif contre ces envahisseurs ; il a de plus vécu au temps des tentatives des Mongols de Ghazân d'envahir la Syrie, contre qui les Mamlouks ont également dû lutter de façon armée pour défendre le pays face à ces envahisseurs. C'est probablement à cela qu'il fait allusion.

Va dans un sens voisin le propos de Jacques Neyrinck, qui, se décrivant comme comme "chrétien pratiquant" (Peut-on vivre avec l'islam, p. 35) et "catholique pratiquant" (p. 115), parle ainsi de sa religion (qui est, aussi, celle de Benoît XVI) : "le christianisme, qui est en principe une religion de la souffrance, de l'expiation, de l'échec, et en pratique la religion des peuples les plus conquérants et les plus agressifs que la planète ait portés" (p. 153).

Samuel Huntington dit quant à lui : "Je ne pense pas que l'islam soit plus violent qu'une autre religion, et je me demande si, au bout du compte, les chrétiens n'ont pas massacré plus de gens au fil des siècles que les musulmans" (Courrier international, hors-série juin-juillet-août 2003, p. 55).

Enfin citons ce mot de François Burgat : "Sauf à considérer que les modes d'action de l'armée révolutionnaire irlandaise attestent d'une liaison congénitale du catholicisme avec le terrorisme, force est de constater que la "violence islamiste" s'explique moins par les références idéologiques de ceux qui en font la promotion que par leur itinéraire personnel et leur environnement politique et économique. Aucun historien sérieux ne s'est risqué à essayer de démontrer que la religion musulmane avait dans son ensemble produit significativement plus de violence politique que l'un quelconque des autres dogmes, religieux ou matérialistes, les exemples récents ne faisant pas défaut en ce domaine" (L'islamisme en face, 2002, p. 119).

Ces réflexions n'ont en rien perdu de leur pertinence…

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Benoît XVI affirme enfin, dans son passage à propos de l'islam : "L'affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. L'éditeur Théodore Khoury commente : pour l'empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu'à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l'obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l'homme devrait même pratiquer l'idolâtrie."

Ibn Hazm est certes d'avis qu'on ne peut pas dire que Dieu a tel objectif en communiquant telle règle. Mais ce n'est pas l'avis pertinent sur le sujet (cliquez ici). Ibn Taymiyya s'est lui aussi démarqué de cet avis selon lequel "Af'âlullâh lâ tu'allalu bi-l-aghrâdh" (cf. Majmû' ul-fatâwâ). Si la théologie musulmane enseigne que ce qui est attendu de l'homme est qu'il se conforme aux normes présentes dans les textes de l'islam, d'où une dimension évidente d'obéissance et de soumission, elle dit aussi que l'institution de ces normes poursuit, au-delà, l'objectif de garantir à l'homme une vie harmonieuse pour toutes les facettes de sa nature (cliquez ici et ici pour en savoir plus). D'ailleurs, pour bien d'autres théologiens que Ibn Hazm et les Ach'arites (qui ont le même avis sur ce point), les notions de "bien" et de "mal" des actes sont inhérents à ces derniers, cependant que la raison ne pouvait toujours trouver ces notions d'elle-même (cliquez ici pour lire notre article sur le sujet). C'est ce qui fait qu'on peut tout à fait chercher à comprendre, à découvrir la sagesse qui fonde telle règle ou telle autre (lire notre article relatif à ce point). C'est aussi pourquoi certaines règles ont été formulées suite à un contexte particulier ; si le contexte ou la réalité change, la règle peut dans certains cas changer (cliquez ici et ici pour lire d'autres articles traitant de ce propos).

On voit qu'on peut difficilement généraliser le propos comme l'ont fait MM. Arnaldez et Khoury, en présentant la pensée du seul Ibn Hazm comme la preuve de ce que le Pape voulait dire de l'articulation foi-raison dans tout l'islam (même sunnite). Faire ce genre de généralisation simpliste, c'est un peu comme dire qu'Irénée de Lyon représente la théologie chrétienne et la position de toute la chrétienté vis-à-vis du rôle du Messie sur terre.

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Quelques jours après son intervention à Ratisbonne et suite à la vague d'indignation provoquée par ses propos sur le Prophète et le Coran, le Pape a fait la déclaration suivante : "Je suis vivement attristé par les réactions suscitées par un bref passage de mon discours (...) considéré comme offensant pour la sensibilité des croyants musulmans alors qu'il s'agissait d'une citation d'un texte médiéval qui n'exprime en aucune manière ma pensée personnelle (...)" (le 17 septembre 2006).

Jamais Benoît XVI n'est revenu sur ses propos à Ratisbonne au sujet de l'islam. Jamais il n'a déclaré avoir regretté les propos qu'il a dits sur l'islam. S'il s'est dit "vivement attristé", c'est seulement par rapport aux réactions suscitées par ceux-ci. Chapeau ! Serait-ce une manière de dire : "Ce que je l'ai dit, je l'ai dit" [façon Ponce Pilate], "même si vous en êtes choqués ; et puis c'est tellement vrai et évident que je suis attristé du fait que vous, musulmans, puissiez en être choqués" ? Pourtant nous avons vu combien ce qu'il a dit comporte d'approximations et de douteuses généralisations...

On peut se demander si l'objectif n'aurait pas été, au fond, de faire passer comme message que "Le Prophète de l'islam n'a apporté à l'humanité que des choses mauvaises et inhumaines", mais adroitement, par le biais de cette citation de l'empereur Manuel, de sorte qu'on puisse faire valoir ensuite qu'une citation ne reflète pas forcément la pensée de celui qui cite... La belle affaire.

Par les temps actuels de tensions entre civilisations, de la part d'un homme qui se présente comme une voix de raison et de paix dans le monde d'aujourd'hui, n'est-on pas en droit d'attendre un tout autre message ?

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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